Sortir de l'histoire officielle

    


Errico Malatesta (1853-1932)

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Quatrième de couverture et site «Figure emblématique et fondatrice de l’anarchisme, Errico Malatesta a contribué à de nombreux journaux, en créant lui-même plusieurs, au cours de sa longue vie à cheval sur les XIXe et XXe siècles. Cette anthologie, parue initialement en 1976 chez 10/18, est ici rééditée, revue et augmentée par son traducteur et préfacier, Frank Mintz. On y retrouve des textes théoriques sur les principes de l’anarchisme, des interventions sur la pratique révolutionnaire (syndicalisme, propagande, abstentionnisme, lutte contre le fascisme, etc.), sur divers soulèvements populaires (semaine rouge d’Ancône, révolutions russe et espagnole, etc.) et sur certaines figures anarchistes et socialistes (Sacco et Vanzetti, Kropotkine, etc.).
Les réflexions de Malatesta, loin d’être dépassées, continuent de présenter une grande actualité pour qui se réclame de la vaste et riche tradition de l’anarchisme.»

«Hugues, Groupe Commune de Paris, Le Monde libertaire, no 1807, juin 2019
Malatesta fut parmi les militants qui participèrent à l’implantation et au développement de l’anarchisme en Italie, en Europe et en Amérique latine à l’instar de Bakounine, Reclus, Cafiero, Fanelli et bien d’autres. Mais il fut aussi un obserbateur attentif du mouvement anarchiste et ouvrier, un rédacteur prolixe et critique et souvent avisé des évolutions et des débats qui animèrent en son temps le mouvement libertaire. Ce recueil en atteste.
Il s’agit là d’une réédition de textes rassemblés par Franck Mintz alias Israël Renov, publiés en 1976, revus et augmentés pour cette nouvelle parution chez Lux. D’autres textes le furent par la suite dans les années 1980, édités par le groupe «1er mai» de la Fédération anarchiste d’Annecy dont les couvertures de notre compagnon Jean-François Ducret firent date par leur esthétisme. Les textes proposés ici sont des articles écrits pour de nombreux journaux libertaires en Italie et ailleurs. Tous visent à leur manière, comme l’écrivait Malatesta «à apprendre à penser et à agir librement» et à susciter «l’esprit d’association et de résistance1. L’ouvrage n’est pas à lire nécessairement dans la logique des pagesqui se tournent, chacun peut courir d’un article clair et souvent concis à un autre au gré de ses centres d’intérêts. À noter que la plupart d’entre eux, qu’ils soient théoriques ou pratiques, restent d’une grande actualité bien qu’ils furent rédigés entre 1884 et 1932, année de la mort de Malatesta. Que ce soit celui intitulé : Un peu de théorie qui ouvre le volume, ceux consacrés à la nécessité de l’organisation anarchiste, aux mouvements sociaux révolutionnaires ou ceux plus tardifs relatifs au fascisme.
En bref, des textes de réflexion parfois essentiels au présent de l’anarchisme, autour de la question de l’organisation synthésiste ou relevant de la plateforme. Question sur laquelle Malatesta apporte des éléments éclairants dans ses articles ainsi que dans sa correspondance avec Nestor Makhno; ou encore autour de la question syndicale lors du congrès de 1907 à Amsterdam. Pendant longtemps a circulé l’idée que Malatesta était opposé au syndicalisme. Il n’en fut rien, il reconnaît «toute l’utilité, la nécessité même, de la participation active des anarchistes au mouvement ouvrier». Il ne souligna que les limites et les risques de dérives bureaucratiques d’un syndicalisme se suffisant «à lui-même comme moyen pour accomplir la révolution sociale et réaliser l’anarchie», voire d’en être le seul organisateur.
D’où l’importance en parallèle, pour Malatesta, d’une organisation spécifique permettant aux militants syndicalistes de se ressource sans pour autant que celle-ci ait pour finalité une quelconque «domination» sur l’organisation ouvrière. Le recueil aborde aussi la question agraire, à l’épqoue centrale dans la geste révolutionnaire, dans le cadre d’un dialogue didactique ou de controverses avec d’autres militants. On trouve dans ces textes sur la ruralité, malgré tout un peu vieillis, quelques remarques et quelques propositions d’un certain intérêt. D’autres au contraire éclairent le lecteur soit sur les sirènes électorialistes auxquels certains anarchistes parfois succombent – Malatesta parle d’anarchistes «électionnistes» – soit sur les illusions socialistes quant à la prise du pouvoir d’État par les urnes ou le coup de force minoritaire. Prise de pouvoir sans que ces initiateurs aient conscience de devenir les fossoyeurs de la Révolution comme l’histoire nous l’a malheureusement maintes fois confirmé.
Une autre partie de l’ouvrage est centrée sur la prtaique révolutionnaire, les textes présentés offrent une analyse anarchiste précise de la grève générale d’Ancône en 1914 ou les occupations d’usine en 1920. À partir de ces faits, Malatesta se livre à des réflexions critiques sur ce qui oppose, dans l’action révolutionnaire, les anarchistes aux socialistes autoritaires des différentes écoles. En cela, ses articles sur réforme ou révolution, liberté ou dictature, idéalisme et matérialisme sont d’une grande lucidié. Il y réaffirme avec force qu’il n’y a qu’une voie à emprunter pour mener à bien une transformation radicale de la société : «Celle de la liberté qui éduque à la liberté et à la solidarité.» Ainsi, ces textes écrits au fil des ans sur près de 50 ans sont un rappel constant aux fondamentaux théoriques, pratiques et éthiques de l’anarchisme. Ils sont aussi une belle leçon de pragmatisme révolutionnaire et aussi d’optimisme. En effet, comme le rappelle Mintz dans une note de bas de page, Errico Malatesta et Luigi Fabbri fondèrent la revue Pensiero e Volonta. Celle-ci avaoit pour devise «nous avons été vaincus […] à force de perdre on finit toujours par gagner». Les temps ont passé, ce n’était donc que partie remise et la balle est aujourd’hui dans notre camp, il s’agit juste de Penser et d’avoir la Volonté de l’anarchisme.
1. Toutes les citations entre guillemets sont de Malatesta et issues de l’ouvrage

Sources en ligne :
http://www.antimythes.fr/individus/malatesta_errico/malatesta_errico.html
https://fr.theanarchistlibrary.org/category/author/malatesta-errico
http://acontretemps.org/spip.php?page=recherche&recherche=malatesta

Quelques extraits :
Capitalistes et voleurs - 4 mars 1911
Pga 219-220 «Les propriétaires, les capitalistes ont volé au peuple, par la fraude ou la violence, la terre et tous les moyens de production, et à la suite de ce vol initial, ils peuvent soustraire chaque jour aux travailleurs le produit de leur travail. Mais ces voleurs chanceux sont devenus forts, ont fait des lois pour légitimer leur situation et ont organisé tout un système de répression pour se défendre aussi bien contre les revendications des travailleurs que contre ceux qui veulent les remplacer en faisant comme ils ont fait eux-mêmes. Et maintenant, le vol de ces messieurs s’appelle propriété, commerce, industrie, etc. ; le nom de voleurs est, par contre, réservé dans le langage courant à ceux qui voudraient suivre l’exemple des capitalistes, mais qui, arrivés trop tard et dans des circonstances défavorables, ne peuvent le faire qu’en se révoltant contre la loi.
Toutefois, la différence des termes employés ordinairement ne suffit pas à effacer l’identité morale et sociale des deux situations. Le capitaliste est un voleur dont le succès est dû à son mérite ou à celui de ses ascendants. Le voleur est un aspirant capitaliste qui n’attend que de le devenir en réalité, pour vivre sans travailler du produit de son vol, c’est-à-dire du travail d’autrui.
Ennemis des capitalistes, nous ne pouvons avoir de la sympathie pour le voleur qui vise à devenir capitaliste. Partisans de l’expropriation faite par le peuple au profit de tous, nous ne pouvons, comme anarchistes, avoir rien de commun avec une opération qui consiste uniquement à faire passer la richesse des mains d’un propriétaire dans celles d’un autre. Naturellement, je n’entends parler que du voleur professionnel, de celui qui ne veut pas travailler et cherche les moyens de pouvoir vivre en parasite du travail d’autrui. Le cas est bien différent lorsqu’il s’agit d’un homme auquel la société refuse les moyens de travailler et qui vole pour ne pas mourir de faim et ne pas laisser mourir de faim ses enfants. Dans ce cas, le vol, si on peut l’appeler ainsi, est une révolte contre l’injustice sociale et peut devenir le plus impérieux des devoirs. Mais la presse capitaliste évite de parler de ces cas, car elle devrait en même temps faire le procès de l’ordre social qu’elle a pour mission de défendre.»
221 «... le milieu social est si puissant et les tempéraments personnels sont si différents, qu’il peut bien y avoir parmi les anarchistes quelques-uns qui deviennent voleurs, comme il y en a qui deviennent commerçants ou industriels ; mais dans ce cas, les uns et les autres agissent ainsi non pas à cause, mais en dépit de leurs idées anarchistes.»
Pierre Prokotpine - 1931 (?)
397-398 «En effet, il n’y eut jamais entre nous de désaccord sérieux jusqu’en 1914, quand il fallut résoudre un problème de conduite pratique d’une importance capitale autant pour moi que pour lui: celle de l’attitude que les anarchistes devaient assumer face à la guerre. En cette funeste occasion se réveillèrent et s’exaspérèrent chez Kropotkine les anciennes préférences pour tout ce qui était russe ou français et il se proclama un partisan passionné de L’Entente. Il parut oublier qu’il était internationaliste, socialiste et anarchiste, oublia tout ce que lui-même avait dit peu de temps auparavant sur la guerre que les capitalistes étaient en train de préparer et il se mit à admirer les pires hommes d’État et les généraux de L’Entente; il traita de lâches les anarchistes qui refusaient d’entrer dans l’Union sacrée, tout en déplorant que l’âge et sa santé l’empêchaient de prendre un fusil et de marcher contre les Allemands. Il n’y avait donc pas de possibilité d’entente. Pour moi il s’agissait d’un vrai cas pathologique. De toute façon ce fut un des moments les plus douloureux, les plus tragiques de ma vie (et j’ose dire aussi de la sienne), celui de notre séparation après une discussion exagérément pénible; nous nous séparâmes comme des adversaires, presque des ennemis.
Ma douleur fut grande à cause de la perte de l’ami et à cause du dommage qu’allait subir l’Idée, conséquence du désarroi que jetterait parmi les camarades une telle défection. Mais, malgré tout, l’amour et l’estime pour l’homme restèrent intactes; j’avais aussi l’espoir que, passé l’enivrement du moment, et vu les conséquences prévisibles de la guerre, il reconnaîtrait son erreur et redeviendrait parmi nous le Kropotkine de toujours.»

En cours de lecture Juin 2021

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