T'es
anarchiste mon ami. Ha ?!
«...les
hommes se croient libres par cette seule cause qu’ils sont
conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles
ils sont déterminés...» Baruch Spinoza dans L’Éthique
«
L’initiative et la responsabilité, le sentiment d’être utile et
même indispensable, sont des besoins vitaux … » Simone Weil dans
l’Enracinement
En 2014
j’ai lu un texte conçu à partir de ma lecture du livre Démocratie
histoire politique d’un mot de Dupuis-Déri où,
par des citations et des descriptions d’organisations locales,
l’auteur démontre notre absence de démocratie.
Suite
à cette
lecture
gentiment un ami m’a mis devant l’évidence :
Robert tu es anarchiste.
Il
ne m’imaginait pas jetant des bombes mais, sauf si je me trompe,
mon texte reflétait mon rejet de la gouvernance actuelle, et mon
éloignement des partis politiques pour le souhait d’une démocratie
au plus près du citoyen.
J’ai
voulu voir alors ce que couvrait ce mot « ANARCHIE ».
Après
quelques lectures voici ma vision globale partielle et partiale de
l‘anarchie.
D’abord
quelques événements et personnalités, ensuite un peu de
définition.
Beaucoup
de « isme » dans
ce texte
qui
pour le wiktionary est
un
suffixe donnant une vision dénuée de nuance rejetant
toute remise en cause. Qu’en penserait les peintres cubistes
et
qu’en
pense
les philatélistes ?
Je
serais donc anarchiste ?
C’est
me faire trop d’honneur, je ne peux pas me revendiquer l’héritier
des martyres Francisco Ferrer, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti.
Ainsi
que des cinq condamnés à mort sans preuve à Chicago en 1887 suite
aux manifestations de 1886 pour la journée de huit heures où une
bombe fit de nombreuses victimes. August
Spies, Albert Parsons, Adolph Fischer et
George Engel sont pendus,
Louis Lingg se suicide en prison, victimes tous les six d’une
justice au service d’investissements capitalistes.
La
commémoration de ces journées et de ses cinq martyrs militants
anarchistes sont à l’origine des manifestations annuelles du
premier mai.
Je
répète c’est me faire trop d’honneur, je n’ai pas le courage
de ces illustres.
Certes
avec un peu de courage, avec mes convictions d’aujourd’hui, et
avec l’énergie de ma jeunesse passée, peut-être que j’aurais
mal tourné et me serais rangé dans les rangs des blacks-blocs ?
Entre
parenthèses il suffit maintenant de se trouver à côté de casseurs
dans une manifestation pour être considéré comme dangereux et être
fiché, surtout si vous avez des lunettes de piscine. Fiche où
seront notées vos opinions politiques, convictions philosophiques et
religieuses et votre appartenance syndicale.
Revenons
à mon sujet, vous connaissez tous ce mot « anarchie » et
ce qui traînent derrière, pagaille, bombe, et aux multiples
citations en référence, retirées de leurs contextes sociaux et
littéraires.
Par
exemple « La propriété c’est le vol » à une époque
où peu étaient propriétaires de son logement, et où la propriété
incriminée est surtout celle indécente des demeures et hôtels
particuliers des riches, et celle des moyens de production
industrielle tueurs de populace.
En
revenant à Chicago fin 19e siècle voici d’autres
personnalités liées à l’anarchisme.
Pâle
portrait du foisonnement de liens, d’actes, d’écrits et d’idées
existant aussi au début du 20ème siècle et qui a été effacés
des pages de l’histoire officielle.
L’anarchie
d’action violente est un produit de la violence de
l’industrialisation sauvage.
Reprenons
la chronologie
Aux
débuts de l’industrialisation des individus profitent, de
situation de crise ou de vide juridique en défaveur de la protection
du citoyen, pour s’enrichir vite et le plus possible.
Par
leur puissance ils organisent et dirigent l’état pour lutter
contre toute révolte opposée au pillage ; comme aujourd’hui
en Turquie avec les migrants réduits à l’état d’esclave ou en
Chine avec leurs opposants politiques, et les tibétains, les
ouïgours.
Les
conditions d’exploitation et l’absence de protection générèrent
son opposition, d’abord calme puis de plus en plus radicale, et
incitent à agir face à la violence de l’État, appareil légal de
l’asservissement.
Des
humanistes éclairés espèrent sortir les salariés de leur torpeur
abrutissante des longues et difficiles semaines de travail.
Ils
espèrent leur faire comprendre leur force par leur nombre et leur
pouvoir ; pouvoir d’arrêter ensemble le travail pour une
amélioration immédiate de leur conditions de travail et de vie.
Ces
humanistes proposent une organisation de l’entreprise favorable à
l’ensemble de la population.
En
réaction, face aux grèves, le patronat voulant maintenir ses gains,
sans limite et sans empathie, utilise la force policière ou une
milice pour imposer le remplacement des grévistes par une cohorte de
sans emploi.
S’enchaînent
ainsi violences et justices expéditives.
Dans
cette opposition au servage par l’ignorance, je pense ainsi à
notre frère Francisco Ferrer, libre-penseur et pédagogue
libertaire espagnol.
Après
des tentatives insurrectionnelles il choisit l’éducation comme
base pour nous sortir de l’ignorance, des croyances et des
superstitions. Ce qui ne peut être accepté par le pouvoir politique
et religieux espagnol de l’époque.
Le
31 août, accusé d'être l'instigateur de la Semaine sanglante de
juillet-août 1909, Francisco Ferrer est arrêté.
Jugé
et condamné sans preuve le 9 octobre il est exécuté le 13 octobre.
Le
pouvoir veut ce court délai pour que les oppositions espagnoles et
étrangères ne puissent pas s’organiser et intervenir.
L’anarchie
pour le capitalisme a été sa bête noire, c’est dans ce même
sens qu’a été utilisé plus tard le mot « communisme »
comme épouvantail.
L’existence
de la dictature bolchevik russe ou de Cuba castriste ont été des
prétextes pour écraser toute recherche d’autonomie face au
capital. Exemple plus récent le Chili et Pinochet
Autre
témoin de ces luttes du début du capitalisme industriel Victor
Serge, fils de réfugié fuyant la répression tsariste, est né en
Belgique. Victor Serge fréquenta à Paris le milieu anarchiste, dont
les membres de la dite bande à Bonnot.
En
1912 Victor Serge considéré comme théoricien de ce groupe est
condamné à la prison.
En
1919 il fut libéré après avoir accepté de partir pour la Russie
dont la révolution fut source d’espoir.
En
1936 grâce au soutien de ses lecteurs de l’Europe de l’Ouest, où
il avait déjà publié quelques livres, Victor Serge retourna en
France échappant ainsi aux couloirs de la mort de la tcheka.
Avant
son emprisonnement en France il a été le compagnon de Rirette
Montrejean.
Cette
dernière rencontra Albert Camus dans les imprimeries des journaux de
l’après deuxième guerre mondiale.
Leurs
échanges ont participé à l’information d’Albert Camus sur
l’anarchisme.
Camus
suite à ses reportages sur le terrain de la Kabylie, où il vit une
grande misère, en chercha les causes.
Il
proposa entre autre comme solution les Douards communautaires, qui
seraient une structure démocratique parallèle à l’organisation
administrative officielle française.
L’anarchiste
Emma Goldman a suivi à peu près le même parcours que Victor Serge.
Réfugiée russe aux états-unis elle se révolta contre la
condamnation des syndicalistes de Chicago déjà citée. D’abord
favorable aux actions violentes elle évolue et considère plus
efficace l’action pacifique de l’information par des revues,
tracts et conférences
En
prison, pour ses conférences sur la libération sexuelle, la
contraception, l’anarchie, et par son pacifisme contre l’entrée
en guerre des USA, bien que de nationalité étasunienne par un
premier mariage, elle est expulsée vers la Russie rêvée.
Ce
rêve se transforme en cauchemar.
Elle
fuit avec Alexandre Berkman, son compagnon d’abord de cœur puis
d’infortune.
Après
la répression contre les marins de Kronstadt celui-ci admet l’erreur
de son obstination à attendre un espoir de mieux-être et de
libertés par la dictature des bolcheviks.
L’anarchie
en pratique, c’est à
dire la recherche de
l’autonomie économique et démocratique, elle a existé :
-
en Corée en 1929 où sur un
ensemble de territoires 2 millions de paysans regroupés en
coopératives
libertaires s’unir et
luttèrent avec des partisans contre
l'invasion japonaise ;
-
de même dans les campagnes
mais aussi dans les usines en Aragon et en Catalogne en
1936 ;
-
aujourd’hui dans les états mexicains du Chiapas et dans le
Kurdistan.
Pour
cette dernière Abdullah
Öcalan, en
prison par Ankara
depuis 1999, par ses
lectures et un échange de courrier avec Murray Bookchin ne
revendique plus un état kurde indépendant, mais une certaine
autonomie.
Il
propose aux autonomistes kurdes, en dehors des structures étatiques,
une société fédéraliste et communaliste où démocratie directe,
écologie et féminisme sont liés.
Vous
avez pu voir sur vos écrans ces combattantes kurdes en lutte contre
les islamistes en Syrie.
Murray
Bookchin mort en 2006 était un militant et essayiste écologiste
libertaire américain.
Il
est considéré aux États-Unis comme l'un des penseurs marquants de
la Nouvelle gauche.
Murray
Bookchin, partisan de la mise en œuvre du municipalisme libertaire
ou communalisme, proposa à ses camarades anarchistes d’accepter
une délégation de pouvoir.
Je
vais essayer de définir maintenant le mot d’anarchie en tant
qu’idée, concept.
D’abord
en donnant la parole pour une fois à un biologiste.
Propos
tirés du Sciences et Vie de décembre 2020 dans l’article « Hasard
– Il façonne tout le vivant » dont le thème principal est
cette part de hasard toujours refusée pour l’évolution du vivant.
Jean-Jacques
Kupiec chercheur en biologie moléculaire « ...pense qu’une
théorie anarchiste, qui substitue à l’ordre la variation
aléatoire, est aujourd’hui nécessaire. L’anarchie ici,
n’est pas synonyme de chaos, mais de libre organisation. Ce sont
les interactions au sein de la communauté qui génèrent un
comportement collectif, sans qu’il y est besoin d’un état
centralisé, d’un code génétique qui donne des ordres. »
Pour
le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales du CNRS, le
terme anarkhia on le trouve chez Homère ou Hérodote ce terme
apparaît d'abord pour désigner une situation dans laquelle un
groupe armé, ou une armée, se retrouve sans chef.
Pour
le Robert jusqu’au XVIe siècle l’anarchie, en pensant aux grecs
anciens correspond à un état politique où les hommes libres
peuvent jouer un rôle dans le gouvernement, et prend ensuite un sens
général de désordre jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Il
garde ce dernier sens dans les dictionnaires comme celui par exemple
le Larousse de 1888 : Anarchie « désordre, confusion »
Anarchiste « fauteur de trouble ».
Vous
aurez cette dernière vision dans le roman pas très connu « Paris »
d’Émile Zola. Par ses personnages il y fait un tour d'horizon des
courants de pensées de la fin du XIXe siècle pour des réformes
économiques et sociales, celles de Charles Fourier, Proudhon,
Auguste Comte et les disciples saints-simoniens de Claude-Henri de
Saint-Simon.
En
s'appuyant sur ses personnages Zola parcourt aussi l'anarchisme
présent à paris et en finissant par une apologie du communisme
libertaire.
Car
il y a diverses tendances chez les anarchistes : individualisme,
syndicalismes, mutualismes, etc ...
En
tirant un peu sur les théories et étymologies nous pouvons
rapprocher anarchie, communisme et démocratie, bien que l’histoire
masque ces rapprochements et que ça pourrait vous irriter.
Ces
mots d'ANARCHIE, de COMMUNISME et de DÉMOCRATIE sont chargés dans
leur champ sémantique (ce qui est ancré en nous au plus profond,
malgré nous) de la propagande de leurs opposants.
La
frontière entre communisme et anarchisme est ténue. Si on supprime
les caricatures l’anarchie est terre et liberté. Terre pour la
nourriture et les respect de la terre nourricière. C’est la
propriété collective, donc communiste, des biens de productions et
de distribution, je n’ai dit ni nationalisation, ni étatisation.
A
chaque fois que l’on avance et avancera dans une gouvernance au
plus près il faut bloquer toute possibilité de pourvoir personnel.
L’anarchie
c’est le principe de subsidiarité. Le groupement de citoyens
résout un problème avant de faire appel à une instance plus
globale.
C’est
ce qui existait dans le premier article du code des territorialités
concernant la commune.
Ce
qui a été supprimé pour ne pas faire de l’ombre à la loi NOTRe
encadrant les regroupements de communes et les métropoles.
Dans
« L’anarchie
expliquée à ma fille »
Pippo Gurrieri écrit :
«
j’aurais
envie de plaider pour qu’on s’intéresse davantage au mouvement
libertaire y compris lorsqu’on se sent peu politisé, loin de ces
questions. Même lorsqu’on ne pense pas s’y reconnaître
entièrement, les questions posées par l’anarchisme nous incitent
à remettre en cause bien des aspects de la société dans laquelle
nous vivons, à commencer par la légitimité des sources d’autorité
que nous tenons pour acquises (et que bien souvent nous subissons
plus qu’autre chose). Des questions toujours et encore d’actualité,
qui justifient à elles seules de se pencher un peu plus sur le sujet
…
»
Dans
l’absolu je perçois ces organisations économiques et sociales
baptisées ANARCHIE (organisation sans pouvoir à but personnel),
COMMUNISME (propriété commune de l’entreprise) et DÉMOCRATIE
(prise de décision directe par les salariés) dans la SCOP
d’aujourd’hui.
Que
faire de ces appellations pour une refonte de notre société tournée
vers l'humain dans un environnement pérenne, hors de toute économie
spéculative ?
J’ai
vu le documentaire « Ni dieu ni maître » financé entre
autre par ARTE et par La Chaîne Parlementaire. Il donne beaucoup
d’informations sur les actions des anarchistes et leur répression.
Mais a-t-il comme rôle celui de repoussoir, de faire peur aux
citoyens et exciter les sauvageons en rupture, car le mouvement
anarchiste est fondamentalement pacifique ?
A
part l’opportuniste pilleur de banques la violence a toujours été
réactive.
Ce
n’était qu’un tour d’horizon de ce statut d’anarchiste.
Vous
pouvez constater que je ne suis pas trop attiré par les théoriciens
mais plutôt par les personnes impliquées.
Ces
théoriciens profondément humanistes aux citations percutantes mais
contredites par certains de leur propos et actes. Parmi eux l’un
était misogyne, l’autre « va-t-en guerre » en 1916.
Nous
avons quand même besoin de ceux-ci pour contredire les dogmes
marxistes et les étatistes forcenés.
Toute
cette lecture sombre et sanguinaire plombe mon esprit mais ce qui
m’atteint ce sont surtout tous ces femmes et hommes, sincères et
humanistes par leur amour pour l’autre, écrasés par le
pragmatisme du profit amoral et sans fin, arrosant d’une main mais
reprenant au centuple de l’autre, rejetant l’humain et
l’environnement vers des horizons de fait sans fin.
Une
dernière citation : D’après Philippe Corcuff, l’anarchisme
c’est passer
de l’individualisme marchand à l’individualité sociale.
Pour
revenir à l’embrouillamini général et rigoler un peu :
Michel
Sardou le chanteur de « Ne m’appelez plus France » et
« Je suis pour » sous-entendu la peine de mort a dit à
la télé et l’a confirmé dans la presse « je suis
anarchiste ». Ha ha ha. :-)
Février
2021
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