Sortir de l'histoire officielle

    


Luttes sociales au temps des corporations
Jean-Jacques Soudeille  Sur le Maitron Pseudonymes : Souzy, Perdu, Jacques

Mots, idées, concepts, personnalités repérés : 1789, jacobins, luddites, luttes des classes


https://www.syllepse.net/
Première édition 1948
Du site de l'éditeur et 4e de couverture « Aujourd’hui, corporatisme a pris un sens largement péjoratif : ce serait la défense, jugée étroite, de ses intérêts communs par tout le personnel d’une profession, d’une administration ou d’une entreprise. Le régime pétainiste, par la Charte du travail de 1941, entendait structurer toutes les activités économiques en corporations, les salariés étant regroupés dans des syndicats catégoriels uniques et obligatoires. D’où le rejet très largement partagé de cette perspective.
  Mais dans les années 1930, monopoles et spéculations capitalistes avaient plongé le monde dans une crise sans précédent entraînant chômage et misère de masse. Les régimes dictatoriaux qui écrasaient les luttes sociales se répandirent, en particulier en Europe. Sont alors débattues des notions de structuration néocorporatiste des activités économiques, de « plan » et d’« économie dirigée ». La perspective d’une organisation des branches professionnelles sous l’égide de l’État, dans lesquelles collaboreraient dirigeants et salariés et où la concurrence serait limitée, séduisit même des courants du syndicalisme, qui y voyaient une issue pour échapper à l’effondrement économique et à la dictature.
  C’est pourquoi Jean-Jacques Soudeille rédigea ce condensé magistral de l’histoire des corporations – qui durèrent 5 siècles – mettant en relief les conflits de toutes sortes qui y furent associés. Il montre que contrairement à ce que tentaient de faire croire certains propagandistes de son époque, les corporations « ont été impuissantes à concilier les intérêts contradictoires de deux classes qui, au cours du temps, n'ont fait que se différencier et s’éloigner l’une de l’autre : celle des maîtres et celle des compagnons.»
  Aujourd’hui encore, certains conçoivent des projets de cogestion devant déboucher sur la collaboration sereine des unes et des autres. Mais comme il le montre, les luttes de classes ont leurs propres causes. Nées avant les corporations, avivées sous celles-ci, elles ne pourront disparaître qu’avec l’accès égal de tous au même pouvoir de décision. »

Deux articles sur wikipédia Corporation et Corporation sous le royaume de France
Études sur ce sujet :

Préface : néocorporatisme de Jean Michel Kay
Introduction de 1948
Pages 25-26 « On apercevra la survivance, dans le prolétariat industriel contemporain, de certaines mœurs, coutumes et traditions, peut-être même d'un certain état d'esprit) qui ont leur origine dans les misères et les luttes des siècles passés.
Bien inutilement niée par quantité de « penseurs » bourgeois et plusieurs variétés de pseudo-socialistes, la lutte des classes apparaît, à la lumière des faits, non comme une invention « marxiste », mais comme un phénomène historique. L'étude démontre que le jeu des forces économiques, le développement des processus de production, les intérêts divergents des diverses couches sociales déterminent les rapports des individus entre eux et l'évolution des sociétés. Les conflits sociaux sont nés et se sont amplifiés au fur et à mesure que le capitalisme et le prolétariat se développaient côte à côte. La grève ne date pas du siècle dernier, mais du treizième ; on en trouve même des exemples antérieurement, et jusque dans l'antiquité. Si le mot syndicat est nouveau, la chose existait sous d’autres noms, avec les confréries et les sociétés de compagnons. »
26 Par cette phrase finale de l'introduction l'auteur se veut marxisme mais non bolchevik «Il nous a semblé par cette étude, qui nous ramène vers le passé, était d'actualité à un moment où un antimarxisme sommaire et du reste ignorant, qui trouve ses préextes dans les excès et l'inhumanité du totalitarisme bolchevique, risque de remettre en honneur des idées dépassées et des institutions dont l'Histoire a fait justice.»
CHAPITRE 1. - VIE ET MORT DES CORPORATIONS
La corporation
29 « … à cet esprit d'entraide se substitua peu à peu l'esprit de monopole : la concurrence, de plus en plus sévère, incita les maîtres à se défendre contre l'intrusion de nouveaux confrères. La corporation, jadis ouverte, se ferma. Elle devint un instrument de défense d'une caste privilégiée, jalouse des prérogatives qui lui étaient concédées par le roi, à la fois protecteur et profiteur du système corporatif.
... le développement de l'industrie et du commerce, et l'accumulation des capitaux qui en fut la conséquence, accentuaient de plus en plus la différenciation entre les maîtres, qui avaient fait de la corporation un instrument d'oppression, et les compagnons, réduits à l'état perpétuel de salariés. »
30 « … les préoccupations éthiques et religieuses dont on s'était plu à faire la base idéologique du système corporatif, ne pesaient pas lourd quand il s'agissait pour les maîtres de prendre ou de conserver leur emprise sur une main-d'œuvre de plus en plus exploitée ; ni pour les compagnons quand ils rompaient délibérément avec l'esprit corporatif traditionnel pour revendiquer, quelquefois les armes à la main, des conditions de vie meilleures. … les textes, ordonnances, règlements, édits, lettres patentes et autres grimoires ne purent mettre fin au régime des infractions individuelles des membres qui trouvaient plus d'avantages à tourner les règlements qu'à les observer. Tant il est vrai que dans une société où le profit est le seul moteur de la production, aucune entente n'est assez fortement cimentée pour empêcher l'individu de poursuivre, même au prix de quelque risque, la conquête du plus grand bénéfice possible, au détriment de ses confrères. »
31 « Ce qui caractérise le système corporatif, c'est le manque absolu de liberté. Mais la corporation ainsi décrite est en quelque sorte un archétype, auquel on ne parvint pas d'un seul coup, et qui se présente dans les différentes villes et aux différentes époques avec de nombreuses variantes. »
34 « En règle générale la corporation devint très vite l'ennemie des maîtres féodaux. Si les seigneurs favorisaient la création des corporations afin de dominer plus facilement les artisans, ceux-ci, de leur côté, réclamaient une constitution plus libre, et se défendaient contre les violences du pouvoir féodal. Il semble, comme le dit Fagniez, que très souvent le mouvement corporatif se soit superposé au mouvement d'affranchissement communal. » Fagniez "Documents relatifs à l'histoire du commerce et de l'industrie en France" 1898-1900
Origine des corporations.
35 « A l'origine, son esprit reflétait deux tendances principales : le particularisme local inhérent à l'époque ; un sentiment de solidarité, que Fagniez, notamment, rapporte à l'influence chrétienne, ce qui n'est sans doute pas entièrement faux, mais qui peut tout aussi bien s'identifier à un sentiment démocratique naissant. ... Le particularisme local se manifestait par les prescriptions qui faisaient évincer les ouvriers étrangers à la ville. Le caractère démocratique se traduisait par la coutume qui réunissait, sous une même loi, maîtres et compagnons, les uns et les autres participant à l'élaboration des règlements. Mais, petit à petit, les compagnons furent exclus des assemblées et des votes. La lutte économique entre patrons et salariés avait fait disparaître l'esprit de charité et de solidarité.
Il existait ... une sorte d'esprit de corps, et les règlements visaient à garantir l'honneur collectif de la corporation. »
Buts des corporations
36 «On voit qu'en définitive les prescriptions corporatives, sous prétexte de garantir l'intérêt général, favorisaient assez bien l'intérêt perticulier des maîtres.»
37 « Mais l'esprit de monopole envahissait les corporations. D'organismes professionnels englobant tous les corporants, elles se transformaient graduellement en un organisme de défense des seuls intérêts des maîtres. Elles tendaient à fonctionner contre les compagnons, devenus rivaux des artisans, d'abord parce qu'ils aspiraient aussi à la maîtrise, et que les maîtres préféraient demeurer en nombre restreint ; ensuite, parce que, salariés, les compagnons cherchaient évidemment à faire réduire la durée du travail et à augmenter leur gain.
Aussi, l'accession à la maîtrise devenait-elle de plus en plus difficile. Le compagnon était astreint à un stage plus ou moins long, dont la durée, s'ajoutant à celle de l'apprentissage, atteignait parfois dix et douze ans. Puis il dut subir la pratique du chef-d'œuvre, barrière de plus en plus infranchissable pour lui. L'hostilité entre maîtres et compagnons se précisait dès le XIV siècle. Les ouvriers, exclus de l'administration de la corporation, n'avaient pas le droit de quitter leur maître à volonté, ni de travailler à leur compte ; ils devaient respecter des règlements à l'élaboration desquels ils n'avaient pas participé. Ces mesures s'augmentèrent bientôt de dispositions restrictives à l'égard de l'accession des étrangers à la maîtrise.
Au sein de la corporation elle-même, une hiérarchie s'établissait peu à peu. Au XVIIe siècle, on distinguait, parmi les maîtres, les « jeunes », les «  modernes », les « anciens ». Distinctions honorifiques en grande partie, mais dont les grades s'acquéraient souvent à prix d'argent. Au-dessus, il y avait encore le maître de confrérie, ou bâtonnier (terme qui est resté, de nos leurs, chez les avocats) . La hiérarchie de l'argent apparaissait : aux plus riches, le pouvoir et les honneurs dans la corporation. »
Premières corporations
38 «Les plus anciennes corporations dont les statuts soient parvenus à notre connaissance semblent être celles des boulangers (1162) et des tanneurs de Rouen (1163).»
39 « … le pouvoir royal faisait sentir directement ses effets. Chaque corporation était inféodée à un maître de métier, grand dignitaire de la Cour, ou à des officiers auxquels il avait délégué ses
fonctions, lui se contentant de toucher la taxe instituée à son profit. ... Au XVIIIe siècle, le régime corporatif n'avait pas encore pénétré dans les campagnes d'une façon notable ; dans de nombreuses villes, il existait des artisans libres, à côté des métiers organisés en corporation ; les corporations jurées étaient inconnues en plusieurs endroits ; enfin, même dans les villes jurées, de nombreux métiers restaient libres, en général … les moins importants. » Du site Toupie «Les corporations regroupaient les artisans d'une même profession. Elles étaient très hiérarchisées avec les apprentis, les compagnons, les maîtres ou patrons parmi lesquels étaient choisis les chefs de la corporation, les jurés, d'où l'appellation de jurande. Leurs règlements devinrent de plus en plus stricts, fixant les prix, les modalités de fabrication, les conditions de travail et les usages afin d'éviter toute concurrence. Progressivement l'accès à la maîtrise fut réservé à la caste des maîtres par hérédité.»
Le pouvoir royal et le mouvement corporatif
41 « Dans les villes, régies par la charte communale, il était placé sous l'autorité de l'échevinage. Mais les artisans préféraient, en règle générale, être soumis au pouvoir royal plutôt qu'à l'arbitraire féodal. Aussi devinrent-ils, en de nombreux cas, les alliés du roi dans sa lutte contre les féodaux. Au fur et à mesure que la centralisation se poursuivra, les corporations seront graduellement soumises à l'autorité royale.
...
Jusqu'à Louis XI, il n'y eut cependant pas de politique cohérente de la part de l'autorité royale à l'égard des corporations. Beaucoup s'étaient dissoutes pendant la guerre de Cent ans, mais un certain nombre avaient résisté. Louis XI cherchait à les rétablir partout, et à étendre au pays le système corporatif, florissant surtout dans la capitale. Assez souvent, des artisans demandaient, de leur propre gré, à être organisés en corporation ; c'est que, lorsqu'un métier libre était érigé en corporation, la maîtrise était conférée à tous les ouvriers, sous la seule condition de faire chef-d'œuvre, et même parfois sans chef-d’ œuvre. »
42 « Louis XI vit dans la corporation une source de revenus, ainsi qu'un moyen de servir ses fins politiques. Il enrégimenta les corporations parisiennes, en les répartissant en soixante et une bannières. Ces corps avaient une sorte d'organisation militaire, et devaient se réunir en armes à l'appel du roi, pour la défense de la capitale contre ses ennemis ...»
42-43 « Les maîtres pouvaient s'établir dans tout le royaume sans payer de nouveaux droits de maîtrise, sauf pour Paris. Désireux d'augmenter leur nombre, le roi stipulait que la durée de confection du chef-d'œuvre ne devait pas dépasser trois mois, car de nombreux abus se produisaient à cet égard. Les banquets qui accompagnaient l'investiture d'un nouveau maître étaient supprimés, parce que les frais qu'ils entraînaient pour l'aspirant étaient un empêchement à l'accession à la maîtrise. Le roi manifestait ainsi des idées beaucoup plus larges que celles qui animaient généralement les maîtres des diverses corporations.
Malheureusement, le roi mêlait à ses ordonnances des préoccupations purement escales, réclamant de multiples droits, prélevant des pourcentages sur les amendes, etc. Il s'alignait ainsi les corporations, et désormais l'accès à la maîtrise allait être entravé non seulement par l'esprit monopoliste des maîtres, mais aussi par l'abondance des taxes royales.
Avec l'édit de 1 581, une ère nouvelle s'ouvrait : celle de la fiscalité, qui allait, peu à peu, écraser les corporations. »
L'esprit de monopole - Les maîtres gardes
44 « … des statuts … comportaient l'obligation du service divin, messe et vêpres, une procession avec cierge, le 5 août ; toutefois, les apprentis n'avaient pas droit au cierge. La corporation devait assister, tout entière, aux funérailles des maîtres, de leur femme, des compagnons et apprentis. Défense de travailler les dimanches et fêtes. Durée de l'apprentissage : cinq ans. Défense au maître d'engager un forain non catholique, ou de mœurs douteuses. Amende aux maîtres qui donneraient un salaire plus élevé que celui prévu par les statuts. Enfin, obligation du chef-d'œuvre. »
Rivalités entre corporations
Le chef-d'œuvre
La corporation au XVI' siècle
Travail libre et corporations
La âscalité royale, les lettres de maîtrise
Le colbertisme
Les corporations et la naissance du capitalisme
Rôle rétrograde des corporations
Les corporations contre le pouvoir
78 « A Lyon, en 1516, une pétition circula parmi les artisans contre l'autocratie du Consulat. Elle demandait qu'il ne lui fût plus permis de choisir lui-même ses propres électeurs, et que les propriétaires fonciers soient remplacés à ce titre par les seuls délégués des métiers ; les artisans réclamaient aussi l'élection des offices municipaux, jusqu'alors donnés à vie ; des élections au grand jour, et non à huis-clos ; la révision des comptes de la ville depuis 20 ans. ... Ces revendications furent repoussées par le Parlement de Paris, qui déniait aux ouvriers des droits politiques. Il est facile de discerner le caractère démocratique très net de ce mouvement. »
Corporations parisiennes
Confréries
82 « Dans certaines villes (parmi lesquelles on peut citer Villefranche-sur-Saine et en général les villes du Midi), la confrérie se substituait plus ou moins à la corporation, dont elle louait le rôle. »
Déclin des corporations
91-92 « On célèbre le mérite de la Révolution de 1789 qui abolit le système des corporations et les jurandes et rendit le travail libre : mais cette « liberté » était nécessaire au capitalisme, désormais en pleine période de développement. Il est bien évident que la liberté n'existait en fait que pour les patrons. Le compagnon, affranchi du compagnonnage et du chef-d'œuvre, devint le prolétaire que nous connaissons. La Révolution de 1789 n'a pas affranchi les ouvriers. Elle a consacré la scission du Tiers-état en classe bourgeoise et classe prolétarienne. Elle a levé les obstacles d'origine féodale qui s'opposaient à l'éclosion définitive du capitalisme industriel et commercial. »
CHAPITRE II. - SALAIRES ET CONDITIONS DEVIE
Apprentis
Compagnons
98 « A noter aussi la contrainte morale qui pesait sur les compagnons. L'interdiction de blasphémer, et l'obligation d'assister aux offices étaient souvent l'objet d'articles de statuts. Des lettres patentes de
Louis XV portaient interdiction aux compagnons de « blasphémer le saint Nom de Dieu, et de manquer à l'obéissance entiers les maîtres » (boulangers de Paris). Après un avertissement par écrit fait par les jurée, ils étaient passibles d'une amende, voire de plus grandes peines. Note : René de Lespinasse. Cette interdiction du blasphème était d'ailleurs générale. De La Mare en traite longuement dans son ouvrage... C'est Saint Louis qui le premier édicta des peines sévères contre les blasphémateurs : ils étaient passibles d'une marque au fer rouge sur le front. En cas de récidive, ils devaient avoir les lèvres et la langue transpercées. Philippe de Valais ordonnait qu'à la cinquième récidive, la langue des coupables soit coupée. Par la suite, on édicta des amendes, des peines de pilori, etc. »
102 « Émile Levasseur : « C'est par ignorance de l'Histoire que des publicistes ont attribué à l'ancienne corporation le mérite d'avoir été la protectrice de l’ouvrier ; faite par les maîtres, elle protégeait les maîtres, et d'accord avec la police royale elle tenait en général l'ouvrier dans une dépendance étroite » »
Durée du travail et travail de nuit
Travail des femmes
Salaires et prix de la vie
111 « A la veille de la Révolution, chômage et misère étaient à l'état phonique. Les ouvriers les mieux payés à la fin de cette période étaient ceux du bâtiment, charpentiers et maçons, avec une moyenne de 30 à 40 sous par Jour, tandis que la moyenne générale était de 18 à 22 sous. »
La dépréciation monétaire
Condition sociale des ouvriers
117 « En 1751, à Lyon, des maîtres, coupables d'avoir recruté des ouvriers pour l'Espagne furent condamnés aux galères à perpétuité, et les compagnons qui avaient accepté leur proposition, à 5 ans. La misère faisait cependant braver ces menaces. Beaucoup gagnaient l'Espagne sous prétexte
d'un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Plus tard, on décréta la peine de galères et une amende de 3 000 livres contre ceux qui émigreraient. »
118 « … passage caractéristique d'un Mémoire sur les manufactures écrit en 1 788 par un certain Manet, assesseur à la chambre royale des manufactures et cité par Justin Godart : « À mesure que l’ouvrier s’enrichit, il devient difficile sur le choix et le salaire du travail. Le salaire de la main d’œuvre une fois augmenté, il s’accroît en raison des avantages qu’il procure. C’est un torrent qui a rompu. Personne n’ignore que c’est principalement au bas prix de la main d’œuvre que les manufactures de Lyon doivent leur étonnante prospérité. Si la nécessité cesse de contraindre l’ouvrier à recevoir de l’occupation quelque salaire qu’on lui offre, il parvient à se dégager de cette espèce de servitude, si ses profits excèdent ses besoins, au point qu’il puisse subsister quelque temps sans le recours de ses mains, il emploiera ce temps à former une ligue… Il est donc très important aux fabricants de Lyon de retenir l’ouvrier dans un besoin continuel de travail et de ne jamais oublier que le bas prix de la main d’œuvre leur est non seulement avantageux par lui-même, mais qu’il le devient encore en rendant l’ouvrier plus laborieux, plus réglé dans ses mœurs, plus soumis à leur volonté. »Ainsi pensaient d'ailleurs les patrons lyonnais.
...
Ce prolétariat des compagnons pauvres et des ouvriers des manufactures limitait pourtant ses revendications à des points secondaires : il n'avait encore que bien peu de notions politiques. Aussi ne faut-il pas s'étonner si 1789 fut surtout l'œuvre de la bourgeoisie et accompli à son profit»
120-121 « …récit d'une des nombreuses émeutes de la faim qui se produisaient un peu partout. Celle-ci eut lieu à Lyon, et elle est connue dans l'histoire de cette ville sous le nom de « Grande Rebeyne ».
Le 17 avril 1529, une affiche apposée sur les murs de la ville invitait les habitants à se réunir le dimanche 25 devant les Cordeliers, pour protester contre l'accaparement du blé par certains commerçants. L'affiche était signée d'un rébus, aujourd'hui intraduisible, et qui signifiait « le pauvre monde ». Le jour venu, une foule de 1 200 personnes fut au rendez-vous. Le tocsin sonnait et sous la direction de Jean Musy, la foule attaqua la maison de Pomponne de Trivulce, le lieutenant général, qui s'enfuit dans le cloître Saint-Jean. Quelques maisons furent incendiées, dont celle du docteur Symphorien Champier, honni de tous pour sa dureté. Le grenier municipal fut mis au pillage, et les émeutiers se trouvèrent rapidement maîtres de la ville. Les bourgeois firent alors répandre habilement le bruit que les moines de l'Île-Barbe, à quelques lieues de là, étaient les accapareurs du blé. Tandis que les émeutiers se dirigeaient vers le couvent, une compagnie d'hommes d'armes fut organisée sous le commandement d’Antoine de Varey. On amena même de l'artillerie, et le roi dépêcha un prévôt pour enquêter. Quand les émeutiers revinrent quelques jours après, ils furent arrêtés et pourchassés jusque dans les campagnes ; le tribunal, institué spécialement, condamna les uns aux galères, les autres au fouet, plusieurs à la pendaison. Jean Musy, arrêté aux îles de la Pape, fut pendu le 2 Juin au gibet du pont de Saine. La répression dura jusqu'en 1531, au fur et à mesure que l'on retrouvait quelque rescapé. On attribua aux luthériens cette révolte, cependant manifestement provoquée par la misère du peuple. »
Les sociétés de compagnons
121-122 « La corporation avait rejeté peu à peu les compagnons au rang de simpies subordonnés, ayant peu de droits et beaucoup de devoirs. Les confréries qui, tout d'abord, les admettaient sur un certain pied d'égalité avec les maîtres, les avaient, dans de nombreux cas, éloignés. La conséquence logique, ce fut que les compagnons créèrent eux-mèmes leurs propres confréries.
Celles-ci conservaient un caractère religieux plus ou moins marqué ; mais tandis que les confréries de métier qui groupaient encore maîtres et ouvriers, se renfermaient dans leurs préoccupations pieuses, les confréries de compagnons prenaient de plus en plus le caractère d'organismes de défense et même d'attaque. A cette époque où la foi était encore vivace, on se groupait sur le terrain religieux : mais on faisait ensemble une besogne qui, en bien des cas, nous apparaît comme absolument analogue à celle de nos syndicats actuels.
Naturellement, les patrons cherchaient à faire proscrire les confréries de compagnons, comme ce tut le cas à Amiens au XIV siècle pour celle des tanneurs, accusés de conspirer pour faire augmenter les salaires. Les confréries d'ouvriers tentaient non seulement d'englober tous les corporants de la ville, mais aussi d'attirer les forains et de leur imposer leurs règles. Dans certaines villes, les compagnons ne permettaient pas aux forains de travailler s'ils n'avaient pas payé un droit de bienvenue. En 1553, cette pratique fut interdite aux cordonniers de Troyes. Les confréries ouvrières cherchaient aussi à contrôler l'embauchage de la main-d'œuvre, prétention à laquelle les patrons s'opposaient de toutes leurs forces.
Au XVIe siècle, l'habitude du tour de Frange se développa parmi les compagnons, malgré les obstacles qu'il leur fallait affronter. C'est alors que naquirent ces confréries spéciales connues sous le nom de sociétés compagnonniques. Souvent, les organisations désignées par le nom de confréries sont en fait des sociétés compagnonniques Mais toutes les confréries de compagnons n'étaient pourtant pas affiliées à un « devoir » compagnonnique. Celles qui l'étaient présentaient un curieux mélange de pratiques religieuses plus ou moins déformées et caricaturales, d'idéalisme mystique, d'altruisme et d'esprit de révolte. »
CHAPITRE III. - GRÈVES ET LUTTES SOCIALES
En ligne https://bataillesocialiste-greves-et-luttes-sociales-sous-lancien-regime-soudeille/
Fréquence des conflits corporatifs
La grève des imprimeurs lyonnais
CHAPITRE IV - UNE ILLUSTRATION : LA SOIERIE LYONNAISE
Rivalité des maîtres-ouvriers et des maîtres marchands
Lutte pour le monopole et la maîtrise
Apprentis et compagnons
ï.es crises, leurs causes ; misère des ouvriers. Protectionnisme
grèves et émeutes
Conclusion de 1948
184 « La lutte des classes ne sera abolie que par la disparition des classes. Mais pour faire disparaître une classe exploiteuse, il ne suffit pas de la liquider physiquement : si subsistent les conditions économiques qui l'ont fait naître, une nouvelle classe, aussi oppressive, aussi rétrograde, aussi attaché[e] à ses privilèges, lui succédera bientôt, même si elle n'arbore pas le même drapeau. C'est la structure économique qui doit être, d'abord, transformée. »
Postface : une mort annoncée
191 « L'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui en est le préambule consacre le droit de « s'assembler paisiblement » et l'article 122 de son acte constitutionnel garantit « le droit de se réunir en sociétés populaires ». Mais il ne s'agit pas d'une liberté d'association générale, d'une abrogation de la loi Le Chapelier. Ces sociétés populaires, également appelées «  sociétés politiques », sont ces assemblées qui ont été créées par milliers dans toute la Frange au début de la Révolution en émulation de la Société des Amis de la constitution de Paris, qui prit par la suite le nom de Club des Jacobins, et où des centaines de milliers d'habitants feront l'apprentissage de la discipline et des formes de la discussion politique. » grèves après 1789
192-193 « Même si dans bien des régions, et notamment à Paris, les ouvriers participent aux mobilisations de la Révolution, celle-ci n'est pas une révolution ouvrière, le nombre des ouvriers étant d'ailleurs relativement faible dans une France essentiellement rurale et paysanne. Mais les interdictions répétées de s'associer, de mener des actions collectives contre un employeur n'ont pas empêché les ouvriers de se mobiliser et ils continueront à le faire dans la période révolutionnaire quand ils en sentiront la nécessité, avec des conséquences qui seront durables.
En effet, vers la fin des années 1780, une forme particulière de résistance ouvrière apparut : le bris de machines. La mécanisation des procédés de fabrication progressait alors, tout particulièrement au Royaume-Uni, et la monarchie voulait la favoriser. Sous le triple effet de la concurrence née du traité de commerce de 1 786 entre la Frange et le Royaume-Uni, qui abaissait les barrières douanières et incitait les entrepreneurs, notamment ceux du textile, à suivre l'exemple de leurs concurrents britanniques, de la misère causée par les mauvaises récoltes des dernières années de la décennie et du mécontentement général, des artisans, des ouvriers, entraînant souvent avec eux d'autres couches pauvres, détruisent les machines qui introduisent la mécanisation dans la fabrication et mettent donc en cause l'emploi et les conditions de travail. Jeff Horn en donne une série d'exemples parmi lesquels les fileurs de coton à Falaise en novembre 1788, des bris de machines textiles en Normandie, première région productrice, et aussi à Abbeville, Paris, Rouen,Troyes de 1 789 à 1791 . Les autorités locales ne parviennent pas à empêcher la destruction des « mécaniques » ou n'essaient même pas. »
193 « Jeff Horm relate diverses actions revendicatives menées par les ouvriers pour les salaires et les conditions de travail pendant l'hiver 1793-1794, malgré les arrestations et les menaces proférées par le Comité. En mai 1794, le Comité voulut restaurer la discipline, notamment à l'instigation des frères Pépier qui avaient ouvert dans l'île Louviers un établissement de fabrication d'armes. Mais les ouvriers ne l'acceptèrent pas davantage. Les disputes entre les ouvriers et leurs superviseurs se poursuivirent après le 9 thermidor et en décembre 1794 une manifestation rassembla des milliers d'entre eux. »

Lecture 2022

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