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Carlo Levi Le Christ s'est arrêté à Eboli La peur de la liberté Le Christ s'est arrêté à Eboli Du site de la médiathèque de nantes «Jeune médecin turinois, membre du mouvement Justice et Liberté, Carlo Levi est confinato, exilé, relégué par les autorités fascistes dans une région reculée, la Basilicate, appelée alors Lucanie. Nous sommes dans les années 1930. Là-bas, la malaria décime la population qui vit déjà dans une misère noire. Levi raconte ce qu'il vit, ce qu'il voit. Il peint avec son pinceau et sa plume le portrait d'une région abandonnée à son triste sort et relate le mode de vie de ses habitants, leurs coutumes, leurs croyances, offrant du même coup à la littérature italienne certaines de ses plus belles pages.» De la 4ème de couverture du Folio ««Le Christ s'est arrêté à Éboli», disent les paysans de Gabliano, petit village de Lucanie, tellement ils se sentent abandonnés, misérables. L'auteur, antifasciste, a vécu là, en résidence surveillée, de 1935 à 1936. L'histoire de son séjour forcé parmi ces gens frustes et douloureux a été un des grands événements de la littérature italienne.» Une recension https://lerivagelitteraire.fr/le-christ-sest-arrete-a-aboli-carlo-levi/
Une étude sur l'auteur et le texte (avec des extraits suivant les thèmes : l'écrivain, le confinato, le médecin, le peintre, l'ethnographe observateur https://www.utb-chalon.fr/media/Carlo_Levi___Le_Christ_sest_arrete_a_Eboli.pdf Page 154 Massacre de tous les habitants de Melfi par les Espagnols de Pietro Navarro aux ordres de Charles Quint et François Ier. à Melfi : Pendant la guerre entre François Ier
et Charles Quint pour la conquête du royaume de Naples, l'armée
française dirigée par Odet de Foix et Pedro Navarro assiège Melfi en , tuant environ 3 000 personnes, sans épargner femmes et enfants. Ce massacre du siège de Melfi est connu sous le nom de Pasqua di Sangue (Pâques de sang).
Pages 158 à 161 Luttes inégales et révoltes contre les installateurs des États prédateurs « Je parlais avec les paysans et j'en regardais les visages et l'aspect ; petits, noirs, têtes rondes, grands yeux, lèvres minces ; dans leur apparence archaïque ils n'avaient rien des Romains, ni des Grecs, ni des Étrusques, ni des Normands, ni des autres peuples conquérants qui étaient passés sur leurs terres noires, ils me rappelaient plutôt certaines très anciennes figurines d’Italie. Je me disais que dans les temps les plus reculés, leur vie avait dû être identique à celle d'aujourd'hui et que toute l'histoire avait glissé sur eux sans les entamer. Des deux Italie qui vivent ensemble sur la même terre, la plus ancienne est, sans nul doute, celle des paysans dont on ne sait pas d'où elle est venue et si même elle n'y a pas toujours été. Humilemque vidimus Italiam [Nous avons vu l'Italie] ; celle-ci était l'humble Italie telle qu'elle apparaissait aux conquérants asiatiques quand, sur les navires d'Enée [fondateur mythique de Lavinium à l'origine de Rome, puis de sa monarchie], ils doublaient le cap de Calabre, et je pensais qu'on devrait écrire une histoire de cette Italie, s'il est possible d'écrire une histoire de ce qui ne se déroule pas dans le temps : la seule histoire de ce qui est éternel et immuable, une mythologie. Cette Italie a vécu dans son noir silence comme la terre dans une succession ininterrompue de saisons égales et de malheurs égaux et les événements extérieurs ont passé sur elle sans laisser de traces et ne comptent pas. En de rares occasions seulement elle s'est dressée pour se défendre d'un danger mortel ; ce sont là, perdues d'avance, ses seules guerres nationales. La première d'entre elles est celle contre Énée. Une histoire mythologique doit avoir des sources mythologiques et en ce sens Virgile est un grand historien. Les conquérants phéniciens qui venaient de Troie apportaient avec eux toutes les valeurs opposées à celles de l'ancienne civilisation paysanne. Ils apportaient la religion et l'État et la religion de l'État. La pietas d'Enée ne pouvait être comprise des anciens Italiens qui vivaient dans les champs avec les animaux et ils apportaient l'armée, les armes, les boucliers, l'héraldique et la guerre. Leur religion était féroce, elle comportait des sacrifices humains. Sur le bûcher de Pallante, le pieux Enée égorge les prisonniers en sacrifice à ses dieux, les dieux de l'État. Mais ces habitants de l'antique Italie étaient au contraire des paysans sans religion et sans sacrifice. Quand les Troyens vinrent en Italie, ils se heurtèrent donc, de la part des premiers habitants, à une hostilité irréductible, née d'une différence absolue de civilisation. Et en effet Énée trouva des alliés, chez les seules populations non paysannes, chez les Étrusques venus, eux aussi comme lui, de l'Orient, eux aussi peut-être comme lui d'origine sémite, et eux aussi organisés en une théocratie militaire et c'est avec l'aide de ces alliés qu'il entreprit la guerre. D'une part il y avait une armée aux armes resplendissantes, forgées par les dieux, de l'autre, ainsi que le décrit Virgile, étaient des bandes de paysans auxquels aucun dieu n'avait donné des armes mais qui empoignaient pour se défendre les haches, les faux et les couteaux de leur travail quotidien. C'étaient eux aussi des brigands pleins de vaillance et hélas ils ne pouvaient pas vaincre. L’Italie fut assujettie, cette « humble » Italie « pour qui, blessés, périrent la vierge Cammilla, Eurialo et Turne et Niso ». Puis ce fut Rome qui perfectionna la théocratie étatique et militaire de ses fondateurs troyens ; ceux-ci vainqueurs avaient dû néanmoins tolérer la langue et les coutumes des vaincus. Rome se heurta, elle aussi, à la résistance paysanne et la longue série des guerres italiques fut le plus dur obstacle sur sa route. Là encore les Italiens devaient perdre sur le terrain militaire, mais ils conservèrent intacte leur nature et ne se mêlèrent pas aux vainqueurs. Après cette deuxième guerre nationale la civilisation paysanne, encadrée dans l'ordre romain, resta plongée dans un patient sommeil. Des siècles passèrent avec leurs cortèges d'événements et de peuples divers. La civilisation féodale qui suivit n'était certes pas une civilisation paysanne : elle était cependant liée à la terre, au territoire du fief et partant moins en contradiction avec le non-état rural. On comprend donc pourquoi les Svevi sont encore aujourd'hui si populaires parmi les paysans qui parlent de Conradin comme d'un de leurs héros nationaux et en pleurent la mort. Sans doute, après sa chute, cette terre alors florissante tomba dans une triste ruine. (Svevi : on appelle ainsi en Italie la branche des Hohenstaufen qui régnait en Sicile et dont le denier fut Conradin.) La quatrième Guerre nationale des paysans est le brigandage. Alors aussi « l'humble Italie « avait historiquement tort et devait perdre. Elle n'avait ni armes forgées par Vulcain, ni canons comme l'autre Italie. Ni dieux non plus : que pouvait une pauvre Madone au visage noir contre l'État éthique des hégéliens de Naples ? Le brigandage n'est qu'un accès de folie héroïque et de férocité désespérée, un désir de mort et de destruction sans espoir de victoire. « Je voudrais que le monde eût un seul cœur ; le le lui arracherais « , dit un jour Caruso, un des chefs de bande les plus terribles. Cette soif aveugle de destruction, cette volonté d'annihilation sanglante et de suicide couve pendant des siècles sous la douce acceptation de la peine quotidienne. Chaque révolte naît d'une volonté élémentaire de justice enfouie dans les sombres profondeurs du cœur. Après le brigandage, ces terres ont retrouvé leur funèbre paix ; mais de temps en temps, dans quelque. village, les paysans qui ne trouvent pas place dans l'État, ni défense dans les lois, se soulèvent pour aller vers la mort, ils brûlent la mairie ou la gendarmerie, tuent les seigneurs, puis partent résignés vers les prisons. » 180 L'hospitalité des paysans « C'est en cette manière contradictoire et jalouse que trouvait place, même dans son âme, la très ancienne et primordiale vertu de ses terres : l'hospitalité, qui fait que les paysans ouvrent leur porte à l'étranger inconnu sans lui demander son nom et l'invitent à partager le peu de pain qu'ils ont, et dont tous les villages se disputent la palme, chacun se vantant d'être le plus aimable et le plus accueillant au passant étranger qui est peut-être un dieu déguisé. » 192 Pas positive l'image de Garibaldi ?!« Le marchand rit à faire trembler les verres sur la table. « Votre Carnera, dit-il, est comme Garibaldi. » L'affirmation était si catégorique que le Capitaine ne trouva rien à répondre et le géant continua : « Ce sont tous des trucs, Carnera a gagné parce que c'était entendu d'avance. C'est vraiment une espèce de Garibaldi. L'histoire ne change pas. Dans vos livres de classe, on vous apprend un tas de sornettes, mais la vérité est différente. Quand le roi Franceschiello dut quitter Naples et se retirer à Gaeta, Garibaldi et ses amis avec leurs chemises rouges s'avançaient à l'attaque, tout joyeux, fiers et pleins de courage. Du haut des murs de Gaeta on tirait le canon. Mais les autres ne s'en souciaient guère. On aurait dit qu'ils allaient à la noce avec drapeaux et fanfare. Le roi Franceschiello, qui voyait de Gaeta que sa canonnade ne faisait aucun effet, pensa : ou ils sont fous ou il y a quelque chose qui cloche. Maintenant je vais essayer de tirer un coup de canon moi-même. Sitôt dit, sitôt fait. Il fit prendre un beau boulet, le fit introduire dans la bouche du canon et lui-même tira. Boum ! Quand ils virent tomber le boulet, Garibaldi et ses chemises rouges n'en attendirent pas un deuxième et s'enfuirent à toutes jambes, car jusque-là on avait tiré à blanc. Garibaldi et les autres s'étaient mis d'accord, comme Carnera. Quand le roi tira le coup de canon vrai, Garibaldi dit : « lci, à Gaeta, ça ne marche plus. Mes enfants, allons à Teano », et ainsi il s'en alla à Teano. » » 269 à 274 L'effet placebo de l’allopathie augmenté par la magie « La sorcellerie populaire soigne à peu près toutes les maladies ; et presque toujours par la seule vertu de formules et d'incantations. Il y en a des particulières, spécifiques d'un mal déterminé, et d'universelles. Certaines sont, à ce que je crois, d'origine locale ; d'autres appartiennent au corpus classique des formulaires magiques, échouées ici Dieu sait d'où et commont. De ses amulettes classiques, la plus répandue est l'abracadabra. Que de fois, au cours de mes visites, ne m'est-il arrivé de voir, la plupart du temps, suspendu au cou par une ficelle, un bout de papier ou une plaquette de métal, sur lesquels était écrite ou gravée la formule triangulaire : A A B A B R A B R A A B R A C A B R A C A A B R A C A D A B R A C A D A A B R A C A D A B A B R A C A D A B R A B R A C A D A B R A Au début les paysans cherchaient à dissimuler cette amulette et s'excusaient presque auprès de moi de la porter ; ils savaient que les médecins méprisent d'ordinaire ces superstitions et tonnent contre elles, au nom de la raison et de la science. Et ils ont entièrement raison, là où la raison et la science sont investies du même caractère magique que la magie vulgaire ; mais ici elles ne sont pas encore, et peut-être ne seront-elles jamais, des divinités écoutées et adorées. C'est pourquoi je respectais les abracadabra, j'en honorait l'ancienneté et l'obscure et mystérieuse simplicité, préférant être leur allié que leur ennemi, et les paysans m'en savaient gré, peut-être même en retiraient-ils quelque bienfait. D'ailleurs les pratiques magiques d'ici sont toutes inoffensives et les paysans n'y voient aucune contradiction avec la médecine officielle. L'habitude de donner à chaque malade, pour chaque maladie, même lorsque ce n'est pas nécessaire, une ordonnance est une habitude magique ; à plus forte raison si elle est écrite comme autrefois en latin, ou pour le moins d'une écriture illisible. La plupart des ordonnances suffiraient à guérir les malades si, au lieu de les suivre, on se contentait de se les attacher au cou avec une ficelle, comme un abracadabra. Des objets pour guérir n'importe quelle maladie, en dehors des abracadabra, il y en avait en grand nombre et des plus variés : signes cabalistiques, astrologiques, images de saints, Madones de Viggiano, monnaies, dents de loup, os de crapaud, et ainsi de suite : tout le bric-à-brac traditionnel. Plus originaux sont les traitements particuliers à certaines maladies. Les vers des enfants se laissent charmer par la seule vertu des mots que voici : Lundi saint Mardi saint ... Dimanche de Pâques Chaque ver tombe à terre Puis à rebours Samedi saint Vendredi saint ... Dimanche de Pâques Chaque ver tombe a terre Cette double formule, ascendante et descendante, doit être prononcée trois fois de suite devant le malade. Les vers, charmés, meurent et l'enfant guérit. Il s'agit là, sans doute, d'une formule très ancienne, survivance d'une conjuration romaine archaïque, un des premiers documents de la langue latine que nous possédions, sur laquelle est venu se greffer un élément chrétien. La jaunisse s'appelle ici le « mal de l'arc » : la maladie de l'arc-en-ciel, car elle fait changer l'homme de couleur et qu'en elle, comme dans le spectre, la couleur Jaune domine. Comment attrape-t-on le « mal de l'arc » ? L'arc-en-ciel marche à travers le ciel, et pose sur la terre ses deux pieds, qu'il remue çà et là à travers la campagne. S'il arrive que les pieds de l'arc foulent du linge en train de sécher, celui qui portera ce linge prendra, par l'entremise de la vertu répandue sur lui, les couleurs de l'arc et il tombera malade. On dit aussi (mais la première hypothèse sur l'origine de la maladie est la plus courante et la plus vraisemblable) qu'il faut se garder d'uriner contre l'arc-en-ciel : comme le jet recourbé du liquide ressemble à l'arc qui est dans le ciel et le reflète, l'homme tout entier deviendra une sorte d'arc-en-ciel jaune. Pour combattre la jaunisse, on conduira le malade aux premières lueurs de l'aube, sur une colline en dehors du pays. On appuiera sur son front un couteau au manche noir, d'abord verticalement, puis horizontalement, de manière à dessiner une espèce de croix. De la même façon on tracera des croix sur toutes les parties de son corps en appliquant le couteau. dans tous les sens ; en même temps on prononcera à chaque croix un simple exorcisme. L'opération doit être répétée par trois fois, pendant trois matinées consécutives, sans omettre aucune articulation du corps. L'arc alors se retire de couleur en couleur et le visage du malade redevient blanc. La formule contre l'érysipèle ne doit pas être employée isolément, mais seulement associée à de l'argent. Les paysans conservent chez eux un vieil écu à cet usage ; et pas un de ces malades ici très nombreux qui n'eût sa grosse pièce de monnaie appliquée sur la peau enflée et rouge. Il existe des formules pour ressouder les os, pour les maux de dents, les coliques et les migraines ; pour passer ses douleurs à une autre personne, ou à un animal, une plante, un objet ; pour se débarrasser du mauvais œil et des envoûtements. Mais ici de la médecine on passe insensiblement à son contraire : au moyen de rendre malade et de faire mourir ; ou bien à l'autre si importante branche de la magie populaire, à l'art de contraindre à l'amour ou d'affranchir de l'amour. De cette dernière opération je fus, comme le l'ai dit plusieurs fois, spectateur et peut-être encore plus souvent objet et victime et si sur l'instant je ne m'aperçus de rien, qui pourrait assurer que je ne doive à tous ces philtres et formules magiques ma si grande et malheureuse capacité de passion ? En attendant, je devais plutôt me défendre des assauts directs de quelque sorcière, comme cette Maria C..., qui me faisait appeler, prétextant une maladie de son enfant, quand son mari (il avait déjà été en prison pour avoir assassiné quelqu'un par jalousie) était aux champs. ... « Tu devrais te faire sorcier, maintenant tu sais aussi soigner à notre manière. » Je continuais à exercer la médecine en cachette, mais en ayant bien soin de ne pas enfreindre les préceptes magiques. Ici, où tout n'est qu'influx et magie, même lorsqu'elle garde toute sa valeur scientifique et qu'elle ne s'enveloppe pas de mystère, la médecine ne vaut que par son contenu magique. La quinine malheureusement a perdu tout pouvoir, car elle est recommandée par cette science incompréhensive et prétentieuse, discréditée auprès des paysans. Il fallait beaucoup d'autorité pour la faire accepter et, prise ainsi à contrecœur, elle agissait mal : je préférais la remplacer par des médicaments nouveaux, plus puissants en eux-mêmes et plus chargés d'influx, comme l'athébrine et la plasmoquine, qui me furent toujours merveilleusement utiles, car ils agissaient en même temps comme substances chimiques et par leur vertu magique. » 282 à 284 Le problème c'est l'État qu'il soit libéral ou socialiste « … je repensais à ces derniers jours, à ce sentiment de détachement que j'avais éprouvé et à la totale incompréhension des gens qui s’occupaient de politique pour la vie de ces pays vers lesquels je me hâtais. Tous m'avaient demandé des nouvelles du Midi, et à tous j'avais raconté ce que j'avais vu, et bien qu'ils m'eussent tous écouté avec intérêt, rares étaient ceux qui m'avaient paru comprendre ce que je disais. C'étaient des hommes d'opinions et de tempéraments divers : depuis les extrémistes les plus violents jusqu'aux conservateurs les plus rigides. Beaucoup d'entre eux étaient des hommes d'une intelligence réelle, et tous prétendaient avoir médité sur le « problème méridional » et avaient leurs formules et leurs schémas tout prêts. Mais, de même que leurs formules et schémas et jusqu'au langage et aux mots dont ils se servaient pour les exprimer eussent été incompréhensibles aux paysans, ainsi la vie et les besoins des paysans étaient pour eux un monde fermé qu’ils ne cherchaient même pas à pénétrer. Au fond, ils étaient tous (je le comprenais clairement maintenant) des adorateurs plus ou moins conscients de l'État, des idolâtres qui s'ignoraient. Peu importait que leur État fût l'actuel ou celui dont ils rêvaient ; dans un cas comme dans l'autre, c'était l'État, c'est-à-dire un organisme transcendant les personnes et la vie du peuple ; tyrannique ou paternaliste, dictatorial ou démocratique, mais toujours unitaire, centralisé et lointain. D'où l'impossibilité pour mes politiciens et mes paysans d'avoir un langage commun. D'où ce simplisme des politiciens, paré souvent des atours de la philosophie, et le caractère abstrait de leurs solutions qui n'adhèrent jamais à une réalité vivante, mais sont schématiques, partielles et si vite usées. Quinze ans de fascisme avaient fait oublier à tout le monde le problème méridional ; et s'ils se le posaient maintenant à nouveau, ils n'étaient capables d'y penser qu'en fonction de certaines fictions génériques, en terme de parti, de classe ou même de race. Certains ne voyaient en lui qu'un simple problème économique et technique, ils parlaient de travaux publics, d'assainissement, d'industrialisation indispensable, de colonisation intérieure, ou invoquaient le vieux programme socialiste : « Refaire l'Italie. » D'autres n'y voyaient qu'un triste héritage historique, une tradition de servitude bourbonienne, qu'une démocratie libérale aurait peu à peu éliminé. D'autres encore professaient que le problème méridional n'était qu'un cas particulier de l'oppression capitaliste, que la dictature du prolétariat aurait réglé sans problème. D'autres enfin croyaient à une réelle infériorité de race, ils parlaient du Sud comme d'un poids mort pour l'Italie du Nord, et étudiaient les mesures qu'il faudrait prendre pour remédier d'en haut à ce douloureux état de choses. Mais tous se trouvaient d'accord pour dire que l'État aurait dû faire quelque chose, quelque chose de très utile, de bienfaisant et de providentiel ; et ils m'avaient regardé avec étonnement lorsque je leur avais dit que l'État, tel qu'ils l'entendaient, était au contraire l'obstacle fondamental à ce qu'on fît quoi que ce soit. Ce ne saurait être l'État, avais-je dit, qui pourra résoudre la question méridionale, pour la simple raison que ce que nous appelons le problème méridional n'est autre chose que le problème de l'État. Entre l'étatisme fasciste, l'étatisme libéral, l'étatisme socialiste et toutes ces autres formes d'étatisme qui verraient le jour dans un pays petit-bourgeois comme le nôtre, et l'antiétatisme des paysans, il y a et il y aura toujours un abîme ; et il ne sera comblé que le jour où nous réussirons à créer un État tel que les paysans aient aussi l’impression d'y participer. Les travaux publics, les mesures d'assainissement sont d'excellentes choses, mais elles ne résolvent pas le problème. » 287-288 La commune autonome « La solution véritable nécessite la collaboration de toute l'Italie et suppose son renouvellement radical. Il faut que nous devenions capables de penser et de créer un nouvel État autre que l'État fasciste, libéral ou communiste, qui ne sont que les différentes formes d'une même religion de l'État. Nous devons remonter aux fondements mêmes de l'idée de l'État : à la conception individualiste qui est à sa base, et à la conception juridique et abstraite d'individu forgée par la tradition, nous devons en substituer une nouvelle qui exprime la réalité vivante et supprime l'insurmontable antagonisme entre l'individu et l'État. L'individu n'est pas une entité sans plus, mais un rapport, le lieu de tous les rapports. Cette idée de relation en dehors de laquelle il n'y a pas, d'individu est la même qui définit l'État. Individu et État coïncident dans leur essence et doivent coïncider dans la pratique quotidienne, si l'on veut qu'ils coexistent. Ce renversement de la politique, qui se prépare dans l'ombre, est en germe dans la civilisation paysanne, et c'est la seule voie qui nous permettra de sortir du cercle vicieux du fascisme et de l'antifascisme. Cette voie est celle de l'autonomie. L'État ne peut être que la somme d'une infinité d'autonomies, une fédération articulée. Pour les paysans, la cellule de l'État, la seule qui leur permettra de participer à la vie multiple de la collectivité, ne peut être que la commune rurale autonome. C'est là la seule forme d'État qui puisse nous acheminer vers une solution du problème méridional sous ses trois aspects interdépendants, qui permette la coexistence de deux civilisations différentes sans que l'une domine l'autre et que l'autre soit un fardeau pour la première ; qui crée les meilleures conditions possibles pour sortir de la misère; qui enfin, en enlevant tout pouvoir et fonction aussi bien aux grands propriétaires qu'à la petite bourgeoisie locale, permette au peuple paysan de vivre pour lui-même et pour tous. L'autonomie de la commune rurale suppose l'autonomie des usines, des écoles, des villes et de toutes les autres formes de la vie sociale. C'est ce que l'ai appris au cours d'une année de vie souterraine. » La peur de la liberté Une recension https://bibliothequefahrenheit.blogspot.com/2021/08/peur-de-la-liberte.html Ce livre philosophique a été écrit en 1939 sans source, par la mémoire et l'imagination. Bravo mais j'ai du mal à suivre son énoncé. Nous ne savons pas s'il espère, pour le sacré dans la cité, une place à la religion ou s'il lui en trouve trop. Mais j'ai apprécié sa démonstration sur la place des laissés pour compte, dont les esclaves, et les guerres pour maintenir la cohésion attendue par le pouvoir pour sa protection. Page 83 «[les esclaves] Grâce à leur existence, le plèbe n'apparaissait pas comme classe inférieure, comparable au prolétariat moderne, mais comme une classe moyenne qui ne fut jamais complètement asservie, bien qu'elle ait dûlutter pendant longtemps pour atteindre à son plein droit ... » 84 Pour sauvegarder la paix romaine, Rome devait obligatoirement donner une importance de plus en plus grande à l'esclavage. «Là où les esclaves ne peuvent pas être pris par les armes ou achetés avec de l'argent, dans les États fermés, faibles ou pacifiques, ce sont les citoyens eux-mêmes qui devront devenir esclaves, suivant un processus d'expulsion et de différentiation. Les castes, les corporations fermées, les hiérarchies font alors leur apparition.» Des visites régulières de
ces pages mais peu de commentaires.
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