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Albert Camus - Concepts

L'absurde issu de ab-, séparé et de surdus, sourd, désigne ce qui heurte l’oreille
Explications à travers la notion d’absurde, chère au philosophe Albert Camus, par Nicolas Tenaillon.
« Ce terme est immédiatement associé à Albert Camus dont il … résume – toute la pensée.
… « L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde » Albert Camus
C’est dans son premier essai, Le Mythe de Sisyphe (1942), que Camus définit l’absurde. Loin de voir en lui un raisonnement insensé, il l’identifie à un sentiment que « n’importe quel homme » peut éprouver « au détour de n’importe quelle rue » : celui de l’hostilité primitive des choses qui nous entourent et qui nous font obstacle sous différents aspects, que Camus étudie dans le chapitre justement intitulé « Les murs absurdes ». Quoi de plus troublant que de constater en effet « avec quelle intensité […] un paysage peut nous nier », c’est-à-dire continuer à être comme si nous n’étions pas là. Mais dire que « cette épaisseur, cette étrangeté du monde, c’est l’absurde », ce n’est pas dire que l’absurde est dans les choses ou même en nous. C’est constater que notre soif de connaître ne peut qu’échouer face à l’opacité du réel : « L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. »
Ce sentiment d’incongruence, nul ne l’éprouve mieux que le personnage de Meursault dans L’Étranger (1942), court roman écrit en même temps que l’essai et dont le projet d’écriture correspond à une première illustration de ce que Camus appellera « le cycle de l’absurde ». N’éprouvant aucune émotion à la nouvelle de la mort de sa mère pas plus que durant ses funérailles, ne manifestant nul regret après avoir tué « l’Arabe » sur une plage sans pouvoir justifier son geste, écoutant avec détachement la sentence qui le condamne à mort, Meursault semble autant étranger au monde qu’à lui-même. Il est « l’homme absurde » par excellence. Mais cette dramatisation de l’absurde n’en épuise pas le concept, car « le sentiment de l’absurde n’est pas pour autant la notion de l’absurde ». Ce qui intéresse en réalité Camus, ce sont les possibilités qui s’offrent à celui éprouvant ce sentiment. Or à ses yeux, il n’en existe que trois.
Le suicide, la foi ou la lucidité
D’abord le suicide, dont Camus dit, dès les premières lignes du Mythe de Sisyphe, qu’il constitue le seul problème « vraiment sérieux » de la philosophie. Si en effet le monde m’est hostile, pourquoi continuer à y vivre ? Mais pour Camus, le suicide est une fuite, une démission face à l’absurde.
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Deuxième option : la foi. C’est le choix des existentialistes chrétiens comme Chestov ou avant lui Kierkegaard. Faisant sienne la phrase de Tertullien Credo quia absurdum (« Je crois parce que c’est absurde »), Kierkegaard ne propose cependant aux yeux de Camus qu’une autre fuite, certes plus savante : le penseur danois veut maintenir l’absurde et en vivre, mais pour lui, vivre, c’est accepter l’absurde et puis l’expliquer. Or si on l’explique, ce n’est plus l’absurde !
Reste alors une troisième voie, celle que Camus appelle la lucidité, qui est le contraire du déni, de l’espérance trompeuse ou de la résignation, mais la condition d’une vie authentique. Pour Camus en effet, l’absurde ne peut être nié. Il faut le regarder : ce qu’il faut faire, justement, c’est vivre dans l’absurde. « Puisque le monde n’a pas de sens, c’est à nous de le créer »
Car choisir de vivre dans l’absurde, c’est découvrir qu’il est libérateur : puisque le monde n’a pas de sens, c’est à nous de le créer. Telle est la découverte de Sisyphe, ce « travailleur inutile des enfers » dont Camus réinterprète génialement le mythe en soutenant qu’au moment où il redescend chercher son rocher, il contemple son monde, se l’approprie et échappe à son destin. C’est pourquoi « il faut imaginer Sisyphe heureux », comme il faut admettre que Meursault puisse dire sereinement dans L’Étranger : « J’ouvrais [mon cœur] à la tendre indifférence du monde. »
Du nihilisme à la révolte
Reste que choisir de vivre dans l’absurde est une exigence de tous les instants. Car l’hostilité du monde hante son hospitalité. C’est d’une certaine façon l’enseignement que nous délivre Caligula (1944), pièce de théâtre qui clôt le cycle de l’absurde. Après la mort de sa sœur et amante Drusilla, Caligula prend brutalement conscience de l’absurdité du monde. Mais puisque « les hommes meurent et [qu’]ils ne sont pas heureux », il décide de devenir acteur de leur malheur en utilisant tout son pouvoir impérial pour imposer à Rome un règne de terreur, d’arbitraire et de cruelle dérision. »

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