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« Ma » métaphysique En introduction de son livre « Les livres prennent soin de nous » Régine Detambel cite Nancy Huston : « Les gens qui se croient dans le réel sont les plus ignorants, et cette ignorance est potentiellement meurtrière ». C’est vrai que les dictatures pour trouver une justification de leur crime rationalisent au maximum leurs décisions, donnent du pragmatisme et de l’administratif, comme nous l’a bien détaillé George Orwell dans 1984. Donc envisageons aussi l’irréel, entrons dans la métaphysique. Ce qui est à coté du physique. Après avoir installé la laïcité il est nécessaire de s’éloigner de l’héritage chrétien conscient et inconscient qui nous encombre. Héritage que l’on nomme facilement héritage judéo-chrétien alors que nous sommes passés directement dans notre quotidien du polythéisme romain au christianisme imposé par l’épée, l’arquebuse et le bûcher. La métaphysique paradoxalement peut nous aider à se défaire de cet héritage et nous aider à nous construire une pensée neuve. Métaphysique est le seul gros mot métaphysique que je vais prononcer. Je vais aborder dans mon texte ma vision de l’univers et notre place dans celui-ci, l’illusion de la liberté, les superstitions, l’unité matière-esprit, l’absence de personnage providentiel et pour finir une solution pour bien vivre ensemble. Nous sommes une partie de la nature, particules du palpable et de l’impalpable. Nous sommes le métissage, l’hybridation du visible et de l’invisible, du connu et de l’inconnu éternel, illimité, sans début ni fin. Nous ne connaissons pas les causes de notre présence ici. Je veux bien admettre une force créatrice dans ou hors l’univers connu mais je ne vois aucun signe direct venu du ciel codifiant ma conduite. Je me souviens d’un cours de catéchisme où le prêtre nous fit comprendre que dieu nous observe partout. Comme l’église nous était la seule détentrice du mètre étalon du bien et du mal, il fallait donc comprendre que dieu nous observe partout et quelques soit l’heure. J’espère que je n’étais pas le seul à ne pas en être perturbé. Même si c’est poétique et me fait rêver je n’ai aucune raison de prendre des reflets pour des signes divins. Dans cette nature je ne vois ni aucune imperfection, ni aucune perfection, juste un équilibre ponctuel plus ou moins étendu, même si cette ponctualité peut durer des millénaires. Matière et mouvement ne font qu’un. Cet univers n’a aucun désir, aucune intention et il ne lui manque rien. (p29 Café Spinoza – Michel Juffé). Pas de paradis final. Ce qui ne doit pas être, n’est pas. La Nature ne comporte aucune fin qui lui aurait été fixée et tout but final n’existe que dans notre imagination. Pour Henri Atlan biologiste (France Culture – Les Nouveaux Chemin de la Connaissance devenus Les Chemins de la Philosophie) il y aurait toujours quand même dans la matière une intelligibilité partielle, cette part de hasard qui a nécessité l’invention des probabilités. Je rajoute cette part d’auto-organisation du vivant, de la matière, est peut-être une part de Dieu ? Ce qui ne change rien à notre ignorance et n’interfère pas sur notre conduite. Cette part d’auto-organisation de la matière réduit en partie le déterminisme. Cette notion de déterminisme n’en reste pas moins utile. Déterminisme qui n’est pas un dessein divin mais une chaîne de causes. Nous devons trouver les limites et les règles internes de la nature. Qui ne sont pas morales, ni liées à des croyances. Dans cette nature il y a « Je » moi et le reste de la nature qui n’est pas à ma disposition. Ce reste, les autres Je, veulent comme moi continuer à être, que ceci me plaise ou non. ( Café Spinoza – Michel Juffé page 195 mi-page.) De fait l’homme n’est pas libre. Il est une partie de cette nature et il ne peut pas revendiquer son autonomie. Le chemin vers la liberté se prend et nous mène par la compréhension des raisons, des causes de nos désirs, de nos asservissements. Nous croyons faire librement des choix alors que nous ne sommes pas libres de notre arbitrage. Nous avons des circonstances atténuantes et même si nous sommes conscients de nos actes nous agissons souvent sans comprendre les raisons. Adam de la Génèse n’est pas responsable. Il ne sait pas ce qui le mène. Donc pas de salut par la contrition, par le repentir. Notre liberté partielle est limitée comme celle d’un bateau qui essaie de remonter au vent. Bien que nous ne connaissions pas les causes qui nous mènent, si nous désirons la joie pour nous, par et pour les autres nous devons remonter au vent malgré la force des passions dont certaines nous entraînent vers la morbidité mercantile et prédatrice. Je me répète, la Nature ne comporte aucune fin qui lui aurait été fixée. A l’inverse pour les clergés, l’homme serait le but final de la création. Heureusement, nous nous sommes éloignés des superstitions qui nous faisaient croire que les tempêtes, les tremblements de terre, les maladies provenaient de la colère des Dieux. Mais malgré le siècle des Lumières, les sciences et l’école, l’irrationnel rétrograde se porte toujours bien. Nous avons beau repousser les limites du visible, même si nous l’augmentons par des artefacts, les machines ne donnent pas lecture de l’infini. Devant la douleur apportée par la conscience de notre présence ici et par notre ignorance nous échafaudons de multiples divagations. Nous tombons continuellement dans les croyances et dans la superstition. - Retour à la vie d’individus apparemment décédés. Esprit qui sort du corps ... - Vision de forces non mesurables - Clergé, curés, imams, rabbins ou autres, toujours prêts à nous dire comment nous conduire suivant des textes « tombés du ciel » - Dernier exemple Bible contre mariage pour tous. - Cet été 2017 en allant me promener du côté de Chamonix j'ai lu sur un panneau qu'une procession a été organisée contre la fonte des glaciers. Comme ils ont écrit sur ce panneau, le « piquant » c'est que environ 100 ans avant ils donnaient des messes contre l'avancée de ces glaciers qui menaçaient les villages. - En cas d'éclipse du soleil avant nous dansions pour le faire revenir, maintenant on se contacte par le net pour méditer ensemble. Les arguments justifiant cette méditation se voulant rationnels n'y changent rien, ça reste de la croyance. - En direct à la télé le président Donald Trump a prié, avec ses leaders spirituels, après le passage de l’ouragan Harvey au Texas. - Et tout nouveau : Transfert de nos modes de pensées humaines sur la faune et la flore. Une sorte d’anthropomorphisme se répand actuellement sur les arbres interprétant les relations chimiques entre ceux-ci, qui existent via les racines et les filaments des mycéliums - communications mises en évidence par des biologistes. Dans une conférence justifiant ces croyances l’expérience scientifique donnerait une garantie si l’un des intervenants est universitaire, diplômé, chercheur en physique. Pour appuyer ces croyances, y mettre de la physique quantique et des diplômes ne changent rien à l’affaire. Même si on n'y comprend rien on met du quantique partout. Étonnant cette mode récente alors que cette physique a une centaine d’années et que pas grand monde n’y comprend quelque chose. ( Pour protéger la paix sociale des vérités divines et de leur code fallacieux de bonne conduite, la législation doit continuer à être à notre service. ) La consommation sans limite, accompagnant ou remplaçant ces croyances, est aussi une échappatoire à ce monde que l’on ne maîtrise pas. Sans rejeter un certain confort adapté à notre handicap, étant coupés de la nature, mon désir n’est pas celui de couvrir un mur par un écran vidéo, ni de faire trois fois le tour de la planète. Mon désir est de trouver la joie d’être en harmonie avec l’autre, l’autre étendue à la nature. Il n’y a pas de péché dans nos désirs. Ils nous mènent sans à priori. A nous d’y mettre de la raison. Réparons et maintenons ce jardin qui ne vivra que le temps de notre étoile. Faute de preuves contemporaines et scientifiques, je continue à penser que les images construites dans mon corps par ma pensée s’effaceront avec l’arrêt du battement de la vie dans mes artères. Mon corps va se disloquer en atomes et nutriments pour peut-être encore aller vers la vie. Ma pensée, de même, va quitter sont homogénéité. Notre esprit est entremêlé à nos cellules. Pensée et esprit s'entrecroisent dans chaque corps, dans chaque unité. On ne peut avoir d’idée indépendamment du corps et réciproquement. L’un n’est pas la cause de l’autre étant les 2 faces d’une même nature. Pour Antonio Damasio " Le cerveau seul n'est pas capable de faire l'esprit humain. Il le fait en coopération avec le corps, avec tout le reste de l'organisme. Qui n'est pas neuronal." Les limites de chaque unité, et non union, sont matérialisées par les sensations. Ces limites se révèlent ainsi par la conscience de l’existence des autres unités. Il en est de même pour chaque partie de notre corps. Cet effort de conscience est ainsi nécessaire pour ressentir et visualiser nos propres membres et organes. Nos 5 sens sont autonomes. Ils n’ont pas de relations entre eux. Le cerveau a besoin d’entraînement pour les lier. Comme il a besoin d’entraînement pour connaître les limites de son corps et les relations avec les diverses parties. L’esprit les unifie par l’expérience. Toutes nos décisions prennent naissance dans le corps, à partir des images que celui-ci accumule au fil du temps. Nous ne nous souvenons que de ce qui nous marque et, de plus, qui pourrait continuer à nous faire agir. Comme les relations entre nos sens sont subjectives, nous avons une vue globale trompeuse qui peut nous conduire vers des impasses. Nous n’avançons qu’à tâtons. Cette unité corps esprit se nourrit des plaisirs. Nourriture, boisson, efforts physiques avec raison, théâtre, musique, images des créations artistiques, images de la nature nourrissent corps et esprit. Pas d’élévation dans la contrition, dans la privation. Cette globalité corps esprit est maintenant prise en compte dans la médecine intégrative, dite aussi holistique, du grec holos « entier ». Nous pouvons soigner les dysfonctionnements en allant vers les causes multiples et en n’agissant pas seulement sur les effets. Nous sortons enfin de la vision de Descartes transformant l’homme en machine séparé de son âme, donc de sa pensée. Passer du dualisme au monisme. (Désolé je n’ai pas respecté mon engagement qui était d’éviter les gros mots métaphysiques.) Cette unité corps-esprit ne justifie pas de tomber dans la philosophie nommée aussi holistique. Lu dans wikipédia pour Michel Lacroix dans La spiritualité totalitaire : « le New Age ... est une « philosophie holistique, une philosophie de la totalité. L’holisme veut supprimer les séparations entre l'espace privé et l'espace public, entre le sujet et l'objet ... » Quand je lis les textes de ces organisations ça me rappelle la collection J’ai lu de couleur rouge de ma jeunesse. On nage dans la fiction, avec du syncrétisme bibliquo-boudiste, avec des sur-hommes ou des élus, avec des nœuds énergétiques telluriques, qui par hasard se trouvent dans le monde occidental, attendant le sauveur qui va arriver, je rajoute pour rire, sur son surf d’argent. Ces théosophes n’ont pas l’air dangereux et leurs prétentions totalitaires disparaissent avec la disparition en général naturelle de leurs membres mais c’est à surveiller car ils essaient de faire du lobbying à l’ONU. Pas besoin de personnage providentiel, pas de loi divine, pas de religion révélée c’est à nous d’agir pour une joie durable. Pour finir une solution simple pour bien vivre ensemble, l’amitié. Notre désir principal est d’être reconnu, d’être aimé par l’autre Ce désir est souvent détourné vers le paraître, pour certain reporté sur la foule. Dans ce cas il est un abîme. Dans cette reconnaissance la multitude est versatile et nécessite une surenchère et un déni de l’autre. L'autre, concurrent dans la poursuite de cette vaine gloire. Il ne faut pourtant pas s’isoler. L’homme est un être social et son espérance de liberté passe par celle des autres. Plus que dans la solitude nous pouvons approcher la liberté dans la cité, bien-sur tant que ses lois n’écrasent pas l’individu. Dans ce cas il y a un devoir de révolte. Révolte il y a en allant à l’essentiel, en rendant les amitiés plus solides, en s’attachant par des relations sociales, par la fraternité. C’est le plus utile, pour l’humanité. Et toujours, je répète, dans le respect de la nature. Notre amour de soi, des autres, de la nature participent à la satisfaction apportée par l’élévation dans la compréhension. Je reconnais que tout ceci est condensé et parfois à l'emporte pièce. Il y a encore des croyances, mais, je l’espère, elles n’induisent pas mon servage. C’est encore insuffisant. Comment trouver la sérénité devant ce vide sidéral décrit au début ? Des connaissances, qui dépasseraient illusions et explications rationnelles, sont-elles accessibles et comment ? Pour avancer je me demande si l’intuition est utile ? Si oui, comment la travailler ? Cette intuition rejoint-elle la gnose, cette connaissance qui dépasserait l’intelligence ? Octobre 2017 -------------------- Celui qui m’a permis de construire cette métaphysique est Baruch Spinoza (1632-1677) et ses multiples exégètes. J’ai essayé de supprimer tout vocabulaire apparenté à sa philosophie. Partageant son approche j’ai fait mien ses concepts en évitant ainsi des copiés-collés. En extrayant les passages compris et partagés, et les réécrivant avec mes mots. Ce que m’a apporté Spinoza c’est : - la prise de conscience de notre absence de liberté. Construire cette liberté en comprenant les causes qui nous font agir ; - l'autonomie vis à vis des religions instituées et en sortant de l’athéisme ; - remplacer la notion de destin par celle de déterminisme La notion d’autonomie de nos 5 sens je l’ai comprise à un cours à l'Université Permanente de Nantes de Gerhardt Stenger sur Diderot, auteur d’une biographie sur ce dernier.
Michel Juffé, Café Spinoza, Lormont 33, Le bord de l’eau, 2017
Régine Detambel, Les livres prennent soin de nous, Paris, Acte Sud, 2015 Henri Atlan, Croyances, comment expliquer le monde ?, Paris, Autrement, 2014 Antonio Damasio, L'Ordre étrange des choses, Paris, Odile Jacob, 2017 Michel Lacroix, La Spiritualité totalitaire. Le New Age et les sectes, Paris, Plon, 1995 |