Sortir de l'histoire officielle

    


Primo Levi

PARTIGIA De Sergio Luzzatto

La trêve
https://www.livredepoche.com/
4e de couverture et site de l'éditeur «À la fin de la Seconde Guerre mondiale, un groupe d’Italiens, rescapés des camps nazis, entame une marche de plusieurs mois : « accompagnés » par l’Armée rouge, ils cherchent à rejoindre leur terre natale. Héros et traîtres, paysans et voleurs, savants et nomades se retrouvent pêle-mêle dans une réjouissante pagaille : autant d’hommes qui redécouvrent, émerveillés, la vie, le monde, la forêt, les filles, sans oublier l’art du trafic pour subsister…
La Trêve est le récit picaresque et authentique de leurs tribulations extravagantes sur les routes d’Europe centrale. À travers la confrontation de deux peuples, Primo Levi révèle les ressources merveilleuses d’hommes qui se montrèrent à la hauteur de leur destin.»

Page 63-64 Une vision de l'esprit russe « La guerre était sur le point de finir, l'interminable guerre qui avait dévasté leur pays ; pour eux [les Russes], elle avait déjà pris fin. C'était la grande trêve : la dure saison qui devait suivre n'avait pas encore commencé, et le mot néfaste de « guerre froide » n'avait pas encore été prononcé. Ils étaient joyeux, tristes et fatigués, et trouvaient satisfaction dans le boire et le manger, comme les compagnons d'Ulysse une fois leurs navires tirés au sec. Et pourtant, sous ces apparences de laisser-aller et d'anarchie, il était aisé de découvrir en eux, dans chacun de ces visages rudes et francs, les bons soldats de l’Armée Rouge, les hommes valeureux de la Russie ancienne et nouvelle, débonnaires en temps de paix, féroces en temps de guerre, forts d'une discipline intérieure née de la concorde, de l'amour réciproque et de l'amour de la patrie ; une discipline qui l'emportait, justement parce qu'elle était intérieure, sur la discipline mécanique et servile des Allemands. Il était aisé, en vivant parmi eux, de comprendre pour quelle raison c'était la première et non la seconde qui avait prévalu. »
64 à 66 Une description du pouvoir «Le chef de camp des Italiens auquel on m'adressa afin d'être « pris en charge » était tout l'opposé. Le comptable Ravi ne devait son poste de chef de camp ni à des élections à la base ni à une investiture russe mais à une autonomination. Bien que de qualités intellectuelles et morales plutôt indigentes, il possédait dans une très large mesure la vertu qui, sous tous les cieux, est la plus nécessaire à la conquête du pouvoir, c'est-à-dire l'amour du pouvoir pour le pouvoir lui-même.
Assister au comportement d'un homme qui agit non selon la raison mais selon ses impulsions profondes est un spectacle d'un intérêt extrême, semblable à celui dont jouit le naturaliste qui étudie les activités d'un animal aux instincts complexes. Rovi avait conquis sa charge en agissant avec la spontanéité atavique de l'araignée qui construit sa toile ; car pas plus que l'araignée sans toile, Rovi ne pouvait vivre sans charge. Il avait tout de suite commencé à tisser : il était foncièrement sot et ne savait pas un mot d'allemand ni de russe mais dès le premier jour il s'était assuré les services d'un interprète, et cérémonieusement présenté devant le commandement soviétique en qualité de plénipotentiaire pour les intérêts italiens. Il avait installé un bureau, avec des formulaires (écrits à la main, en beaux caractères avec des fioritures), des tampons, des crayons de différentes couleurs, et un registre ; sans être colonel ni même simplement militaire, il avait suspendu derrière la porte un écriteau bien en vue avec «Commandement italien - Colonel Rovi» ; il s'était entouré d'une petite cour de marmitons, gratte-papier. sacristains, espions, messagers et sbires qu'il rémunérait en nature, avec des vivres prélevés sur les rations de la communauté et en les exemptant de tous travaux d'intérêt général. Ses courtisans, qui, comme cela arrive souvent, étaient pires que lui, s'employaient (au besoin par la force, ce qui était rarement nécessaire) à faire exécuter ses ordres, le servaient, recueillaient pour lui des renseignements et ne cessaient de l'aduler.
Avec une clairvoyance surprenante, c'est-à-dire en vertu d'une tournure d'esprit éminemment complexe et mystérieuse, il avait saisi l'importance, mieux, la nécessité de posséder un uniforme, du moment qu'il avait à faire avec des gens en uniforme. Il s'en était fabriqué un, assez théâtral mais non dépourvu de fantaisie, avec une paire de grosses bottes soviétiques, une casquette de cheminot polonais, une veste et des pantalons dénichés Dieu sait où qui avaient un air fasciste, et peut-être l'étaient ; il avait fait coudre des écussons au col, des filets dorés sur la casquette, des grecques et des galons sur les manches et s'était couvert la poitrine de médailles.
Du reste, ce n'était pas un tyran et même pas un mauvais administrateur. Il avait le bon sens de contenir les vexations, les concussions, les abus dans des limites modestes et il possédait pour les paperasses une vocation indéniable. Or, étant donné que les Russes étaient curieusement sensibles au charme des paperasses (dont l'éventuelle signification rationnelle leur échappait toutefois) et semblaient aimer la bureaucratie de cet amour platonique et spirituel qui n'arrive jamais à la possession et ne la désire pas, Rovi était toléré avec bienveillance, sinon véritablement estimé dans les milieux du commandement. En outre, il était lié au capitaine Egorov par une paradoxale et incompréhensible sympathie chez ces misanthropes ; car l'un comme l'autre étaient des personnages tristes, graves, dégoûtés, dyspeptiques et dans l'euphorie générale recherchaient l'isolement. »
73 Un type de lecteur « ...Ferrari était traité par ses collègues avec un mépris évident et se trouvait donc relégué dans une solitude forcée. Petit homme d'une quarantaine d'années, maigre et jaune, presque chauve, l'air absent, il passait ses journées couché sur sa paillasse ; c'était un lecteur infatigable. Il lisait tout ce qui lui tombait sous la main : journaux et livres italiens, français, allemands, polonais. Tous les deux ou trois jours, à l'heure de la visite de contrôle, il me disait : « Ce livre, je l'ai fini. Tu n'en as pas un autre à me prêter? Mais pas en russe, tu sais que je ne comprends pas bien le russe.» Ce n'était pas un polyglotte ; il était même pratiquement analphabète. Mais il « lisait » quand même tous les livres, de la première à la dernière ligne, reconnaissant avec satisfaction les lettres les unes après les autres ; il les articulait soigneusement et en constituait avec peine des mots, sans se soucier de leur sens. Cela lui suffisait : de même qu'à des niveaux différents, des gens éprouvent du plaisir à faire des mots croisés, à intégrer des équations différentielles ou à calculer les orbites des astéroïdes. »

PARTIGIA De Sergio Luzzatto
Un Primo Levi méconnu

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Es...


J'y découvre l'expression de nazifascisme, ce régime qu'a subi la moitié nord de l'Italie après son occupation par les allemands. Qui se sont associés directement à Mussolini libéré par un commando aéroporté le 12 septembre 1943.
Ce terme de nazifasciste met un terme à une notion de fascisme bienveillant pour la stabilité nationale et économique en réduisant celui-ci au nazisme destructeur.

Page 63 est utilisé le terme d'anomie qui est l'absence d'ordre, de structure. Trop souvent associé à l'anarchie qui est absence de pouvoir hiérarchique dans le sens totalitaire, ce qui n'est pas l'absence d'organisation.
Un article http://www.laviedesidees.fr/La-justice-des-partisans
En pdf : Sphère nazifasciste/primo levi resistant.pdf

Un extrait de cet article : «En Italie,l’ouvrage a atteint un large public malgré des critiques acerbes qui l’ont taxé de «révisionniste», l’accusant de porter atteinte tant au substrat d’une identité nationale reconstruite après guerre sur un antifascisme consensuel, qu’à la figure de Primo Levi déporté à Auschwitz quelques jours après l’exécution, d’une balle dans la nuque, des deux jeunes partisans par leurs camarades. Il y a fort à parier que sa réception en France rendra justice à l’originalité de l’approche, qui procède, à partir du déploiement de l’ «événement infime», à une vaste fresque d’histoire et de mémoire. Force est de souligner la valeur heuristique de la démarche, dont les apports historiographiques s’avèrent transposables à l’étude des autres mouvements de partisans dans le reste de l’Europe occupée. Contrairement à ce que le titre français peut laisser supposer, Primo Levi ne constitue pas le centre de gravité de l’ouvrage, tout entier tourné vers la question de la guerre civile et de ses recompositions dans une séquence chronologique élargie comprenant la guerre et l’après-guerre.»

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