Sortir de l'histoire officielle

    


La renaissance des communs de David Bollier

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4e de couverture et du site de l'éditeur « Traduit de l’américain par Olivier Petitjean
De nombreux domaines de notre patrimoine commun sont actuellement en état de siège : l’eau, la terre, les forêts, les pêcheries, les organismes vivants, mais aussi les œuvres créatives, l’information, les espaces publics, les cultures indigènes… Pour proposer une réponse aux multiples crises que connaît la société, David Bollier invite à revenir sur cette notion de « communs », un ensemble de pratiques sociales collectives que la modernité industrielle a fait progressivement disparaître. Aujourd’hui, les communs doivent être appréhendés non comme des ressources dont tout le monde aurait la libre jouissance, mais comme un système de coopération et de gouvernance permettant de préserver et de créer des formes de richesse partagée. Cette approche, mettant en avant une théorie plus riche de la valeur que l’économie conventionnelle, implique de nouveaux modèles de production, des formes plus ouvertes et responsables de participation des citoyens ainsi qu’une culture d’innovation sociale. C’est ce dont témoignent les initiatives des différents mouvements des « commoneurs » à travers le monde, déterminés à construire des alternatives vivantes et fonctionnelles à l’étau des grandes technocraties publiques et privées. Cet ouvrage devrait permettre d’éclairer et de promouvoir l’enjeu des communs aussi bien auprès des universitaires et des élus que des militants associatifs et autres citoyens engagés.»

Extraits :
Page 16 «À une époque où notre démocratie représentative est devenue une mascarade tape-à-l’oeil orchestrée par les intérêts financiers et par des bureaucraties distantes, les communs proposent de nouvelles formes de participation et de responsabilisation à la base qui peuvent faire une réelle différence dans la vie des gens.»
18 «Les communs suggèrent de nouveaux paradigmes (modèles, exemples) de moralité, de comportement et d’aspirations humaines, qui dépassent de loin les modèles appauvrissants enseignés en première année d’école de commerce.»

I. La redécouverte des Communs
Exemples de communs :
21 Semences locales en Inde
24 GNU-Linux pour l'informatique
27 Le surf à Hawaï
27 «Il est d’ores et déjà utile de comprendre que les communs ne sont pas des choses ou des ressources. Il s’agit là d’une erreur fréquente, tant chez les économistes, qui tendent à tout réifier (chosifier), que chez les acteurs des communs eux-mêmes, lorsqu’ils revendiquent qu’une ressource donnée devrait être gouvernée comme un commun (ce sont ce que j’appelle des « communs en puissance »). Certes, les communs impliquent des ressources physiques ou intangibles de toutes sortes. Mais ils consistent, plus exactement, en la combinaison d’une communauté déterminée et d’un ensemble de pratiques, valeurs et normes sociales mises en œuvre pour gérer une ressource. Autrement dit, un commun, c’est : une ressource + une communauté + un ensemble de règles sociales. Ces trois éléments doivent être conçus comme formant un ensemble intégré et cohérent. ((écouter Dardot et Laval) Coactivité – Décision et actions)»
http://www.dailymotion.com/video/x1y3znj_entretien-avec-pierre-dardot-et-christian-laval_webcam

II. La tyrannie du mythe de la "Tragédie"
31 «La condition critique pour créer un commun, quel qu’il soit, est la décision d’une communauté de s’engager dans des pratiques sociales visant à gérer une ressource pour le bénéfice de tous. … il n’y a pas de commun sans faire commun.»
33 «« Imaginez un pâturage ouvert à tous… » Durant au moins une génération, l’idée même des communs s’est trouvée marginalisée et discréditée comme une mauvaise manière de gérer une ressource, à travers le motif de la prétendue « tragédie des communs ». Dans un essai aussi court qu’influent, publié en 1968 dans la revue Science, l’écologue Garrett Hardin, en inventant ce slogan mémorable, redonnait une nouvelle jeunesse à un vieux mythe. « La tragédie des communs apparaît de la manière suivante », écrit Hardin en proposant à ses lecteurs d’imaginer un pâturage ouvert. On peut s’attendre à ce que chaque éleveur essaie de mettre le plus de bétail possible sur les terrains communaux. Cet arrangement peut fonctionner de manière raisonnablement satisfaisante durant des siècles, dès lors que les guerres tribales, le braconnage ou les maladies maintiennent le nombre d’hommes et d’animaux bien en deçà de ce que ces terres peuvent supporter. Mais le jour du jugement finit par arriver quand l’aspiration séculaire à la stabilité sociale devient enfin une réalité. C’est alors que la logique inhérente des communs génère irrémédiablement la tragédie. En tant qu’être rationnel, chaque éleveur cherche à maximiser ses gains. Explicitement ou implicitement, plus ou moins consciemment, il se demande : « Quelle serait l’utilité d’ajouter un animal de plus à mon troupeau ? »
L’éleveur rationnel ne peut que conclure que la seule conduite rationnelle pour lui est d’ajouter cet animal à son troupeau. Puis un autre… Telle est aussi la conclusion atteinte par chacun des éleveurs partageant ces communs. C’est en cela que réside la tragédie. Chacun de ces hommes est enfermé dans un système qui le contraint à accroître son troupeau sans limites – dans un monde qui est limité. C’est vers leur ruine que tous ces hommes se précipitent, en poursuivant leur intérêt bien compris dans une société qui croit à la liberté des communs. La liberté dans un commun entraîne la ruine de tous.»
35 «Au cours des décennies écoulées, la tragédie des communs a pris racine dans les discours des économistes, devenant un lieu commun. Cette parabole de la tragédie des communs comporte toutefois une faille significative. Elle ne décrit pas véritablement un commun. Dans le scénario fictif mis en avant par Hardin, le pâturage n’a pas de vraie délimitation, pas de règles de gestion, pas de sanction pour prévenir la surexploitation et pas de communauté d’usagers définie. Bref, ce n’est pas un commun. C’est un régime d’accès libre, où tout le monde peut se servir. Un commun entraîne des limites, des règles, des normes sociales et des sanctions contre les profiteurs. Un commun implique une communauté aspirant à gérer une ressource de manière responsable et consciencieuse. Hardin a confondu les communs avec des « no man’s land » – et, ce faisant, il a consacré leur mauvaise réputation comme mode de gestion des ressources. (les colons et les amérindiens ou les peuples des forêts primaires en Afrique ou les terres au Vietnam. Chacun pour soi. Les autochtones non pas d’âme, ne sont pas civilisés. On peut les voler)»
36 «Le problème est que l’hypothèse de base de toutes ces expériences de sciences sociales est viciée. Ces expérimentations incorporent dans leur structure même une série de présupposés relatifs à l’égoïsme, au calcul rationnel et à la décontextualisation des individus (les sujets de ces expériences n’ont pas de relations préalables ni de culture partagée). Les sujets ne sont pas non plus autorisés à communiquer entre eux, et encore moins à nouer des liens de confiance et des savoirs partagés. On ne leur donne ni le temps ni l’opportunité d’apprendre à coopérer. Ils sont isolés dans un laboratoire le temps d’une expérimentation, sans histoire partagée ni futur commun. Bref, par la manière dont elles sont conçues, la plupart de ces expérimentations présupposent une culture de marché portée par des individus « rationnels ». Elles ignorent souvent par principe les diverses manières dont, dans la vie réelle, les gens en viennent à coopérer et à partager la gestion d’une ressource.»
37 «Il n’en reste pas moins qu’une grande partie de nos théories économiques et de nos politiques publiques ont comme fondement une conception pour le moins grossière et archaïque de l’être humain. (On parle de tragédie des communs pour parler de l’impossibilité de l’individu de respecter des règles communes. Mais la vrai tragédie de ces communs c’est sa faiblesse devant les forces de l’ordre et le droit des accapareurs.)»
38 «Elinor Ostrom mérite une mention toute particulière pour la manière dont elle a contribué à élargir le cadre d’analyse des activités économiques. Dans les années 1970, la profession d’économiste était écrasée par une sorte de fondamentalisme de nature quasi religieuse. L’heure était à la célébration de modèles économiques quantitatifs extrêmement abstraits, fondés sur l’individualisme rationnel, les droits de propriété privée et les marchés libres. Elinor Ostrom, enfant de la Grande Dépression, s’était toujours intéressée aux institutions fondées sur la coopération, opérant hors du marché. Jeune chercheuse en sciences politiques au sein de l’université de l’Indiana, elle commença à remettre en question les présupposés de base de la science économique, en particulier l’idée que les gens sont incapables de coopérer de manière stable et durable. Collaborant parfois avec son époux, le chercheur Vincent Ostrom, elle initia un nouveau genre d’étude transdisciplinaire des systèmes institutionnels dédiés à la gestion des « ressources communes ». Les ressources communes (parfois désignées par l’acronyme CPR, pour l’anglais common-pool ressources) sont des ressources collectives sur lesquelles personne n’a de droit de propriété privée ni de contrôle exclusif – telles que les pêcheries, les pâturages ou les eaux souterraines, et qui sont particulièrement exposées à la surexploitation en raison de la difficulté à empêcher les gens d’y accéder. On pourrait parler de « tragédie de l’accès libre ». (Hardin lui-même admit plus tard qu’il aurait dû intituler son essai « La tragédie des communs non gérés » – ce qui aurait toutefois été une contradiction dans les termes. Je préfère la suggestion malicieuse de Lewis Hyde : « la tragédie des ressources communes non gérées, sous un régime de laisser-faire, facilement accessibles à des individus intéressés et ne communiquant pas entre eux ».)»
39 «Le défi fondamental, écrit-elle, est « comment un groupe de sujets en situation d’interdépendance peut s’organiser et se gouverner lui même pour obtenir des bénéfices collectifs durables alors que chacun est tenté de profiter, de se défiler ou plus généralement d’agir de manière opportuniste. D’autres questions se posent en relation avec la combinaison de facteurs qui contribuent à : (1) augmenter la probabilité initiale d’une autoorganisation ; (2) renforcer les capabilités des individus à maintenir leurs efforts d’autoorganisation au cours du temps ; et (3) dépasser la capacité de l’autoorganisation à résoudre les problèmes de ressources communes sans une forme quelconque d’assistance extérieure ». Se fier à l’altruisme des gens et à la coopération n’est pour les économistes qu’un signe de naïveté et d’irréalisme.»
40 «Les villageois de Törbel, en Suisse, gèrent en commun leurs forêts alpines, leurs prairies et leurs eaux d’irrigation depuis 1224.
«Comm. VS, distr. de Viège, surplombant Stalden dans le Vispertal, comprenant, outre T., neuf hameaux, dont Burge, Feld et Brunnen. 1034 Dorbia. 350 hab. en 1798, 508 en 1850, 571 en 1900, 693 en 1950, 498 en 2000. Des pierres à cupules et des tombes à cistes attestent une occupation ancienne. En 1333, T. racheta des droits de dîme à des nobles du village. L'utilisation de l'eau fut réglementée en 1392 et 1400. Les statuts communaux datent de 1463, le règlement d'exploitation des alpages et biens communaux de 1507, le coutumier de la bourgeoisie de 1531 et le premier livre des bourgeois de 1533. L'alpage d'Oberaar, qui appartenait à la communauté de vallée de Hasli, fut acquis par T. en 1514 et revendu aux Forces motrices bernoises en 1948. Au spirituel, le village releva, au XIIIe s., de Viège, puis, dès 1535, de Stalden (filiale avec curé dès 1649), avant d'être érigé en paroisse en 1686. L'église Saint-Théodule de 1642 a été remplacée en 1962. L'économie repose sur l'agriculture (exploitation des biens communaux), le tourisme (Moosalp) et, surtout, sur l'industrie (entreprise Lonza à Viège).»
Les Espagnols ont partagé l’eau d’irrigation à travers l’institution sociale des huertas durant des siècles. Ces réussites tiennent en dernière instance à la capacité des communautés à élaborer leurs propres règles, flexibles et évolutives, de gestion responsable, de supervision de l’accès et de l’usage, et de punition effective des contrevenants. Les commoneurs doivent aussi être en mesure de créer ou d’influencer les règles qui gouvernent ces communs. « Si des fonctionnaires gouvernementaux arrivent de l’extérieur et prétendent être les seuls habilités à fixer des règles, observe Ostrom, il devient très difficile pour les utilisateurs locaux de maintenir sur le long terme une ressource commune régulée. » Les communautés doivent être disposées à superviser les usages (et les abus) qui sont faits de leurs ressources et elles doivent mettre en place un système de sanctions pour punir, si possible de manière graduelle, ceux qui violeraient les règles. En cas de conflits, les communautés doivent pouvoir recourir aisément à des mécanismes d’arbitrage.»
41 «... qu’Ostrom considérait ses huit principes de conception comme des lignes directrices générales et non comme un patron à appliquer strictement pour évaluer un commun.»
42 «Il est évident aujourd’hui que le grand atout d’Ostrom lorsqu’il s’agissait d’étudier les activités économiques était son statut de non-économiste. Extérieure à la confrérie, elle était d’autant mieux placée pour voir que les théories du marché libre sont incapables d’expliquer de nombreuses choses importantes économiquement, comme notre intérêt à travailler avec d’autres et à assurer l’équité au sein d’un groupe. En tant que femme dans une discipline dominée par les hommes (le milieu universitaire des années 1960 et 1970 étant marqué par un sexisme rampant), Ostrom était aussi davantage attentive aux aspects relationnels de l’activité économique – la manière dont les gens interagissent et négocient entre eux pour produire des règles et des arrangements sociaux. Ainsi, tout en demeurant dans le cadre intellectuel de l’économie néoclassique, elle a contribué à élargir le champ de l’analyse pour intégrer des dynamiques humaines et sociales que les mandarins obsédés de chiffres considéraient avec mépris.»
43 «De manière significative, sa reconnaissance au sein de la discipline économique n’a véritablement eu lieu qu’après qu’elle a reçu le prix Nobel en 2009. Au cours des décennies précédentes, l’étude des ressources communes et de la propriété collective se situait nettement en dehors du champ d’intérêt des économistes « sérieux ». Certains économistes célèbres n’avaient même aucune idée de qui elle était quand le prix Nobel lui a été attribué. Pour les novices ou pour les économistes fanatiques du marché, les communs ne présentaient sans doute que peu d’intérêt parce qu’ils semblaient se cantonner au registre de la « subsistance », qu’ils interprétaient comme la simple survie. Mais la subsistance n’est pas nécessairement affaire de survie : elle consiste à satisfaire les besoins de son foyer. Le but n’est pas de maximiser les gains commerciaux et d’amasser de l’argent, mais de s’assurer que sa famille a suffisamment. Bien compris, les communs impliquent une pratique et une éthique de l’« autosuffisance ».»
44 «Pour nombre de ces acteurs, les communs ne sont pas un « système de gestion » ou un « régime de gouvernance » – ils sont un moyen de subsistance personnel, une identité culturelle, un mode de vie. Ils sont une manière de régénérer la démocratie. Ils sont le moyen de vivre une vie plus satisfaisante.»
«Même si les commoneurs se sont donné des objectifs et des approches très variés, la grande majorité d’entre eux aspire à construire un ordre alternatif de subsistance qui passe soit par la constitution des communs en secteur indépendant, soit par une articulation entre communs et marchés qui fasse fonctionner ces derniers de manière plus humaine et plus responsable. Certains se concentrent sur leurs propres communs, qu’il s’agisse d’une banque coopérative, d’une forêt communautaire ou d’un wiki. D’autres étudient comment le droit et les politiques publiques peuvent faciliter la constitution et la pérennisation des communs, et comment l’État pourrait jouer un rôle positif à cet égard.»
45 «...des phénomènes stimulants de fertilisation mutuelle d’idées et de partenariats, ainsi que de nouvelles compréhensions des communs eux-mêmes. Je tends à envisager ce mouvement davantage comme un mouvement vernaculaire (local autonome .. non ?) que comme un mouvement politique ou une perspective idéologique. Ivan Illich, le critique social iconoclaste, a donné une nouvelle signification au terme « vernaculaire » dans son livre de 1981, Le Travail fantôme. Critiquant les tendances déshumanisantes des institutions, Illich identifiait comme espaces vernaculaires ces zones culturelles informelles où les gens produisent naturellement leurs propres jugements moraux et agissent par leur propre humanité souveraine. C’est le domaine domestique de la subsistance, de la vie de famille et de l’éducation des enfants.»
46 «Le vernaculaire évoque un caractère d’intemporalité et de mystère et, comme vous l’avez probablement deviné, il a beaucoup à voir avec les communs. Les jardins urbains de la ville de New York ont dû lutter, par exemple, pour leur survie face à la pression des promoteurs immobiliers. Les communs constitués autour de pêcheries côtières doivent souvent se battre contre les grands chalutiers industriels qui viennent occuper leurs eaux afin d’en extraire le maximum de poissons pour les marchés internationaux plutôt que pour la consommation locale.
Les marchés et autres forces d’enclosure sont infatigables et implacables dans leurs efforts pour déconstruire et détruire les communs ; c’est une forme de concurrence qu’ils haïssent. Un commun florissant est un « mauvais exemple » parce qu’il témoigne de l’existence d’alternatives meilleures et réalistes. De leur côté, gouvernements et bureaucraties gardent jalousement leur pouvoir (et sont souvent sensibles aux arguments des acteurs du marché). Ils préfèrent généralement gérer les ressources à travers des systèmes de contrôle standardisés. Les communs leur semblent trop informels, désordonnés et imprévisibles (même si les réussites concrètes des communs démentent ces préjugés).»

III. L’enclosure des Communs
49 «la privatisation et la marchandisation de notre richesse partagée sont l’un des plus grands scandales de notre temps Ce phénomène est souvent appelé l’enclosure des communs.
L’enclosure consiste à convertir des ressources partagées et utilisées de manière large en ressources propriétaires, sous contrôle privé, traitées comme des marchandises négociables.
Le débat familier opposant la « privatisation » et la « propriété publique » ne suffit pas véritablement à rendre compte d’un tel processus, parce que la propriété d’État, antidote supposé à la privatisation, n’en est pas vraiment un en réalité.
Évoquer les enclosures, dès lors, est aussi une manière de saisir la spécificité des communs et de déplacer les débats traditionnels. C’est rendre visibles les effets antisociaux, anti-environnementaux des « marchés libres » ; c’est aussi légitimer les communs comme une alternative souvent efficace.»
50 «Aux États-Unis, par exemple, le gouvernement permet aux intérêts miniers d’extraire des minéraux des terres du domaine public sous l’égide d’une loi vieille de plus de cent quarante ans, le Mining Act de 1872. Cette loi autorise les compagnies minières à extraire de l’or, de l’argent ou du minerai de fer pour, tout simplement, 5 dollars par acre (1 acre = 4 hectares). On a estimé que les Américains avaient perdu plus de 245 milliards de dollars de revenus au cours des cent quarante années écoulées du fait de cette loi – tout en assistant à la dévastation de somptueuses montagnes et à la pollution de magnifiques rivières par les rejets miniers.
On trouve des histoires similaires à travers toute la planète, qu’il s’agisse de firmes forestières violant des forêts publiques, de compagnies pétrolières installant leurs puits de forage dans des régions sauvages immaculées, de chalutiers industriels décimant des pêcheries traditionnelles ou de multinationales de la boisson épuisant des nappes phréatiques.
La terre, l’eau, le corps humain, les espaces publics, l’atmosphère – autant de matières premières destinées à alimenter les marchés. Ce qui demeure comme résidu ou comme déchet à l’issue de cette entreprise de monétisation des ressources est rejeté dans les communs comme dans une poubelle, occasionnant de nouveaux coûts et de nouveaux risques pour les citoyens et les gouvernements.
Les enclosures tendent à se parer des atours du progrès, de l’efficacité et du développement. Mais derrière ces beaux discours se cache une réalité brutale faite d’appropriation unilatérale, d’accaparement de pouvoir à l’état brut.
Il est important de souligner que les enclosures ne sont pas seulement une appropriation de ressources. Ce sont des attaques contre les communautés et leurs pratiques et traditions de « faire commun ».»
52 «Il s’agit de traiter les gens comme des individus et des consommateurs, non plus comme des communautés partageant des intérêts non commerciaux de longue haleine.
Le terme d’« enclosure » est généralement associé au mouvement des enclosures en Angleterre, un phénomène qui s’est répété à plusieurs reprises au cours de la période médiévale et jusqu’au XIXèsiècle. Pour le dire crûment, le roi, l’aristocratie ou la petite noblesse terrienne se sont approprié les pâturages, les forêts, le gibier ou l’eau traditionnellement exploités sous forme de commun par les villageois et les ont déclarés propriété privée. Les encloseurs accaparaient parfois ces ressources avec l’approbation officielle du Parlement britannique, ou bien les prenaient parfois simplement de force.»
54 «Empêchés d’exploiter leurs communs, les villageois durent migrer vers les villes, où la révolution industrielle naissante les transformait en esclaves salariés s’ils avaient de la chance, ou en mendiants et indigents s’ils n’en avaient pas.
Autrement dit, de les transformer en créatures du marché. Les « usines sataniques » de la révolution industrielle, selon les termes du poète William Blake, voulaient des esclaves obéissants, entièrement dépendants de leurs salaires.
L’un des aspects les plus négligés des enclosures est précisément la manière dont elles ont séparé la production et la gouvernance.
Dans un commun, production et gouvernance étaient étroitement associées, et tous les commoneurs avaient part aux deux.
L’État libéral moderne était né. Et quand bien même celui-ci a amené d’importants progrès en termes de production matérielle, ces gains ont été obtenus moyennant un coût terrible : la dissolution de communautés, l’apparition de profondes inégalités sociales et l’érosion de la capacité d’autogouvernance.
La participation démocratique se cantonna essentiellement au droit de vote.»
55 «Les caractères distinctifs de ce nouvel ordre seraient bien plutôt l’individualisme, la propriété privée, et les marchés libres.
Au lieu d’être destinée principalement à un usage domestique dans un cadre social stable, la production se trouva réorientée en vue du gain privé et de l’accumulation.»
56 «Polanyi a caractérisé l’histoire des enclosures comme une « révolution des riches contre les pauvres ». « Les seigneurs et les nobles bouleversaient l’ordre social, écrit-il, foulaient aux pieds les lois et les coutumes ancestrales, en usant parfois de violence.
Karl Marx, bien sûr, a abondamment parlé des dynamiques d’accumulation capitalistique et de la manière dont elles ont façonné les lieux de travail, colonisé la vie sociale et exploité les ressources publiques. Une grande partie de ses écrits d’économie politique est consacrée aux féroces enclosures privées des communs. Et il voyait dans les collectifs modernes de travailleurs un véhicule potentiel pour créer de nouveaux types de communs. Cependant, Marx n’avait pas grand-chose à dire sur les communs eux-mêmes comme lieux de résistance ou comme source génératrice de production et de reproduction sociale. Cela s’explique sans doute par le fait qu’avec toute son époque, il était fasciné par la puissance explosive de la modernisation capitaliste.
Ils savent seulement qu’ils vivent sur ces terres depuis des temps immémoriaux.
En langage juridique, ils ont seulement des « droits d’usage coutumiers ». Ce sont les gouvernements nationaux qui détiennent les droits de propriété effectifs – et ce, en théorie, pour le compte de leurs citoyens. En réalité, la plupart des États autocratiques ou instables trouvent leur compte à ignorer leurs devoirs vis-à-vis du public et à céder de vastes surfaces de terres « inutilisées » à des étrangers. Ces transactions commerciales et la légalisation des titres fonciers leur permettent d’encaisser des revenus fiscaux. Les fonctionnaires bien placés peuvent empocher au passage des pots-de-vin appréciables. Le tout avec l’excuse de favoriser, en théorie, le « développement » et la prospérité.»
57 «Ces enclosures de terres coutumières se développent à une échelle massive – entraînant des déplacements en masse de commoneurs. On estime que 90 % des habitants de l’Afrique subsaharienne, soit 500 millions de personnes, ne disposent pas de titres officiels sur leurs terres et risquent donc l’éviction.
Quand ils sont dépossédés de leurs terres, les commoneurs ne peuvent plus cultiver et récolter leur propre nourriture, ni collecter leur eau, ni chasser leur gibier. Leurs communautés s’en trouvent brisées.
Selon les théories économiques néolibérales, convertir la terre en propriété privée et en monnaie d’échange sur le marché est un moyen d’améliorer sa productivité. Cela encouragerait les propriétaires à produire davantage et à investir dans la terre, ce qui augmenterait en retour sa valeur. Les terres exploitées de manière collective, en revanche, sont qualifiées de « terrains vagues », de « déserts ». C’est parce qu’aux yeux de la loi, personne ne les possède et n’en prend soin. Mais il suffit de lever le voile des fables néolibérales pour apercevoir des milliers de communs stables et durables, qui assurent la subsistance de millions de personnes. Sans surprise, les accaparements de terres engendrent toutes les pathologies habituellement associées aux enclosures : abus écologiques, communautés décimées, insécurité alimentaire, inégalités et migrations vers les villes en quête d’emplois et de nourriture. Les commoneurs évincés de leurs territoires se trouvent projetés dans un monde de consumérisme moderne tape-à-l’oeil et de bidonvilles misérables, tout comme l’avaient été avant eux les commoners anglais à l’aube de la révolution industrielle.»
58 «Il risque d’en découler des décennies de famine, de pauvreté et d’agitation sociale. Il fut un temps où les nations impérialistes imposaient un contrôle militaire direct sur les peuples et les ressources afin de les exploiter. À l’âge néocolonial, ce processus prend des formes plus raffinées. Avec la bénédiction de la loi, des investisseurs et des spéculateurs étrangers se contentent de négocier des transactions commerciales avec des gouvernements accueillants et intéressés, à qui le pillage des terres communautaires ne pose aucun problème. Quoi de plus lucratif que la vente à des fins privées du patrimoine public, pour un prix défiant toute concurrence ?
L’eau est une autre ressource qui pourrait faire l’objet de nouvelles enclosures si l’on cédait aux désirs de certaines firmes multinationales.»
59 «C’est en Bolivie, en 2000, que fut tirée la première salve dans une série de « guerres de l’eau » qui n’ont pas véritablement cessé depuis. La Banque mondiale, opérant en concertation étroite avec un consortiuminternational emmené par la firme multinationale de construction et d’ingénierie Bechtel, fit pression pour obtenir la privatisation du service d’eau de Cochabamba, troisième ville du pays. L’excuse invoquée était que cela encouragerait les firmes privées à améliorer le réseau et à étendre l’accès à l’eau des plus pauvres. Mais dans les « solutions fondées sur le marché », la priorité est d’accroître le taux de profit, et non le taux d’accès. Après avoir pris le contrôle du réseau d’eau de Cochabamba, Bechtel augmenta les tarifs de 50 % ou plus et interdit même la collecte des eaux de pluie dans des réservoirs sur les toits. L’eau de Cochabamba était désormais considérée strictement comme une propriété privée, appartenant à des firmes étrangères.
Un mouvement de protestation s’ensuivit immédiatement. Des milliers de gens ordinaires manifestèrent aux cris de « L’eau est la vie ! » La Coordination pour la défense de l’eau et de la vie exigea que l’administration municipale annule le contrat de quarante ans signé avec Bechtel et que l’eau revienne sous contrôle public. Les manifestants en appelaient aussi à une « réappropriation sociale de la richesse », autrement dit à un contrôle souverain du réseau d’eau et de sa gestion par les usagers et les citoyens eux-mêmes. Quelques mois seulement après les manifestations altermondialistes de Seattle en 1999, l’insurrection de Cochabamba est venue confirmer de manière éclatante que la globalisation commerciale était avant tout une occasion pour les entreprises d’accumuler les profits, non de satisfaire les besoins fondamentaux des hommes et de l’environnement de manière équitable et soutenable.
Les manifestants de Cochabamba finirent par obtenir gain de cause, imposant l’annulation du contrat avec Bechtel.» La « guerre de l’eau » à Cochabamba Mercredi 9 septembre 2009, par  Olivier Petitjean
60 «Parfois, les enclosures affectent des éléments que les communautés ne possèdent qu’à titre moral ou comme héritage, par exemple la biodiversité naturelle. Il s’agit là de ressources communes, plutôt que de communs à proprement parler, dans la mesure où les systèmes sociaux pour gérer ces ressources demeurent virtuels, non concrétisés. Les ressources communes sont particulièrement vulnérables aux enclosures en raison de l’absence de communautés organisées qui pourraient s’y opposer, de sorte qu’il semble qu’il n’y a qu’à « se servir ». Les marchés deviennent alors une force structurale qui transforme la nature à leurs propres fins.»
63 «...par principe, tout est censé produire des revenus. Inutile de préciser que la financiarisation de la nature augmenterait les tentations d’interférer avec les flux naturels et d’intensifier les pressions sur la capacité de charge des écosystèmes (utilisation optimum qu'un territoire peut tolérer sans que la ressource végétale ou le sol ne subissent de dégradation).
Si l’eau devenait une marchandise négociée sur un marché global intégré, par exemple, cela pourrait avoir pour résultat de bouleverser les écosystèmes locaux.»

IV. Les enclosures d’espaces et d’infrastructures publics
Villes (panneaux publicitaires, parcmètres …) … autoroutes … Internet …
65 «Les villes constituent aujourd’hui l’une des cibles les plus vivement contestées des enclosures commerciales. Les places publiques, parcs, promenades, stades, et même les caractéristiques emblématiques et l’identité des villes se trouvent l’objet des assauts complices d’une coalition d’entreprises, de politiciens, de promoteurs immobiliers, de planificateurs et d’architectes. « Aménagement » et « progrès » sont les mots d’ordre – ou, plus exactement, les slogans de relations publiques – d’une recherche de suprématie des entreprises et de croissance du marché immobilier.
Dans de nombreuses villes, les marques commerciales ont envahi des espaces publics …»
73 «...les enclosures modernes reposent sur des méthodes radicalement différentes des enclosures médiévales. Au lieu de murs de pierre et de barrières, les enclosures s’effectuent de nos jours au moyen de traités de commerce, de lois sur la propriété intellectuelle et de fusions-acquisitions. Mais elles restent accompagnées de pratiques qui ne sont que trop familières : les procédés insidieux, la complexité délibérée et les grands discours aussi éloquents que trompeurs.»

V. Les enclosures du savoir et de la culture
75 «Si vous avez déjà chanté Joyeux anniversaire dans un restaurant ou dans un parc, vous êtes – du point de vue de l’industrie du divertissement – un « pirate ». En effet, le groupe Warner Music détient les droits sur cette chanson. Joyeux anniversaire fut créé en 1858 par deux soeurs, Mildred et Patty Hill, qui s’étaient inspirées de chansons folkloriques afro-américaines et d’un morceau intitulé Good Morning to All. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce fragment de musique venu du milieu du xixe siècle, conçu à l’origine pour les enfants des écoles, restera un objet de propriété privée jusqu’à ce qu’il entre dans le domaine public, en 2030 – cent soixante-douze ans après sa composition « originale ».
D’ici là, Warner Music engrange environ 5 000 dollars par jour de royalties grâce à Joyeux anniversaire, soit près de 2 millions de dollars par an. Les juristes spécialisés dans les questions de copyright ne semblent pas remarquer que la seule raison pour laquelle cette chanson a une valeur commerciale quelconque est qu’elle a circulé librement durant des générations entières dans les foyers, bastion de résistance des traditions culturelles hors du marché.
L’exemple de Joyeux anniversaire n’a, hélas, rien d’exceptionnel. Ce n’est qu’une des innombrables enclosures contemporaines de la culture.»
76 «Un épisode similaire a eu lieu en France, où élèves et professeurs avaient l’habitude d’entonner Adieu, monsieur le professeur, chanson écrite et popularisée par Hugues Aufray à la fin des années 1960, lors de la retraite d’un enseignant. La Sacem – équivalent français de l’ASCAP – a essayé de facturer les écoles 75 euros pour chaque « performance publique » de la chanson.»
77 «Le grand chanteur folk américain Woody Guthrie reconnaissait fièrement que sa musique était composée de morceaux et de fragments issus des vieux maîtres du blues, des chansons hillbilly et de la musique des cow-boys. Dénonçant l’éthique commerciale qui dominait déjà à son époque l’industrie musicale, Guthrie écrivait : « Cette chanson est sous copyright aux États-Unis… pour une période de vingt-huit ans, et quiconque sera pris en train de la chanter sans notre permission sera traité comme un bon ami, parce que nous n’en avons rien à faire. Publiez-la. Écrivez-la. Chantez-la. Dansez-la. Jodlez-la. »
La période de vingt-huit ans de protection du copyright qui faisait loi à l’époque de Guthrie a aujourd’hui été étendue à la durée de l’existence de l’auteur plus soixante-dix ans. Il serait prétendument nécessaire de pousser le contrôle monopolistique à ce degré aberrant pour motiver les auteurs à créer. Selon la loi actuelle, je n’aurais pas suffisamment de motivation à écrire ce livre si je ne pouvais bénéficier de la protection de mon copyright jusqu’en 2100.»
78 «Nos inclinations humaines naturelles à l’imitation et au partage – l’essence même de la culture – s’en sont trouvées criminalisées.
Le spécialiste du copyright James Boyle a affirmé dans un essai célèbre que nous sommes au beau milieu d’un « second mouvement des enclosures ». Le premier était, bien sûr, celui des enclosures des terres en Angleterre. Le second, actuellement en cours, est la surprivatisation (autrement dit la « corporatisation ») des oeuvres de création, de l’information et du savoir.»
80 «L’un des exemples les plus choquants de cette logique fut la campagne féroce menée par l’entreprise Disney vers le milieu des années 1990 pour accroître de vingt ans la durée de protection du copyright. La firme s’inquiétait parce que son personnage emblématique Mickey Mouse – apparu pour la première fois en 1928 dans le court-métrage d’animation Steamboat Willie – devait passer dans le domaine public en 2004. Pluto, Dingo et Donald devaient connaître le même sort en 2009. Pour empêcher que ses personnages de dessin animé ne deviennent publiquement disponibles, Disney lança une campagne agressive de lobbying pour obtenir l’adoption d’une « loi sur l’extension de la durée du copyright », le Copyright Term Extension Act. L’entreprise sortit le grand jeu politique, contribuant financièrement aux campagnes de la plupart des sponsors de cette législation au Congrès, et finit par parvenir à ses fins avec le passage de la loi en 1998. On estime que ce sont près de 400 000 livres, films et chansons qui resteront en conséquence sous propriété et contrôle privés jusqu’au moins en 2018, alors qu’ils auraient dû passer dans le domaine public – un bonus de plusieurs dizaines de milliards de dollars pour les détenteurs de ces copyrights.
Ironiquement, le copyright est censé stimuler la création en récompensant ses auteurs. Mais il est littéralement impossible que cette loi puisse vraiment inciter George Gershwin, Joseph Conrad, Robert Frost, Lewis Carroll ou encore F. Scott Fitzgerald à créer de nouvelles oeuvres. Ils sont morts depuis longtemps. Cette extension de la durée du copyright n’est qu’un exemple particulièrement cru de protection des intérêts commerciaux des entreprises. Pour protéger les 3 % d’oeuvres des années 1920 et 1930 qui avaient encore une valeur commerciale, Disney et ses alliés ont réussi à verrouiller toutes les oeuvres de cette période, y compris les 97 % d’entre elles qui ne sont plus commercialisées.»
81 «Une autre législation mise à profit pour étouffer les communs culturels et protéger les intérêts des industriels est la législation relative aux marques déposées, qui régit l’usage des noms et des logos utilisés pour identifier les entreprises et les produits vendus sous marque. Son objectif théorique (et tout à fait légitime) est de prévenir les contrefaçons et les tromperies commerciales. Mais les grandes entreprises l’utilisent de plus en plus pour contrôler leur image publique et empêcher les gens ordinaires de critiquer ou de moquer leurs produits. L’entreprise Mattel, par exemple, n’hésite pas à poursuivre quiconque utilise des images de poupées Barbie ou le nom « Barbie » sans autorisation, même quand c’est à des fins parodiques ou de critique sociale. Il y a quelques années, elle s’est attaquée à un photographe qui avait monté une exposition photographique avec des images de poupées Barbie dans une série de positions incongrues ou sexuelles. Mattel a également fait pression sur un petit éditeur pour qu’il modifie le sous-titre d’un livre sur l’anorexie et les désordres alimentaires, parce qu’il utilisait le mot « Barbie ».
Le célèbre magazine newyorkais Village Voice a essayé naguère d’empêcher le Cape Cod Voice et d’autres journaux locaux américains d’utiliser le terme Voice (voix).
C’est à se demander si Andy Warhol aurait jamais été autorisé à peindre ses boîtes de soupe Campbell si les lois d’aujourd’hui avaient été en vigueur il y a cinquante ans.»
84 «Même si ce sont les contribuables qui financent les plus importantes avancées pharmaceutiques, les brevets sont souvent la propriété de ces universités et de ces entreprises, et les médicaments vendus à des prix exorbitants. Les contribuables américains ont ainsi financé la recherche qui a produit nombre de traitements contre les anomalies génétiques, la dépression (Prozac et Zantac), le diabète, l’hypertension (Enalapril et Captopril), des antiviraux (Aciclovir), des traitements contre le cancer (Taxol/Paclitaxel) ou les glaucomes (Xalatan) – mais les brevets sur ces médicaments appartiennent aux entreprises et à leurs actionnaires.»
85 «L’élite des professeurs de médecine bénéficie de généreux contrats de consultants et autres avantages en nature payés par ces firmes. Sans surprise, ils mettent systématiquement en exergue les vertus des thérapies médicamenteuses face à des alternatives moins coûteuses et parfois plus efficaces.»
86 «La marchandisation des universités illustre le rôle déterminant que l’État peut jouer, soit pour favoriser les enclosures, soit au contraire pour défendre les communs. Historiquement, l’État a encouragé les communs de la recherche académique en construisant des bâtiments universitaires, en finançant des recherches et en se posant comme le garant de l’indépendance académique. L’histoire démontre ainsi que l’État et les communs peuvent nouer des relations constructives. Mais l’État peut aussi, quand ses tendances les plus obscurantistes prennent le dessus, entériner et accélérer la privatisation de la recherche universitaire en encouragent le dépôt de brevets sur ses résultats et les partenariats avec les entreprises.»
87 «Parfois, la « performance » des communs peut certes être moindre, mais dans tous les cas, les communs sont porteurs de valeurs non mesurables, qualitatives et particulières, qui échappent aux économistes et aux politiciens. Le plus grand défi auquel nous sommes confrontés est de trouver de nouveaux moyens de protéger l’intégrité des communs et la richesse que, parfois de manière invisible, ceux-ci produisent.»

VI. L’histoire éclipsée des communs
89 «L’un des aspects les plus insidieux des enclosures est qu’elles contribuent à effacer la culture et la mémoire des communs. Les comportements acceptés et attendus, les pratiques sociales qui unissaient une communauté, les traditions culturelles qui l’enracinaient dans un paysage, les normes éthiques qui la dotaient d’une identité stable – tout est balayé pour laisser libre cours à une culture de marché totalitaire. Les habitudes collectives cèdent la place à l’individualisme.»
90 «Entre la logique des communs et les impératifs propres des systèmes qui les accueillent (qu’il s’agisse de seigneurs féodaux, de marchés technologiques ou de loi nationales), il y a souvent une profonde « tension créative ».De nombreux communs prospèrent précisément dans les interstices du pouvoir, dans des « zones protégées » tolérées ou négligées par le pouvoir, ou accidentellement éloignées de celui-ci.
Depuis l’aube de la civilisation, les hommes ont cherché à protéger, à travers leurs traditions juridiques, les intérêts partagés de la collectivité et des générations futures. L’impulsion humaine à coopérer s’exprime rarement sous des formes purement altruistes ; elle tend à s’exercer en tension créative avec l’individualisme et le pouvoir. Pourtant, bien que nous ayons l’habitude d’opposer diamétralement « individualisme » et « collectivisme », au sein des communs ils tendent à se fondre et à s’entremêler inextricablement. Loin de s’exclure mutuellement, ils se complètent de manière dynamique, un peu comme « le yin et le yang ».»
91 «Du fait de l’instabilité inhérente des systèmes fondés sur le marché, il est inévitable que l’humanité (ou du moins l’Occident industrialisé) redécouvre un jour les vertus de la coopération humaine.»

VII. L’empire de la propriété privée
107 «La terre peut très bien être gérée sous la forme d’une fiducie (transfert de propriété soumis à des conditions d'usage ou de durée) au profit du public et des générations futures. Elle peut être gérée à travers des pratiques et des traditions culturelles qui voient en elle un don sacré de la nature, comme c’est souvent le cas chez les peuples indigènes. Elle peut être gérée à travers l’allocation de droits d’usage spécifiques et limités, comme c’est souvent le cas au sein de collectifs agricoles.
(Élaguer le problème de la propriété privée en la réduisant à l’habitat (et encore) : ) Celui-ci tient bien souvent lieu d’euphémisme pour la propriété d’entreprise – laquelle constitue, bien entendu, un phénomène bien plus vaste, bien plus puissant et bien plus problématique que la propriété personnelle des ménages.»
108 «Comme l’observait en 1659 Gerrard Winstanley, leader du courant égalitariste chrétien des Diggers durant la Révolution anglaise, les droits de propriété n’adviennent pas naturellement. Ils sont l’effet de la conquête : « Car c’est par le glaive que vos ancêtres ont introduit dans la création le pouvoir d’enclore la terre et de posséder une propriété. » C’est aussi la leçon du poème de Goethe intitulé Catéchisme, qui met en scène une conversation entre un enseignant et un enfant : « Penses-y, enfant ! D’où viennent ces dons ? Rien ne peut provenir de toi seul. » Quand l’enfant répond qu’ils viennent de papa et que papa les a eus de grand-papa, l’enseignant demande d’où grand-papa les a reçus. L’enfant : « Il les a tous pris. » On peut considérer que l’origine véritable de bien des droits de propriété privée est à rechercher dans l’appropriation unilatérale – éventuellement recouverte d’un vêtement légal plus ou moins sophistiqué.
(Perte du sacré : ) Certes, il arrive que les gens choisissent en toute connaissance de cause un régime de propriété privée, quoique sans toujours se rendre compte pleinement des ramifications sociales ultimes de ce choix. Par exemple, il y a une génération, de nombreux autochtones de l’État de l’Alaska acceptèrent l’idée d’administrer leurs terres et leurs ressources traditionnelles à travers des « entreprises indigènes » – transformation qui amena avec elle une mauvaise gestion des ressources, la corruption, les inégalités et, dans certains cas, la dépossession pure et simple, dès lors que des investisseurs extérieurs pouvaient acheter des terres désormais considérées comme des marchandises, et non plus comme un patrimoine sacré. De manière similaire, la succession de Martin Luther King, gérée par ses enfants, a traité ses écrits, ses photographies et ses enregistrements audio comme des objets commerciaux à vendre au plus offrant, sous prétexte de préserver son héritage. Ils ont même déposé un copyright sur le célèbre discours I have a dream et, à une occasion, ils en ont cédé les droits sous licence à une compagnie de télécommunications pour une campagne publicitaire à la télévision et dans les journaux.»
109 «Les droits de propriété privée ne sont pas nécessairement contradictoires avec l’idée des communs. En fait, je pense que les deux peuvent être parfaitement compatibles et même se compléter harmonieusement. Il suffit de penser aux land trusts ou « fiducies foncières » dans les pays anglo-saxons (« propriété privée à l’extérieur, commun à l’intérieur »), aux textes et musiques numériques que leur créateur peut laisser sous copyright tout en les rendant légalement partageables à travers les licences Creative Commons, ou encore aux coopératives (des entreprises commerciales possédées et gérées par leurs membres en vue de leur propre avantage collectif).»
110 «C’est pourquoi, du moins dans le contexte des États libéraux modernes, protéger les communs des enclosures a souvent nécessité beaucoup d’acrobaties juridiques. la propriété privée et les communs ne sont pas simplement une image inversée l’un de l’autre.
Les communs ne sont pas une « non-propriété », comme l’ont prétendu certains. La « non-propriété », c’est la foire d’empoigne ou le no man’s land que Garrett Hardin considérait, à tort, comme la vérité des communs. Non : les communs ne sont pas seulement une variante supplémentaire de propriété.
Tout d’abord, dans les communs, il s’agit moins de possession au sens habituel du terme que de gestion responsable. Demandez à des peuples indigènes s’ils « possèdent » leur terre, ils vous répondront que c’est leur terre qui les possède.
Les communs impliquent un engagement moral personnel vis-à-vis d’une ressource, dans une perspective de long terme. Ils impliquent aussi un ensemble plus riche et plus durable de relations éthiques et sociales avec les autres que ce n’est généralement le cas avec la propriété privée.»
111 «Les communs nous poussent à envisager un paradigme social et moral différent. Ils nous engagent à adopter des règles sociales compatibles avec des valeurs, des normes et des pratiques plus coopératives, plus civiques et plus inclusives. Les communs nous invitent à rejeter l’Homo economicus comme idéal par défaut du comportement humain. Ils nous proposent de caresser l’idée que certains droits devraient être inaliénables – autrement dit, pas à vendre – et que certaines valeurs sociales devraient primer sur les droits de propriété privée. C’est le défi auquel sont confrontés une grande partie des défenseurs des droits de l’homme – faire reconnaître la dignité humaine, le respect, la réciprocité et la justice sociale comme des besoins humains fondamentaux devant être protégés par la loi.»
113 «Dès lors, bien que les peuples indigènes et les paysans aient géré la terre, l’eau, les pêcheries, les forêts et autres ressources naturelles comme des communs depuis des temps immémoriaux – souvent sans titre légal –, les impérialistes occidentaux se sont sentis confortés par la fiction légale selon laquelle la terre n'appartient à personne – et donc il n'y aurait qu'à venir la prendre. La théorie lockéenne de la propriété ignore donc délibérément les coutumes et les droits d’usage Il soulève ainsi un problème délicat qu’il aurait probablement préféré ignorer, à savoir que l’exercice de la propriété privée peut empiéter sur – et même détruire – des ressources qui appartiennent à tous.»
114 «C’est ainsi que la « liberté » de la propriété privée est utilisée pour trahir et déposséder les commoneurs, comme on le voit, par exemple, avec l’accaparement international des terres coutumières en Afrique.»
116 «Après tout, le prix ne mesure que la « valeur d’échange ». Il ne mesure pas réellement la valeur d’usage. C’est ainsi que le grand récit de l’économie conventionnelle célèbre le produit intérieur brut, qui totalise la valeur de toute l’activité de marché, comme le summum du progrès humain. Peu importe si cette activité est véritablement avantageuse pour la société ou non. Il s’agit seulement de mesurer si l’argent a changé de main – en présupposant que de la richesse nouvelle et utile ne peut manquer d’avoir été créée au passage. À cette aune, la marée noire du golfe du Mexique et l’accident nucléaire de Fukushima devaient être considérés comme « bons », parce qu’ils ont fini par stimuler l’activité économique.
John Ruskin a proposé le terme d’illth, ou antirichesse (en opposition et en parallèle à wealth, « richesse »), pour caractériser les maux non mesurés et non intentionnels causés par les marchés. Le problème du système des prix, lorsqu’il est assujetti à la propriété privée, est qu’il génère autant d’antirichesse que de richesse – mais cette antirichesse n’est jamais mesurée. Elle est hors comptabilité. La profitabilité d’une entreprise et le PIB d’une nation ne reflètent que la richesse monétisée générée par les marchés ; ils omettent délibérément l’antirichesse non commerciale. Ces maux affectent principalement les communs, puisque les marchés prennent ce qu’ils peuvent de la nature, gratuitement, sans reconnaître sa valeur réelle (la nature étant considérée comme une res nullius (une chose sans propriétaire mais qui est néanmoins appropriable)). Une fois les profits engrangés et privatisés, le marché rejette ensuite ses déchets et ses perturbations dans les communs, laissant aux gouvernements et aux commoneurs la tâche de réparer les dégâts.»
117 «En tant qu’institutions sociales, les communs sont également plus enclins à promouvoir la gestion durable à long terme d’une ressource que des investisseurs, dans la mesure où la gestion de cette ressource engage l’identité et la culture mêmes des commoneurs. Les investisseurs se soucient avant tout de retours financiers, tout le reste (conditions de travail, sécurité des produits, enjeux écologiques, etc.) demeurant secondaire.
La question à l’ordre du jour est donc celle de la création de systèmes appropriés de protection des communs contre les empiètements des marchés. De quels moyens disposent les commoneurs pour protéger les choses qu’ils aiment ?»

VIII. L’essor des communs numériques
124 «Torvalds mit son programme, Linux, sous licence GPL. En le combinant avec différentes séquences de codes, y compris un certain nombre que Stallman avait lui-même écrites, il en résulta un commun de codes qui était un système d’exploitation complet à part entière. Linux (ou GNU/Linux, pour Stallman) finit par devenir l’un des plus puissants et des plus respectés logiciels à code source ouvert de l’histoire. Il est aujourd’hui utilisé sur des millions de serveurs Web et par de grandes firmes, la Nasa, Pixar et autres usagers extrêmement sophistiqués, dans le monde entier.
Le logiciel libre, au sens de la licence GPL, donna rapidement naissance à un corpus de codes similaire d’un point de vue légal et connu sous le nom de logiciel open source, ou « à code source ouvert ». La principale différence entre les deux est que les promoteurs du second préfèrent éviter l’usage du terme « libre », qui non seulement prête à confusion (notamment en anglais, où il peut sembler signifier « gratuit »), mais suggère aussi une qualité inférieure. Les défenseurs de l’open source voulaient rendre les logiciels d’origine communautaire plus attractifs et plus crédibles pour les utilisateurs institutionnels ou les grandes entreprises. Ils se souciaient relativement peu de la dimension politique du mouvement du logiciel libre initié par Stallman, mais étaient en revanche désireux de faire valoir l’utilité pratique des logiciels partagés.
Le logiciel à code source ouvert est devenu depuis l’un des moteurs de l’économie des nouvelles technologies, et ce, bien qu’il n’implique aucun coût d’accès et d’usage. De grandes firmes comme IBM, Oracle et Hewlett-Packard se sont construit des marchés lucratifs à partir des programmes open source en proposant une assistance technique ou des extensions sur mesure.»

IX. Les multiples galaxies des communs
133 «Auparavant, un avertissement méthodologique s’impose. Certains semblent penser qu’il pourrait exister un système de classification naturel et logique des communs. Je doute fortement que cela soit possible – ou, du moins, je pense que tout système de classification de ce type ne sera nécessairement que le reflet des préjugés de son auteur. Un Africain aura une cartographie mentale des communs très différente de celle d’un Européen, et tous deux auront un point de vue différent de celui d’un Américain. Les systèmes de classification tendent à imposer avec eux une conception trop bien ordonnée, harmonieuse et intellectuelle des communs, alors que ceux-ci sont toujours en dernière instance, de mon point de vue, expérientiels et historiquement situés.»
135 (les subsistances dépassent-elles la sphère « indigène »)
« Pour un esprit moderne, les communs de subsistance paraissent souvent dépassés ou rétrogrades. À de nombreux égards, c’est précisément ce qui fait leur force – en appeler à des normes sociales préalables à la société de marché, qui mettent des barrières à l’activité de marché. Pour les commoneurs, maximiser la valeur commerciale n’est jamais le but ultime ; les objectifs communautaires et les besoins écologiques priment. Ils n’utilisent que ce dont ils ont besoin et protègent leurs ressources. C’est une réussite remarquable à l’époque où nous vivons : développer une éthique de l’autosuffisance.
La plupart des économistes se désintéressent des communs de subsistance, sans doute parce qu’ils les perçoivent comme nécessairement limités, isolés et déconnectés des marchés. Quel ennui ! La valeur des communs de subsistance ne s’exprime pas au moyen de chiffres. Le cadre économique conventionnel n’a aucun moyen de saisir l’importance de l’autodétermination des communautés, de la résilience écologique, de l’équité sociale et de la relation culturelle au lieu.
Et pourtant, les communs de subsistance opérant en dehors du système du marché, sans droits de propriété privée et quasiment sans argent, ont une importance vitale pour environ 2 milliards de personnes dans le monde, selon l’Association internationale pour l’étude des communs. Il faut rappeler que les communs de subsistance peuvent varier énormément et qu’ils ne sont pas exempts de problèmes. Certains auraient besoin de revoir leur système de gouvernance ;»
139 (En France échange de temps)
« Les systèmes de don de sang et d’organes constituent un autre commun social exemplaire. Même si les organes ou le plasma sont parfois traités comme des marchandises, les systèmes de don volontaire continuent à prévaloir, parce que nous considérons que ces éléments humains doivent relever d’un don social.»
140 covoiturage
142 «Mon point de vue est que peu de communs peuvent fonctionner dans un isolement total par rapport au reste de la société et aux marchés. Pratiquement, tous les communs sont des hybrides qui dépendent dans une certaine mesure de l’État ou des marchés. L’enjeu fondamental est dès lors de s’assurer que les communs disposent du maximum d’autonomie possible et que leur raison d’être demeure intacte. S’ils doivent entrer en interaction avec les marchés, ils doivent être capables de résister aux enclosures, au consumérisme, à l’appât de l’accumulation et aux autres pathologies habituelles du capitalisme.
Parvenir à un rapprochement soutenable entre communs et marchés est un défi complexe. Il est utile de rappeler que les marchés ne sont pas forcément réductibles au capitalisme. Ils peuvent très bien être locaux, équitables, réactifs vis-à-vis des besoins des communautés et responsables vis-à-vis de ces dernières.»
143 «À l’époque médiévale, les commoneurs avaient l’habitude de « battre les bornes » – autrement dit, de parcourir le périmètre de leurs terres ou de leurs forêts communales – à titre de célébration communautaire annuelle, ce qui constituait aussi, en même temps, une occasion de patrouiller aux frontières de leurs communs. Si quiconque avait essayé de clôturer le commun avec une barrière ou une haie privée, ils détruisaient ces dernières pour rétablir l’intégrité de leur commun. Cela illustre encore une fois l’importance de ce que la communauté veille elle-même à l’exécution des règles et des limites collectives.
Notre tâche aujourd’hui est d’inventer des équivalents modernes de ce « battage des bornes».»
144 «Dans chaque cas, l’objectif de ces règles est de préserver la ressource et la communauté en excluant les acteurs extérieurs qui n’ont pas investi leur énergie dans la culture des communs ou qui se comportent comme des vandales ou des profiteurs.»

X. Les communs, une manière différente de voir et d’être
156 La métaphysique des communs
« Il est impossible, dans le cadre de ce court chapitre, d’aborder dans toute leur complexité les questions métaphysiques (qu’est-ce qu’il y a derrière le visible ?) et épistémologiques (philosophie des sciences – qu’est-ce qui se cache derrière tes méthodes de recherche ?) soulevées par les communs. À vrai dire, ces questions demeurent quelque peu entourées de mystère, du moins pour ceux d’entre nous qui sont enfermés dans la conception occidentale, moderne et scientifique du monde. Notre culture et notre langage ne nous outillent pas pour percevoir les racines humanistes des communs. Il est néanmoins possible d’y entrevoir des manières très différentes de voir, d’agir et d’être dans le monde.»
164 «Historiquement, les États ont eu très peu à voir avec les communs, à part tolérer leur existence ou collaborer avec les acteurs du marché (entreprises, investisseurs, industries) pour les enclore
171 L’avenir des communs
«... à Rajendra Singh et à son organisation, la Young India Association (Association jeune Inde), qui a restauré le fleuve Arvari presque asséché en appliquant les principes des communs ; ou aux étudiants du Hampshire College qui ont fondé Co-Cycle, un projet consistant à emmener des jeunes faire des circuits à vélo à travers les Etats-Unis pour promouvoir le cyclisme et les coopératives.»
174 «Plus les gens auront une expérience personnelle pratique du faire commun, de quelque ordre qu’il soit, meilleure sera la compréhension publique des communs. Les nommer, c’est déjà commencer à se les (ré)approprier.
Les perspectives de changement politique significatif demeurent bien faibles dans la plupart des sociétés du monde. Le projet néolibéral n’est manifestement pas à la hauteur de ses prétentions utopiques de progrès et de prospérité pour tous, et pourtant les critiques traditionnels du néolibéralisme et les progressistes ne donnent pas l’impression de pouvoir tracer les nouveaux chemins dont nous avons besoin. J’ai bien peur que la plupart d’entre eux ne soient trop fatigués intellectuellement, démoralisés politiquement, ou affaiblis par leur désir de ne pas paraître marginaux dans le monde du pouvoir ou de la respectabilité.
Les communs offrent un moyen puissant de reconceptualiser la gouvernance, l’économie et les politiques publiques à une époque où l’ordre existant s’avère incapable de se réformer lui-même. Ils nous donnent la possibilité de revitaliser la pratique démocratique à l’heure où les institutions politiques conventionnelles paraissent dysfonctionnelles, corrompues, résistantes à la réforme, ou les trois à la fois. Ils apportent la démonstration que les sociétés peuvent réellement mobiliser la coopération et les énergies de la base pour résoudre leurs problèmes»
179«...  les communs en quelques mots
Les communs, c’est :
– un système social en vue de la gestion responsable à long terme des ressources, qui préserve les valeurs partagées et l’identité d’une communauté ;
– un système autoorganisé par lequel des communautés gèrent leurs ressources (épuisables ou renouvelables) de manière indépendante de l’État et du marché, ou dans une dépendance minimale vis-à-vis d’eux ;
– la richesse dont nous héritons ou que nous créons ensemble et que nous devons transmettre, intacte ou augmentée, à nos enfants. Notre richesse collective inclut les dons de la nature, les infrastructures civiques, les œuvres et traditions culturelles, le savoir ;
– un secteur de l’économie (et de la vie !) qui crée de la valeur de manière souvent considérée comme allant de soi – mais qui est souvent compromise par l’État/marché.
Il ne peut exister d’inventaire exhaustif (sans en oublier) des communs, parce qu’un commun peut émerger n’importe où dès lors qu’une communauté décide qu’elle souhaite gérer une ressource de manière collective, dans une optique d’accès et d’usage équitables et durables.
Les communs ne sont pas des ressources. Ce sont des ressources plus une communauté définie et les protocoles, valeurs et normes inventés par cette communauté pour gérer ces ressources. Il y a un besoin urgent de gérer certaines ressources – l’atmosphère, les océans, le savoir génétique, la biodiversité – comme des communs.
Il n’est pas de communs sans « faire commun » – les pratiques et normes sociales pour la gestion d’une ressource en vue de l’avantage collectif. Les formes du faire commun varient d’un commun à l’autre en raison de la diversité même de l’humanité. Il n’existe pas de « modèle type » en matière decommuns, seulement des « affinités fractales » ou des motifs partagés. Les communs doivent ainsi être conçus comme un verbe au moins autant que comme un nom. Ils doivent être animés par la participation à la base, la responsabilité personnelle, la transparence, l’autorégulation et la reddition de comptes.
L’enclosure des communs constitue l’un des problèmes les plus cruciaux et les plus négligés de notre époque. Il s’agit de l’expropriation et de la commercialisation de ressources partagées, le plus souvent en vue d’un profit commercial privé. Les enclosures se manifestent, entre mille exemples, par le brevetage des gènes et des formes de vie, l’usage des copyrights pour verrouiller la créativité et la culture, la privatisation de l’eau et de la terre, ou encore les tentatives pour transformer l’Internet ouvert en un espace de marché fermé et propriétaire.
Les enclosures sont une forme de dépossession. Elles signifient la privatisation et la marchandisation de ressources qui appartiennent à une communauté ou à tout le monde, ainsi que le démantèlement de la culture des communs (coproduction et cogouvernance égalitaire) au profit de l’ordre de marché (relations producteur/consommateur et hiérarchies fondées sur l’argent). Les marchés tendent à faire peu de cas des localités, des cultures et des modes de vie ; pour de nombreux commoneurs, ce sont pourtant là les choses les plus essentielles.
Les communs classiques sont des communs à petite échelle, constitués autour de ressources naturelles. On estime que 2 milliards de personnes dépendent de communs – forêts, pêcheries, eau, gibier et autres – pour leur subsistance quotidienne. Mais il existe d’autres types de communs dans les villes, les universités, les infrastructures ou les traditions sociales. Les communs fondés sur Internet et les technologies numériques constituent aujourd’hui l’un des types les plus solides de communs, car ces technologies permettent aux commoneurs de créer un important patrimoine de connaissances et de biens partagés.
Pour les commoneurs, la tâche politique immédiate est de trouver les nouvelles structures juridiques, institutionnelles ou sociales qui puissent permettre à divers types de communs d’opérer à une échelle plus importante, de protéger leurs ressources des enclosures du marché, et de garantir la puissance générative de leurs communs.
De nouvelles formes et de nouvelles pratiques de communs sont nécessaires à tous les niveaux – local, régional, national et global.
Il y a également besoin de nouvelles formes de fédérations entre commoneurs et de liens entre les différentes échelles de communs. Des communs transnationaux sont indispensables pour porter nos modes de gouvernance à la hauteur des réalités écologiques et pour servir de force de réconciliation au-delà des frontières politiques. Pour garantir l’actualité des communs et prévenir les enclosures, il nous faut donc des innovations dans le domaine du droit, des politiques publiques, de la gouvernance, des pratiques sociales et de la culture. Ces innovations devront refléter une vision du monde très différente de celle qui prévaut dans les systèmes de gouvernance d’aujourd’hui, notamment ceux de l’État/marché.»

2016

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