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Aristote

Pour Bertrand Russell dans DE LA FUMISTERIE INTELLECTUELLE «Aristote, malgré le prestige dont nous le parons, n’est jamais à court de fadaises. Il recommande de concevoir les enfants en hiver, quand le vent souffle du nord, et promet aux couples mariés trop jeunes qu’ils engendreront des filles. À l’en croire, le sang des femelles est plus sombre que celui des mâles ; le cochon est le seul animal susceptible d’attraper la rougeole ; les insomnies d’un éléphant se guérissent en lui appliquant un onguent de sel, d’huile d’olive et d’eau chaude ; les femmes ont moins de dents que les hommes ; etc. Toutes ces fadaises n’ont pas empêché les philosophes de saluer en Aristote un parangon de sagesse.»

Le magazine littéraire 472 février 2008
page 29 La Forme par Arnaud Macé : (eidos, morphe) «Aristote, après Platon, est un philosophe de la forme, mais il tient à souligner que les formes, selon lui, ne sont pas séparées des choses sensibles comme les formes platoniciennes, mais en constituent les structures immanentes. La forme, qui doit être distinguée de la simple configuration (skhèma), s'identifie à la définition de l'essence de la chose. Chez les vivants, c'est le principe vital, l'âme, qui leur permet d'assurer leur fonction. Pour l'artefact, la forme de la maison consiste dans le fait qu'elle soit faite de telle sorte qu'elle puisse accomplir sa fonction, être un abri, et la matière(les briques) et la configuration de celles-ci découlent de cette cause formelle. La forme. en tant qu'espèce (eidos) est aussi le concept par lequel nous disons l'être de chaque chose.»
Philosophie magazine N°129 mai 2019 Anne Merker «Aristote a été l’un de ses plus brillants élèves à l’Académie [de Platon], et comme tout brillant élève, il s’est émancipé du maître avec fracas, se déclarant « ami de Platon, mais encore plus de la vérité ». C’est notamment autour la notion d’eidos que se joue le désaccord. On le traduit souvent chez Platon par Idée et chez Aristote par Forme, afin de les distinguer. L’eidos platonicien est une réalité intelligible et immuable dont la manifestation sensible n’est que le pâle reflet. L’eidos aristotélicien s’ancre davantage dans la matière pour donner leur forme aux objets.»
54 Qu'est-ce que l'éthique par Anne Merker
«Nous sommes là en deçà de l'acception moderne du terme « éthique ». empreint de dignité et pointant vers des considérations élevées relevant de la morale en ce qu'elle a de plus exigeant. C'est donc simplement l'étude des caractères.»
«… le caractère est une qualité complexe en ce qu'il résulte d'une relation interne à des composantes psychiques hétérogènes. L'âme humaine, la psyché de l'être humain, n'est en effet pas uniforme. Il y a en nous une faculté de penser. c'est à-dire non pas la simple conscience. que tout être doué de sensation a en partage, mais une faculté rationnelle capable de saisir des rapports de causalité, capable de saisir des principes, de se demander « pourquoi? » et de remonter, par la chaîne de cette question répétée, à une origine et un principe premier.»
«Malgré ce partage de ses facultés avec ce qui vaut moins que lui (la bête) et avec ce qui vaut mieux que lui (le dieu), l'humain présente une particularité insigne : il est le seul vivant qui réunisse en lui à la fois du désir et de la pensée rationnelle. quand la bête a certes du désir sans avoir de pensée, et quand le dieu a de la pensée, car il est pensée, sans avoir de désir, puisqu'il n'a rien à désirer : il est parfait, achevé, ne manquant de rien . L'humain, lui, est marqué par le besoin, le manque, il n'est pas autarcique, et du fait de cette condition qu'il partage avec tous les vivants mortels, il a du désir. Or l’éthos [la manière d'être], c'est précisément la relation entre le désir et la pensée intellectuelle, l’éthos est la qualité de notre désir en tant qu'il suit, ou ne suit pas, la raison, ...»
55 «...le caractère : c'est la qualité de notre désir, élément non rationnel dans l’âme, en tant qu'il obéit ou désobéit à une raison prescriptive. lui fait suite ou ne lui fait pas suite. L’éthos est ainsi le cœur de l'être humain, de son humanité.»
« Une personne est donc qualifiée moralement à partir du type d'objet qu'elle se représente comme bon et qu'elle désire parce qu'elle le croit bénéfique, et de là, puisque le plaisir n'est jamais loin du désir, la personne est qualifiée moralement à partir du type d'objets auxquels elle prend plaisir. La raison prescrit ce qui est à rechercher ou à fuir : elle dit ce qui est bon, c'est-à dire bénéfique. et ce qui est mauvais, c'est-à-dire nuisible. »
« ... la raison, enferrée dans une erreur dont elle ne se corrige pas, inverse le bon et le mauvais, en même temps que le désir reste ordonné à la raison et poursuit ce qu'elle affirme à tort comme bon, alors la personne est vicieuse ... »
56 «  ...la raison, qui affirme ou nie qu'une chose soit bonne, et les opérations du désir, qui poursuit le bon et rejette le mauvais. En effet. Il arrive que la raison soit dans le vrai, mais que le désir tende malgré elle vers ce qu'elle présente comme à rejeter. La raison et le désir sont alors en conflit, et entrent dans un rapport de force (kratos)»
«  … [ Même] si les actes résultants, vus de l'extérieur, sont les mêmes … d'un point de vue éthique. [vertu et vice] sont très différents. Le vertueux n'est pas habité par une relation de domination de sa raison sur ses désirs : il n'a plus de désirs différents de ce que prescrit la raison, il ne désire pas un plaisir de manière excessive. »
« l'éthos de l'intempérant, même s'il ressemble au vice, n'est pas du vice l'intempérant lutte contre ses désirs excessifs, mais il perd la bataille. Le vicieux non seulement satisfait ses désirs débordants, mais en outre, il juge qu'il est bon de les satisfaire. »
« Le problème éthique principale résoudre touche la relation entre ce qu'il y a de non rationnel et ce qu'il y a de rationnel en l'âme humaine, … Il est ... impossible que la raison. par ses moyens propres et de manière directe, domine ce qui est irrationnel, car, précisément, on ne peut pas raisonner ce qui ne raisonne pas. »

Francis Wolff dans Philosophie magazine 145 “Aristote ne propose pas un système, il invente des solutions”
«...fréquemment la tentation de faire des liens entre les ouvrages, de consulter la Métaphysique pour comprendre tel passage de la Politique. Ce n’est pas une bonne méthode. Cela suppose qu’Aristote se confonde avec l’aristotélisme. Certes, c’est ainsi que la tradition nous a transmis son œuvre, mais ce n’est pas du tout sa méthode. Il procède par questions séparées, qu’il analyse chacune pour elle-même. Bien sûr, certains concepts sont transversaux, mais ce n’est pas de l’unité dont on doit partir pour comprendre.»
«... le problème métaphysique par excellence, celui de l’être. Autrement dit, la question “qu’est-ce qui existe réellement ?” Dans le recueil d’études qu’on appelle la Métaphysique, Aristote propose quatre définitions successives d’une science à laquelle il n’a pas donné de nom, mais qu’il appelle parfois la sagesse et qu’on a appelée par la suite la métaphysique. Dans un premier temps, il l’appelle “science des premiers principes et des premières causes”. La deuxième définition, celle qui nous intéresse, est la “science qui étudie l’être en tant qu’être”, soit l’ontologie. La troisième est la “science des êtres qui existent par eux-mêmes”, les “substances”. La dernière définition, enfin, est celle de la science des êtres divins que nous appellerions “métaphysique” ; elle occupe donc peu de place dans celle d’Aristote, même si elle a eu une importance déterminante au Moyen Âge.»
«Que signifie en effet étudier l’être en tant qu’être ? La métaphysique n’est pas la seule science à s’intéresser à l’être. Au fond, toutes le font. Elles étudient des choses qui existent, car sinon elles ne seraient sciences… de rien. Mais si elles étudient l’être, ce n’est pas “en tant qu’être”. C’est un contresens de croire que seule la métaphysique (ou l’ontologie) étudie l’être. Les mathématiques étudient l’être, mais “en tant que” quantité (les grandeurs et les nombres). La physique étudie les mêmes êtres, mais en tant qu’ils sont mobiles. Quant à la science qui “étudie l’être en tant qu’être”, elle se pose des questions du type : qu’est-ce qui existe ?»
«Commencer par les questions les plus générales possibles est une bonne stratégie.»
«...supposons qu’on joue à un jeu qu’on appellera “jeu de l’être” : la chose choisie est quelque chose qui est mais dont on ne sait rien, sinon qu’elle est. Quelles sont les premières bonnes questions qui permettent de trouver de quoi il s’agit ? Les plus générales. Il s’agit donc de trouver les “grands genres d’être”. Pour résoudre le problème de l’être, Aristote invente ainsi les “catégories”. La première question qu’on pourrait poser est : est-ce que c’est une substance (ousia) ? Car c’est à ce genre de chose qu’on pense d’abord : des personnes, des animaux, des êtres vivants (une fleur) ou artificiels (une table, un livre). Une substance, c’est une chose dont on parle (une table) et non pas ce qu’on en dit (blanche). C’est également ce qui subsiste à travers toutes ses transformations...»
«Comment trouver ces catégories, ces grands genres de l’être ? Kategorein en grec signifie imputer mais aussi prédiquer, soit dire quelque chose de quelque autre chose. La solution aristotélicienne au problème de l’être (qu’est-ce qui existe ?) est donc celle-ci : il faut énumérer toutes les questions que l’on peut se poser à propos de quoi que ce soit. La première question que je peux poser est : “Qu’est-ce que c’est ?” Je dirai que telle chose, quelle qu’elle soit, est “par elle-même” ceci ou cela – une personne est un être vivant, une table est un meuble. La question “qu’est-ce que c’est ?” me permet de déterminer tout ce que chacune des choses dont je parle est par elle-même ou essentiellement, par différence avec ce qu’elle est par accident. Par exemple, un être humain est essentiellement un être vivant. Mais il est aussi essentiellement “politique”, car, hors de toute cité, il n’est pas vraiment humain : c’est “un être dégradé” ou “surhumain” (un dieu).»
«La critique que l’on peut faire à cette théorie de l’être, c’est qu’elle dépend des catégories du langage. Ce n’est pas en soi un problème, sauf si l’on montre qu’elles dépendent non pas du langage en général mais d’une langue particulière. C’est une critique qui a été très influente après la parution d’un article du linguiste Émile Benveniste, “Catégories de langue et catégories de pensée” [dans Problèmes de linguistique générale, 1966]. Il prétendait y montrer que les catégories d’Aristote étaient tout simplement celles de la grammaire grecque – noms, adjectifs, etc. En somme, lorsque Aristote croit parler de l’être, il ne parlerait que de sa langue.»
«La science qui étudie l’être en tant qu’être repose sur deux principes : le principe de contradiction et le principe du tiers exclu. Tout être obéit à ces principes. Le principe de contradiction est par définition indémontrable, puisque toute démonstration le suppose.»
«Quelle que soit la langue que nous parlons, dès que nous parlons, la structure prédicative du langage – le fait que nous parlons de quelque chose pour en dire quelque chose d’autre – est au fondement de toute la structure du monde. C’est pourquoi je dis : “le langage fait du réel un monde”, que je définis comme un “ordre total et commun”. Ce qui fait monde, c’est ce que nous pouvons mettre en commun. Et cela est un effet de la structure prédicative qui nous parle du monde, et non pas du réel. Nous n’avons pas accès au réel directement, seulement indirectement : d’une part, chacun de nous en fait l’expérience de façon précaire et subjective par ses sens ; d’autre part, le réel est l’objet de l’investigation scientifique. Mais tous ces bouts de réel ne s’ajustent pas pour former un ordre total et commun. La réalité de la microphysique ne se confond pas avec la réalité du biologiste, qui elle-même ne se confond pas avec la réalité du grammairien. Chacune repose sur ses propres “êtres” et a besoin de son système de concepts propres. Ce qui rend possible le langage, c’est une certaine structure du monde faite de choses fixes, non contradictoires, sur lesquelles nous pouvons dire des choses à l’infini, et même nous contredire les uns les autres.»
«Pour Platon, il y a opposition entre rhétorique et philosophie. La première est un mauvais usage du langage qui n’a pour objet que de persuader indépendamment de la réalité – on pense aujourd’hui aux communicants, aux infox –, alors que la seconde cherche le vrai. Aristote condamne lui aussi les sophistes, mais il a une vision moins négative de la rhétorique. Selon lui, elle peut être utile, voire bénéfique, dans trois circon­stances : les délibérations populaires, les jurys au tribunal et les assemblées commémoratives ...»

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