Sortir de l'histoire officielle

     


Par les films d'Hitchcock

Liens vers des notions et des noms : chute, idée et forme, Lacan, musique, suspense, symbole

Magazine littéraire 447 de novembre 2005
Page 48 Par Emmanuel Burdeau «...[pour Éric Rhomer] «Idées et formes suivent la même route, et c'est parce que la forme est pure, belle, rigoureuse, étonnamment riche et libre qu'on peut dire que les films de Hitchcock, et vertigo au premier chef, ont pour objet - outre ceux dont ils savent captiver nos sens - les idées, au sens noble, platonicien du terme.»
... Moins claire, en revanche, son invocation de l'Idée. Si le texte définit la forme pure de Vertigo - la spirale ou l'hélicoïde, du chignon de Madeleine à l'escalier de la mission espagnole -, la seule idée qu'il évoque, et encore est-elle privée de majuscule, concerne le double personnage joué par Kim Novak : Scottie (James Stewart) n'aurait été amoureux que de l'idée d'une femme.
... «Comme dans la théorie platonicienne, l'Idée précède ici l'existence et la fonde.»
La pensée critique dont nous avons tous hérité[e] reconnaissait donc trois types d'idées au cinéma. L'Idée abstraite et éternelle ; l'idée comme illusion ou fiction, qui contraint l'amoureux à être « continuellement renvoyé d'apparence en apparence » ; le principe directeur que porte en lui l'esprit créateur, lui assurant maîtrise et contrôle sur son art, quels que soient les scénarios médiocres que lui impose l'industrie. C'est bien sûr la deuxième qui nous concerne le plus. Là où Rohmer dit «idée», le réflexe serait aujourd'hui de dire « image ». Non pas en vertu d'un changement de vocabulaire, mais parce que Vertigo, à la fois sommet du classicisme et début de la modernité, marqua le moment où le cinéma est tombé du côté de l'image comme mentsonge ou leurre.
...Avec Deleuze, on pourrait dire que le cinéma n'a pas besoin de la philosophie ; ni la philosophie du cinéma. Reste que la critique a cru avoir besoin de Platon, et qu'une part considérable de son histoire loge dans la combinaison de deux platonismes. C'est pourquoi une des urgences actuelles pourrait être de continuer à se servir du philosophe. Certes pas pour asseoir une nouvelle conception unifiée du cinéma ; plutôt pour faire enfin l'examen de nos habitudes critiques.»

Par le Philosophie-magazine :
https://www.philomag.com/dossiers/dans-la-tete-dhitchcock «Alors qu’il n’était considéré que comme un bon artisan, de jeunes critiques français firent d’Hitchcock, dans les années 1950, un artiste, voire un philosophe. Éric Rohmer écrivit ainsi : « Idées et formes suivent la même route, et c’est parce que la forme est pure, belle, rigoureuse, étonnamment riche et libre qu’on peut dire que les films d’Hitchcock […] ont pour objet […] les Idées, au sens noble, platonicien du terme » (Les Cahiers du cinéma, n° 93, mars 1959)... comme l’a suggéré Žižek dans Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Lacan sans jamais oser le demander à Hitchcock (Capricci, 2010). Cette polarité entre métaphysique de la forme pure et psychologie des profondeurs anime toujours les interprétations des philosophes d’aujourd’hui.»
Par Clotilde Leguil publié le - Une femme disparaît {1938} «Dans le cinéma hitchcockien, il y a toujours une femme qui disparaît. Elle était là sous nos yeux, et soudain elle n’y est plus. C’est la réponse que le cinéaste donne à la question lacanienne : la Femme existe-t-elle ? Une femme apparaît lorsqu’un homme est capable de ne pas reculer devant ce continent noir. Iris, Marnie, Madeleine et les autres n’apparaissent que grâce au désir de savoir de l’Autre, qui sait les rattraper à temps. Le cinéaste est lui-même ce Cary Grant à la fin de La Mort aux trousses (1959), rattrapant au dernier moment Eva Marie Saint prête à chuter dans le vide. Hitchcock en ce sens est un homme qui aimait le caractère dangereux et évanescent de la féminité. Comme Freud, il aimait être celui qui rattrapait les femmes au bord du précipice pour les faire réapparaître dans toute la splendeur de leur être. »»
Par Pierre Cassou-Noguès publié le Soupçons {1941} « Dans ses entretiens avec Truffaut, Hitchcock définit ainsi le suspense : il y a suspense lorsque l’un des personnages ignore quelque chose qui le menace mais que les autres protagonistes et les spectateurs (nous-mêmes qui assistons à la scène) connaissent. De sorte que nous voudrions lui crier ce qu’il ignore et que les autres dans le film ne peuvent pas – ou ne veulent pas – lui dire. Ainsi, à la fin de La Mort aux trousses, Eve Kendall prépare ses valises dans sa chambre à l’étage sans savoir que les deux espions soviétiques en bas ont décidé de la tuer pendant le voyage, ce que nous avons entendu, ainsi que Roger Thorn­hill, qui, dehors, de l’autre côté des vitres, lance des cailloux contre les carreaux pour prévenir la jeune femme. Et elle ne l’entend pas, pas plus qu’elle ne nous entendrait si nous criions.... une tension croissante se met en place à la fin du film, qui nous prend au ventre aussi bien que le suspense au sens propre. Il faut du moins que nous soyons convaincus que la question possède une réponse. Mais pourquoi ? D’où vient-elle, cette croyance à un univers bien déterminé, dans le film et dans la réalité ? »
Par Peter Szendy publié le L’Ombre d’un doute {1943} « Dire qu’il faut prêter l’oreille au rôle que la musique joue chez Hitchcock, ce n’est pas une simple façon de parler. Car dans nombre de ses films, elle a littéralement un rôle à jouer, à l’égal des personnages. Comme si tout à coup elle s’animait. Comme si elle était dotée d’une âme et d’un mouvement. Comme si elle agissait de son propre chef.»
Par Sandra Laugier publié le La Mort aux trousses {1959} «...immaturité et ... vulnérabilité proprement masculines sont un thème du film et en constituent l’intrigue absurde... La scène finale du film, sur le mont Rushmore – minuscules figures humaines courant sur les visages monumentaux (mais cadrables par la caméra, tout comme ceux des acteurs), taillés à même la montagne, des Pères fondateurs de l’Amérique – nous hante comme rappel de la possibilité permanente de la chute, une chute qui ferait pour ainsi dire tomber de la terre, inquiétante figure humaine, vers le néant. »

Les objets dans l’oeuvre de Hitchcock - Symboles, marques et démarques au service du cinéma Par Pierre Barrette dans L’objet au cinéma
Numéro 133, septembre 2007 https://www.erudit.org/fr/revues/images/2007-n133-images1108541/13529ac.pdf
«Dans  Rear Window, le  voyeurisme  de  Jeff - l'un des thèmes fondamentaux par  lequel  le  film soulève un  questionnement éthique -  s'exprime dans la série d'objets comportant  des  éléments d'optique qu'il convoque -  d'abord un appareil photo, puis un  téléobjectif, enfin des  jumelles  -  dont  on  peut difficilement ne pas percevoir l'aspect ouvertement phallique. Cette évocation  de la sexualité  du  héros  est  par  ailleurs renforcée par  l'usage  d'un  grattoir  en  bois dont il  se sert à un moment  du  film  - le geste suggère sans équivoque  la masturbation -  pour «soulager» les  démangeaisons  que lui cause  sa jambe dans le  plâtre, soulignant par  ricochet  son  «  impuissance  ».  Et lorsque Lisa  exhibe  à  Jeffrey  le  jonc  de  mariage  de la femme  de Thornwall qu'elle vient de  récupérer  en  s'aventurant dans son  appartement, celui-ci représente en  même temps qu'une preuve du  meurtre  le  symbole  de son propre triomphe, le  signe qu'elle vient de gagner le  bras  de fer engagé depuis le  début concernant l'éventualité  d'un  mariage avec Jeff.
Voilà qui illustre, croyons-nous, ce que veut dire Deleuze quand il avance que la grande innovation de Hitchcock est de faire apparaître au cinéma une « nouvelle sorte de figures, les figures de pensées» et que, ce faisant, il inclut le spectateur dans le film. Car s'il y a un sens à dire de Hitchcock qu'il est peut-être l'un des premiers cinéastes modernes, en termes de chronologie sinon de rang, c'est bien dans la mesure où il a établi les conditions d'un renouvellement du cinéma, conditions qui, comme on vient de tenter de le montrer, passent par la nouvelle fonction qu'il confère aux objets.»

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