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René Descartes (1596-1650)

Mots, idées, concepts, personnalités repérés : L'ego par des contemporains, 3ème genre de connaissance, Position individualiste de dominant, plagiat de la Bible,

Denis Moreau Célébration du cogito

Éditions Seuil
4ème de couverture «« Je pense, donc je suis » – cogito ergo sum– est sans doute la proposition la plus célèbre de l’histoire de la philosophie. Au point d’avoir depuis longtemps échappé aux spécialistes pour devenir absolument populaire et donner lieu à des détournements en tous genres (« Je pense, donc je nuis » ; coïto ergo sum, etc.).
À quoi tient une telle consécration ? À la puissance de cet énoncé, affirme Denis Moreau qui s’emploie, en douze brefs chapitres, à en cerner les caractéristiques et les enjeux. Il le
fait avec limpidité toujours, humour parfois, un enthousiasme communicatif et sans ignorer les prolongements contemporains de son enquête : le cogito est-il genré ? Une intelligence artificielle peut-elle dire « je pense, donc je suis » ?
Au fil de ces pages éclairantes, il apparaît que le cogito est d’abord une authentique expérience philosophique que chacun peut réaliser pour son propre compte, et que les Méditations métaphysiques sont un livre dont vous êtes le héros. Descartes y affronte, en un geste d’une radicalité à ce jour encore inégalée, une question qui hante notre modernité : celle de la vérité.
DENIS MOREAU est professeur de philosophie à l’université de Nantes. Auteur de plusieurs ouvrages sur Descartes et l’histoire de la philosophie moderne, il a aussi publié une traduction en français moderne du Discours de la méthode (Dunod, 2023) et des essais plus personnels : Comment peut-on être catholique ? (Seuil, 2018), Résurrections (Seuil, 2022).»


Page 93-94 Descartes, lecteurs assidus de la Bible « Chapitre 11 – Dieu et moi - Ego sum, ego existo : « Moi je suis, moi j'existe. » Cette formulation du cogito proposée par les Méditations métaphysiques invite à un rapprochement qui devait sauter aux yeux des contemporains de Descartes, lecteurs assidus de a traduction latine de la Bible réalisée par saint Jérôme à la fin du IVe siècle (la Vulgate). Dans cette version de la Bible, au Livre de l'Exode (3, 14), lorsque Moïse rencontre Dieu sur la montagne de l'Horeb et lui demande quel est son nom, Dieu répond de façon mystérieuse et difficilement traduisible en français : Ego sum qui sum, c'est-à-dire « Je suis celui qui est », « Je suis celui qui suis », ou bien encore « Moi je suis qui je suis » cette dernière traduction suggérant que l'exaspération a peut-être saisi l'Éternel confronté aux questions répétées de Moïse. Plus tard, si l'on en croit l'Évangile de Jean (8,24, 28 et 58), Jésus-Christ expliqua qu'une des façons de le désigner, lui, fils de Dieu, était : « Je suis » (Ego sum). Et plus tard encore, entreprenant de rebâtir en six méditations un savoir saccagé par le doute, à la façon dont selon la Genèse Dieu tira en six jours le monde du chaos, Descartes se met à parler comme Dieu et proclame à son tour : Ego sum rego (ego existo). Faut-il y voir une manière de clin d'œil par lequel l'auteur des Méditations, qui s'est toujours dit catholique, signifierait son adhésion au christianisme ?
... le télescopage des formules biblique et cartésienne soulève de façon aiguë une des interrogations fondamentales de la modernité, qui court de la troisième à la cinquième Méditation : en quoi ne suis-je pas Dieu, ou en quoi cette chose ou cette idée qu'on appelle « Dieu » est-elle fondamentalement différente de moi ? »
95 Position individualiste de dominant « Le « je » qui dit « je suis » symbolise l'émergence d'une figure moderne de la subjectivité se parant de façon triomphale des attributs et fonctions qui étaient ceux de Dieu en des temps désormais révolus : comme ce Dieu, l'être humain constitue ce qu'il y a de plus important et de meilleur dans l'univers ; comme ce Dieu, l'être humain est une valeur « en soi », ou « pour lui-même », ce qui justifie une position de type individualiste ; comme ce Dieu enfin, l'être humain est appelé à dominer, transformer et aménager une nature dont il se considère désormais, selon la célèbre et prométhéenne formule de la Sixième partie du Discours de la méthode, « comme maître et possesseur ». Cette vision « humaniste » (au sens où elle met l'humain au centre et lui assigne une place particulière d'être dominant) du monde a longtemps été conçue comme la conséquence positive et la justification du formidable développement de la technique rendu possible par la nouvelle physique de Caillée et Descartes. »
101 Idée reprise par Spinoza dans son 3ème genre de connaissance « ...Descartes, ... tisse un lien supplémentaire entre le cogito et ce qui touche à la divinité. … la « béatitude » promise aux élus. … « plus ce que nous contemplons est aimable et parfait, plus nous sommes heureux ; or Dieu est ce qu'il y a de plus aimable et parfait ; donc la vision de Dieu nous rend souverainement heureux », il explique que la béatitude consiste à connaître Dieu, mais par un type de connaissance bien particulier, qu'il nomme « intuitive », une « impression directe de la clarté divine sur notre entendement », une « lumière pure, constante, claire, certaine, sans peine ». Il différencie cette connaissance de celles, plus fragiles et laborieusement acquises, ... »
104 Des contemporains « … des résultats équivalents avec une multitude d'autres énoncés, par exemple Ambulo ergo sum, « Je me promène, donc je suis » (Pierre Gassendi, un contemporain de Descartes), ou « Je pense et des choses diverses sont pensées par moi » (Leibniz) ? »
106-107 « ...le « subjectivisme cartésien » n’a guère de rapport avec l’individualisme contemporain, et que ce n’est pas parce qu’on affirme son existence à la première personne du singulier qu’on ce conçoit ipso facto comme le centre du monde :
« ... il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ; … en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d'exposer sa vie pour le service d'autrui, lorsque l'occasion s'en présente…. » »
107-108 L'instabilté des sciences exactes « Bien sûr, nous ne sommes plus cartésiens, nous pour qui le discours philosophique et métaphysique est, au mieux, probable et le plus souvent de l'ordre de la conjecture peu ou mal assurée. La certitude absolue, inattaquable, nous l'attribuons plutôt aux énoncés des sciences dites exactes, en oubliant néanmoins au passage qu'une des principales caractéristiques de la science, c'est que ça change tout le temps on appelle cela le progrès. Pis encore, quand un scientifique, ou un cartésien, nous parle de vérité et de certitude, la tentation est grande de le rembarrer d'une série d'interrogations soupçonneuses : après tout, la vérité, à quoi cela sert il ? La prétention à la posséder n'est-elle pas au principe de toutes les dérives dogmatiques, et des violences qu'elles engendrent ? Et quels désirs inavoués cette quête éperdue de certitude cache-t-elle ? » Oui mais ce n'est pour ça qu'il nous faut des croyances.

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