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Mikhaïl Bakounine (1814 - 1876) Autoportrait de 1838. Mots, idées, concepts, personnalités repérés : l'État, Thomas Münzer, Robespierre, Rousseau Débarrassons nous d'abord de ça,
nous acceptons bien ce genre de propos pour Alain : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mikha%C3%AFl_Bakounine#Antis%C3%A9mitisme
La Shoah n'était pas encore passée par là et ça me semble un règlement de compte d'un jaloux contre Marx qui avait plus d'audience. Dommage que ce type de propos a banalisé l'antisémitisme et fait le lit des violences futures. Ces propos aujourd'hui décrédibiliseraient leur auteur. C'était un homme qui avait quand même beaucoup d’intuitions entre autre sur l'État et le pouvoir ! «Prenez le révolutionnaire le plus radical et placez-le sur le trône de toutes les Russies, [...] et avant un an il sera devenu pire que le Tsar lui-même.» Un blog sur Bakounine de Jean-Christophe Angaut http://atelierdecreationlibertaire.com/blogs/bakounine/ Bakounine politique - Révolution et contre révolution en Europe centrale Par René Berthier Texte en ligne http://1libertaire.free.fr/ReneBerthier03.html Je n'aurais pas eu l'idée de lire un livre sur les révolutions en Europe centrale mais c'est un texte autour de Bakounine qui m'était disponible, auteur bien que connu mais dont les écrits eux m'étaient inconnus. Par la description des turbulences entre slaves et germains j'ai été replongé dans les luttes du 16ème siècle qui eurent un impact jusque sur notre territoire et plongé dans l'oppression religieuse utilisée à des fins de conquêtes. J'ai approché les confrontations idéologiques entre Bakounine et le duo Marx-Engels me sortant du dogme marxiste d'un chemin préétabli pour sortir de l'oppression économique. J'ai découvert en Bakounine un homme d'action et pas seulement de théories comme Marx. Dans l'immédiat j'en ai déduit que des groupes plus ou moins conscients de leur force peuvent s'imposer : la noblesse, la bourgeoisie, l'État et les travailleurs. Les individus par leur prise de conscience de leurs particularismes communs deviennent une classe qui, suivant les circonstances, s'unissent pour mettre à bas un pouvoir oppresseur. Dans les travailleurs j'inclus les salariés et artisans producteurs de denrées, ressources et biens, et leurs gestions : ouvriers, paysans, salariés des services dont ceux de l'État. Des parasites mafieux sans morale ou d'une immoralité cachée vampirisent ces producteurs. Pour une vie tranquille dans un environnement sain le nombre de ces parasites et leurs méfaits doivent être réduits et endigués. - Juillet 2019 page 7 «Nota. – Les citations de Bakounine, sauf indication contraire, sont extraites des Œuvres en huit volumes publiées aux éditions Champ libre...» https://www.editions-ivrea.fr/fr/2-catalogue.html?s=Michel%20BAKOUNINE 11 «Les villes allemandes ne pouvaient donc compter que sur leurs propres forces et sur leur alliance entre elles. Or, la Hanse, dit Bakounine, ne fut jamais qu'une « alliance presque exclusivement commerciale » ; pour qu'elle fût réelle, « il aurait fallu qu'elle prît un caractère et une importance décidément politiques : qu'elle intervînt comme partie reconnue et respectée dans la constitution même et dans toutes les affaires tant intérieures qu'extérieures de l'Empire »(VIII, 70.)» 13 «Au Moyen Age, précise le révolutionnaire russe, on ne parlait pas de civilisation, mais de christianisation, ce qui signifiait, en défaveur des Slaves, « pillage, massacre, viol, extermination ou esclavage. C'est ainsi que les Allemands civilisèrent ou convertirent successivement toutes les populations slaves entre l'Elbe et l'Oder » (VIII, 418).» 15 «C'est seulement après que les hérésies se furent développées en Bohême qu'elles apparurent de nouveau en Allemagne et s'y implantèrent dans la paysannerie. De terribles révoltes paysannes secouèrent la Bohême et semèrent la terreur chez les Allemands et chez les partisans de l'empereur, dit Bakounine. Les Taborites « battirent toutes les troupes de la Saxe, de la Franconie, de la Bavière, du Rhin et de l'Autriche que l'empereur et le pape envoyèrent en croisade contre eux_; ils nettoyèrent la Moravie et la Silésie et portèrent la terreur de leurs armes dans le cœur même de l'Autriche.» Les Taborites furent finalement battus par la trahison d'un parti tchèque formé par la coalition de la noblesse indigène et de la bourgeoisie de Prague, « Allemands d'éducation, de position, d'idées et de mœurs ». Ainsi, le modèle allemand, selon l'hypothèse de Bakounine, a encore prévalu...» et 29 « L'inculture des paysans,
évoquée par Marx, n'est pas un argument probant. Il faut entendre
inculture au sens politique : quel était leur degré de réflexion sur la
société de leur temps ? Engels en effet s'efforce de montrer que les
hérésies religieuses qui ont parcouru l'Allemagne constituaient, sous
un vêtement religieux, la forme idéologique de l'opposition à la
féodalité, et que les revendications formulées révélaient une
conscience politique développée relativement à l'époque. Engels indique
même que l'hérésie des paysans allait alors « infiniment plus loin »
que celle des villes : « de l'égalité des enfants de Dieu, elle faisait
découler l'égalité civile, et même en partie déjà l'égalité des
fortunes. » L'hérésie paysanne-plébéienne se transforma au XIVe et au
XVIe siècle en un « point de vue de parti nettement distinct, et
apparaît habituellement de façon tout à fait indépendante à côté de
l'hérésie bourgeoise. » La capacité d'une classe à se constituer
théoriquement et organisationnellement de façon autonome est
précisément un critère de sa maturité politique. Engels cite l'exemple
des Taborites de Bohême, que Bakounine mentionne tout particulièrement
aussi, chez qui « la tendance républicaine apparaissait déjà sous
les enjolivures théocratiques ».
15-16 «Bakounine s'efforce
constamment de montrer que les grandes
évolutions historiques s'expriment par des confrontations et par des
alliances politiques. La bourgeoisie allemande a été particulièrement
défavorisée, qui n'a pu trouver d'appui ni sur l’État
contre la
noblesse, comme en France, ni sur la noblesse contre l'Etat, comme en
Angleterre.»Thomas Münzer est le personnage le plus intéressant de cette période en ce qu'il préfigure dans sa prédication les revendications du prolétariat. Il est significatif cependant que si Bakounine évoque souvent Münzer il ne s'attarde pas sur lui, alors que le contenu de sa doctrine pourrait constituer une confirmation de son propos sur la paysannerie allemande. En fait, il est persuadé que toutes les hérésies ont traversé l'Allemagne sans y trouver d'écho : les Vaudois, les Fraticelli, Wicleff. Il ne nie pas que l'Allemagne ait eu son lot d'hérésies, mais, selon lui, le peuple tchèque a devancé d'un siècle le peuple allemand : Jean de Huss, Jérôme de Prague ainsi que les terribles Taborites témoignent de cette antériorité chronologique (Cf. VIII 75-78). Formulées à des moments différents, les réflexions de Bakounine et d'Engels dénotent la même préoccupation de montrer le parallèle entre la révolte de 1525 et la situation de l'Allemagne en 1848-1849» 16 La conquête de la Prusse ? Une croisade vers le nord «La résistance des Slaves prit dès les début la forme d'une opposition à la fois aux Germains et au christianisme. Les Prussiens, qui à l'origine étaient un peuple apparenté aux Lituaniens et aux Latviens, opposèrent une résistance désespérée à la christianisation, que seuls les Chevaliers teutoniques purent réduire après cinquante ans de lutte acharnée et un génocide. Bakounine ne dit rien de l'origine des Chevaliers teutoniques, et il n'en parle jamais que pour mentionner leur rôle dans la germanisation des territoires orientaux de l'Allemagne. Fondé à Jérusalem, l'ordre n'assuma cependant ce rôle que par hasard, après qu'il se fut installé successivement à Acre, à Venise et à Marienbourg. Appelés par le duc Conrad de Massovie qui ne parvenait pas à pacifier les Prussiens, ils se virent offrir des terres et des privilèges ainsi que la souveraineté entière sur tout territoire conquis sur les Prussiens. Aidés de croisés venus de toute l'Europe, ils réduisirent systématiquement les territoires à l'Est de la Vistule inférieure. Un nouvel Etat se constitua ainsi dans le coin Sud-Est de la Baltique, dirigé par une puissante aristocratie ecclésiastique qui prit en 1308 tout Dantzig et sa province, et coupa la Pologne de la mer.» 20 à 22 «Le destin de l'Allemagne se joue une nouvelle fois au début du XVIe siècle avec la Réforme religieuse et avec la tragédie qui en brisera tous les effets positifs, la guerre des paysans de 1525. C'est en effet à partir de cette date que commence selon Bakounine le long sommeil qui s'abattit sur le pays jusqu'à la moitié du XVIIIe siècle. Lassalle considérait que la révolte paysanne avait été un mouvement réactionnaire parce que les paysans allemands avaient demandé l'abolition des privilèges des princes et la représentation exclusive aux diètes de la propriété foncière indépendante et libre. A l'opposé, le mouvement des princes, en réclamant un pouvoir échappant à la tutelle de la propriété foncière, aurait représenté un « concept de l'Etat » qui constituait « un progrès de la liberté dans l'évolution historique et par là même un mouvement révolutionnaire » Bakounine s'en prend violemment à Lassalle pour avoir défendu ce point de vue, ... L'argumentation de Lassalle est présentée comme une illustration de la théorie communiste des phases successives de développement historique. « Les doctrinaires du communisme allemand sont tellement convaincus qu'en dehors de cette voie il n'y a point de salut pour les peuples, qu'ils osent dire et imprimer ... que ce fut un grand bonheur pour le peuple allemand que le soulèvement de » paysans en 1525 ait été comprimé par les efforts réunis de la noblesse et des princes de l'Allemagne, appuyés par l'indifférence, pour ne point dire par l'hostilité de la bourgeoisie des villes, et encouragés par les encycliques du doux Mélanchton et de Luther.» Selon Lassalle, ajoute Bakounine, le succès de la révolte aurait « détourné la nation allemande de la ligne normale de son développement économique et par conséquent aussi public, en établissant et en consolidant parmi les paysans de l'Allemagne le principe aristocratique de la propriété individuelle et héréditaire de la »terre.» Comme si, ironise le Russe, ce principe ne s'était pas imposé malgré la répression de la révolte. Ailleurs, Bakounine dit encore : « Les théoriciens du communisme allemand, ... poussés par leur antipathie singulière, mais systématique et qui trahit leurs instincts bourgeois, contre tout mouvement révolutionnaire spontané des paysans ou des travailleurs de la terre, ont énoncé cette idée baroque que la défaite des paysans de la Franconie en 1525, par les forces réunies des seigneurs et des princes, qui en firent un terrible massacre, fut, au point de vue du développement rationnel et normal de la liberté et du socialisme, d'un immense avantage pour l'Allemagne parce que les paysans, disent-ils, tendant alors comme aujourd'hui à la propriété individuelle, représentaient et continuent de représenter encore l'élément aristocratique, féodal, terrien ; tandis que les villes, par le développement de leur travail productif, tendant nécessairement à devenir de plus en plus collectif et, par la mobilisation de plus en plus étendue des fortunes privées, tendant tout aussi nécessairement à s'associer en d'immenses capitaux commanditaires de l'industrie et du commerce, représentent inévitablement et toujours davantage l'élément démocratique...» Ceci me rappelle l'écrasement de la makhnochtchina. Les commentaires de Bakounine sur le point de vue de Lassalle constituent littéralement une leçon d'analyse matérialiste de l'histoire. Si on poursuit le raisonnement de Lassalle, dit-il, ce fut un grand malheur que les paysans français aient été émancipés par la Grande Révolution et qu'ils aient pu acquérir les biens de l’Église et de la noblesse émigrée. Certes, il eût été plus heureux si les paysans français avaient pu devenir propriétaires collectifs, et non individuels de la terre ; mais les idées collectivistes étaient alors ignorées, elles ne furent proclamées qu'à la fin de ce grand drame révolutionnaire par Babeuf. Fallait-il que les paysans français ne s'emparent pas de la terre avant qu'ils aient compris les idées collectivistes ? Fallait-il qu'ils restassent des serfs ou des prolétaires jusque-là ? Quant aux paysans allemands, sont-ils plus sensibles aujourd'hui à la propagande socialiste que les paysans français ? Bakounine envisage la question de deux points de vue : celui de la stratégie politique et celui de l'évolution historique. Sur le premier point, il montre que l'accession de la paysannerie à la propriété individuelle est une nécessité politique. Si les paysans français ne s'étaient pas emparés de la terre de la noblesse et de l'Eglise, la puissance de l'une et de l'autre serait restée debout, comme c'est le cas encore de la noblesse allemande, « de manière que la révolution socialiste aurait aujourd'hui à combattre, à côté de la puissance malfaisante de la bourgeoisie, encore celle de ces deux anciens corps ». L'accession de la paysannerie à la propriété contribue donc à briser les bases matérielles du pouvoir des classes de l'Ancien régime fondé précisément sur la propriété foncière ; et elle est une garantie du succès de la révolution bourgeoise. En effet, si les paysans français n'avaient pas trouvé « leur liberté et leur intérêt » dans la révolution, ils ne l'auraient pas défendue contre l'Europe entière coalisée contre elle. Si, en conséquence, l'accession à la propriété de la paysannerie est une nécessité politique, elle est aussi, du point de vue de la révolution bourgeoise, une nécessité historique. Si l'insurrection de 1525 avait triomphé, « les paysans allemands depuis trois siècles et demi auraient été libérés du servage, ils eussent eu maintenant derrière eux plus de trois siècles et demi de propriété individuelle de la terre. Il eût fallu que le peuple allemand soit bien bête, et il est bien loin de l'être, pour que l'une et l'autre n'aient pas eu le temps de développer l'une ses fruits positifs, l'autre ses conséquences négatives». Le triomphe de la révolution des campagnes aurait nécessairement entraîné la révolution des villes d'Allemagne, la puissance des seigneurs féodaux aurait été renversée, et l'opposition entre les villes et les campagnes aurait été, « jusqu'à un certain point, au moins », supprimée. ..., ce n'est en réalité pas la théorie des évolutions successives que Bakounine conteste, mais le caractère absolu que Marx semble vouloir lui donner.» 25 «Alors que la bourgeoisie allemande avait été capable d'un grand dynamisme, le mouvement économique, industriel et commercial se ralentit considérablement. La double révolution qui marqua la transition du Moyen Age à l'âge moderne, à savoir : 1. la révolution économique, « qui, sur les ruines de la propriété féodale, devait fonder la nouvelle puissance du capital » ; 2. la révolution religieuse « qui avait réveillé la vie politique dans tous les autres pays » ; cette double révolution aboutit en Allemagne à l'appauvrissement et à l'engourdissement matériel ainsi qu'à la prostration intellectuelle et morale. L'écrasement de la révolte paysanne de 1525 avait affaibli les énergies populaires ; la Réforme avait abouti non pas à l'émancipation de l'esprit mais à l'assujettissement de la religion au pouvoir des princes. « A cette époque, dit Bakounine, en Allemagne, les mots “patrie”, “nation”, étaient complètement ignorés. Il n'y avait que l'Etat, ou plutôt une infinité d'Etats grands, moyens, petits et très petits (...). Pour le sujet, et à plus forte raison pour le fonctionnaire, l'Allemagne n'existait pas : il ne connaissait que l'Etat, grand, moyen ou petit qu'il servait et qui se résumait pour lui à la personne du prince» (III, 211). En quelque sorte, le sentiment d'appartenir à l'Etat était un substitut au sentiment national qui n'a pas de terrain pour s'exprimer. La multiplicité des Etats entraîne la multiplication de cette classe de fonctionnaires chargée de gérer le plus rationnellement possible les affaires du souverain : « Toute la science du bureaucrate consistait en ceci : maintenir l'ordre public et l'obéissance des sujets, et leur soutirer autant d'argent que possible pour le trésor du souverain, sans les ruiner complètement et sans les pousser par le désespoir à la révolte.» (III, 211.)» Encore sur l'État : «L'absence d’État, d’État national, provoqua une hypertrophie de l'idée de l’État. On peut imaginer, dit Bakounine, quel dut être l'esprit de ces honnêtes philistins de la bureaucratie allemande qui, ne reconnaissant après Dieu, d'autre objet de culte que cette horrible abstraction de l’État personnifiée dans le prince, lui immolait consciencieusement tout : « Brutus nouveau en bonnet de coton et sa pipe pendante à la bouche, chaque fonctionnaire allemand était capable de sacrifier ses propres enfants à ce qu'il appelait, lui, la raison, la justice et le droit suprême de l’État. » (III, 211.) La bureaucratie devint en Allemagne une science enseignée dans les universités : « Cette science pourrait être appelée la théologie moderne, la théologie du culte de l’État. » (VIII, 82.)» 29 «« On ne peut qu'admirer la ténacité et la constance avec lesquelles les paysans de l'Allemagne du Sud conspirèrent pendant près de trente ans, à partir de 1453, surmontèrent toutes les difficultés provenant de leur état de dispersion et s'opposèrent à la constitution d'une vaste organisation centralisée, et, après de nombreux démantèlements, défaites et exécutions de leurs chefs, renouèrent chaque fois les fils de la conspiration, jusqu'au jour de l'insurrection générale.» Le mouvement paysan hongrois, que décrit Engels, constitue une démonstration de leur capacité à l'action concertée, et même de leur capacité politique. Après s'être emparés de la ville de Csanad, ils proclamèrent la république, l'abolition de la noblesse, l'égalité de tous et la souveraineté du peuple - programme qui, traditionnellement, dans la vision marxiste de l'histoire, revient à la bourgeoisie, et qui va en l'occurrence bien au-delà des revendications de la bourgeoisie allemande de 1848.» 34 «Sous le rapport intellectuel et social également, ce fut un « anéantissement complet » : avant la Réforme, une multitude d'esprits supérieurs ont fait la gloire de l'Allemagne ; Erasme, Reuchlin, Ulrich von Hutten, Zwingle, OEcolampade, Carlostadt, Franz von Sinckingen, Götz von Berlichingen, Thomas Münzer, Jean de Leyde, Albert Dürer, Holbein, « et bien d'autres dont les noms ne me reviennent pas », dit Bakounine. Pendant la seconde moitié du XVIe siècle, rien. Deux noms seulement pour tout le XVIIe siècle : Kepler et Leibniz, « d'ailleurs parfaitement étrangers tous deux à la vie nationale de l'Allemagne_; tellement étrangers qu'ils n'écrivaient pas même en allemand ». Il faut attendre le XVIIIe siècle avec Frédérick II, qui considérait que la langue allemande n'était bonne que pour parler aux chevaux, et Lessing, « le vrai créateur de la littérature allemande », pour voir cesser cette « pénurie désolante d'hommes ». La seconde moitié du XVIIIe siècle est l'âge d'or de la culture allemande, son vrai titre de gloire, avec l'apparition de « l'admirable littérature ébauchée par Lessing et achevée par Goethe, Schiller, Goethe, Kant, Fichte et Hegel » (IV, 287). Mais c'est Hegel qui est surtout déterminant.» 35 «La synthèse de l'ensemble des commentaires que fait Bakounine sur l’œuvre de Hegel [17] révèle tout d'abord que ce dernier aurait posé les bases d'une démystification de l'absolu en même temps qu'il aurait contribué à la découverte des lois de la pensée humaine. Ensuite, la philosophie hégélienne est ambiguë, c'est-à-dire ni complètement idéaliste, ni complètement matérialiste : « n'atteignant pas le ciel et ne touchant pas la terre, suspendu entre l'un et l'autre [18]. Cette ambiguïté est à l'image même de la société allemande, en retard dans son développement politique, et dont la bourgeoisie formule des revendications qui sont cell »s des bourgeois français de 1789, mais dans un contexte où l'antagonisme avec le mouvement ouvrier naissant prend le pas sur l'antagonisme avec le régime absolutiste. Aussi, dit Bakounine, les Allemands sont-ils condamnés à faire dans le monde réel le contraire de ce qu'ils adorent dans l'idéal métaphysique (IV 308), ce qui amena, concrètement, la faillite de la révolution de 1848.» 54 «Engels évoquera cette période
en des termes presque identiques dans Ludwig Feuerbach et la fin de la
philosophie classique allemande : « On conçoit mal quelle énorme
influence ce système de Hegel ne pouvait manquer d’exercer dans
l’atmosphère teintée de philosophie de l’Allemagne. Ce fut une marche
triomphante qui dura plusieurs dizaines d’années et ne s’arrêta
nullement à la mort de Hegel. Au contraire, c’est précisément de 1830 à
1840 que "l’engouement hégélien" régna le plus exclusivement,
contaminant plus ou moins même ses adversaires. »»
36 (et repris page 51.) Donc l'Allemagne avant 1848 semblable à
l'Espagne avant 1936 : «En 1832
eut lieu à Hambach une nouvelle
manifestation, « sinon très violente, du moins extrêmement bruyante »
suscitée par « l'impuissance des princes allemands à créer un empire
pangermanique ». Derrière cette manifestation, il n'y avait cependant «
ni volonté, ni organisation et, dès lors, ni force ». La fête de
Hambach fut suivie de l'attentat de Francfort. Soixante-dix étudiants
attaquèrent la garde du palais de la Confédération germanique. Cet
acte, une fois de plus, est jugé « inepte » par Bakounine.56 « ... Frédérick-Guillaume IV ... il appela Schelling à Berlin pour détruire l’influence de Hegel, dont on avait fini par pressentir que la pensée, derrière une forme conservatrice, décelait des germes d’une critique radicale. « Vaniteux, ambitieux, inconscient, tourmenté et en même temps incapable de se contenir et d’agir, Frédérick-Guillaume IV était tout bonnement un épicurien, un noceur, un romantique ou un despote extravagant installé sur le trône. Comme un homme incapable d’accomplir quoi que ce soit, il ne doutait de rien. Il lui semblait que le pouvoir royal, à la mission divine duquel il croyait sincèrement, lui donnait le droit et la force de faire absolument tout ce qui lui venait à l’esprit et, contre toute logique et contre les lois de la nature et de la société, de réussir l’impossible, de concilier quand même l’inconciliable. » (IV, 315.» La même année, les paysans du Palatinat se soulèvent, réclamant pour eux la terre. Cette révolte, dit Bakounine, effraya non seulement les conservateurs mais aussi les libéraux et les démocrates allemands. A la satisfaction générale, la révolte fut réprimée. Une fois de plus la paysannerie est perçue comme l'adversaire principal. Selon Bakounine, les libéraux allemands ne voulaient pas changer la nature de l’État mais l'aménager. L'irruption de la paysannerie, dont la puissance avait servi les intérêts de la bourgeoisie française, était perçue en Allemagne comme une entrave à la réalisation du programme excessivement modéré des libéraux. Après ces événements, la réaction la plus noire s'abattit sur tous les pays allemands. Un silence de mort succéda, qui se prolongea sans interruption jusqu'en 1848.» 51-52 «C’est le Franconien Wirth
qui fut à l’initiative de la Fête de Hambach. Il se déplaçait sans
cesse d’une ville à l’autre, imprimant avec une presse à main un
journal, la Deutsche Tribune. Il créa une Association de presse
(Pressverein), dont le but était « l’organisation d’un Reich allemand
unifié, avec une constitution démocratique ».»
39 «En septembre 1818, trois ans
après le congrès de Vienne [1], un
groupe d’amis se rencontre à Aix-la-Chapelle, en territoire prussien.
Ils y discutent de l’avenir de l’Europe pour les quelques décennies à
venir. Il s’agit du roi Frédérick-Guillaume III de Prusse, de
l’empereur François d’Autriche et d’Alexandre III, le tsar de toutes
les Russies. L’empereur François est évidemment accompagné de son
conseiller Metternich.
Assistent également à la rencontre lord Castlereagh et le duc de
Wellington qui représentent la Grande-Bretagne, et le duc de Richelieu
qui occupe un strapontin pour la France. Tout le monde s’amusa bien, ce
fut un « charmant congrès » aux dires de Metternich, dont les idées
allaient dominer l’époque.»40 «« S’appuyant sur ce royaume,
Metternich s’efforça trente années durant, de plonger toute l’Europe
dans une situation semblable. Il devint la clé de voûte, l’âme, le
guide de la réaction européenne et son premier souci fut évidemment
d’anéantir toutes les tendances libérales qui se faisaient jour en
Allemagne. » (IV, 291.)
44 Romantisme allemand source de Heidegger et du nazisme « A cette
époque, en Allemagne, on se passionnait pour l’histoire du pays, on
exaltait l’âme allemande. La jeunesse, qui avait quitté les champs de
bataille, avait afflué dans les universités et découvrait la
philosophie de Hegel ; les sociétés gymniques devenaient les foyers
d’un nationalisme primitif et romantique pour lequel l’exaltation de la
« virilité allemande » constituait la condition du redressement
national.Le projet européen de Metternich réussit. Le congrès d’Aix-la-Chapelle s’était déroulé à sa plus grande satisfaction. Le système monarchique restauré allait être efficacement défendu contre la montée des puissances révolutionnaires. Pourtant, la Révolution française et les guerres napoléoniennes avaient jeté dans l’Europe des germes de dissolution. En divers endroits on crie le mot Liberté. Et, alors que la politique de Mettemich visait à créer un monde où il n’y aurait plus de nations mais seulement des Etats, « Liberté » signifiait avant tout indépendance nationale. Cette question allait prendre un aspect d’autant plus important en Allemagne qu’elle allait se doubler du problème de l’unité nationale.» 52-53 «La réaction la plus noire s’abattit alors sur le pays. « Ce fut une véritable satumale pour les fonctionnaires allemands et les manufactures de papier, dont une énorme quantité fut noircie à cette occasion ». Une commission centrale fut créée, chargée de coordonner la répression et l’échange d’informations concernant les éléments subversifs. Arthur Lehning, dans une note à Etatisme et anarchie, donne des précisions sur l’efficacité de la coopération des différents Etats allemands dans ce domaine : « La création d’un “bureau d’informations” pour tous les Etats du Deutsche Bund était une idée de Metternich. Il l’avait déjà émise avant l’attentat de Francfort. Le bureau n’était pas organisé comme une centrale policière munie de pleins pouvoirs, mais comme une police secrète chargée de suivre les activités des révolutionnaires et d’en informer les gouvernements. “On ne pend pas les voleurs avant d’avoir mis la main dessus”, écrivait Metternich. Les opérations du Bureau devaient, selon les instructions de Mettemich, s’étendre au-delà des frontières allemandes, notamment en France, centre des comploteurs en Suisse, centre des réfugiés ; en Belgique, terre d’asile des Polonais...) Les informations recueillies par une multitude d’agents secrets étaient envoyées à Vienne et à Berlin où des commissions spéciales nommées par les gouvernements devaient prendre, en se basant sur ces renseignements, des mesures policières ou juridiques. » (IV, 428-429.) Toute la fleur de l’Allemagne libérale fut arrêtée, emprisonnée. Nombreux furent ceux qui restèrent prisonniers jusqu’en 1840, certains même jusqu’en 1848. Après la Fête de Hambach, prit fin tout mouvement politique en Allemagne. « Un silence de mort succéda, qui se prolongea sans la moindre interruption jusqu’en 1848. En revanche, le mouvement se transposa dans la littérature. » (IV, 306.)» Ironisant sur les aspects les plus outrés de ce nationalisme exacerbé, Bakounine dit que les manifestations du libéralisme allemand ne dépassaient pas les limites de la « rhétorique la plus naïve et en même temps la plus ridicule » : « C’était l’époque du sauvage teutonisme. Fils de philistins et futurs philistins eux-mêmes, les étudiants allemands se représentaient les Germains d’autrefois tels que les [ont décrit] Tacite et Jules César : des descendants des guerriers d’Arminius, habitants primitifs d’épaisses forêts. » (IV, 302.)» 46 «En Allemagne, le romantisme et l’exaltation patriotique se mariaient bien. Là comme ailleurs, le romantisme était né d’une réaction contre l’esprit du XVIlle siècle qui avait produit la Révolution française. A la Raison et à la logique de l’époque classique on donne la préférence à l’intuition et à la passion. A l’homme social dont se préoccupaient les philosophes des Lumières, les romantiques substituaient l’individu isolé. Alors que les Encyclopédistes dédaignaient le passé et se préoccupaient de préparer un avenir meilleur, les romantiques se détournent de la vulgarité du présent et se réfugient dans un passé idéal. Les adversaires de la Révolution considéraient donc naturellement avec sympathie cette nouvelle école littéraire. L’alliance entre la politique ancienne et la littérature nouvelle semblait évidente, du moins au début. Mais ces convergences ne durèrent pas. Les romantiques ne tardèrent pas à exprimer des sympathies pour la Révolution. Victor Hugo écrit en 1830 que « le romantisme, c’est le libéralisme en littérature ». Pourtant, en Allemagne le romantisme a un contenu différent. Il n’évolue pas vers la contestation des institutions sociales. Il n’est qu’un prolongement culturel de la Sainte-Alliance. Son rôle réactionnaire atteint son apogée dans les années 40 sous le règne de Frédérick-Guillaume IV, précisément aux débuts de l’activité politique de Bakounine et de Marx.» 46-47 Rousseau réactionnaire et
le rapproche de Robespierre ! «La
genèse du romantisme en Europe, telle
que la perçoit Bakounine, mérite également d’être mentionnée. Dans la
seconde moitié du XVIIIe siècle, dit-il, la philosophie avait élevé le
drapeau de l’athéisme et du matérialisme ; pourtant, deux hommes vont
servir efficacement les intérêts de l’obscurantisme dans sa version
laïque : Rousseau et Robespierre (Cf. VIII, 139). Rousseau
est le vrai créateur de « la réaction moderne, il représente le vrai
type de l’étroitesse et de la mesquinerie ombrageuse, de l’exaltation
sans autre objet que sa propre personne, de l’enthousiasme à froid et
de l’hypocrisie à la fois sentimentale et implacable, du mensonge forcé
et de l’idéologisme moderne. » Il est en apparence
l’écrivain le plus démocratique du XVIIIe siècle, mais en lui couve le
« despotisme impitoyable de l’homme d’Etat ». Il est le prophète de l’Etat
doctrinaire, comme Robespierre en est le grand prêtre.
48 «Après la Révolution, la
bourgeoisie française se scinda. Il se
constitua un puissant parti d’acquéreurs de biens nationaux qui
s’appuya non plus sur le prolétariat des villes mais sur la
paysannerie, qui était devenue pour une grande part propriétaire. Ce
parti, aspirant à la paix, à l’ordre public, soutint tout naturellement
Bonaparte. La Restauration, en
ramenant la monarchie légitime, la puissance de la noblesse et de
l’Église, rejeta la bourgeoisie vers la révolution, mais vers un
« révolutionnarisme quelque peu réchauffé », précise Bakounine. Après
1830, la grande bourgeoisie remplace définitivement la noblesse au
pouvoir et se tourne de nouveau vers la religion. Ce ne fut pas, de sa
part, « une simple singerie des mœurs aristocratiques, c’était une
nécessité de position ».C’est au nom de l’être suprême, le « Dieu abstrait et stérile des déistes », que Robespierre guillotina les hébertistes, puis le génie lui-même de la Révolution, Danton, « dans la personnalité duquel il assassina la République ». Dès lors, le triomphe de la dictature de Bonaparte était devenu inévitable. Alors, la « réaction idéaliste chercha et trouva des serviteurs moins fanatiques, moins terribles, mesurés à la taille considérablement amoindrie de la bourgeoisie de notre siècle à nous ». En France, ce furent Châteaubriand, Lamartine et Victor Hugo, et à leur suite « toute la cohorte mélancolique et sentimentale d’esprits maigres et pâles qui constituent, sous la direction de ces maîtres, l’école du romantisme moderne. En Allemagne, ce furent les Schlegel, les Tieck, les Novalis, les Wemer, ce fut Schelling, et tant d’autres encore dont les noms ne méritent pas même d’être nommés. » (VIII, 140.)» « La littérature créée par cette école fut le vrai règne des revenants et des fantômes. Elle ne supportait pas le grand jour, le clair-obscur était le seul élément où elle pût vivre. Elle ne supportait pas non plus le contact brutal des masses ; c’était la littérature des âmes tendres, délicates, distinguées, aspirant au ciel, leur patrie, et vivant comme malgré elles sur la terre. Elle avait la politique, les questions du jour, en horreur et en mépris ; mais lorsqu’elle en parlait par hasard, elle se montrait franchement réactionnaire, prenant le parti de l’Eglises contre l’insolence des libres penseurs, des rois contre les peuples, et de toutes les aristocraties contre la vile canaille des rues. » (VIII, 139-140.) Au milieu des nuages dans lesquels vivait cette école, conclut Bakounine, on ne pouvait distinguer que deux points réels : le développement rapide du matérialisme bourgeois et le déchaînement effréné des vanités individuelles.» En aidant la bourgeoisie à renverser une fois de plus la noblesse, le prolétariat avait rendu un dernier service à ses exploiteurs. Maintenant, il fallait se débarrasser de l’alliance du peuple et remettre ce dernier à sa place. Pour imposer sa domination, la bourgeoisie avait besoin de « la reconnaissance morale de son droit », pour reprendre une expression de Bakounine. Plus que jamais, la bourgeoisie triomphante sentit que « la religion était absolument nécessaire pour le peuple » (VIII, 142).» 49 «Alors que la Révolution de Juillet avait anéanti les vestiges de la domination féodale et cléricale en France, et qu’en Angleterre les « réformes libéralo-bourgeoises » triomphaient, la bourgeoisie voit ses positions s’affirmer partout en Europe, sauf en Allemagne. Le parti féodal y est au pouvoir et détient « tous les postes élevés et une grande partie des postes subalternes » dans l’administration et dans l’armée. Bakounine évoque l’arrogance de cette aristocratie et rappelle le mot du prince de Windischgraetz : « L’homme commence au baron. » [6] (IV, 304.) La contradiction fondamentale de la situation est que l’aristocratie, politiquement prépondérante, a en face d’elle une bourgeoisie nettement supérieure « tant du point de vue de la richesse que par son degré de culture ». Pourtant, malgré quelques timides tentatives, la bourgeoisie ne parvient pas à secouer le joug de la noblesse. 83 «La réponse d'Engels à l'Appel aux Slaves est parue en février 1849. Le ton a changé par rapport à ce qu'il écrivait en juillet 1848, lorsqu'il faisait le bilan de l'action historique des Allemands pendant les soixante-dix dernières années : envoi de troupes contre l'indépendance américaine, guerre contre la révolution française, contre la liberté de la Hollande, interventions contre la liberté en Suisse, en Grèce, au Portugal, démembrement de la Pologne, asservissement de la Lombardie, de Venise, et même, en Russie où les Allemands constituent « les principaux soutiens du grand et des petits autocrates ».» 87-88 «En conclusion de notre propos sur l'Appel aux Slaves, on peut s'étonner que la réponse qu'en fit Engels dans le Panslavisme démocratique, qui est une longue critique des positions attribués à Bakounine, ne figure pas dans l'anthologie de textes anti-anarchistes publiée par les Editions de Moscou, L'anarchisme et l'anarcho-syndicalisme. Ce livre, constitué de textes choisis de Marx, Engels, Lénine, ne fait évidemment aucune allusion aux thèses d'Engels sur les « nations contre-révolutionnaires », les « déchets de peuples » [38], etc. Cet oubli, qui ne saurait être accidentel, suffit à montrer que les problèmes soulevés par le texte de Bakounine et par la réponse d'Engels restent brûlants. Les éditeurs ont sans doute voulu éviter la peine d'expliquer ou de justifier les prises de position d'Engels. Celui-ci, en effet, cite de larges extraits de l'Appel aux Slaves, en particulier le passage où Bakounine s'élève contre les « frontières artificielles que les congrès des despotes ont érigées par la violence d'après de prétendues nécessités historiques, géographiques, commerciales et stratégiques. » Bakounine affirme par surcroît qu'il « ne doit plus y avoir d'autre délimitation que celles conformes à la nature, tracées par l'équité et dans un esprit démocratique, définies par la volonté des peuples eux-mêmes en se fondant sur leurs caractéristiques nationales... » Des lecteurs mal avisés auraient risqué d'oublier que c'est à la situation de l'Europe centrale de 1848 que le texte faisait référence...» 101-102 «On peut dire, en guise de conclusion sur l'activité de Bakounine pendant les révolutions de 1848, que ni à Prague ni à Dresde il n'avait voulu l'insurrection, mais qu'une fois déclenchée, il y a participé du mieux qu'il a pu. Au contraire de Marx, il a connu les combats, il a vu des hommes mourir, il a vécu ce qui attend les révolutionnaires qui échouent. Il sait ce que coûte l'aventurisme. On ne doit donc pas s'étonner que Bakounine déclare que toute tentative de déclencher une révolution par des moyens fictifs n'a « guère de chance d'être justifiée aux yeux de ceux qui savent combien lourdes sont les conséquences des grandes commotions sociales pour la majeure partie des pauvres gens. » (IV, 407) « ...un parti qui, pour arriver à ses fins, s'engage délibérément et systématiquement dans la voie de la révolution se met dans l'obligation d'assurer la victoire. » (IV, 404)» 102 «...l'historien Jules Michelet a écrit : « Le jour où le vieux cri germanique se fit entendre : "Qui veut mourir pour la liberté de l'Allemagne ?", un Russe se présenta aux premiers rangs, et pas un patriote n'y fut avant lui. Quand l'Allemagne sera l'Allemagne, ce Russe y aura un autel. [44] » Est-il besoin de préciser qu'aucun autel ne se dresse en Allemagne en l'honneur de Michel Bakounine [45]?» 111 «Constat étonnant : l'exclusion de la bourgeoisie de l'exercice de son propre pouvoir n'est pas un phénomène circonstanciel, puisque quatre-vingts ans se sont passés depuis la Grande révolution. La thèse mécaniste de la corrélation systématique entre le développement des forces productives et les formes politiques de domination semble donc démentie par les faits ainsi que la validité du modèle marxiste de passage du féodalisme au capitalisme. L'Allemagne constitue l'exemple d'un ancien régime faisant échec à une révolution démocratique, tout en développant considérablement le capitalisme industriel, ce qui dément le fondement même de la théorie de Marx, selon laquelle des formes politiques obsolètes doivent éclater pour permettre le développement des forces productives. Si les faits sont têtus et imposent aux hommes des contraintes dont il leur est difficile de se dégager, les hommes sont aussi capables de tirer des enseignements des faits pour contourner les obstacles. L'histoire ne se réduit pas à des schémas répétitifs.» «Engels redoute une activité indépendante des ouvriers du textile : « Les ouvriers commencent à s'agiter un peu, écrit-il alors à Marx ; c'est encore tout à fait informe, mais la masse y est. Mais c'est précisément ce qui nous gène. »» 112 «Ce sont [sans] doute les leçons de 1848 qui ont conduit le Bakounine de la période anarchiste à considérer : 1°) que l'alliance du prolétariat avec les bourgeois radicaux conduit inévitablement les travailleurs à s'aligner sur le programme de la bourgeoisie ; 2°) que l'expérience de la lutte est le meilleur accélérateur de la conscience ouvrière.» 114-115 «Contrairement à ce que dit Engels, ce n'est pas tant le prolétariat qui était « inconscient de ses tâches historiques » que la direction de la Ligue – à savoir Marx et Engels, précisément – qui n'était pas à la hauteur. Stefan Born écrivit à Marx qu'il se trouvait à la tête d'une « sorte de parlement ouvrier formé de représentants de nombreuses corporations et usines » – ce qui ressemble furieusement à un conseil ouvrier –, et se plaint du manque d'organisation de la Ligue. On pouvait résoudre le problème en sabordant celle-ci, comme l'a fait Marx. On pouvait aussi profiter du mouvement ascendant du prolétariat pour renforcer ses positions. Les communistes allemands demanderont d'ailleurs des comptes à Marx et à Engels, après les événements. Dans un texte datant de 1850, connu sous le nom d'Adresse du comité central à la Ligue des communistes, et qui est un monument d'hypocrisie et de jésuitisme, Marx fait une critique virulente des « petits bourgeois qui étaient dirigeants des associations démocratiques » et « rédacteurs des journaux démocratiques » pendant la révolution ; il appelle les travailleurs à refuser de « servir de claque aux démocrates bourgeois » et proclame la nécessité de « l'organisation autonome du parti du prolétariat ». Il faut être aveugle pour ne pas voir, dans ces pages où se trouve critiquée précisément la politique que Marx a effectivement suivie, la plus plate des autocritiques. Les histoires officielles du marxisme passent d'ailleurs sous silence le fait que Marx et Engels ont été exclus du premier parti communiste de l'histoire – la Ligue des communistes – par les membres de la section londonienne à laquelle ils étaient affiliés. Les motifs invoqués sont directement liés aux positions qu'ils avaient défendues pendant la révolution : 1. parce qu'il faut « rétablir une solide organisation de la Ligue, afin qu'on ne se contente pas de créer une opposition et d'éditer des gazettes » : allusion évidente à leur activité dans la libérale Nouvelle Gazette rhénane ; 2. « Parce que Marx et Engels ont sélectionné un groupe de semi-littérateurs pour en faire leurs partisans personnels et fantasmer sur leur futur pouvoir politique » ; 3. « Parce que cette camarilla littéraire ne peut être utile à la Ligue et rend toute organisation impossible », et parce que Marx et Engels utilisent la Ligue à leurs fins personnelles, l'ignorant totalement lorsqu'elle ne leur est pas utile – allusion claire à la dissolution autoritaire de la Ligue dans le but de troquer leur titre de membres de comité central contre celui de rédacteurs de la Nouvelle Gazette rhénane [10]. On trouve là une préfiguration des débats qui auront lieu vingt ans plus tard dans l'AIT, à cette différence près que Marx ne sera pas exclu, c'est au contraire lui qui exclura de l'Internationale la presque totalité du mouvement ouvrier mondial...» 117 «Marx n'avait simplement pas
compris une chose que d'autres contemporains – tels que Bismarck –
avaient parfaitement assimilée : on ne fait pas deux
fois la même révolution.
L'exemple français de la fin du XVIIIe siècle n'avait lui-même pas eu
de modèle, en ce sens que les acteurs de 1789 n'avaient pas d'idée
préconçue sur la façon dont les choses devaient se dérouler. 1789, au
contraire, avait beaucoup appris aux monarques allemands, dont le souci
principal fut de conserver une force militaire indépendante afin
d'éviter de reproduire l'erreur fatale commise par Louis XVI, le 14
juillet 1789, en ne faisant pas donner la troupe. Le roi de Prusse et
l'empereur d'Autriche font toutes les concessions à la Diète, à
l'assemblée de Francfort, à la constitution, mais ils ont gardé l'armée
à Potsdam, conservant une force armée intacte : Frédérick-Guillaume a
attendu un an que les divisions apparaissent dans le camp
révolutionnaire pour jouer son thermidor et rétablir l'ordre.»
118-119 L'État par Marx et Bakounine : «Marx, qui a bien vu que la bourgeoisie
française éprouvait une peur
rétrospective de sa propre révolution,
n'a pas envisagé qu'il pût en être de même pour la bourgeoisie
allemande. En cela, il s'est montré infiniment moins perspicace que
Bismarck, que Bakounine définit curieusement comme l'homme qui a
réalisé le modèle d’État auquel aspirait Napoléon Ier. La comparaison,
à première vue, peut paraître surprenante. Napoléon est, pour
Bakounine, porté par la vague de la Révolution française, laquelle se
tua de ses propres mains, parce que le « triomphe de la démocratie
déchaînée et désordonnée amena forcément celui de la dictature
révolutionnaire ». Mais Napoléon Bonaparte est également l'inventeur
d'une conception nouvelle de l’État qui vise à « établir en Europe un
despotisme nouveau, plus puissant et plus écrasant même que le
despotisme monarchique absolu qui avait succédé (...) à la guerre de
Trente Ans ». Mais alors que Marx considère l’État de type bonapartiste
comme une forme politique dépassée, il est, pour Bakounine, le
prototype de l’État de l'avenir, qui ne se laisse entraîner par «
aucune prédilection soit politique, soit religieuse, soit de classe, en
tenant compte de tous les progrès scientifiques et industriels du
siècle et en emploient pour son édification tous les éléments réels et
sérieux de la société moderne » (VIII, 486).... l'exemple français n'a pas servi qu'aux classes dominantes, il a aussi servi aux classes moyennes. Les révolutionnaires de 1789, qui étaient formés de la bourgeoisie et d'une partie de l'aristocratie, avaient fait appel à la foule parisienne sans en deviner toutes les conséquences possibles. Les classes moyennes allemandes avaient appris la leçon et montraient beaucoup plus de circonspection à faire appel à la foule urbaine. Ainsi, on comprend d'autant moins l'obstination de Marx à vouloir reproduire le modèle français, alors qu'il détenait tous les éléments pour en mesurer les limites. Imaginer la reproduction du modèle français en Allemagne ne semble pas concevable à Bakounine. La Révolution française peut bien être une référence, un sujet de réflexion ou d'inspiration, mais pas un modèle opérationnel. Acteur des événements, autrement plus que ne le fut Marx, il sait que pour vaincre, la Révolution allemande, doit s'appuyer sur les paysans, ce que les démocrates allemands ne font pas.» Ce phénomène, Bakounine l'appelle césarisme [le même cité par Simone Weil ?], qu'on peut comparer avec le bonapartisme de Marx. On y trouve la tendance de l’État à s'autonomiser par rapport aux classes sociales, ce qui lui permet de ne se laisser entraîner par aucune prédilection de classe. Marx dira de même que Napoléon « opprime en despote le libéralisme » et qu'il considère l’État comme « une fin en soi ».» et 222-223 «Quant au pouvoir — et
particulièrement le pouvoir d’État — l'intérêt de l'œuvre de Bakounine
est qu'elle ne se limite pas à considérer qu'il n'est que la simple
expression politique de forces qui se situent dans la sphère de
l'économie. Le pouvoir est une dynamique qui s'auto-conserve et
s'auto-reproduit. L’État se définit aussi comme un phénomène religieux,
ce qui s'exprime, dit Bakounine, par le fait que les premières formes
de pouvoir ont revêtu un caractère sacerdotal : l’État-Église,
l'État-frère cadet de l’Église, sont des notions qui reviennent souvent
au fil de la plume du Russe. Au contraire de Marx, Bakounine pense que
la critique de la religion n'est pas achevée : elle est
consubstantielle à la critique de l’État. Faut-il s'étonner dès lors de
découvrir que le clergé du haut Moyen Age est présenté comme une classe
dominante, propriétaire à titre oligarchique des moyens de production,
se recrutant par cooptation des élites de la société, organisée de
façon strictement hiérarchique et soudée par une idéologie à vocation
universelle ?»
119 «Ce nouveau type d’État, inauguré par Napoléon mais encore imparfait dans les années qui ont suivi la Révolution française, parce qu'il est encore enveloppé dans la gangue de l'ancien régime ; ce « despotisme nouveau », un autre le réalisera : là est précisément « la tâche que s'est imposée M. le comte de Bismarck ». La filiation entre les deux hommes pourra certes étonner. Bakounine considère en effet que Napoléon consolide malgré tout les acquis de la Révolution, alors que Bismarck est l'homme issu d'une classe réactionnaire, au service d'une classe réactionnaire. L'analogie se situe ailleurs : l'empereur et le chancelier bousculent à l'occasion les classes de la société, sans distinction, pour la réalisation de leur objectif, qui est la mise en œuvre d'un système étatique mettant à son service tous les moyens modernes. La réussite de Bismarck consiste en ce qu'il ne se laissait emporter par aucun préjugé, par aucune fausse vanité, et qu'au contraire de Napoléon il ne sacrifia jamais la réalité à l'effet.» 119-120 «A l'opposé de Marx, Bakounine pense que le système représentatif (que Bismarck a mis en place en Allemagne dès 1866) ne conduit pas à un régime moins autoritaire que les despotismes mis à bas par la Révolution française, ni que le suffrage universel puisse en quelque façon que ce soit rapprocher l'échéance du socialisme. Le génie de Bismarck a été de comprendre que l'économie capitaliste moderne exige, pour assurer son développement, un vaste appareil étatique centralisé capable de garantir l'exploitation de millions de travailleurs [12]. Bakounine s'efforce de montrer que la dynamique du développement capitaliste et celle du développement de l’État suivent une tendance parallèle vers la concentration de la puissance politique et vers une extension de la sphère d'action des grandes sociétés monopolistes et des États. La concentration du capital a son corollaire dans la constitution de grands blocs étatiques, processus qui tend à aboutir à la création, pourtant impossible, d'un grand « État universel ». Non seulement la démocratie représentative est parfaitement adaptée aux exigences du capitalisme développé, elle lui est aussi nécessaire, car cette forme de pouvoir réunit deux conditions indispensables à la prospérité de la grande production industrielle : la centralisation politique et la sujétion du peuple souverain à la minorité qui le représente et à ses ayants droit.» Haut de page Page en amont Des visites régulières de ces pages mais peu de commentaires. Y avez-vous trouvé ou proposez-vous de l'information, des idées de lectures, de recherches ... ? Y avez-vous trouvé des erreurs historiques, des fautes d'orthographes, d'accords ... ? Ce site n'est pas un blog, vous ne pouvez pas laisser de commentaires alors envoyez un mail par cette adresse robertsamuli@orange.fr Au plaisir de vous lire. |