Sortir de l'histoire officielle

     


Hermann Hesse  (1877-1962)

Mots, idées, concepts, personnalités repérés : naissance du doute, Bible (Caïn), Nietzsche, La Passion et le mouvais larron, volonté et Volonté

Le loup des steppes

Demian


Le jeu des perles de verre



Le loup des steppes

4ème de couverture «Expérience spirituelle, récit initiatique, délire de psychopathe, Le Loup des steppes multiplie les registres. Salué à sa parution en 1927 (entre autres par Thomas Mann, qui déclare : « Ce livre m’a réappris à lire »), interdit sous le régime nazi, roman culte des années 1960 et 1970, c’est une des œuvres phares de la littérature universelle du xxe siècle. Il méritait une nouvelle traduction. Le voici enfin rendu avec tout l’éclat de ses fulgurances, la troublante obscurité de ses zones d’ombre.
Nouvelle traduction de l’allemand  par Alexandra Cade.»

Roman en partie autobiographique, la femme du personnage principal a eu les mêmes difficultés psychologiques que la femme de Hesse et l'ami de jeunesse Harry Haller s'appelle Hermann comme l'auteur. Ce Hermann qui deviendra Hermine.

Remarques sur le texte publié en 1927 :
Page 28-29 «... autour de l'araucaria, tout est si net et éclatant, l'endroit a si bien été épousseté, ciré, astiqué, il est d'une propreté irréprochable ... le reste donnent à ce lieu un parfum qui exprime à sa petite échelle le summum de la propreté bourgeoise ...» Ici c'est un araucaria, pour Orwell c'est l'aspidistra, parfois une plante exprime le confort propret et clos où la variété du monde en est exclue, donnant le sentiment illusoire de sécurité.
39 «Une personnalité telle que Nietzsche a dû subir le mal d'aujourd'hui avec plus d'une génération d'avance ; les souffrances qu'il fut contraint d'endurer dans la solitude et l'incompréhension affligent désormais des milliers d'hommes.»
42 «une névralgie ... térébrante ...» du latin terebrans = perçant. Une douleur de la surface s'approfondit.
47 Comme pour Schopenhauer la musique serait l'art qui donne un accès direct à la Chose en soi : «C'était lors d'un concert où l'on donnait une pièce admirable de musique ancienne. Entre deux mesures jouées piano par les bois, la porte de l'au-delà s'était brusquement rouverte. J'avais parcouru le ciel et vu Dieu à l'œuvre ; j'avais souffert avec félicité, n'opposant plus aucune résistance aux choses du monde, ne craignant plus rien, acquiesçant à tout, laissant mon cœur s'ouvrir à tout.»
90 Avant d'argumenté pour une âme multiple l'auteur partage la vision de Schopenhauer, disciple de Kant, réduite à la formule «Le monde est ma représentation.» : «L'être humain ne dispose pas d'une grande capacité de penser l même le plus intellectuel et le plus cultivé des hommes voit le monde et sa propre personne à travers un prisme de formules très naïves, simplificatrices, qui travestissent la réalité. Oui, c'est avant tout sa propre personne qu'il perçoit ainsi car tous les hommes ont, semble-t-il, un besoin inné et impérieux de concevoir leur moi comme une unité. ...»
120-121 L'allemand prêt pour le nazisme «Je m'arrêtai un instant devant la maison et levai les yeux vers les fenêtres. C'est donc ici qu'habite cet homme, pensai-je. Année après année, il poursuit son travail, lit et commente des textes, cherche des correspondances entre les mythologies du Proche-Orient et celles de l'Inde. Cela l'emplit de bonheur car il croit à l'importance de sa tâche ; il croit à la science dont il est le serviteur ; il croit à la valeur du simple savoir, à l'accumulation des connaissances ; il a foi dans le progrès, dans le développement. Il n'a pas vécu la guerre, le bouleversement des fondements traditionnels de la pensée provoqué par Einstein (il croit que cela ne concerne que les mathématiciens). Il ne se rend pas compte qu'autour de lui, la prochaine guerre se prépare. Il trouve les Juifs et les communistes haïssables.»
199-200 Un vieux matriarcat mythique, un refus de la raison pour s'enivrer d'états d'âme merveilleux, la fuite du réel pour des rêves qui vont se transformer en cauchemars «Durant cette errance nocturne, j'avais également réfléchi au curieux rapport que j'entretenais avec la musique. Une fois de plus, je me rendis compte que ce lien, aussi émouvant que fatal, faisait partie intégrante du destin de tous les intellectuels allemands. L'esprit allemand est dominé par le matriarcat, par un assujettissement à la nature qui se manifeste sous la forme d'une hégémonie de la musique, telle qu'aucun peuple ne l'a jamais connue. Mais au lieu de nous défendre de façon virile contre cela, de nous soumettre à l'autorité de l'esprit, du logos, du mot et de faire entendre ceux-ci, nous autres, intellectuels, nous avons tous d'un langage sans paroles, exprimant l'inexprimable, représentant l'irreprésentable. Au lieu de jouer de son instrument avec le plus de fidélité et ü: sincérité possible, l'homme d'esprit allemand a toujours mené une fronde contre le mot, contre la raison, et fait les yeux doux à la musique. Il s'est enivré de celle-ci, de sonorités pleines de félicité, de sentiments et d'états d'âme merveilleux, pleins d'optimisme, qui n'ont jamais été contraints de prendre momie. Et c'est ainsi qu'il a négligé d'accomplir la plupart de ses tâches réelles. Nous autres, hommes de pensée, nous ne sommes pas chez nous dans le concret ; nous lui sommes étrangers et hostiles. Voilà pourquoi aussi l'esprit a joué un rôle tellement misérable dans notre réalité nationale, dans notre histoire, notre politique, notre opinion publique. Eh oui, j'avais souvent médité sur ce sujet, non sans parfois éprouver un violent désir de modeler un jour, moi aussi, le réel, de devenir un homme d'action sérieux et responsable, au lieu de continuer de me consacrer uniquement à l'esthétique et aux arts spirituels. Cependant, je finissais toujours par me résigner, par me soumettre à la fatalité. Les grands généraux et les patrons de l'industrie lourde avaient parfaitement raison : il n'y avait rien à faire avec nous autres, «intellectuels» ; nous représentions un groupe de brillants bavards parfaitement inutiles, étrangers à la réalité et dépourvus de tout sens des responsabilités.»
221-222 «-Tu es bien trop exigeant et affamé pour ce monde simple et indolent, qui se satisfait de si peu. Il t'exècre ; tu as pour lui une dimension de trop. Celui qui désire vivre aujourd'hui en se sentant pleinement heureux n'a pas le droit d'être comme toi ou moi. Celui qui réclame de la musique et non des mélodies de pacotille ; de la joie et non des plaisirs passagers ; de l'âme et non de l'agent ; un travail véritable et non une agitation perpétuelle ; des passions véritables et non des passe-temps amusants, n'est pas chez lui dans ce monde ravissant...
- ... que veux-tu dire, lorsque tu affirmes que les êtres comme nous, ceux qui possèdent une dimension de trop, ne peuvent pas vivre ici ? A quoi cela tient-il ? Est-ce particulier à notre époque ? Ou en a-t-il toujours été ainsi ?
-Je l'ignore. Par respect pour le monde, je veux supposer que cela tient uniquement à notre époque ; qu'il s'agit uniquement d'une maladie, d'un fléau passager. Nos dirigeants travaillent avec vigueur et succès à la prochaine guerre, pendant que nous autres, nous dansons le fox-trot, nous gagnons de l'argent et nous mangeons des pralines. Dans une pareille époque, le monde semble forcément dénué de toute dimension particulière. Il faut espérer que d'autres époques ont été meilleures et le seront encore ; qu'elles seront plus riches, plus ambitieuses, plus profondes. Mais cela ne nous aide pas dans le cas présent. D'ailleurs, peut-être en a-t-il toujours été ainsi...
- Toujours comme aujourd'hui? Le monde a-t-il toujours été fait pour les politiciens, les profiteurs, les garçons de café et les viveurs, ne laissant aucun espace de liberté aux êtres humains ?»
260 à 274 La description du chaos de la future guerre, sa logique absurde et parfois la honte de généraux.
263 Luther aida les princes et les nantis contre les paysans.
274 «Quelle horreur de voir tout ce sang ! Nous avions honte. Mais on dit qu'en temps de guerre, même les généraux éprouvent parfois ce sentiment.»

Mai 2021

Demian (1923)

Du site de l'éditeur et de la 4e de couverture «DemianHistoire de la jeunesse d’Émile Sinclair est le roman d’une adolescence, un roman d’initiation, de formation, et l’un des chefs-d’œuvre du genre.
Demian enseigne à Émile Sinclair à ne pas suivre l’exemple de ses parents, à se révolter pour se trouver, à s’exposer à la fois au divin et au démoniaque, à traverser le chaos pour mériter l’accomplissement de sa destinée propre.
Trois des romans de Hermann Hesse, Demian (chronologiquement le premier), Siddhartha et Le Loup des steppes offrent autant de variations sur le thème de l’étranger qui ne doit pas craindre de se séparer de la société, de « vivre en dehors ».»

Je ne comprends pas la fin et ce lyrisme pour la guerre. Fou ! cet endoctrinement qui emmènent des gens éveillés vers la mort, mort inutile qui ne reste qu'une illusion d'un l'éventuel renouveau de l'âme ou de la société humaine.

Page 44 L'histoire de Caïn « … Ce qui est à l'origine de l'histoire, c'est le signe. Il était un homme dont le visage reflétait quelque chose qui inspirait la terreur aux autres. Ils n'osaient le toucher. Lui et ses enfants leur en imposaient. Sans doute, ou plutôt sûrement, ce n'était pas un signe réel sur le front, comme un sceau, par exemple. Dans la vie, les choses se présentent rarement de façon aussi grossière. C'était un je ne sais quoi d'inquiétant, une nuance en plus d'intelligence et de hardiesse dans le regard, à laquelle les autres hommes n'étaient pas habitués. Cet homme possédait la puissance. Devant lui, l'on tremblait. Il avait un « signe ». On pouvait l'expliquer comme on voulait, et l'on veut toujours ce qui tranquillise et ce qui vous convient. On avait peur des enfants de Caïn ; ils avaient un « signe ». Aussi, l'on interpréta ce signe, non pour ce qu'il était en réalité, c'est-à-dire une distinction, mais pour le contraire. On déclara que les individus, qui possédaient ce signe étaient inquiétants, et ils l'étaient, en vérité. Les gens courageux, les gens qui ont une forte personnalité, sont toujours peu rassurants. Qu'il existât une race d'hommes hardis, à la mine inquiétante, était fort gênant. Aussi, leur donna-t-on un surnom et l'on inventa ce mythe pour se venger d'eux et pour se garantir de la frayeur qu'ils inspiraient. ...
… De si vieilles histoires sont toujours vraies, mais elles ne sont pas toujours aussi frappantes et ne sont pas toujours expliquées dans leur véritable sens. Bref, je considère Caïn comme un fameux type, et j'estime que c'est uniquement à cause de la crainte qu'inspirait qu'on a inventé toute cette histoire. A l'origine, l'histoire n'était qu'un bruit qui courait parmi les gens, mais il est certain que Caïn et ses enfants portaient une sorte de « signe » et qu'ils étaient autres que la plupart des hommes.
...
… Le fort avait tué un faible. Que ce fût vraiment son frère, on peut en douter ; en somme, cela n'a aucune importance : tous les hommes sont frères. Donc un fort avait tué un faible. Peut-être était-ce un acte héroïque, peut-être non. Mais les autres, les faibles, étaient à présent pleins de frayeur. Ils se plaignirent, et, quand on leur demandait : « Pourquoi ne le tuez-vous pas? » ils ne répondaient pas: « Parce que nous sommes des lâches », mais : « On ne peut pas. Il a un « signe ) » Dieu l'a marqué. » C'est ainsi qu'est née la légende. »
47 Naissance du doute « … confusément, cette pensée me vint à l'esprit : ce Demian n'est-il pas aussi une sorte de Caïn ? Pourquoi le défend-il, sinon parce qu'il a des affinités avec lui ? D'où lui vient cette force dans le regard ? Pourquoi parle-t-il de ce ton railleur des « autres », des peureux qui sont pourtant pieux et agréables à Dieu ?
Ces pensées me hantaient. Une pierre était tombée dans un puits, ce puits était mon âme d'enfant, et durant une très longue période de ma vie, cette histoire du meurtre de Caïn et du « signe » demeura le point où prirent naissance chez moi le doute, l'esprit critique, les tentatives de connaissance. »
72 volonté et Volonté (comme celle de Schopenhauer) « Qu'entends-tu donc par volonté ? Demandai-je. Tu dis que nous n'avons pas de volonté libre, et ensuite, tu déclares qu'il suffit de diriger fermement sa volonté sur un but quelconque afin de l'atteindre. Tu te contredis. Si je ne suis pas maître de ma volonté,
comment puis-jela diriger à mon gré ici ou là ?
...
... c'est très simple. Si, par exemple, un papillon de nuit voulait atteindre une étoile ou quelque chose de semblable, il ne le pourrait pas. Aussi n'essaie-t-il pas. Il cherche seulement ce qui présente un sens et une valeur pour lui, ce dont il a besoin, ce qu'il lui faut absolument. Et il réussit l’incroyable : il crée un sixième sens magique que ne possède aucun autre animal. Nous avons plus de latitude et plus d'intérêts qu'un animal ; mais, nous aussi, nous nous mouvons dans un cercle relativement étroit que nous sommes incapables de franchir. Je puis bien m'imaginer que par exemple, je veuille me rendre sur le-champ au pôle Nord ; mais je ne puis vouloir assez fortement, et par là être capable de réaliser mon désir, que lorsqu'il me possède entièrement. Quand ce cas se présente, quand tu essaies d'accomplir ce qui t'est dicté intérieurement, alors, cela réussit, alors tu peux atteler ta volonté comme un bon coursier. »
76-77 La Passion et le mauvais larron « Le maître nous avait parlé du Golgotha. Le récit biblique des souffrances et de la mort du Sauveur m'avait toujours profondément impressionné et, dans mon enfance, le Vendredi saint, après la lecture par mon père du récit de la Passion, je vivais intimement, plein d'émotion et de ferveur sacrées, dans ce monde douloureux, pâle et beau, fantomal et cependant infiniment vivant : à Gethsémani et sur le Golgotha. Et, pendant l'audition de « la Passion selon saint Mathieu » de Bach, la souffrance obscure, puissante et éclatante de ce monde mystérieux me submergea d'un îlot de frissons mystiques. Aujourd'hui encore, je trouve dans cette musique et dans « l'Actus tragicus » l'expression de tout art et de toute poésie.
A la fin de la leçon, Demian me dit d'un air pensif : « Il y a là, Sinclair. un aspect qui me déplaît. Relis l'histoire et goûte-la sur la pointe de la langue ; il y a là quelque chose de fade : le passage qui concerne les deux lagons. Elle est sublime cette évocation des trois croix qui se dressent côte à côte sur la colline ! Mais voici qu'arrive ce récit sentimental, cette petite histoire de brochure pieuse qu'est la scène avec le bon larron ! Il a été un criminel ; il a commis Dieu sait quelles actions monstrueuses, et maintenant, il larmoie sur ses péchés et manifeste un repentir pleurard. Quelle valeur peut avoir, à deux pas de la tombe, un tel repentir, je te prie ? Mais ce n'est là qu'une histoire, inventée par les prêtres, douceâtre et malhonnête, onctueuse, attendrissante avec un arrière-fond édifiant. Si, aujourd'hui, tu avais à choisir un ami parmi ces deux lagons, auquel des deux accorderais-tu plutôt ta confiance ? Certes, non à ce converti pleurnichard, mais à l'autre. C'est là un type ! Il fait preuve de caractère. lise moque d'une conversion, qui, vu sa situation, ne serait que belles phrases et, au dernier moment, il ne renonce pas lâchement au Diable qui a dû l'aider jusqu'à ce moment-là. C'est un caractère, et dans la Bible, les gens de caractère ne trouvent guère leur compte. Peut-être aussi était-il un descendant de Caïn. Qu'en penses-tu ? »
J'étais fortement troublé. J'avais cru interpréter de façon tout à fait personnelle cette histoire de la Passion et je constatais combien, au contraire, j'avais fait preuve de peu d'originalité, de peu d'imagination et de fantaisie. Cependant, la pensée hardie de Demian menaçait de renverser fatalement des idées auxquelles je croyais devoir rester attaché. Non, on ne pouvait en user ainsi avec tout et rien et pas davantage avec ce qu'il y avait de plus sacré ! »
156-157 Jésus et Nietzsche « Je sens qu'il existe des conflits. Ils éclateront bientôt, crois-moi. Ils n'amélioreront pas le monde. Que les ouvriers tuent les fabricants ou que la Russie et l'Allemagne se jettent l'une sur l'autre, il n'en résultera qu'un changement de possesseurs. Mais ce bouleversement ne sera pas vain. Il nous rendra conscients de la médiocrité des idéaux actuels. Nous serons débarrassés des dieux de l'âge de la pierre. Le monde, tel qu'il est aujourd'hui, veut mourir. Veut s'effondrer,et ainsi en sera-t-il.
... peut-être périrons-nous avec lui. Nous aussi, nous pouvons être tués. Mais notre esprit et notre œuvre ne sauraient mourir. Autour de ce qui subsistera de nous, ou bien autour de ceux qui nous survivront, se concentrera la volonté de l'humanité, cette volonté que l'Europe a étouffée pendant si longtemps par les cris de la foire à la technique et à la science.Et il sera révélé que la volonté de l'humanité n'a jamais été celle des communautés actuelles, des États, des peuples et des églises. Mais le but que la nature tend à atteindre par l'humanité est écrit en chaque individu, en toi et en moi. Il était écrit en Jésus, il l’était en Nietzsche. Quand les communautés actuelles auront disparu, alors ces courants, seuls importants, qui, naturellement, peuvent se présenter chaque jour sous un autre aspect, trouveront la place qui leur est nécessaire.  »

Mai 2023

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