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Hermann Hesse

Mots, idées, concepts, personnalités repérés : histoire, nazisme

Voir aussi pour cet auteur Le loup des steppes

Le jeu des perles de verre

Des articles :
Quel statut pour le savant au sein de la société ? par Alain Gallay Archéologue http://www.archeo-gallay.ch/hermann-hesse-1955/
Aussi de ce site http://www.archeo-gallay.ch/wp-content/uploads/2015/12/7aHesse.pdf
En pdf sur unprolospecule Le siècle des guerres et l’histoire universelle de l’esprit

Une propositon de découpage par regroupement d'idées http://www.archeo-gallay.ch/hermann-hesse-1955/
en pdf Quel statut pour le savant au sein de la société ?

Le texte à partir de ce lien https://livre1.com/lis/le-jeu-des-perles-de-verre/chapitre-8/ (pas retrouvé)
L'âge de la page de variété
Page 27 Les origines de l'Ordre autour de ce jeu l'auteur la situe dans ce qu'il appelle «l’âge de la « page de variétés »». Peut-on le comparer à "La Société du Spectacle" de Guy Debord ?
28 à 30 «Nous reconnaîtrons que nous ne sommes pas en mesure de fournir une définition rigoureuse des productions dont nous avons prêté le nom à cette époque, je veux dire les « articles de variétés ». Il semble qu’ils aient été faits par millions : ils devaient constituer un élément particulièrement prisé de la matière de la presse quotidienne, former le principal aliment des lecteurs en mal de culture, et constituer des comptes rendus ou plutôt des « causeries » sur mille espèces d’objets du savoir. .... Il est fort possible que, dans ces articles fabriqués en série, on ait fait montre d’une bonne dose d’ironie et d’autocritique, dont il faudrait retrouver la clé pour pouvoir les comprendre. Les rédacteurs de ces aimables bavardages étaient, les uns employés par les journaux, les autres « indépendants » ; souvent même on les qualifiait d’écrivains, mais il semble aussi que beaucoup d’entre eux se soient recrutés parmi les clercs, qu’ils aient même été des professeurs d’université réputés. On aimait ceux de ces articles qui rapportaient des anecdotes empruntées aux vies d’hommes et de femmes célèbres, ainsi qu’à leur correspondance. Ils avaient par exemple pour titres : « Friedrich Nietzsche et la mode féminine aux environs de 1870 », ou « les Plats préférés du compositeur Rossini », ou « le Rôle du chien de manchon dans la vie des grandes courtisanes », et ainsi de suite. On aimait également les considérations pseudo-historiques sur des sujets de conversation qui étaient d’actualité pour les gens fortunés, par exemple « le Rêve de la fabrication synthétique de l’or au cours des siècles » ou encore « les Tentatives physico-chimiques pour influencer les conditions météorologiques », et cent autres choses de ce genre. Quand nous lisons les titres de causeries de cette espèce cités par Coldebique, ce qui nous surprend le plus n’est pas tant qu’il se soit trouvé des gens pour faire de cette lecture leur pâture quotidienne, que de voir des auteurs réputés et classés, en possession d’une bonne culture de base, aider à « alimenter » cette gigantesque consommation de curiosités sans valeur. ... De temps à autre, on se plaisait particulièrement à interroger des personnalités connues sur des questions à l’ordre du jour ; ... des acteurs en vogue, des danseurs, des gymnastes, des aviateurs ou même des poètes devaient dire ce qu’ils pensaient des avantages et des inconvénients du célibat, leur sentiment sur les causes présumées de crises financières, etc. La seule chose qui importât, c’était d’associer un nom connu à un sujet qui se trouvait être d’actualité. ... la grande masse de la population, qui paraît avoir eu alors une soif étonnante de lecture, acceptait sans aucun doute tous ces articles grotesques avec le sérieux de la crédulité. le jour même, au plus tard le lendemain, on leur fournissait par surcroît une foule de renseignements anecdotiques, historiques, psychologiques, érotiques et autres sur le sujet à l’ordre du jour ; sur chaque événement d’actualité on s’empressait de répandre des flots d’encre ; et la manière dont toutes ces informations étaient communiquées, filtrées et formulées était manifestement marquée au coin d’une fabrication en série, hâtivement exécutée par des éléments irresponsables.»
Hesse n'est pas gentil en rangeant dans cette orgie de volonté de savoir les cruciverbistes.
30-31 Pour fuir le monde réel «Gardons-nous de ne voir que l’aspect ridicule ou absurde de ce jeu et de nous en moquer. En effet, les hommes de ces devinettes enfantines et de ces dissertations culturelles n’avaient rien d’enfants innocents ni de Phéaciens espiègles. Ils vivaient au contraire une vie d’angoisses, au milieu de la fermentation et des séismes de la politique, de l’économie et de la morale ; ils ont fait force guerres atroces et force guerres civiles : leurs petits jeux culturels n’étaient pas tout bonnement un enfantillage gracieux et dépourvu de sens, ils répondaient à un besoin profond de fermer les yeux, de se dérober aux problèmes non résolus et à un pressentiment angoissant de décadence, pour fuir dans un monde irréel, aussi inoffensif que possible. Ils apprenaient avec constance à conduire les automobiles, à pratiquer des jeux de cartes difficiles, et se consacraient rêveusement à la solution des mots croisés – car devant la mort, la peur, la souffrance et la faim, ils étaient presque sans défense ; les Églises ne pouvaient plus les consoler, ni l’esprit les conseiller. Eux, qui lisaient tant d’articles et qui entendaient tant de conférences, ils ne prenaient ni le temps ni la peine de se fortifier contre la crainte, de combattre en eux-mêmes la peur de la mort, ils vivaient pantelants au jour le jour et ne croyaient pas à un lendemain.»
32 «...un terrible sentiment d’insécurité et de désespoir gagna précisément les intellectuels. On venait en effet de découvrir (on l’avait déjà pressenti çà et là depuis Nietzsche) que la jeunesse et la période créatrice de notre culture appartenaient au passé, que celle-ci était au seuil de sa vieillesse et de son crépuscule, et cette constatation, soudain sensible à tous et que beaucoup formulaient sans ambages, servait d’explication à tous ces indices angoissants de l’époque : à la sinistre mécanisation de la vie...»
Comme Heidegger Hesse avait la crainte de la mécanisation mais ce dernier n'exprimait pas la haine de l'autre.
L'inculture nazi :
Je n'apprécie pas que l'on utilise les mots de moral, de décadence. C'est bien un discours d'époque qui a décrit la montée du nazisme mais qu'utilisaient aussi les nazis pour détruire toute liberté.
33 «...les écrivains qui avaient proclamé la doctrine de la décadence de la culture prêtaient facilement le flanc à l’adversaire : D’ailleurs, quiconque ouvrait les hostilités contre ces prophètes menaçants trouvait audience et crédit chez les bourgeois, car l’idée que la culture, qu’hier encore on croyait posséder et dont on était si fier, ne fut plus de ce monde, que la culture, l’art chers aux bourgeois ne fussent plus la vraie culture ni l’art authentique, cela ne leur paraissait ni moins impertinent ni moins intolérable que les soudaines inflations monétaires et la menace que les révolutions faisaient peser sur leurs capitaux. En présence de ce grand climat de décadence, il y avait aussi l’attitude du cynisme : on allait danser et l’on déclarait que le souci de l’avenir était une ânerie d’un autre âge ; dans des articles de variétés bien sentis on se faisait le chantre de la fin prochaine de l’art, de la science et de la langue ; en une sorte de hara-kiri voluptueux on constatait, dans ce monde d’articles, qu’on avait bâti soi-même en papier, la démoralisation radicale de l’esprit, l’inflation des idées, et l’on faisait semblant d’assister avec une impassibilité cynique ou avec une ivresse de bacchanales à la décadence non seulement de l’art, de l’esprit, des moeurs et de l’honnêteté, mais même de l’Europe et du « monde ». Le pessimisme régnait, sombre et taciturne chez les bons, hargneux chez les mauvais, et il fallut démolir les vestiges du passé et refondre jusqu’à un certain point l’ordre du monde et de la morale par la politique et par la guerre, pour que la culture pût réellement faire son propre examen et s’adapter à un ordre nouveau.»
L'auteur met en avant la musicologie mais n'est-elle pas aussi une fuite du présent et des autres ?
et aussi d'une façon prétentieuse et fermée 37 «...ne peut-on parler musique qu’avec des gens qui ont compris le sens du monde.»
Page 34 Les pèlerins d'Orient et Novalis Regards sur l'oeuvre de Novalis
75-76 Le printemps - le parfum de sureau - Schubert «J’avais alors trouvé chez mon professeur de piano un vieux volume de notes qui exerça sur moi un attrait puissant : c’était un recueil des chansons de Franz Schubert. Je les avais feuilletées une fois où j’avais dû attendre le professeur assez longtemps et, sur ma prière, il me les avait prêtées pour quelques jours. Durant mes heures de liberté, je vécus tout entier dans les délices de la découverte. Je n’avais rien connu de Schubert jusqu’alors et j’étais entièrement sous son charme. Or, le jour de cette promenade aux sureaux, ou le lendemain, je découvris la chanson de printemps de Schubert, Die linden Lüfte sind erwacht [31], et les premiers accords de l’accompagnement de piano me saisirent avec la violence d’une reconnaissance : ces accords avaient un parfum qui était exactement celui du jeune sureau, aussi doux-amer, aussi fort, aussi concentré, aussi plein de l’annonce du printemps. Depuis cet instant l’association : prémices du printemps – parfum du sureau – accords de Schubert, est pour moi quelque chose de stable et de valeur absolue. Dès les premières notes de l’accord, je sens de nouveau aussitôt, et en toutes circonstances le parfum âcre de la plante, et l’union de ces deux éléments représente pour moi les prémices du printemps.»

Quelques indications sur la structure page 40 et sur les règles du Jeu pages 124-125 https://livre1.com/lis/le-jeu-des-perles-de-verre/chapitre-35/
et comparaisons avec le jeu d'échecs page 126
Rejet de la philosophie de l'histoire :
page 126 écrit entre 1931 et 1943 dans Le jeu des perles de verre : «[Au contraire de la forme, le sens ne s’enseigne pas.] «C’est en voulant enseigner ce « sens » que les philosophes de l’histoire ont gâché la moitié de l’histoire universelle, ouvert la porte à l’ère des pages de variétés et contribué à faire répandre une quantité de sang.»» citation tirée du site http://www.archeo-gallay.ch/hermann-hesse-1955/
351-352 «... ce qu’on a appelé la philosophie de l’histoire ; nous en trouvons chez Hegel l’épanouissement le plus spirituel, et l’effet en même temps le plus dangereux ; dans le siècle suivant, elle aboutit aux falsifications historiques les plus odieuses et fit oublier la valeur morale de l’esprit de vérité. La prédilection pour cette prétendue philosophie de l’histoire constitue, à nos yeux, l’un des caractères principaux de cette époque de profond abaissement spirituel et de conflits politiques de grande envergure, qu’il nous arrive de qualifier de “siècle des guerres”, mais que généralement nous appelons l’“ère des pages de variétés”.»
L'isolement confortable mais illusoire de l'intellectuel :
346-347 «Qu’on me permette d’illustrer cette situation par une parabole : un homme, dans une mansarde, est plongé dans un subtil travail d’érudit, quand il s’aperçoit que le feu a dû éclater en bas de sa maison. Il ne va pas se demander si c’est une obligation de sa fonction, ni s’il vaut mieux qu’il mette ses tableaux au net : il descendra quatre à quatre et essaiera de sauver l’immeuble. Je suis moi-même à l’un des étages supérieurs ... ; je ne travaille qu’avec des instruments délicats et sensibles, mais c’est mon instinct, mon nez qui me font remarquer que cela brûle quelque part en bas, que tout notre édifice est menacé, en danger, et que ce que j’ai à faire, ce n’est pas d’analyser de la musique ni de nuancer des règles du Jeu, mais de me précipiter là d’où vient la fumée.
... Nous avons la chance de vivre à l’abri, dans un petit univers propre et serein, et la grande majorité d’entre nous, si singulier que cela puisse paraître, vit dans la fiction que cet univers a toujours existé et qu’on nous y a mis au monde. Moi-même, j’ai passé mes jeunes années dans cette illusion fort agréable, alors que la réalité m’était cependant parfaitement connue, ...
.. l’administration m’y avait envoyé, que j’y avais été élevé, ... l’Ordre, le Directoire, les établissements d’enseignement, les archives ... n’avaient pas été là de tout temps et n’étaient pas l’œuvre de la nature, mais une création tardive et noble de la volonté humaine, périssable comme toute chose créée. Tout cela, je le savais, mais pour moi cela n’avait aucune réalité, je n’y pensais pas, tout simplement ; je regardais à côté, et je sais que plus des trois quarts d’entre nous vivent et mourront dans cette singulière et agréable illusion.»
348-349 «... si nous considérons notre Ordre comme une aristocratie et si nous essayons de faire notre examen de conscience, pour savoir dans quelle mesure notre attitude à l’égard de notre peuple et du siècle justifie notre position privilégiée, dans quelle mesure peut-être cette maladie caractéristique des aristocraties, l’hybris, la suffisance, l’orgueil de classe, la fatuité, une ingratitude de profiteurs se sont déjà emparés de nous et nous régentent, cela peut nous donner à penser. Il se peut que l'[intellectuel] d’aujourd’hui observe les lois de l’Ordre, qu’il ne manque ni de zèle, ni de culture intellectuelle ; mais ce qui lui manque, n’est-ce pas souvent de comprendre quelle est sa place dans la structure de notre peuple, dans le siècle, dans l’histoire universelle ? A-t-il conscience de ce qui est le fondement de son existence, sait-il qu’il appartient à un organisme vivant, qu’il en est une feuille, une fleur, un rameau ou une racine ? Se doute-t-il des sacrifices que le peuple fait pour lui, en le nourrissant, en l’habillant, en lui permettant d’aller à l’école et de faire ses multiples études ? Et se soucie-t-il beaucoup du sens de la situation sociale, de la place à part qui nous sont faites ? A-t-il vraiment idée du but de notre Ordre et de notre vie ? En admettant même qu’il y ait des exceptions, de nombreuses et louables exceptions, j’incline à répondre non à toutes ces questions. Peut-être l[intellectuel] moyen n’a-t-il pour l’homme du siècle et l’être peu cultivé ni mépris, ni envie, ni haine ; mais il ne le considère pas comme son frère, il ne voit pas qu’il lui doit son pain, il ne sent pas le moins du monde qu’il est responsable avec lui de ce qui arrive à l’extérieur, dans le siècle. Il lui semble que le but de sa vie, c’est de cultiver les sciences pour l’amour d’elles-mêmes ou, tout bonnement, d’errer avec délices dans le jardin d’une culture qui joue volontiers à l’universalité, sans y atteindre tout à fait. Bref, cette culture ..., qui a certes de la grandeur et de la noblesse, et à laquelle je dois une profonde gratitude, ne constitue pas chez la plupart de ses possesseurs et de ses représentants un organe et un instrument ; elle n’est pas active, ni orientée vers des objectifs, elle ne se met pas consciemment au service de valeurs plus grandes ou plus profondes ; au contraire, elle est un peu portée au narcissisme et à la fatuité, elle se plaît à développer et à affiner les spécialisations intellectuelles.»

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