Sortir de l'histoire officielle

     


Ossip Mandelstam (1891-1938)



Mots, idées, concepts, personnalités repérés : L'anthroposophie, premier goulag avec lénine, Henri Bergson, Coup d'État sanglant des bolcheviks, diaspora et assimilation, Les mencheviks, Nikolaï Goumilïov (Goumilev), Phénomène, Pogroms, Vassili Rozanov antisémite, Symbolisme,

Ce qui lui a causé sa perte :
«À l'automne 1933, il compose un bref poème de seize vers, une Épigramme contre Staline, Le Montagnard du Kremlin :
L’Épigramme contre Staline est une
épigramme politique de seize vers écrits en 1933 par Ossip Mandelstam. Le texte accuse Joseph Staline et la Tchéka à travers une désobéissance civile. Il est considéré comme l’un des poèmes politiques russes, parmi les plus mordants et les plus acerbes du XXe siècle1. Cela a valu à son auteur d'être exilé et condamné aux travaux forcés, desquels il ne survivra pas.
« Nous vivons sourds à la terre sous nos pieds,
À dix pas personne ne discerne nos paroles.
On entend seulement le montagnard du Kremlin,
Le bourreau et l'assassin de moujiks.
Ses doigts sont gras comme des vers,
Des mots de plomb tombent de ses lèvres.
Sa moustache de cafard nargue,
Et la peau de ses bottes luit.
Autour, une cohue de chefs aux cous de poulet,
Les sous-hommes zélés dont il joue.
Ils hennissent, miaulent, gémissent,
Lui seul tempête et désigne.
Comme des fers à cheval, il forge ses décrets,
Qu'il jette à la tête, à l'œil, à l'aine.
Chaque mise à mort est une fête,
Et vaste est l'appétit de l'Ossète. »»

Extraits de sa biographie par Ralph Dutli
Page 24 à 28 Diaspora et souhaits d’assimilation dans l’Europe du nord « Les Mandelstam ne faisaient donc pas partie de ces Juifs polonais qui avaient vécu « l'âge d'or » du royaume polono-lituanien, cette époque de prospérité économique et de riche érudition qui précéda la catastrophe de 1648. Cette année-là, les Cosaques du hetman Bohdan Khmelnitski envahirent l'Ukraine et massacrèrent, au cours de leur insurrection contre la domination polonaise, plus de cent mille Juifs. Ce crime constitue l'ignoble précédent dont se réclameront tous les pogroms ultérieurs.En ce temps-là, les ancêtres de Mandelstam vivaient encore en Allemagne, dans le ghetto d'une ville inconnue.
Ses ancêtres étaient probablement arrivés en Allemagne par la route de l'Europe centrale, ils étaient des « Ashkenazims » (le mot « Ashkenaze » désignait l'Allemagne dans la littérature rabbinique médiévale). Ou peut-être n'avaient-ils pris la route du nord qu'après l'expulsion des Juifs d'Espagne (« Séfarades ») par Isabelle de Castille, en 1492. C'est ainsi, du moins, que Mandelstam voulait voir les choses. Ayant lu, pendant sa relégation à Voronq en 1936, un livre sur les victimes de l'Inquisition, il jeta son dévolu sur un poète juif espagnol et prétendit avec insistance qu'« au moins une goutte de son sang » coulait encore dans ses veines. En définitive, la relation de Mandelstam à son identité juive ne sera pas déterminée par « l'appel du sang », mais restera complexe et changeante, alternant les phases de mise à distance et de rapprochement.
...
Le père de Mandelstam, Empli-Khatzkel Benjaminovitch Mandelstam (1856-1938) était né dans le shtetl de Jagory, situé aujourd'hui en territoire lituanien dans le gouvernement de Kovno (Kaunas en lituanien). Destiné à devenir rabbin, il se rebelle contre une éducation strictement orthodoxe, passant ses nuits au grenier à apprendre l'allemand et à lire les livres profanes interdits. Pour des raisons historiques, la culture allemande exerçait une grande attraction dans les pays Baltes. Emili Mandelstam finit par fuir l'esprit étroit du shtetl pour œjoindre Berlin. Au lieu de fréquenter assidûment la Yeshiva (l'école supérieure talmudique), il céda à son goût pour la littérature et la philosophie allemandes,lut Goethe, Schiller et Herder, et étudia Spinoza.

La famille de la mère de Mandelstam, Flou Ossipovna Verblovskaïa(1866 1916), était déjà plus avancée sur la voie de l'assimilation. Elle était originaire de la « Jérusalem du Nord » : Vilnius, en Lituanie, haut lieu de l’érudition juive et centre de la Haskala. Flora Verblovskaïa appartenait à une famille d'intellectuels et avait fréquenté un lycée russe de Vilnius. Dans cette ville,la langue de l'assimilation notait pas le polonais, mais le russe. Une formation laïque n'était possible que dans la langue des écoles d'état. Un nombre croissant de jeunes Juifs fréquentaient les lycées russes et constituaient à Vilnius une intelligentsia éduquée dans la langue de Pouchkine. On les appelait les Litvaks. Mandelstam, dans sa prose autobiographique, se souvient : « Le mot Intellectuel,ma mère et surtout ma grand-mère le prononçaient avec fierté.»
Ainsi, les parents de Mandelstam étaient-ils issus du judaïsme balte sous domination russe tsariste, mais de familles aux attaches traditionnelles fortement divergentes : judaïsme du shtetl du côté paternel,judaïsme de la Haskala, progressiste et urbain, du côté maternel l.'un comme l'autre aspiraient néanmoins à l'assimilation. »
Bohdan Khmelnitski «...chef militaire et politique des Cosaques d'Ukraine, alors territoire relevant de la république des Deux Nations (royaume de Pologne et grand-duché de Lituanie). Il est à l'origine d'un soulèvement contre la noblesse polonaise en 1648»
De nombreux massacres ont lieu en Ukraine pendant ces années. Ils visent des Polonais, des uniates, considérés comme hérétiques et accusés d'être les agents de la polonisation, ainsi que des Juifs, dont certains sont des intermédiaires économiques entre la classe dirigeante et les paysans6, ceci s'ajoutant à l'antijudaïsme religieux traditionnel et à la désignation des Juifs comme boucs émissaires.
Les pogroms déciment particulièrement les communautés juives d'Ukraine, réduisent en cendres des centres importants de Volhynie, de Lituanie et de Pologne.
Ces événements sanglants, comportant des épisodes d'une extrême cruauté, sont évoqués par de nombreux auteurs. Dans son livre Le Fond de l'abîme, Nathan ben Moses Hannover (en), témoin oculaire, appelle Khmelnytsky « le persécuteur » en décrivant les malheurs des Juifs, massacrés, ou convertis de force au christianisme, ou vendus comme esclaves sur les marchés de Constantinople - comme c'est également le cas de catholiques romains et de chrétiens uniates tués ou emmenés en captivité.
Un roman d'Isaac Bashevis Singer publié en 1933 débute par une chronologie historique évoquant cette période de persécutions et de tueries antijuives en Ukraine en 1648-1649. Il cite une complainte de badkhn, l’amuseur traditionnel des mariages juifs, qui rappelle ces épisodes :
« Les haïdamaks nous ont massacrés et martyrisés.
Ils tuèrent de jeunes enfants, ils enlevèrent des femmes.
Chmielnicki fendait les ventres et y cousait des chats (à cause de nos péchés !).
Voilà pourquoi nous nous lamentons si fort et t’implorons,
Venge, Seigneur, le sang de tes saints massacrés ! »
— Carole Ksiazenicer-Matheron, Messianisme et intertextualité dans La Corne du bélier, d'Isaac Bashevis Singer.
Le nombre de Juifs tués durant cette période varie selon les sources. 40 000 selon Shaul Stampfer (en), 50 000 à 60 000 selon l'historien Henri Minczeles, de 80 à 100 000, selon l'historien Ilia Tcherikover. D'autres historiens considèrent que faute de données fiables, il est impossible d'établir des chiffres précis. « À ce jour le soulèvement de Khmelnytsky est considéré par les Juifs comme l'un des événements les plus traumatisants de leur histoire ».
...
systématique des Juifs en 1648-49, l'archevêque Jonathan de Tulchinsky et Maksym Kryvonis et Khmelnytsky font figure de héros nationaux mais sont souvent accusés par les historiens du génocideBratslav de l'Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou accuse en 2010 l'armée cosaque de Bohdan Khmelnytsky de nettoyage ethnique et du meurtre délibéré de milliers de Juifs dans la rive droite de l'Ukraine et les mêmes accusations sont répétées en 2018 par le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, qui place Khmelnytsky parmi ceux qui ont commis les plus grands crimes contre le peuple juif, en le comparant à Hitler.»

« Jérusalem du Nord » Vilnius, en Lituanie «Moins connue que les autres capitales baltes car perdue au beau milieu des terres, Vilnius n'en demeure pas moins un trésor d'histoire et de culture. Surnommée la Jérusalem du Nord, sa population juive fut décimée lors de la Seconde Guerre Mondiale.» Porgroms suite
60-61 « Au Collège de Rance, Mandelstam suit les cours du médiéviste Joseph Bédier et du philosophe Henry Bergson. L'un et l'autre laisseront des traces visibles dans l'œuvre du poète. La littérature du Moyen Age français, de la Chanson de Roland à François Villon, fascina Mandelstam toute sa vie.

Mandelstam subit aussi l’influence décisive du philosophe juif français Henry Bergson (1859-1941) qui, en réponse au rationalisme et à la foi en la science qui dominèrent la seconde moitié du XIXe siècle, réhabilita l'intuition. Sa contribution principale à l'histoire des idées fût une nouvelle conception de la conscience en tant que flux, et du temps comme fluide temporel. Il définit ce dernier comme une « durée pure », perceptible uniquement par l'intuition, immédiate, incommensurable, comme un devenir continu, de l’ordre des intensités. A l’époque, il n'y avait pas de philosophie plus poétique. Du miel pour un aspirant poète ! De la cour du Collège de Frange, des grappes humaines suivaient par les fenêtres ouvertes les révélations du penseur. Son œuvre maîtresse, L’Évolution créatrice, paraît en 1907, pendant le séjour parisien de Mandelstam. »
68 « Plus tard, en 1923, Mandelstam fera quelques remarques acerbes sur ce « pays préservé » [la Suisse]... il fustige sur un ton sarcastique les symbolistes et les anthroposophes, le temple de Dornach et la Suisse repue, sous la domination des hôteliers : « D’où vient l'idée saugrenue, le mauvais goût de construire un « temple de la sagesse universelle » en un lieu aussi mal choisi ? On ne voit alentour que des portiers, des pensions et des hôtels, et des gens qui sortent leurs chéquiers et cultivent leur santé. C'est l'endroit le plus préservé du monde. Un petit bout de terre neutre et propret, et avec ça, dans sa prospérité repue, internationale, le coin le plus immonde de toute l'Europe. »
Mandelstam, dont la vie fut loin d'être épargnée et préservée, n'avait guère d'affinités avec un pays qui se complaisait dans sa « propreté » et sa « neutralité ». »
89 « Le 14 mars 1911, ... Mandelstam fait la connaissance d'Anna Akhmatova. De deux ans son aînée, vêtue de noir, taciturne, mystérieuse comme un sphinx, Akhmatova vit à Tsarskoïe Sélo et elle est mariée depuis un an avec le poète Nikolaï Goumilïov (Goumilev) que Mandelstam avait déjà rencontré à Paris. Mais cette fois, la rencontre fera date. Elle compte parmi les plus importantes de la vie de Mandelstam, Anna Akhmatova restera jusqu'à la fin une confidente et une interlocutrice privilégiée. Et le dialogue avec Goumiliov ne fut, selon Mandelstam, « jamais interrompu », même après sa mort violente (Goumiliov sera fusillé en 1921 en tant que « contre révolutionnaire») »
96 « Goumiliov avait souligné la valeur propre de chaque phénomène (« Tous les phénomènes sont frères »). Mandelstam proclame dans son manifeste le « principe d'identité » et la «  capacité de s’étonner » devant l'immensité de l’être.
« La capacité de s’étonner est la principale vertu du poète. Or, comment ne s’étonner du princite le plus fécond - le principe d'identité ? [...] Ainsi la poésie, qui reconnaît la souveraineté du principe d'identité, reçoit-elle sans condition ni restriction aucune tout ce qui existe comme un fief qui lui est accordé pour la durée de toute une vie. »
Le « principe d'identité » vise les symbolistes, qui s'étaient épuisés dans leur quête des symboles et des analogies. Dix ans encore après les manifestes, Mandelstam, dans son essai « De la nature du verbe » (1922), affirme de façon polémique :
« Voici où mène le symbolisme professionnel. Il décourage toute perception directe. Rien de vrai, rien d'authentique. Redoutable contredanse de « correspondances » qui se renvoient l' une à l'autre. Clins d'œil à l' infini. Pas un seul mot clair et précis, tout est allusion, non-dit. La rose renvoie à la jeune fille, la jeune fille à ta rose. Nul ne veut être soi. [...]L'acméisme est né d'un reget : « Au diable le symbolisme, vive la rose vivante ! » »
107 La haine antisémite de Vassili Rozanov (non indiqué dans Wikipédia) pendant l'affaire Mendel Beïlis (affaire dreyfus russe).
116 La «force morale» des acméistes Mandelstam, Goumiliov et Akhmatova par leur conscience radicale de leur «légitimité», en en paieront cher face au pouvoir totalitaire.
161-162 Coup d'État sanglant des bolcheviks (massacre de junkers et des femmes gardant le palais d'Hiver). Suivi d'un échec humiliant aux élections de l'assemblée constituante (25% contre 62% pour les SR et les mencheviks). Mandelstam l'un des premiers à réagir littéralement, où Lénine est un usurpateur. Ceci lui sera repproché pendant la seci=onde et dernière arrestation en 1938.
177-178 Blioumkine agent de la Tchéka aux propos provocateurs (se ventant en public du pouvoir de vie ou de mort sur tous les poètes). Personnage protégé malgré l'écoute des plaintes au près de Dzerjinski fondateur et dirigeant de la Tchéka.
190-191 En août 1919 massacre par la Tchéka à Kiev.
202 « … au cours de la guerre civile. Aux yeux de beaucoup de militaires [les Blancs], les Juifs étaient tous des bolcheviques, et le combat contre ces derniers offrait un prétexte aux pogroms. Entre 1917 et 1921, on ne recense pas moins de mille deux cent trente-six pogroms, causant la mort de soixante mille personnes ; un demi-million de Juifs perdirent leur maison et tous leurs biens. Arno Lustiger écrit : « Jamais encore dans la douloureuse histoire des Juifs de Russie, les massacres n'avaient eu cette ampleur. ... Les propagandistes des Blancs et les atamans ukrainiens rendaient les Juifs responsables du bolchevisme et de ses crimes. Le vieux cri de guerre : « Tuez les Juifs et sauvez la Russie » se fit à nouveau entendre... La victoire des armées blanches aurait pu signifier l'anéantissement complet des Juifs en Russie. » »
206 «...Batoumi sur la côte sud-est de la Georgie, où les mencheviks avaient établi une éphémère république socialiste»
243 « Déjà du vivant de Lénine, Mandelstam, lucidement, avait perçu l'essence d'une société totalitaire. La « terreur rouge » décrétée par Lénine en septembre 1918 contre toutes les « forces contre-évolutionnaires » avait été un signal tonitruant. En expulsant de force l’élite intellectuelle sur le « bateau des 170 philosophes », à l'automne 1922, le chef du Parti avait donné la preuve de sa méfiance viscérale envers les intellectuels. En créant sur les îles Solovki, en mer Blanche, un camp pénitentiaire destiné aux ennemis du régime, Lénine constitua dès 1923 la première cellule de ce qui devait devenir l'archipel du Goulag. Cette mesure visait l'anéantissement systématique de toute opposition. La propagande présentait le camp des Solovki comme une disposition destinée à protéger le jeune système soviétique, mais Mandelstam se méfiait des euphémismes et répétait à sa femme qu'il n'avait pas encore rencontré une seule personne revenue des Solovki. Tant qu'il n'en aurait pas vu, il ne prêterait pas foi aux affirmations officielles. »
«Après la révolution bolchevique en octobre 1917, les autorités soviétiques ferment progressivement le monastère entre 1920 et 1923 pour incorporer ses bâtiments dans le vaste complexe répressif des Solovki. Les moines, sécularisés, restèrent pour accomplir des travaux de force ainsi que pour accueillir les premiers déportés contre-révolutionnaires, avant d'être à leur tour adjoints à la masse des prisonniers avec le développement des campagnes anti-religieuses qui suivirent la guerre civile russe. Les Solovki devinrent ainsi l'un des premiers camps soviétiques, le SLON, « Direction des camps du nord à destination spéciale » (СЛОНrusse), destiné au « redressement moral » d'éléments socialement condamnables : nobles, bourgeois, intellectuels, mais aussi officiers tsaristes, sociaux-révolutionnaires, anarchistes, mencheviks, etc.»
248 Dérives créatifs publicitaires de Maïakovski et suicide.


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