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Le mythe de Sisyphe 1942

L'homme révolté 1951
dont Actuel II Lettres sur la révolte

André Comte-Sponville dans Albert Camus - La pensée révoltée

La petite fabrique de L'INHUMAIN" par Marylin Maeso

Mots, idées, concepts, personnalités repérés : l'Histoire, phénoménologie, des philosophes, le progrès, la Raison, Simone Weil, et Marx et le marxisme dans les trois textes

Le mythe de Sisyphe 1942

«« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. »
Avec cette formule foudroyante, qui semble rayer d’un trait toute la philosophie, un jeune homme de moins de trente ans commence son analyse de la sensibilité absurde. Il décrit le « mal de l’esprit » dont souffre l’époque actuelle : « L’absurde naît de la confrontation de l’appel humain avec le silence déraisonnable du monde. »»

UN RAISONNEMENT ABSURDE
L'absurde et le suicide
Page 17 «Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l'esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux ; il faut d'abord répondre.»
23 «Nous prenons l'habitude de vivre avant d'acquérir celle de penser. Dans cette course qui nous précipite tous les jours un peu plus vers la mort, le corps garde cette avance irréparable.»
Les murs absurdes
32 «C'est qu'en réalité, il n'y a pas d'expérience de la mort. Au sens propre, n'est expérimenté que ce qui a été vécu et rendu conscient. Ici, c'est tout juste s'il est possible de parler de l'expérience de la mort des autres. C'est un succédané, une vue de l'esprit et nous n'en sommes jamais très convaincus
35 «Tant que l'esprit se tait dans le monde immobile de ses espoirs, tout se reflète et s'ordonne dans l'unité de sa nostalgie. Mais à son premier mouvement, ce monde se fêle et s'écroule : une infinité d'éclats miroitants s'offrent à la connaissance. Il faut [34] désespérer d'en reconstruire jamais la surface familière et tranquille qui nous donnerait la paix du coeur.»
39 «Je disais que le monde est absurde et j'allais trop vite. Ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on en peut dire. Mais ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. L'absurde dépend autant de l'homme que du monde. Il est pour le moment leur seul lien.»
45 «...Husserl et les phénoménologues restituent le monde dans sa diversité et nient le pouvoir transcendant de la raison. L'univers spirituel s'enrichit avec eux de façon incalculable. Le pétale de rose, la borne kilométrique ou la main humaine ont autant d'importance que l'amour, le désir, ou les lois de la gravitation. Penser, ce n'est plus unifier, rendre familière l'apparence sous le visage d'un grand principe. Penser, c'est réapprendre à voir, à être attentif, c'est diriger sa conscience. c'est faire de chaque idée et de chaque image, à la façon de Proust, un lieu privilégié. Paradoxalement, tout est privilégié. Ce qui justifie la pensée, c'est son extrême conscience. Pour être plus positive que chez Kierkegaard ou Chestov, la démarche husserlienne, à l'origine, nie cependant la méthode classique de la raison, déçoit l'espoir, ouvre à l'intuition et au coeur toute une prolifération de phénomènes dont la richesse a quelque chose d'inhumain. Ces chemins mènent à toutes les sciences ou à aucune. C'est dire que le moyen ici a plus d'importance que la fin. Il s'agit seulement « d'une attitude pour connaître... »
Le suicide philosophique
52 «Un homme sans espoir et conscient de l'être n'appartient plus à l'avenir. Cela est dans l'ordre. Mais il est dans l'ordre également qu'il fasse effort pour échapper à l'univers dont il est le créateur. Tout ce qui précède n'a de sens justement qu'en considération de ce paradoxe.»
62 «Rien de plus profond, par exemple, que la vue de Kierkegaard selon quoi le désespoir n'est pas un fait mais un état : l'état même du péché. Car le péché c'est ce qui éloigne de Dieu. L'absurde, qui est l'état métaphysique de l'homme conscient, ne mène pas à Dieu. Peut-être cette notion s'éclaircira-t-elle si je hasarde cette énormité : l'absurde c'est le péché sans Dieu.»
65 «La conscience ne forme pas l'objet de sa connaissance, elle fixe seulement, elle est l'acte d'attention et pour reprendre une image bergsonienne, elle ressemble à l'appareil de projection qui se fixe d'un coup sur une image. La différence, c'est qu'il n'y a pas de scénario, mais une illustration successive et inconséquente. Dans cette lanterne magique, toutes les images sont privilégiées. La conscience met en suspens dans l'expérience les objets de son attention. Par son miracle, elle les isole. Ils sont dès lors en dehors de tous les jugements.»
67 à 70 «..Husserl parle aussi « d'essences extra-temporelles » que l'intention met à jour et l'on croit entendre Platon. On n'explique pas toutes choses par une seule, mais par toutes. Je n'y vois pas de différence. Certes ces idées ou ces essences que la conscience « effectue » au bout de chaque description, on ne veut pas encore qu'elles soient modèles parfaits. Mais on affirme qu'elles sont directement présentes dans toute donnée de perception. Il n'y a plus une seule idée qui explique tout, mais une infinité d'essences qui donnent un sens à une infinité d'objets. Le monde s'immobilise, mais s'éclaire. Le réalisme platonicien devient intuitif, mais c'est encore du réalisme. Kierkegaard s'abîmait dans son Dieu, Parménide précipitait la pensée dans l'Un. Mais ici la pensée se jette dans un polythéisme abstrait. Il y a mieux : les hallucinations et les fictions font partie elles aussi des « essences extra-temporelles ».Dans le nouveau monde des idées, la catégorie de centaure collabore avec celle, plus modeste, de métropolitain. [il taquine, est-ce de l'ironie ?]
Pour l'homme absurde, il y avait une vérité en même temps qu'une amertume dans cette opinion purement psychologique que tous les visages du monde sont privilégiés. Que tout soit privilégié revient à dire que tout est équivalent. Mais l'aspect métaphysique de cette vérité le mène si loin que par une réaction élémentaire, il se sent plus près peut-être de Platon. On lui enseigne en effet que toute image suppose une essence également privilégiée. Dans ce monde idéal sans hiérarchie, l'armée formelle est composée seulement de généraux. Sans doute la transcendance avait été éliminée. Mais un tournant brusque de la pensée réintroduit dans le monde une sorte d'immanence fragmentaire qui restitue sa profondeur à l'univers.
Dois-je craindre d'avoir mené trop loin un thème manié avec plus de prudence par ses créateurs ? Je lis seulement ces affirmations d'Husserl, d'apparence paradoxale, mais dont on sent la logique rigoureuse, si l'on admet ce qui précède : « Ce qui est vrai est vrai absolument, en soi ; la vérité est une ; identique à elle-même, quels que soient les êtres qui la perçoivent, hommes, monstres, anges ou dieux. » La Raison triomphe et claironne par cette voix, je ne puis le nier. Que peut signifier son affirmation dans le monde absurde ? La perception d'un ange ou d'un dieu n'a pas de sens pour moi. Ce lieu géométrique où la raison divine ratifie la mienne m'est pour toujours incompréhensible. ...Husserl tient à propos de l'esprit : « Si nous pouvions contempler clairement les lois exactes des processus psychiques, elles se montreraient également éternelles et invariables, comme les lois fondamentales des sciences naturelles théoriques. Donc elles seraient valables même s'il n'y avait aucun processus psychique. » ...
Me dire que toutes les essences ne sont pas formelles, mais qu'il en est de matérielles, que les premières sont l'objet de la logique et les secondes des sciences, ce n'est qu'une question de définition. L'abstrait, m'assure-t-on, ne désigne qu'une partie non consistante par elle-même d'un universel concret.
...
On s'étonnerait en vain du paradoxe apparent qui mène la pensée à sa propre négation par les voies opposées de la raison humiliée et de la raison triomphante. Du dieu abstrait d'Husserl au dieu fulgurant de Kierkegaard, la distance n'est pas si grande. La raison et l'irrationnel mènent à la même prédication. C'est qu'en vérité le chemin importe peu, la volonté d'arriver suffit à tout. Le philosophe abstrait et le philosophe religieux partent du même désarroi et se soutiennent dans la même angoisse. Mais l'essentiel est d'expliquer. La nostalgie est plus forte ici que la science...
On croit toujours à tort que la notion de raison est à sens unique. Au vrai, si rigoureux qu'il soit dans son ambition, ce concept n'en est pas moins aussi mobile que d'autres. La raison porte un visage tout humain, mais elle sait aussi se tourner vers le divin. Depuis Plotin qui le premier sut la concilier avec le climat éternel, elle a appris à se détourner du plus cher de ses principes qui est la contradiction pour en intégrer le plus étrange, celui, tout magique, de participation. Elle est un instrument de pensée et non la pensée elle-même. La pensée d'un homme est avant tout sa nostalgie.»
71 «La raison porte un visage tout humain, mais elle sait aussi se tourner vers le divin. Depuis Plotin qui le premier sut la concilier avec le climat éternel, elle a appris à se détourner du plus cher de ses principes qui est la contradiction pour en intégrer le plus étrange, celui, tout magique, de participation. Elle est un instrument de pensée et non la pensée elle-même. La pensée d'un homme est avant tout sa nostalgie.»
72 «L'absurde, c'est la raison lucide qui constate ses limites.»
La liberté absurde
L'HOMME ABSURDE
Le don juanisme
La comédie
La conquête
LA CRÉATION ABSURDE
Philosophie et roman
Kirikov
La création sans lendemain
LE MYTHE DE SISYPHE
166 «L’immense détresse est trop lourde à porter. Ce sont nos nuits de Gethsémani ...» Gatchhhmènim (pressoir à huile) - serait l'oliveraie où Jésus a prié avant son arrestation.
L'ESPOIR ET L'ABSURDE DANS L'ŒUVRE DE FRANZ KAFKA
171 «Un symbole est toujours dans le général et, si précise que soit sa traduction, un artiste ne peut y restituer que le mouvement : il n'y a pas de mot à mot. Au reste, rien n'est plus difficile à entendre, qu'une oeuvre symbolique. Un symbole dépasse toujours celui qui en use et lui fait dire en réalité plus qu'il n'a conscience d'exprimer.»
174 «Un symbole, en effet, suppose deux plans, deux mondes d'idées et de sensations, et un dictionnaire de correspondance entre l'un et l'autre. C'est ce lexique qui est le plus difficile à établir. Mais prendre conscience des deux mondes mis en présence, c'est se mettre sur le chemin de leurs relations secrètes.»

L'homme révolté
Actuelles II Lettres sur la révolte

"La petite fabrique de L'INHUMAIN" par Marylin Maeso


««Je me révolte, donc nous sommes», affirme Albert Camus. La révolte est le seul moyen de dépasser l’absurde. Mais le véritable sujet de L’homme révolté est comment l’homme, au nom de la révolte, s’accommode du crime, comment la révolte a eu pour aboutissement les États policiers et concentrationnaires du XXe siècle. Comment l’orgueil humain a-t-il dévié?
De violentes polémiques ont accompagné la sortie de cet essai. Les contemporains de Camus n’étaient pas mûrs pour admettre des vérités qui s’imposent désormais et mettent L’homme révolté en pleine lumière de l’actualité.»

Pages Folio-essais 15
15 «... c'est la philosophie qui peut servir à tout même à changer des meurtriers en juges.»
Une réponse à cette première page : Les mythes de l'URSS et du maoïsme sont passés, la philosophie ne peut plus servir à justifier des crimes d'état. Elle peut encore servir à justifier un libéralisme économique sans frein mais l’environnement passera dessus, balayant ce dernier combat, laissant à nos philosophes la métaphysique.
70 «Deux siècles à l'avance, sur une échelle réduite, Sade a exalté les sociétés totalitaires au nom de la liberté frénétique que la révolte en réalité ne réclame pas. Avec lui commencent réellement l'histoire et la tragédie contemporaines. Il a seulement cru qu'une société basée sur la liberté du crime devait aller avec la liberté des mœurs, comme si la servitude avait ses limites. Notre temps s'est borné à fondre curieusement son rêve de république universelle et sa technique d'avilissement. Finalement ce qu'il haïssait le plus, le meurtre légal, a pris à son compte les découvertes qu'il voulait mettre au service du meurtre d'instinct. Le crime, dont il voulait qu'il fût le fruit exceptionnel et délicieux du vice déchaîné, n'est plus aujourd'hui que la morne habitude d'une vertu devenue policière. Ce sont les surprises de la littérature.»
272 à 275 La Commune et décapitation de la pensée anarchiste : «... la capacité révolutionnaire des masses ouvrières a été freinée par la décapitation de la révolution libertaire, pendant et après la Commune. Après tout, le marxisme a dominé facilement le mouvement ouvrier à partir de 1872, à cause sans doute de sa grandeur propre, mais aussi parce que la seule tradition socialiste qui pouvait lui tenir tête a été noyée dans le sang ; il n'y avait pratiquement pas de marxistes parmi les insurgés de 1871. Cette épuration automatique de la révolution s'est poursuivie, par les soins des États policiers, jusqu'à nos jours. De plus en plus, la révolution s'est trouvée livrée à ses bureaucrates et à ses doctrinaires d'une part, à des masses affaiblies et désorientées d'autre part. Quand on guillotine l'élite révolutionnaire et qu'on laisse vivre Talleyrand, qui s'opposerait à Bonaparte ?...»
Simone Weil : «...Mais à ces raisons historiques s'ajoutent les nécessités économiques. Il faut lire les textes de Simone Weil sur la condition de l'ouvrier d'usine pour savoir à quel degré d'épuisement moral et de désespoir silencieux peut mener la rationalisation du travail. Simone Weil a raison de dire que la condition ouvrière est deux fois inhumaine, privée d'argent, d'abord, et de dignité ensuite. Un travail auquel on peut s'intéresser, un travail créateur, même mal payé, ne dégrade pas la vie...»
Le marxisme donc : «...Le socialisme industriel n'a rien fait d'essentiel pour la condition ouvrière parce qu'il n'a pas touché au principe même de la production et de l'organisation du travail, qu'il a exalté au contraire. Il a pu proposer au travailleur une justification historique de même valeur que celle qui consiste à promettre les joies célestes à celui qui meurt à la peine ; il ne lui a jamais rendu la joie du créateur. La forme politique de la société n'est plus en question à ce niveau, mais les crédos d'une civilisation technique de laquelle dépendent également capitalisme et socialisme. Toute pensée qui ne fait pas avancer ce problème ne touche qu'à peine au malheur ouvrier.
Par le seul jeu des forces économiques admirées par Marx, le prolétariat a rejeté la mission historique dont Marx, justement, l'avait chargé. On excuse l'erreur de ce dernier parce que, devant l'avilissement des classes dirigeantes, un homme soucieux de civilisation cherche d'instinct des élites de remplacement. Mais cette exigence n'est pas à elle seule créatrice....
»
La prise de pouvoir du capitalisme : «...La bourgeoisie révolutionnaire a pris le pouvoir en 1789 parce qu'elle l'avait déjà. Le droit, à cette époque, comme le dit Jules Monnerot, était en retard sur le fait. Le fait était que la bourgeoisie disposait déjà des postes de commande et de la nouvelle puissance, l'argent. Il n'en est pas de même du prolétariat qui n'a pour lui que sa misère et ses espoirs, et que la bourgeoisie a maintenu dans cette misère. La classe bourgeoise s'est avilie, par une folie de production et de puissance matérielle ; l'organisation même de cette folie ne pouvait créer des élites 1. La critique de cette organisation et le développement de la conscience révoltée pouvaient au contraire forger une élite de remplacement...» Note 1 «Lénine, du reste, a enregistré le premier cette vérité, mais sans amertume apparente. Si sa phrase est terrible pour les espoirs révolutionnaires, elle l'est plus encore pour Lénine lui-même. Il a osé dire, en effet, que les masses accepteraient plus facilement son centralisme bureaucratique et dictatorial parce que « la discipline et l'organisation sont assimilées plus facilement par le prolétariat grâce précisément à cette école de la fabrique ».
Les socialistes autoritaires contre le syndicalisme révolutionnaire : «...Seul le syndicalisme révolutionnaire, avec Pelloutier et Sorel, s'est engagé dans cette voie et a voulu créer, par l'éducation professionnelle et la culture, les cadres neufs qu'appelait et qu'appelle encore un monde sans honneur. Mais cela ne pouvait se faire en un jour et les nouveaux maîtres étaient déjà là, qui s'intéressaient à utiliser  immédiatement le malheur, pour un bonheur lointain, plutôt qu'à soulager le plus possible, et sans attendre, l'affreuse peine de millions d'hommes. Les socialistes autoritaires ont jugé que l'histoire allait trop lentement et qu'il fallait, pour la précipiter, remettre la mission du prolétariat à une poignée de doctrinaires. Par là même ils ont été les premiers à nier cette mission. Elle existe pourtant, non pas au sens exclusif que lui donnait Marx, mais comme existe la mission de tout groupe humain qui sait tirer fierté et fécondité de son labeur et de ses souffrances. Pour qu'elle se manifeste cependant, il fallait prendre un risque et faire confiance à la liberté et à la spontanéité ouvrières. Le socialisme autoritaire a confisqué au contraire cette liberté vivante au profit d'une liberté idéale, encore à venir. Ce faisant, qu'il l'ait voulu ou non, il a renforcé l'entreprise d'asservissement commencée par le capitalisme d'usine. Par l'action conjuguée de ces deux facteurs, et pendant cent cinquante ans, sauf dans le Paris de la Commune, dernier refuge de la révolution révoltée, le prolétariat n'a pas eu d'autre mission historique que d'être trahi. Les prolétaires se sont battus et sont morts pour donner le pouvoir à des militaires ou des intellectuels, futurs militaires, qui les asservissaient à leur tour. Cette lutte a pourtant été leur dignité, reconnue par tous ceux qui ont choisi de partager leur espoir et leur malheur. Mais cette dignité a été conquise contre le clan des maîtres anciens et nouveaux. Elle les nie au moment même où ils osent l'utiliser. D'une certaine manière, elle annonce leur crépuscule.» histoire suite
275 Des illusions encore sur l'URSS : «Les illusions bourgeoises concernant la science et le progrès techniques, partagées par les socialistes autoritaires, ont donné naissance à la civilisation des dompteurs de machine qui peut, par la concurrence et la domination, se séparer en blocs ennemis mais qui, sur le plan économique, est soumise aux mêmes lois : accumulation du capital, production rationalisée et sans cesse accrue. La différence politique, qui touche à la plus ou moins grande omnipotence de l'État, est appréciable, mais pourrait être réduite par l'évolution économique. Seule, la différence des morales, la vertu formelle s'opposant au cynisme historique, paraît solide. Mais l'impératif de la production domine les deux univers et n'en fait, sur le plan économique, qu'un seul monde.» Note : «Précisons que la productivité n'est malfaisante que lorsqu'elle est prise comme une fin - non comme un moyen qui pourrait être libérateur.»
276 «Toute collectivité en lutte a besoin d'accumuler au lieu de distribuer ses revenus. Elle accumule pour s'accroître et accroître sa puissance. Bourgeoise ou socialiste, elle renvoie la justice à plus tard, au profit de la seule puissance. Mais la puissance s'oppose à d'autres puissances. Elle s'équipe, elle s'arme, parce que les autres s'arment et s'équipent. Elle ne cesse pas d'accumuler et ne cessera jamais qu'à partir du jour, peut-être, où elle régnera seule sur le monde. Pour cela, d'ailleurs, il lui faut passer par la guerre...
... la loi économique d'un monde qui vit du culte de la production, et la réalité est encore plus sanglante que la loi. La révolution, dans l'impasse où l'ont engagée ses ennemis bourgeois et ses partisans nihilistes, est l'esclavage.»
277 «Comment un socialisme, qui se disait scientifique, a-t-il pu se heurter ainsi aux faits ? La réponse est simple : il n'était pas scientifique... Si la théorie [du marxisme] est déterminée par l'économie, elle peut décrire le passé de la production, non son avenir qui reste seulement probable. La tâche du matérialisme historique ne peut être que d'établir la critique de la société présente ; il ne saurait faire sur la société future, sans faillir à l'esprit scientifique, que des suppositions.»
360 L'histoire «Si, en effet, ignorer l'histoire revient à nier le réel, c'est encore s'éloigner du réel que de considérer l'histoire comme un tout qui se suffit à lui-même. La révolution du XXe siècle croit éviter le nihilisme, être fidèle à la vraie révolte, en remplaçant Dieu par l'histoire. Elle fortifie le premier, en réalité, et trahit la seconde. L'histoire, dans son mouvement pur, ne fournit par elle-même aucune valeur. Il faut donc vivre selon l'efficacité immédiate, et se taire ou mentir. La violence systématique, ou silence imposé, le calcul ou mensonge concerté deviennent des règles inévitables. Une pensée purement historique est donc nihiliste : elle accepte totalement le mal de l'histoire et s'oppose en ceci à la révolte. Elle a beau affirmer en compensation la rationalité absolue de l'histoire, cette raison historique ne sera achevée, n'aura de sens complet, ne sera raison absolue justement, et valeur, qu'à la fin de l'histoire. En attendant, il faut agir, et agir sans règle morale pour que la règle définitive vienne au jour. Le cynisme, comme attitude politique n'est logique qu'en fonction d'une pensée absolutiste, c'est-à-dire le nihilisme absolu d'une part, le rationalisme absolu de l'autre. Quant aux conséquences, il n'y a pas de différence entre les deux attitudes. Dès l'instant où elles sont acceptées, la terre est déserte.En réalité, l'absolu purement historique n'est même pas concevable. La pensée de Jaspers, par exemple, dans ce qu'elle a d'essentiel, souligne l'impossibilité pour l'homme de saisir la totalité, puisqu'il se trouve à l'intérieur de cette totalité. L'histoire, comme un tout, ne pourrait exister qu'aux yeux d'un observateur extérieur à elle-même et au monde. Il n'y a d'histoire, à la limite, que pour Dieu. Il est donc impossible d'agir suivant des plans embrassant la totalité de l'histoire universelle. Toute entreprise historique ne peut être alors qu'une aventure plus ou moins raisonnable ou fondée. Elle est d'abord un risque. En tant que risque, elle ne saurait justifier aucune démesure, aucune position implacable et absolue.» histoire suite

Actuelles II Lettres sur la révolte
Entretien sur la révolte
Page 55-56 «Votre question revient donc à ceci « Le mal que les intellectuels (je dis bien les intellectuels et non les artistes) ont fait, peuvent-ils le défaire ? » Ma réponse est oui, mais à la condition : 1º qu'ils reconnaissent ce mal et le dénoncent; 2º qu'ils ne mentent pas et sachent avouer ce qu'ils ignorent; 3º qu'ils se refusent à dominer; 4º qu'ils refusent, en toute occasion et quel que soit le prétexte, tout despotisme, même provisoire. Sur ces bases, réunissez autant d'hommes que vous voudrez et quels que soient leurs noms. Je serai parmi eux.»
56-57 «L'auteur de cet article [Louis Powels finit réac ésotérique] est sourcilleux, théoriquement au moins, en matière d’insoumission, et il m'a retiré, j'en ai peur, mon brevet de révolution. Bien sûr, il a un peu menti en même temps. C'est mentir en effet que de ne pas dire qu'un des thèmes essentiels de mon livre est la critique de la morale formelle qui est à la base de l'humanisme bourgeois. C'est mentir aussi que de passer sous silence, comme tout le monde d'ailleurs, ma référence explicite au syndicalisme libre. Car il existe heureuse-ment une autre tradition révolutionnaire que celle de mon examinateur. C'est elle qui a inspiré mon essai et elle n'est pas encore morte puis-qu'elle lutte toujours, pour ne donner qu'un exemple, dans les colonnes d'une revue qui s'appelle : La Révolution prolétarienne. Bien des gens dont vous avez parlé, et dont je comprends qu'ils se sentent seuls à la lecture de la presse parisienne, reprendraient un peu de confiance s'ils connaissaient cette courageuse revue ouvrière.»
57-58 Les communistes et L'homme révolté.
Révolte et romantisme (sur L'Homme révolté et sur Bakounine)
page 78 «Mon projet dans L'Homme révolté a été constant : étudier une contradiction propre à la pensée révoltée et en rechercher le dépassement.»
79 «Je tiens pour un fait la filiation de Netchaïev au bolchevisme, et pour un autre fait la collaboration de Bakounine et de Netchaïev, que Leval ne nie d'ailleurs pas. Mais cela ne signifie nullement, et ici il me faut protester contre l'interprétation de Leval, que je présente Bakounine comme un des pères du communisme russe. Au contraire, j'ai deux fois en quatre pages, et nettement, dit que Bakounine s'était opposé en toutes circonstances au socialisme autoritaire. Je n'ai noté les faits dont je parle que pour souligner une fois de plus la nostalgie nihiliste propre à toute conscience révoltée. C'est pourquoi, lorsque Leval me cite longuement les pensées positives et fécondes de Bakounine, je l'approuve tout à lait : Bakounine est un des deux ou trois hommes que la vraie révolte puisse opposer à Marx dans le XIXe siècle
80 « Essayons maintenant d'aller plus loin. Le nihilisme qu'on peut déceler chez Bakounine et chez d'autres à eu une utilité passagère. Mais, aujourd'hui, et vous autres libertaires de 1950 le savez bien, nous ne pouvons plus nous passez de valeurs positives. Où les trouverons-nous ? »
« Nous devons alors trouver en nous-mêmes, au cour de notre expérience, c'est-à-dire à l'intérieur de la pensée révoltée, les valeurs dont nous avons besoin. Si nous ne les trouvons pas, le monde croulera, et ce n'est peut-être que justice, mais nous nous serons écroulés avant lui, et ce sera infamie. Nous n'avons donc pas d'autre issue que d'étudier la contradiction où s'est débattue la pensée révoltée, entre le nihilisme et l'aspiration à un ordre vivant, et de la dépasser dans ce qu'elle a de positif. »
81 «...la conclusion de mon livre se réfère expressément aux fédérations française, jurassienne et espagnole de la Ve Internationale, qui étaient en partie bakouninistes. ... sa pensée peut utilement féconder une pensée libertaire rénovée et s'incarner dès maintenant dans un mouvement dont les militants de la C.N.T. et du syndicalisme libre, en France et en Italie, attestent en même temps la permanence et la vigueur.
Mais c'est à cause de cet avenir dont l'importance est incalculable, c'est parce que Bakounine est vivant en moi comme il l'est dans notre temps que je n'ai pas hésité à mettre au premier plan les préjugés nihilistes qu'il partageait avec son époque.»
82 «[Bakounine] savait que nous ne devons jamais garder que le meilleur de ceux qui nous ont précédés. Le plus grand hommage, en effet, que nous puissions leur rendre consiste à les continuer et non à les consacrer : c'est par la déification de Marx que le marxisme a péri. La pensée libertaire, à mon sens, ne court pas ce risque. Elle a, en effet, une fécondité toute prête à condition de se détourner sans équivoque de tout ce qui, en elle-même et aujourd'hui encore, reste attaché à un romantisme nihiliste qui ne peut mener nulle part.»
83 «Je ne suis pas un philosophe, en effet, et je ne sais parler que de ce que j'ai vécu. J'ai vécu le nihilisme, la contradiction, la violence et le vertige de la destruction. Mais, dans le même temps, j'ai salué le pouvoir de créer et l'honneur de vivre.»
«... désigner, dans les murs obscurs contre lesquels nous tâtonnons, les places encore invisibles où des portes peuvent s'ouvrir.»
«La seule passion qui anime L'Homme révolté est justement celle de la renaissance.»
84 «... la pensée libertaire dont je crois pourtant que la société de demain ne pourra se passer.»
«...rendre plus efficace cette pensée et du même coup à affermir l'espoir, et la chance, des derniers hommes libres.»
Révolte et servitude (sur L'Homme révolté)
90 «Je ne suis pas sûr quant à moi que L'Homme révolté soit bien écrit, mais je voudrais qu'il le fût.»
93 «N'importe quel lecteur, même distrait, de La Peste, à la seule condition qu'il veuille bien lire le livre jusqu'au bout, sait pourtant que le narrateur est le docteur Rieux, héros du livre et qui est plutôt payé pour connaître ce dont il parle. Sous la forme d'une chronique objective écrite à la troisième personne, La Peste est une confession et tout y est calculé pour que cette confession soit d'au-tant plus entière que le récit en est plus indiscret.»
95 «... dans l'ouvrage : la définition d'une limite mise au jour par le mouvement même de la révolte, la critique du nihilisme posthégélien et de la prophétie marxiste, l'analyse des contradictions dialectiques devant la fin de l'histoire, la critique de la notion de culpabilité objective, etc
«J'ai entrepris avec L'Homme révolté une étude de l'aspect idéologique des révolutions.»
96 «J'ai montré seulement, et je le maintiens, qu'il y a dans les révolutions du XXe siècle, ... une évidente entreprise de divinisation de l'homme et j'ai choisi d'éclairer spécialement ce thème.»
96-97 «... Je me désintéresserais en particulier, au profit de la haute théologie, de la misère de ceux qui ont faim. ... Je constate seulement ici, pour me consoler, qu'un critique chrétien a pu me reprocher au contraire de négliger les « besoins spirituels » de l'homme et de le réduire à ses « besoins immédiats ».
99-100 «Il y est écrit, à l'usage de ceux qui veulent lire, que celui qui ne croit qu'à l'histoire marche à la terreur et celui qui ne croit à rien d'elle autorise la terreur. Il y est dit qu'il existe « deux sortes d'inefficacité, celle de l'abstention et celle de la destruction », « deux sortes d'impuissance, celle du bien et celle du mal ». On y démontre enfin, et surtout, que « nier l'histoire revient à nier le réel » de la même façon, ni plus ni moins, qu'« on s'éloigne du réel à vouloir considérer l'histoire comme un tout qui se suffit à lui-même ».»
116-117 «Libérer l'homme de toute entrave pour ensuite l'encager pratiquement dans une nécessité historique revient en effet à lui enlever d'abord ses raisons de lutter pour enfin le jeter à n'importe quel parti, pourvu que celui-ci n'ait d'autre règle que l'efficacité. C'est alors passer, selon la loi du nihilisme, de l'extrême liberté à l'extrême nécessité ; ce n'est rien d'autre, que se vouer à fabriquer des esclaves.»

André Comte-Sponville dans Albert Camus - La pensée révoltée
Philosophie magazine
- hors série année 2013
Page 11 «Camus, on le lui a souvent et bêtement reproché, serait plutôt un auteur pour la jeunesse, non bien sûr qu'on ne puisse le lire ou le relire plus tard, mais en ceci qu'il ne suppose aucune accumulation particulière d'expériences, aucun savoir particulier, et touche surtout, quel que soit l'âge de son lecteur, la jeunesse en lui préservée ou retrouvée .J'y vois une qualité plus qu'un défaut. Les jeunes font un public difficile.»
13 «L'absurde n'est pas absence de sens mais rencontre paradoxale ou impossible : « L'absurde esf essentiellement un divorce. Il n'est ni dans l'un ni dans l'autre des éléments comparés. Il nait de leur confrontation. »
Ce n'est donc pas le monde qui est absurde, ni l'homme, mais leur face-à-face. «L'homme se trouve devant l'ïrrationnel. Il sent en lui son désir de bonheur et de raison. L 'absurde naît de cafre corîfrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde.» L'homme est l'être par lequel l'absurde vient au monde ...»
14 «Si Camus tient pourtant à distinguer cette «absence totale d'espoir» du «désespoir» ordinaire, ce n'est pas pour réintroduire subrepticement l'espérance qu'il a si vigoureusement chassée ; c'est pour interdire toute confusion de la position métaphysique qui est la sienne (caractérisée par la «privation d'espoir et d'avenir») avec l'extrême de la tristesse ou le renoncement nihiliste; Comme l'a bien vu André Nicolas, «on désespère [au sens ordinaire du terme] lorsque ce qu'on espérait ne se réalise pas. Qui n'espère rien ne peut donc désespérer. Si bien que lorsque Camus parle de désespoir de l'homme absurde, il faut entendre inespoir». Comment être heureux tant qu'on espère autre chose (mais c'est le propre de toute espérance) que ce qu'on vit ?»
16 «L'absurde écrit Camus, c'est «le refus continuel .. l'insatisfaction consciente». Le boheur ou la sagesse, n'est-ce pas exactement le contraire ?»

"La petite fabrique de L'INHUMAIN" par Marylin Maeso

Les éditions de L'Observatoire

En remarque de ma part  L'inhumain est simplement humain. La technique permet de démultiplier la force, celle qui permet avec l'entraide à l'espèce de survivre. Malheureusement cette technique déséquilibre les interactions, ceci en faveur de la prédation.

Aussi réflexions sur La Peste
123 Confondre laïcité et répression « À voir Alexandra Schwartz, journaliste au New Yorker, rétorquer sarcastiquement sur Twitter' à Emmanuel Macron, qui soutenait que la laïcité n'a jamais tué personne, que Mao et Staline seraient ravis de l'apprendre, confondant par là laïcité et athéisme d'État qui en est, par définition, la négation même, on réalise que la sainte alliance de l'ignorance sélective et de la servitude volontaire a encore de beaux jours devant elle. »
144 à 146 Reprise des échanges entre Camus et Sartre suite à l'édition de l'homme révolté. En regardant ce passé Sartre par son soutien à la Russie bolchevik perd toute crédibilité.
Les remarques de Marylin Maeso et les citations de Camus appuient l'idée d'un "emprisonnement" du maître et de l'esclave. Que l'un se libère il libère l'autre. Exemple L'Afrique du Sud et la prise conscience des derniers blancs dirigeants (chercher des références)

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