Sortir de l'histoire officielle

    


Günther Anders (1902-1992)

Günther Anders : l’obsolescence de l’homme et la question du nihilisme moderne
L'épouvantail de Günther Anders  par Fritz Herrmann

Concepts, idées repérés : Benjamin, copernicien, Dreyfus, Époché, Gehlen, Heidegger, Hegel, Hugenberg, imagination, ironie, Kant, nazisme, Stein, technologie, université

Et si je suis désespéré que voulez-vous que j'y fasse

La bataille de cerises

Visite dans l'Hadès

L'obsolescence de l'homme

Et si je suis désespéré que voulez-vous que j'y fasse (1977)

Éditions Allia
Du site de l'éditeur « "Ah oui, la question n'est pas : comment devient-on un moraliste ? La question est plutôt : comment peut-il se faire qu'on ne le devienne pas ? Quand on voit ce que signifie la guerre – et moi, je l'ai vue avec les yeux d'un garçon de quinze ans… Je me rappelle, quand je suis allé en France, j'ai vu dans une gare, probablement à Liège, une file d'hommes qui, chose étrange, 'commençaient aux hanches'. C'étaient des soldats qu'on avait amputés jusqu'en haut des cuisses et qu'on avait simplement posés là, sur leurs moignons. Ils attendaient ainsi le train pour rentrer dans leur patrie. Ce fut ma première impression de la Première Guerre mondiale. Quand on voit un tel spectacle alors qu'on sort d’une famille paisible, il est tout simplement impossible de ne pas devenir un moraliste."
Avec la spontanéité propre à l'oralité, Günther Anders livre dans cet entretien quelques anecdotes significatives, notamment l'étonnement du philosophe quand il s'aperçut que lui, juif, pouvait faire le poirier plus longtemps que ses autres disciples, tous grands et blonds. Mais ce livre est surtout le récit d'un parcours philosophique et politique, où l'on croise également Brecht et Husserl et qui révèle en France une personnalité comparable à celle de George Orwell par son courage intellectuel et sa lucidité. Le ton mordant sert un propos vif et pointu, qui rend la nécessité d’agir d’autant plus prégnante. Son discours est empreint du souvenir des événements de la Seconde Guerre mondiale et de la tragique prémonition que tout est réuni pour que cela se reproduise à nouveau. Sa critique des totalitarismes et de la technique, du nucléaire notamment, se révèle encore aujourd'hui d'une saisissante actualité.
Traduit de l'allemand par Christophe David.»

Une recension http://1libertaire.free.fr/GAnders23.html

Aveuglement de la montée du nazisme « … les jeunes étudiants de ma génération, intellectuellement et moralement actifs , nous avons fait nos études sans presque nous préoccuper de ce personnage et de ce mouvement et nous ne nous sommes pas rendu compte que rien, ni l'être-jeté heideggerien, ni la renaissance de la musique médiévale (voilà ce qui faisait sensation à la fac de Fribourg), n'avait autant d'importance qu'en aurait eu le fait d'arriver à dépouiller de leur puissance l'homme Hitler et son mouvement. Aujourd'hui, cinquante-cinq ans après, et avec Auschwitz, que je ne peux ou ne veux ou n'ai pas le droit d'effacer, cet aveuglement me semble évident – et pourtant incompréhensible. Pour ne pas dire : humiliant. »
L'imagination page 66 « ... aujourd'hui, notre premier postulat doit être : élargis les limites de ton imagination, pour savoir ce que tu fais. Ceci est d'ailleurs d'autant plus nécessaire que notre perception n'est pas à la hauteur de ce que nous produisons : comme ils ont l'air inoffensifs, ces bidons de Zyklon B -- je les ai vus à Auschwitz , avec lesquels on a supprimé des millions de gens : Et un réacteur atomique, comme il a l'air débonnaire avec son toit en forme de coupole ! Même si l'imagination seule reste insuffisante, entraînée de façon consciente elle saisit ... infiniment plus de "vérité" ... que la "perception" ... Pour être à la hauteur de l'empirique, justement, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, il nous faut mobiliser notre imagination. C'est elle la "perception" d'aujourd'hui. »
67 « Les conséquences de ce que nous, hommes d'aujourd'hui pouvons provoquer, à l'aide de notre technologie hautement perfectionnée, ne nous sont, en un certain sens, pas imputables. Dans ma correspondance avec le pilote d'Hiroshima, Eatherly, l'ai forgé le concept de "coupable sans faute" ... Je ne prétends donc pas que l'"homme" soit aujourd'hui plus mauvais, mais le dis que ses actions, à cause de l'énormité des outils dont il dispose, sont devenues énormes. »
80 « Je voudrais encore préciser ma remarque sur un point et me faire l'avocat du diable. Vous n'avez sûrement pas parlé avec Gehlen...
Si, une fois. C'était avant que le sache quel camp il avait choisi à l'époque d'Hitler. En l950 ou 51, il a donné une conférence qui je dois mal-heureusement le concéder dénotait une extraordinaire subtilité philosophique. En fait, quelques-unes de ses formules les plus frappantes ressemblaient à d'autres que j'avais entendues dans la bouche de Benjamin. Je me suis donc approché de lui et lui ai demandé s'il avait connu Benjamin mais ce nom ne lui disait rien. Plus tard, après que j’eus appris de l'irréprochable Löwith quel camp Gehlen avait choisi, j'ai refusé de lui serrer la main ce qu'Adorno, qui parlait avec lui, m'a d'ailleurs longtemps reproché. Voilà l'histoire de mon rapport avec Gehlen à qui, paraît-il, je ressemble tant. » Gehlen «Si la contribution de Gehlen aux sciences de l'homme ne fait aucun doute, elle reste toutefois controversée en raison de sa compromission avec le régime nazi lors de la Seconde Guerre mondiale. »
Janvier 2023

La bataille de cerises

Éditions https://www.payot-rivages.fr/rivages/
Quatrième de couverture ««J'ai conquis Hannah au bal, avec la remarque faite en dansant que l'amour est un acte par lequel on transforme quelque chose d'a posteriori, l'autre rencontré par hasard, en un a priori de sa propre vie - belle formule qui, certes, ne s'est pas confirmée.»
En dénoyautant des cerises sur leur balcon, Günther Anders et Hannah Arendt, jeunes mariés, installés à Drewitz, près de Potsdam, dans les dernières années de la république de Weimar, renouvellent l'expérience d'un philosopher ensemble, inspiré du romantisme allemand autant que de Platon.»

Du Magazine philosophique dont un extrait «Günther Anders le reconnaît, il n’est pas très loyal dans cette Bataille des cerisesDialogues avec Hannah Arendt ont été rédigés après 1975, année de la mort d’Arendt. Mais Anders l’assure : il s’est servi de notes prises lors de leurs conversations dans les années 1930. Ce passage témoigne à la fois de la façon dont les deux philosophes débattaient de leurs idées et d’un pressentiment : le glissement de l’œuvre (ici le travail intellectuel) sous le régime aliénant du travail.»
Et aussi Hannah Arendt et Günther Anders : le choix d’une existence dans le monde

D'abord un dialogue écrit par Anders autour des deux visions idéaliste et matérialiste de l'univers. Puis une postface précisant les théories contradictoires concernant les monades de Leibniz, sans fenêtres et donc sans inter-réactivité ou des liaisons entre celles-ci. Monades de Leiniz abordées dans le dialogue pages 23 et 24.
41 « ...elle était en outre trop emplie en profondeur de l'« idéalisme » allemand, de Hegel, qui a finalement assigné à «l'homme» et à son histoire une place dans l'Univers qui était tout autre que périphérique, sans honneur... »
« ...il lui manquait … l'ironie nécessaire à la véritable découverte de la vérité, pour ne pas dire la disposition à l'insolence philosophique indispensable à tout sérieux philosophique, et aussi le don de l'autodérision. »
Marx précopernien ! 45 « « Tu estimes donc », demanda-t-elle ..., - que nous sommes tout à fait sans importance.
Et inconnus ? Et de purs vantards? Des vantards métaphysiques ? »
... « Oui. C'est une expression qui nous va comme un gant. Et nous sommes si réellement dépourvus d'importance qu'il n'est pas même pris note où que ce soit de notre vantardise. Elle aussi est trop inimportante. Notre philosophie, qu'il s'agisse de celle de Marx ou de Nietzsche ou de Scheler ... est demeurée pré-copernicienne (bien que chronologiquement post-copernicienne) et débouche uniquement sur un vaste et vain égocentrisme. » »
46-47 « « ... il [Heidegger] avait honte, en tant qu'universitaire ou probablement comme ancien thomiste, que nous puissions, nous, et par là lui-même aussi, ressembler vaguement aux animaux. Ou même
que nous puissions en être. Du fait que nous aussi nous sommes nés. C'est pourquoi il a évité cette expression, à la manière des chats qui tournent autour du pot. Et c'est pourquoi également il qualifie notre arrivée ici d'une formule destinée à voiler ce fait. »
« Tu veux dire "l'être-jeté" ? »
J'approuvai du chef. « Un mot qui à vrai dire tape à côté. Comme aussi d'autres néologismes de lui. Car ce mot nous rappelle justement la venue au monde des chiens et des chats. ... chez lui nous ne sommes pas des hommes, mais nous nous appelons, refondus dans un neutre singulier. .. »
« L'être-là », compléta-t-elle, visiblement insatisfaite elle aussi.
« Justement. À quoi vient encore s'ajouter qu'il revendique, non différemment des "anthropologues philosophiques" méprisés de lui, que non seulement nous sommes des "êtres" ..., mais que de surcroît nous avons une « essence » .... Je suis écœuré de ce vocable philosophique endimanché. » »
48-49 « … l'existence et les prétentions de l' « anthropologie philosophique » et de l « analytique de l'être-là » représentent des symptômes. En l'occurrence, les symptômes extrêmement nets et fâcheux du fait suivant : nous ne sommes point taillés à la mesure de notre propre importance cosmique ; tout à fait introuvables dans l'infini, nous sommes trop lâches, nous possédons trop peu de courage civique pour apprendre la modestie qui s'impose à proprement parler depuis Copernic.
toute notre philosophie moderne, du moins celle que nous avons reçue à l'université, ... il nous faudra sans doute chercher ailleurs -, aboutit à une révocation de Copernic. Or je n'ai jamais entendu son nom ... ni dans la bouche de Husserl, ni dans celle de Heidegger, pas plus que les noms de Darwin, de Marx ou même de Freud.
... toutes les anthropologies philosophiques et les analyses de l'existence font de nous les hommes (non, l'homme) le principal objet de l'Univers, donc nous placent au centre de celui-ci, ce sont sans exception des tromperies de la pire sorte. »
51 Pouvoir et université « Il est pratique pour les détendeurs de pouvoir, la classe supérieure, de consoler ceux qui en sont dépossédés, les classes inférieures, lesquels n’occupent le centre à aucun égard, ni politiquement, ni économiquement, et aussi de se persuader eux-mêmes (étant donné qu'il est plus commode de croire aussi à ses propres mensonges) que tout de quelque manière tourne autour d’eux. En d'autres termes : cultiver l'anti-Copernic émotionnel est en mème temps, voire en première ligne, une méthode d’aveuglement politique, à l'aide de laquelle on frappe de cécité ceux dont la vie est de jour en jour plus menacée, plus gravement déshumanisée par les dominants, que ce soit dans le domaine politique, économique ou technique ; cécité, envers le fait que rien, tout simplement, ne tourne autour d’eux. Pour tromper les humiliés, les dominants utilise le singulier. En effet l’anthropologie philosophique ne parle guère des hommes au pluriel, mais presque toujours de l’Homme, avec un singulier platonicien en quelque sorte. L'anthropologie, si l'on a le droit de forger une expression parallèle au terme de monothéisme, consiste en une sorte de monoanthropisme.  » 52 « le "monoanthropisme", tout ce verbiage sur l’Homme, est ce qui paye le mieux. » 53 « Le platonisme n'a pas été conservateur uniquement à l'heure de sa naissance, comme les « politeia » et les « nomoi » le prouvent ; sa fonction reste toujours contre-révolutionnaire. Et l'est aujourd'hui encore. Ou aujourd'hui de nouveau.
Nos maîtres ne furent pas spécialement des politiques d'une folle audace. Mais trouver cela étrange est probablement étrange à son tour. En tout cas, le singulier de l’anthropologie philosophique est la méthode académique au moyen de laquelle on peut chasser du monde les deux réalités avouées de mauvaise grâce que sont la société de classe et les peuples coloniaux.
les petits-bourgeois moyens de Heidegger dans les petites villes, lesquels (forcés à cela par qui, c'est ce que Heidegger n'a jamais révélé ni même demandé) ne dont que vivre avec et bavarder avec au lieu d'être eux-mêmes.  » 54 « La classe dominante conteste sa propre supériorité de classe. ... elle diabolise le terme de « lutte de classe », bien entendu le mot seulement, comme s'il signifiait « la destruction de la paix intérieure » et une « conspiration contre le peuple allemand » pour maintenir sa lutte de classe à elle (ou sa victime déjà depuis longtemps assurée) ; et elle impute la conduite de cette lutte de classe exclusivement à la classe dominée et combattue par elle. Il est interdit aux vaincus de reconnaître ou même d’exprimer qu’ils le sont. » 55 «Il n'existe plus de prolétaires. ... comme Guillaume [Guillaume II (1859-1941) empereur d'Allemagne] l'affirma en 1914 «il n'y a que des Allemands». A l'aide de tels singuliers - et l'«homme» en fait partie - on essaie, devant la réalité de la société de classe ...» 55-56 « ... on essaie, à l'aide de singuliers, d'effacer la différence entre - disons - Hugenberg et ses travailleurs, voire ses chômeurs. Plus les défavorisés sont impuissants, plus on aime les draper dans la glorieuse toge du singulier. Cela ne signifie évidemment pas qu'on les reconnaisse en tant qu'hommes et finalement ainsi comme égaux de naissance et en droits ; au contraire, cela veut dire qu'on ne les considère pas même encore philosophiquement, comme des êtres sui generis, à savoir privés de droits.
Cette pratique de l'escroquerie par recours à la singularisation, que tous les orateurs du dimanche en philosophie aiment tant, est d'autant plus sans danger que les sans-pouvoir et les défavorisés (en politique intérieure le prolétariat, en politique extérieure les peuples colonisés), si jamais il leur arrive de lire, ne lisent certainement pas l"'anthropologie philosophique" - ce qui signifie que cette
escroquerie aboutit le plus souvent à une autoduperie de la bourgeoisie cultivée du genre académique. Par l'emploi du singulier, l'«Homme», nous nous rendons nous-mêmes aveugles à la misère des humiliés et des offensés, ainsi qu'à la réalité de la société de classe.» «... la plupart des professeurs de philosophie sont trop stupides pour être en mesure de se tromper eux-mêmes? Sans doute maints d'entre eux sont-ils aussi des escrocs. Mais la plus part s'escroquent eux-mêmes .» 57 « Husserl également, par exemple. À la différence des spécialistes des sciences de la nature, ou des ingénieurs qui ne se font que peu d'illusions sur qui les enrôle et les nourrit, ou sur la direction que prend le navire, les représentants des sciences humaines, eux, en particulier les philosophes universitaires, ignorent qui ils nourrissent, et par qui sont salariés, donc nourris à leur tour par ce nourrissage. Il ne leur est pas même connu encore qu'ils s'offrent spontanément eux-mêmes. ...ils sont trop malins pour ne pas savoir où il est plus pratique de ne rien savoir et de rester naïf. »
« Alfred Ernst Christian Alexander Hugenberg (1865 - 1951) entrepreneur allemand des Mines, de l'Armement et des Médias, politicien (Deutsche Nationale Volkspartei) et ministre de l'Économie et de l'Agriculture et de l'Alimentation dans le cabinet Hitler. Il passe pour le précurseur le plus important du national-socialisme venu de la bourgeoisie. Avec son Konzern Hugenberg, un trust de médias qui contrôlait la moitié de la presse allemande, il contribua de manière déterminante, par une propagande nationaliste et antisémite, à la montée des partis de droite sous la république de Weimar. » Tiré par l'éditeur en 2012 de Alfred Hugenberg
63 à 65 « .. Emil Lask [Lask autrichien fils de parents juifs. Maître de conférences à Heidelberg en 1905 se porta volontaire en 1914 malgré une constitution fragile et une myopie sévère, mort pendant la guerre non loin de sa ville natale.]… extrêmement inintelligent. Parce qu'il ne fut pas suffisamment intelligent pour juger à quel moment il aurait dû mettre en œuvre son intelligence. Écrire des livres intelligents n'est pas si difficile. Ni non plus si méritant.
... le fils de Husserl ... ni l'un ni l'autre, disons, de blonds Germains. Le jeune Husserl, même, un Juif encore à demi morave. Que ces deux-là comme volontaires ... pour la guerre de conquête combinée et préparée derrière leur dos depuis longtemps déjà, depuis le début du siècle, de l'ambitieux et emphatique Guillaume. Et se sont sacrifiées ! Et que le profond philosophe auprès duquel j'ai passé mon doctorat, que ce vieil idiot il ait, lui, admis cela. Mais que veut dire "admis" ? Qu'il ait même attendu cela de son fils probablement Mais que veut dire attendu ? Qu'il l'ait même encouragé à cela probablement l Dans l'intérêt de l'honneur. Mais cela aura été superflu également. Car le prétendu "volontariat" qui ait alors injecté à chacun, il a rendu toutes ces façons de faire superflues. ... Ils sont tous tombés. Comme ton oncle. Ces intellectuels inintelligents ! ... Que ceux-là mêmes, les questionneurs exercés à la théorie n'ont pas eu L'idée de se poser la simple question de savoir pour qui et pour qui et pour quoi on leur demanda impudemment de se sacrifier volontairement !
Et si encore ç'avait été tout ! … il y en eut encore de plus ridicules. … Des gens qui ne se sont pas sacrifiés eux-mêmes pour cette turpitude wilhelmienne, mais qui à l’arrière ont participé.
Qui ont mis ... l’esprit à disposition … ont en effet justifié la guerre philosophiquement. [qui sont ces sortes de gens ?] Les nôtres … les philosophants … EukenSchelerSimmel. … ils ont volontairement par idiotie peut-être, gobé, honnêtement m^me innocemment, la version disant que la guerre d’agression et de conquête préparée depuis longtemps de main allemande a été une guerre défensive contre l'encerclement. Ils se sont comportés comme des spectateurs de théâtre paranoïdes, qui s'estiment cernés parce que, inévitablement, d'autres son assis devant et derrière eux, et à droite et à gauche d'eux. Bref : ils ont académiquement Justifié et solennellement glorifié la prétendue défense par rapport au prétendu encerclement. En des assaut verbaux.  »
Rudolf Christoph Eucken signataire du « Le Manifeste des 93 (également intitulé Appel des intellectuels allemands aux nations civilisées) est un document de propagande daté du qui fut publié en Allemagne sous le titre Aufruf an die Kulturwelt, An die Kulturwelt ! Ein Aufruf (et traduit en français dans La Revue Scientifique du 2e semestre 1914). Il exprime, au début de la Première Guerre mondiale, une réaction des intellectuels allemands aux accusations d'exactions — dommages collatéraux pourtant bien réels — portées contre l'armée allemande à la suite de l'invasion de la Belgique neutre.
Il fut signé par 93 intellectuels allemands (d'où son nom). On retrouve principalement dans cette liste des prix Nobel, des scientifiques, des philosophes, des artistes, des médecins et des enseignants de renommée internationale.
En 1921, The New York Times publia le compte-rendu d'une enquête menée auprès de 73 signataires ayant survécu à cette guerre : 60 exprimèrent diverses formes de regrets et certains affirmèrent avoir signé sans même l'avoir lu.»
Janvier 2023

Visite dans l'Hadès

Édition La bord de l'eau
Du site de l'éditeur et 4e de couverture «La singularité et la qualité littéraire de cet ouvrage enrichissent la réflexion sur la Shoah. Sa publication vient, en outre, compléter la connaissance que le public français a de l’œuvre de Günther Anders. La traduction de Besuch im Hades révèle une autre partie de ce qu’Anders appelait son « encyclopédie du monde apocalyptique » sur les camps d’extermination nazis. Ce texte, paru en Allemagne à la fin des années soixante-dix, inédit en français, est une compréhension originale et courageuse d’évènements essentiels du  XXe siècle que sont « Auschwitz » et « Hiroshima ».
À la différence d’Hannah Arendt (Les Origines du totalitarisme, 1951) ou de Raul Hilberg (La Destruction des Juifs d’Europe, 1961), Visite dans l’Hadès parle des camps d’extermination sans en parler. Anders évoque, à travers les exemples de ses parents ou d’Edith Stein, la volonté d’assimilation des Juifs allemands avant 1933, en expliquant les effets de la Shoah sur la ville et la région de Wroclaw, mais il évoque cela indirectement. Le propos est de mieux décrire l’état d’esprit dans lequel se trouvaient les Juifs allemands que les nazis ont projetés d’exterminer, ainsi que les effets de la Shoah sur la ville et la région de Wroclaw.
La qualité scientifique et la dimension incontournable de cet ouvrage se trouve dans la confrontation de la philosophie andersienne à la Shoah, ainsi que dans la quête sentimentale et personnelle de l’auteur. Sa qualité littéraire tient au style d’Anders qui confirme une fois de plus qu’il est non seulement un grand philosophe, mais également un grand écrivain.
Günther Anders (Günther Stern) penseur et essayiste allemand, né en 1902 à Breslau et mort à Vienne en 1992, est surtout connu comme critique de la modernité technique et plus particulièrement du développement de l’industrie nucléaire.
Présentation et traduction Christophe David»

Une recension par le Magazine philosophique «« Je viens du lieu où j’étais en fait destiné à mourir, à être assassiné et transformé en déchet », note Günther Anders dans un fragment de ce journal. En 1966, le penseur de la catastrophe écologique, élève de Husserl et de Heidegger, premier mari d’Arendt, revient en ce lieu. Il vient confronter Hiroshima, son grand sujet de réflexion, à Auschwitz, la catastrophe qui lui est contemporaine. Mais il part aussi à la recherche de son enfance. Il parcourt la Pologne vers Breslau (Wrocław), sa ville natale. Et tous les épisodes de son errance dans cette « gigantesque fosse commune »« Pourquoi y ai-je échappé ? » Sa voiture est dépannée par « des hommes qui, à l’époque, [l’]auraient chassé, abattu ou gazé ». Quant à Breslau, la ville a été totalement reconstruite. Les Juifs qui l’habitaient ont été assassinés. Y a-t-il quelque chose à retrouver ? C’est là que le carnet de route se fait vertigineuse méditation métaphysique : que se passe-t-il quand même la mort disparaît ? En effet, là, des millions de personnes ont été tuées, mais pas enterrées. « C’est bien pire que si tu avais vu des cadavres », insiste Anders, car ces non-morts ne peuvent pas être considérés comme des sujets. Quand la mort est niée, la maison natale est introuvable : « on ne reverra rien du tout ». La douleur n’est pas salvatrice. L’émotion n’a pas le droit de pointer. Finalement, « pourquoi quelque chose qui n’existe pas doit-il porter un nom » ? Anders comprend que son pèlerinage le plonge dans le non-existant, fil conducteur de ces notes. On peut les lire comme un dialogue avec Heidegger, sa pensée de l’être et de l’enracinement. Selon Anders le nomade, c’est le non-existant qui hante le monde contemporain. Mais il développe cette idée dans une écriture qui ne jargonne jamais et qui témoigne d’un profond amour du réel.»

Une autre Gunther Anders, Visite dans l’Hadès par Jacques Amar

Pages 25 à 28 Canonisation d'Edih Stein « L’Église devrait, me semble-t-il, bien réfléchir, maintenant que ses omissions de la période nazie sont devenues si manifestes, avant de vraiment prononcer cette canonisation. Je crains qu'aux yeux de beaucoup d'hommes de demain, une telle action ne passe pour un alibi obtenu à trop bon compte. Et ce d'autant plus que maintenant on sait qu'Edith Stein a essayé, entre 1933 et 1938, d'obtenir une audience du Pape Pie XI pour le pousser à rédiger une encyclique contre la politique de Hitler à l'égard des Juifs et confie l'humiliation de son peuple ; et que cette requête a été rejetée, je cite, « à cause de la grande affluence, de visiteurs. Puisque ce détail figure dans le« tableau de la vie » d'Edith Stein brossé par Saur Theresia Relata di Spirite Sancto et que ce livre a reçu l'imprimatur, je l'admets comme un fait.
... Elle a fait une tentative. Si cette tentative a échoué, cela n'a certainement pas été de sa faute. Mais alors, ceux qui à l'époque ont rejeté sa requête ont-ils aujourd'hui la légitimité nécessaire pour établir si cette femme est digne d'être canonisée ?
...
Je ne peux pas me défaire du soupçon que le Vatican ne prend si sérieusement en considération la canonisation d'Edith que parce qu'il sent le besoin de se procurer un alibi. Le fait que Rome ait accepté sans protester - du moins sans protester de façon audible et encore moins de façon active - le gazage de millions de Juifs invite à hurler au Ciel son indignation devant œ scandale. Comme ce cri a été entendu par des millions de gens aujourd'hui et le sera par des millions de gens demain, on comprend pourquoi l'Église est à la recherche d'expédients pour échapper à ce cri, voire pour réparer son refus de protester. Et par quel acte pourrait-elle y parvenir d'une façon plus crédible qu'en canonisant post festum une Juive ou un Juif gazé à l'époque ? Le Vatican a choisi de canoniser une Juive. Et bien sûr pas n'importe laquelle. Car ne pouvait bien sûr entier en considération ici qu'une Juive qui avait déjà prouvé son aptitude à être canonisée durant sa vie et par sa vie, en sortant du judaïsme pour entrer dans l'Église catholique au bon moment, bref, une Juive, dont la vie pouvait aussi constituer un titre de gloire pour l’Église ; une Juive, dont la mort par les flammes veut dire: « Nous aussi nous avons été brûlés, comme des martyrs » ; une Juive par la glorification de laquelle l'Église peut, elle aussi, se glorifier. C'est pour cette raison, je le crains, qu'Edith a fait figure de candidate idéale, et pour cette raison qu'elle a été choisie.

Il n'y manque vraiment plus qu'une seule chose : qu'on afflige qu'il fallait qu'elle monte au bûcher à Auschwitz parce qu'elle avait appartenu à l'Église catholique ou même - comme on le prétend du Crucifié - qu'elle avait été victime des Juifs eux-mêmes.

le fait qu'elle ait été prête à mourir avec les autres ne signifie pas - contrairement à ce que suggère le ton de certains passages du livre mentionné - qu'elle se soit sacrifiée pour les Juifs ; c'est une pensée complètement insensée puisqu'elle a été assassinée exactement comme les autres et n'avait absolument pas la liberté de se soustraire à cette situation.

« Rien », est-il écrit et ce n'est pas par hasard, « rien dans ses traits ne trahissait ses origines
juives ». Cette phrase, que contredit la photographie - reproduite au dos du livre - de la jeune fille à l'apparence nettement juive, est traîtresse, de la façon la plus effroyable. »
Vie, canonisation et polémique autour de celle-ci
43 à 46 Justifier nos monstruosités par Kant ? « ... «Plus le crime est grand plus, plus l'inhibition est faible et, par conséquent, plus le repentir se révèle impossible» ...Quand j'ai écritce qui précède, il y a cinq ans, je n'étais pas conscient de la détermination avec laquelle Kant avait attiré l'attention sur l'idée que « l'homme ne marche pas au même pas que lui-même » (avec d'autres mots que ceux-ci bien sûr). Il a réellement traité du fait que nous sommes« plus grands que nous-mêmes », que nous ne sommes pas « à la hauteur de nous-mêmes » dans son « Analytique du sublime ».
Il appelle « sublime » « ce qui, du fait même qu'on le conçoit, est l'indice d'une faculté de l'âme qui surpasse toute mesure des sens ». Et certes l'imagination (c'est-à-dire la capacité de saisir ensemble, de com-prehendere, un divers ou une grandeur dans une seule et même image en tant qu'image) parvient « vite à son maximum », alors qu'avec l'appréhension, simple saisie d'un divers ou d'une grandeur, l'esprit « n'a aucune difficulté », même lorsqu'il « poursuit à l'infini ». Plus grand est l'objet, plus la discrépance [dissonance, divergence] entre l'appréhension qui réussit et la compréhension qui échoue devient grande. L'effort de l'« imagination » pour « élargir » son « maximum » « retombe ».
Mais, ainsi que l'affirme Kant, malgré le « déplaisir » que produit le grand ou l'« absolument grand », la sensation retombe pourtant dans une « satisfaction émouvante ». Cela signifie que malgré, ou, plus précisément, à cause de notre incapacité à le saisir dans sa grandeur ou dans son infinité, le sublime nous soulève. La « stupeur » serait liée à la satisfaction. - D'où vient cette satisfaction?
Le fait même de l'échec sensible et la souffrance que notre insuffisance fait alors naître en nous sont, répond Kant, des indices que nous possédons une faculté qui serait « elle-même suprasensible », que nous possédons une échelle suprasensible à laquelle nous nous mesurons pour nous découvrir insuffisants. C'est ce fait, qui apparaît clairement à travers l'échec, qui produit la satisfaction.
L'échelle à laquelle nous mesurons notre capacité à imaginer comme insuffisante, ce serait donc nous-mêmes ; nous-mêmes, de qui, au moment où nous échouons, nous ne serions pas à la hauteur. Mais cela signifie toujours en même temps que, lorsque nous admirons quelque chose et le décrétons « sublime », c'est toujours nous que nous admirons ; à juste titre d’ailleurs. C'est seulement par une « subreption » [échange par surprise], un changement de plan furtif pour ainsi dire, que la sublimité semble être un attribut de l'objet lui-même.
J'échoue et je sens mon échec. Je possède donc, puisque sinon je ne pourrais absolument pas sentir mon échec en tant qu'être en train d'échouer, une échelle suprasensible, et je suis ainsi moi-même un être suprasensible. Le fait que soit disponible ici une théorie disant que « l'homme ne marche pas au même pas que lui-même » est, bien sûr, incontestable.
Seulement, cette théorie reste inutilisable, complètement inutilisable dans la situation où nous nous trouvons pour les faisons
suivantes :
1. Après tout, les « choses » qui dépassent aujourd'hui notre imagination en raison de leurs proportions excessives ne sont pas, comme pour Kant, des « Idées », mais des actes humains ou des produits faits par l'homme.
2. Ce qui « dépasse » aujourd'hui notre imagination n'est rien de sublime mais, à l'inverse, quelque chose de monstrueux ou d'horrible, à savoir le crime extrême que nous ne pouvons plus moralement saisir.
3. Le fossé au pied duquel nous nous trouvons aujourd'hui « que, d'une façon ou d'une autre, nous devons surmonter, n'est pas un fossé entre la « raison » et l'« imagination », mais entre l'« action » et l'« imagination ». L'objet qui n'est plus concevable par nous (à savoir l'incinération de milliers ou de millions d'hommes) n'a absolument rien à voir avec l'idée de l'« infini , ou de l'« absolument grand » au sens de Kant.
Alors que Kant a cru devoir être fier du fait que nous essayons de demander plus à notre imagination qu'elle ne peut donner à qu'il a vu dans cette tentative et même, plus précisément, dans son échec, la preuve que nous possédons une échelle suprasensible, il n'y a rien à quoi nous ayons moins le droit, nous, hommes d'aujourd'hui, qu'à une telle fierté. De quoi la discrépance entre nos facultés peut-elle apporter la preuve ? On se fiche aujourd'hui de cette question métaphysique ou anthropologique, car ce qui compte, pour nous, c'est seulement les  conséquences de cette discrépance. Et ces conséquents n'ont justement rien à voir avec le suprasensible, à moins que nous ne désignions aussi le « monstrueux » comme suprasensible. En tout cas, le fait est que nous ne sommes plus capables de maîtriser ce que nous sommes capables de déclencher, en l'occurrence l'effet monstrueux, infernal qui nous permet de continuer à commette des crimes ad libitum [facultatif] et de continuer a échouer ad libitum [facultativement] également à nous en empêcher. (À titre de clarification : le scandale ne consiste pas dans le fait que nous restons incapables, en tant qu'êtres imaginants, de comprendre les choses monstrueuses que nous produisons ou déclenchons, mais, à l'inverse, dans celui que nous pouvons produire et causer des choses monstrueuses sans difficulté parce que nous ne sommes pas capables d'imaginer ce que nous faisons avant de le faire ou pendant que nous le faisons). Kant suite
Non, nous ne pouvons vraiment pas saluer l'échec de notre imagination comme une preuve réconfortante à la manière de Kant. »
101-102 Un espoir naïf «Cette date du 12 juillet 1906, est restée mémorable pour des milliers de gens. Parce que c'est l'heureux jour où le gouvernement français a réhabilité le Capitaine Dreyfus, sous le pression de la «conscience mondiale» (qui ou quoi que cela puisse être). Un événement que, tous nos pères, aussi insensés qu'ils étaient avisés et cultivés, ont salué comme la preuve du triomphe définitif de la justice et du désormais inexorable déclin de la haine des juifs dans le monde.»
171 « Maintenant plus que jamais, les Allemands sont entrés dans l'ère post-hitlérienne. Il n'y a pas eu de cavalier sur le lac de Constance, ils n'ont pas eu peur en 1945. Ils n'ont renoué ni par le deuil, ni par le regret, ni par la critique avec les douze ans qui étaient derrière eux. 1978 est véritablement 1945, puisque le choc qui aurait dû avoir lieu en 1945 n'a eu lieu que maintenant. Ce qui s'est passé pendant les trente-cinq am qui séparent ces deux dates est difficile à formuler en termes de philosophie de l'histoire. L'Ange novus de Klee mentionné par Benjamin, cet ange qui regarde en arrière pendant que la tempête de l'histoire le pousse vers l'avant ne correspond à rien ici. Il n'y a pas eu le moindre ange à cent lieues à la ronde en Allemagne dans les années qui ont suivi 1945 et l'Allemagne n'a pas regardé en amère vers le millenium de douze ans qu'elle venait de traverser mais plutôt traité cette séquence de temps comme si elle n'avait pas eu lieu. On s'y est tout aussi peu opposé à la tempête du futur, on y a tout aussi peu suscite une contre-tempête pour s'opposer à celle du futur. Ceux qui avaient été totalement vaincus, ceux qui en avaient eu plus qu'assez du futur et du passé pour mille ans, ceux auxquels les allés n'accordaient pas une réelle défaite (parce qu'elle aurait pu entraîner des conséquences politiques qu'ils ne souhaitaient pas) voulaient commencer par avoir un présent : un logement, à manger, la télévision, des voyages, une vie sexuelle, bref, ils voulaient consommer. »
169 Tiré de https://journals.openedition.org/lectures/15134 «La dernière partie, datée de 1979, s’intitule « Après Holocauste », soit après la diffusion en Allemagne du feuilleton américain au titre éponyme. Sur le plan chronologique comme sur le plan critique, cette dernière partie tente de dénouer la problématique du dénombrement esquissée les années précédentes et dont rendent compte différents passages de l’ouvrage. Contrairement à toutes les polémiques, rappelées dans la postface, qu’a provoqué la programmation de la série en Europe comme aux États-Unis, G. Anders énonce à partir du feuilleton Holocauste la leçon suivante : « c’est seulement par la fiction que le fait peut être rendu clair et inoubliable, de même c’est seulement par les cas particuliers que l’indénombrable peut l’être » (p. 171). L’auteur approuve sans réserve le procédé de scénarisation adopté dans la série et formule une critique virulente à l’égard d’expressions toutes faites comme le refoulement du passé, le « surmontement » du passé par le peuple allemand, ainsi qu’à l’égard de l’idée selon laquelle le poète Paul Célan aurait réussi à saisir Auschwitz. Véritable critique de lieux de la pensée qui nous sont encore communs, l’auteur dénonce également la difficulté d’admettre la spécificité du génocide juif à travers le rappel « jaloux » des millions de victimes non juives. « L’extermination des juifs. Elle n’était pas un moyen mais une fin ». L’extrait s’achève par ces mots, « Maxima Moralia », soit une critique ouverte du philosophe T. Adorno, dont l’ouvrage Minima Moralia a pour objet de proposer une pensée pour l’après-génocide.»
202 « S'il n'y avait pas eu le Juif, [Hitler] aurait fallu qu'il l'invente. Pourquoi « il aurait fallu»? Parce que les Juifs, dont il avait besoin et auxquels il a eu recours comme fond, il n’y en avait pas dans la réalité, mais seulement dans les caricatures haineuses du Stümer. Et si, plus tard, aussi terrible que cela puisse sembler, il y en a vraiment eu dans les camps, c'est parce que les SS les ont métamorphosés en imitations des figures du Stümer à force de les traiter comme des bêtes. Les hommes réels ont été créés « kat eikona » [du grec : par image], à l’image des caricatures mortelles. Si un être (l'Aryen) incarne par nature et de façon irrévocable le Bien et un autre être (le Juif) incarne, de même, par nature et de façon irrévocable le Mal, il n'y a plus de place pour la liberté (le choix entre le Bien et le Mal) et cela de façon irrévocable. Et d'une façon tout aussi irrévocable, il n'y a plus d'espace pour le « devoir »... qui se retrouve en quelque sorte écrasé entre l'être ... et la nécessité ...
C'est précisément cela l'intention de la dictature nationale-socialiste. Là où règne la nécessité, il n’y a plus de devoir. Si l'on est Aryen, ce qu'on a à faire, c'est ce qu'on doit nécessairement faire. Vice versa : si l'on est Juif, ce qu'on doit subir, c'est ce qu'on doit nécessairement subir.
Le discours selon lequel le national-socialisme aurait été « immoral » est ... l'euphémisme du siècle. Car le « résultat » epochal auquel a abouti le national-socialisme a consisté dans l’élimination de la catégorie du devoir en tant que telle. Que les victimes principales de cette élimination aient été les successeurs de ceux qui, avec le décalogue et le sermon sur la montagne, ont fondé le « devoir », ce n'est pas une coïncidence mais un acte de vengeant à l'échelle de l'histoire du monde contre le devoir. Malgré la fréquente mention de l'impératif catégorique kantien (c'est l'adjectif « catégorique » qui l'avait séduit dans cette expression), Hitler aura été celui qui a détruit Kant (... le « destructeur de toutes choses »). »
Der Stürmer était un journal allemand, un hebdomadaire nazi publié par Julius Streicher de sa fondation en avril 1923 jusqu'à quasiment la fin de la Seconde Guerre mondiale en février 1945.
Épochè signifie « arrêt, interruption, cessation ». En philosophie, et par la suite en psychanalyse, ce terme désigne la suspension du jugement.
205-206 « L'hostilité contre les Juifs était ... un affect de substitution à l'hostilité contre le capitalisme. Ce que Hitler a compris, c'est qu'il ne devait pas traiter la puissante charge de haine de classe, qu'il a trouvée dans les années vingt, comme si elle n'existait pas, que non seulement il ne pouvait pas liquider la haine accumulée du jour au lendemain, mais qu'il était même au plus haut point opportun d'utiliser la charge de haine déjà accumulée, et même de l'augmenter, pour ensuite la détourner sur un autre objet. Il s'agissait donc d'un grandiose exemple de « falsification par étiquettes ». L'objet de haine « capitaliste » a été rebaptisé « Juif», et les Juifs réels furent livrés à cette haine artificiellement produite. ... Tous ceux qu'il fallait haïr ont été - ce qui était terriblement pratique - fondus en une seule idole. Et haïr celle-ci n'était pas seulement permis, c'était même un devoir, une contrainte, afin qu'il ne restât pas une miette de la haine due à ceux qui étaient réellement haïssables. Et voyez lorsqu'on peut haïr, non, lorsqu'on doit haïr, non, lorsqu'il faut haïr, on a vite fait de dépendre de l'objet de sa haie et on ne le laisse pas arracher comme ça à son cœur. La question ne se pose pas. Hitler a réellement offert quelque chose à son peuple. Et, même aujourd'hui, ils n'ont pas encore réussi à arracher à leur cœur une grande part de cette haine qui, à l'époque, leur a été offerte

Février 2023

L'obsolescence de l'homme

Éditions Ivrea
Du site de l'éditeur et 4e de couverture «« Tout le monde est d’une certaine manière occupé et employé comme travailleur à domicile. Un travailleur à domicile d’un genre pourtant très particulier. Car c’est en consommant la marchandise de masse – c’est-à-dire grâce à ses loisirs – qu’il accomplit sa tâche, qui consiste à se transformer lui-même en homme de masse. Alors que le travailleur à domicile classique fabriquait des produits pour s’assurer un minimum de biens de consommation et de loisirs, celui d’aujourd’hui consomme au cours de ses loisirs un maximum de produits pour, ce faisant, collaborer à la production des hommes de masse. Le processus tourne même résolument au paradoxe puisque le travailleur à domicile, au lieu d’être rémunéré pour sa collaboration, doit au contraire lui-même la payer, c’est-à-dire payer les moyens de production dont l’usage fait de lui un homme de masse (l’appareil et, le cas échéant, dans de nombreux pays, les émissions elles-mêmes). Il paie donc pour se vendre. Sa propre servitude, celle-là même qu’il contribue à produire, il doit l’acquérir en l’achetant puisqu’elle est, elle aussi, devenue une marchandise. »
« Le monde comme fantôme et comme matrice. »»

Des recensions :
De l’entreprise capitaliste à l’entreprise nazie : une même absence de conscience morale
«...un extrait de l’excellent livre de Günther Anders intitulé L’Obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, initialement paru en 1956 (traduction française publiée en 2002 par les éditions de l’Encyclopédie des Nuisances/Ivrea). Anders y expose en quoi les abominables crimes des nazis ont été rendus possibles et même favorisés par le fonctionnement général du capitalisme (qui, de la même manière, pour la même raison, génère en permanence toutes sortes de désastres sociaux et écologiques).»
Albert Speer, les nazis et la technologie
« Le succès de notre action est à porter au compte des milliers de techniciens qui s’étaient jusque-là signalés par la valeur de leurs travaux et à qui fut confiée la responsabilité entière de certaines branches de l’industrie d’armement. Cette responsabilité ranima leur enthousiasme endormi ; ma direction peu conformiste les incita à s’engager davantage. Au fond, j’exploitai cette attitude, fréquente chez les techniciens [ingénieurs], qui consiste à se consacrer à son travail sans se poser de questions. Le rôle du technicien étant apparemment dégagé de tout aspect moral, la technologie apparemment neutre, il n’y eut pendant longtemps de leur part aucune réflexion sur la valeur de leur propre activité. Cette attitude devait avoir des répercussions d’autant plus dangereuses que, dans cette guerre, la technologie prenait une importance de plus en plus grande : le technicien n’était plus en mesure d’apercevoir les conséquences de son activité anonyme. »
SUR LA HONTE PROMOTHÉENNE
«Nous ne sommes pas de taille à nous mesurer à la perfection de nos produits, ce que nous produisons excède notre capacité de représentation et notre responsabilité, nous ne croyons que ce qu’on nous autorise à croire, telles sont les trois thèses développées pas Günther Anders dans cette critique de la technique, au risque de passer pour un réactionnaire et d’être accusé de saboter le progrès.»

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