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Sylvain Tesson

"Icône réactionnaire" ? On vous résume la polémique
«Un collectif d'acteurs du monde de la culture a signé une tribune pour s'opposer au choix de Sylvain Tesson comme parrain du Printemps des poètes, accusant l'écrivain d'être une "icône réactionnaire".
... le choix de Sylvain Tesson n'est pas du goût de plus de 1200 poètes, libraires, enseignants, éditeurs, etc., qui qualifient l'écrivain de "figure de proue de l'extrême droite littéraire" dans la tribune publiée dans Libération. "Nous refusons qu'un événement culturel auquel nous sommes de fait inextricablement lié.es de façon symbolique, créé afin de contrer les idées reçues et de rendre manifeste l'extrême vitalité de la poésie, soit incarné par un écrivain érigé en icône réactionnaire"*, ajoutent les signataires du texte, parmi lesquels figurent les auteurs Baptiste Beaulieu et Chloé Delaume.
Ils estiment que cette décision, "loin d'être contingente, vient renforcer la banalisation et la normalisation de l'extrême droite dans les sphères politique, culturelle, et dans l'ensemble de la société". Dans un premier temps, ils indiquaient à tort que Sylvain Tesson avait écrit la préface d’un roman de Jean Raspail, "Le Camp des Saints", une dystopie parue en 1973 sur la submersion de la civilisation occidentale par une immigration massive venue du Delta du Gange. Il a bien signé une préface pour un ouvrage de Jean Raspail mais il s’agit d’un recueil de ses récits d’aventure. La tribune a été corrigée.
Les signataires joints par France Inter n'ont pas donné suite à nos sollicitations. Un seul a répondu et a confié crouler sous les insultes et les menaces depuis la publication de la tribune. Il dit ne pas regretter de l’avoir signée mais ne souhaite pas s’exprimer.»

Sylvain Tesson facho ?

Sylvain Tesson : les vers de la réaction


Sylvain Tesson facho ?


Sylvain Tesson ou les liaisons dangereuses avec l’extrême droite par Jean-Marie Durand Publié le 9 juin 2023 à 12h06
Mis à jour le 8 septembre 2023 à 16h55

«... l’apparente éloquence dépolitisée de l’écrivain se fissure à l’examen poussé de ses références littéraires, de ses liens affectifs, et de son écriture même. Tesson est un pur “écrivain de droite”, remarquait Arnaud Viviant lors d’un récent Masque et la Plume, au grand dam de ses confrères Jérôme Garcin et Frédéric Beigbeder, sensibles, eux, comme des millions de lecteurs et lectrices, à sa prose altière. “On prend Tesson à tort pour un réac alors que c’est un écoconservateur, le défendait Beigbeder. Il est vert et il aime la nature, dont il veut protéger la pureté.”
Admiratif d’un auteur aimé des néofascistes
À lire la récente enquête de François Krug, Réactions françaises (Seuil), la vertu de l’aventurier sensible à la fragilisation du monde vivant et à la beauté des chemins de grande randonnée se perd dans les vices d’une prose plus retorse qu’elle n’en a l’air. Même au grand large, les idées peuvent être étroites. “S’il séduit des lecteurs de droite comme de gauche, c’est justement parce qu’ils ne voient chez lui rien de politique, nous confie François Krug.
L’aventure, la forêt, la montagne, le dépassement de soi, le rejet d’une société régie par l’argent et la technologie, ça peut parler à tout le monde, à droite comme à gauche.” L’étiquette “anti-moderne” qu’on lui colle souvent semble trop imprécise aux yeux de l’enquêteur pour définir l’écrivain : “Elle permet de se distinguer de la masse sans trop se mouiller, comme quand on se revendique ‘réac’ ou ‘anar de droite’, c’est chic mais c’est flou.”

..la politique n’est pas absente de ses livres,.. “On trouve des remarques ambiguës glissées ici ou là, par exemple celles sur les migrants qui traversent les Alpes, dans Blanc, son dernier livre, rappelle Krug. Il y a aussi un livre comme Une très légère oscillation, un recueil d’extraits de son journal intime. Dans celui-là, on trouve des passages sans équivoque sur l’islam, la violence qui lui serait intrinsèque, ses liens censément naturels avec le terrorisme, la supposée impossibilité de faire cohabiter musulmans et chrétiens.”
Grâce à l’enquête de Krug, les relations de Tesson avec la droite la plus radicale ne sont donc plus secrètes. Exemple : son admiration pour l’écrivain préféré des néofascistes, Jean Raspail, l’auteur du Camp des saints, publié en 1973 – l’un des livres de chevet de Marine Le Pen –, qui raconte la submersion de la civilisation occidentale par des hordes d’immigrés venus du delta du Gange, qui imposent leur loi, tuent et violent.
“Jean Raspail a une vision du monde que j’aime : crépusculaire. Il est sensible à l’esthétique de l’engloutissement, de la chute des mondes, ce moment où l’on contemple quelque chose pour la dernière fois dans les feux d’un soleil moribond”, se justifiait Tesson en 2006 dans la revue royaliste Les Épées. François Krug rappelle aussi son amitié pour deux grandes figures de la Nouvelle Droite (fondée par Alain de Benoist) qui animèrent la revue d’extrême droite Europe-Action au milieu des années 1960, avant de rejoindre le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece) : Dominique Venner et Jean Mabire, connu aussi pour ses livres sur l’histoire des SS.
La quête de pureté, l’amour des racines
Ses amitiés et ses admirations, fussent-elles crapoteuses, suffisent-elles pour autant à le situer dans le champ de la réaction en tant qu’écrivain ? Johan Faerber, auteur d’un essai, Le Grand Écrivain, cette névrose nationale (Pauvert), le pense fermement. Interrogeant l’absence de discernement critique face au cas Tesson, il nous confie : “Si Sylvain Tesson jouit d’un immense succès, c’est parce que, selon moi, il réactive, aussi bien pour une partie de la critique que pour une large part du public, le mythe si français et désormais si réactionnaire du Grand écrivain.”
Selon lui, “ce virilisme de l’aventurier, manière d’Hemingway qui aurait fait le Raid Gauloises, est enfin souvent loué comme salutaire. D’aucuns vantent la subtilité de sa pensée parce qu’elle serait à contre-courant de la doxa. Par contre-courant, il faut surtout dire qu’elle est surtout contre-révolutionnaire, et profondément réactionnaire.”
La quête de pureté, la tentation du sacré, l’amour des racines sont les valeurs reines de Tesson.
“C’est comme un bol d’air pour se laver de l’époque, observe Faerber. En fait, ce que d’aucuns appellent la subtilité de Tesson, c’est d’avoir été un catholique fondamentaliste tendance monseigneur Lefebvre, mais à une époque où on a oublié qui était Lefebvre [archevêque intégriste excommunié par le Vatican en 1988].”

Le léger problème que suscite le succès de Tesson se joue donc au cœur de cet angle mort : son œuvre n’est jamais d’emblée qualifiée de réactionnaire, parce que la question de l’aventure fait écran à toute analyse politique. L’aventure a bon dos, en somme. “Le voyage semble même une zone apolitique qui force à admirer ses exploits comme sillonner la France à pied ou s’isoler dans une cabane au fin fond de la Sibérie”, insiste Faerber.
Or tout ce qui est mis en jeu dans ses récits relève d’une violence réactionnaire inouïe : son goût de l’aventure n’est jamais autre chose qu’un goût viriliste du risque, une manière d’attaque anti-intellectualiste où la contemplation de la nature lave littéralement de la souillure du monde moderne, de toute pollution intellectuelle.” À l’opposé de Rimbaud, dont il revendique l’héritage, Tesson “fantasme une guerre civilisationnelle et parle comme un croisé du Moyen Âge”.

Plutôt qu’un gentil écrivain de droite, Sylvain Tesson serait-il donc, comme l’avance Faerber, “le chantre affirmé de l’extrême droite littéraire contemporaine” ? Au-delà de ses connivences et amitiés littéraires mises au jour par Krug, Faerber estime que “son extrême droite littéraire est surtout textuelle, avant même d’être vérifiable de manière factuelle”. Son livre Un été avec Homère, fruit d’une série d’été sur France Inter, forme de manière caractérisée “une déploration rageuse et contre-révolutionnaire de la décadence civilisationnelle que nous, Européens, nous serions tous en train de traverser”.
Homère représente l’idéal grec de la patrie d’une Europe blanche. Au fond, la littérature n’intéresse Tesson qu’à la mesure des valeurs qu’elle charrie. “Elle est pour lui le lieu d’un combat idéologique, un combat de civilisation où le catholique ne doit pas être corrompu par le monde moderne. Ses idées politiques, c’est sa littérature : elles sont indissociablement d’extrême droite, c’est-à-dire portées par une littérature servicielle nationaliste, intégralement au service d’une lutte contre le décadentisme et le déclinisme d’une civilisation autrefois grande et désormais réduite à peau de chagrin dans le monde.” Tesson serait “une sorte de Maurice Barrès luttant contre les trottinettes, qui visite le monde comme une lointaine colonie de sa si chère France dont la grandeur est révolue”.

Plus prudent sur la manière de qualifier politiquement l’écrivain, François Krug précise : “Je ne dis pas que Tesson EST un écrivain d’extrême droite. Je ne dis même pas qu’il EST d’extrême droite : je ne sais pas pour qui il vote, lui seul peut le dire, il n’a pas voulu me parler, je ne peux donc rien en dire. En revanche, en me fondant sur les faits et uniquement sur eux, je peux dire qu’il a des liens étroits avec l’extrême droite la plus radicale : il évolue dans ses réseaux depuis sa jeunesse, il y a puisé une partie de son imaginaire et de sa vision du monde, il en diffuse certaines idées.
Plutôt que de conclure trop simplement que Tesson serait un pur idéologue d’extrême droite, on peut au moins identifier un ethos politique affinitaire. “À mon avis, c’est Alain de Benoist, meneur de la Nouvelle Droite en France, qui a eu la formule la plus juste. Il m’a résumé la chose en expliquant qu’à une autre époque, on aurait décrit Tesson comme ‘un compagnon de route’.

Il est grandement probable que la majorité des lecteur·rices, sincèrement touché·es par ses récits, n’aient jamais perçu cette part politique réactionnaire sous le vernis de ses déplorations existentielles et de ses envoûtements naturalistes. Peut-être l’ont-ils et elles simplement entrevue, préférant s’aveugler devant une personnalité double dont la part d’aventurier échevelé écrase celle du politique dévoyé.
“Il y a un double aveuglement, involontaire et volontaire. Chez Tesson, il y a ce que le public ne peut pas voir : ses liens intellectuels et personnels avec l’extrême droite la plus radicale. Il y a aussi ce que tout le monde peut voir… mais préfère ne pas voir, précise Krug. Les lecteurs qui le prennent en exemple n’ont pas envie de détruire leur totem. Les éditeurs n’ont aucun intérêt économique à se poser des questions sur un écrivain qui vend autant. Les médias non plus, puisqu’il attire le public.”
Sans discuter les goûts ou aspirations des lecteur·rices, éditeurs et médias, il est possible de s’interroger sur ce que dit de notre présent politique le succès d’un écrivain à peine masqué derrière ses idéaux d’arrière-garde. Un pays aurait-il la littérature qu’il mérite ? En admettant cette hypothèse, la France se serait trouvé un nouveau grand écrivain dont l’imaginaire tortueux percute les passions les plus tristes du moment. »

Sylvain Tesson : les vers de la réaction
«Succès littéraires à répétition, les livres de l’auteur disent quelque chose du besoin de sensible, de beauté, de romantisme de nos contemporains, dans un monde toujours plus calculable et maîtrisé. Mais derrière la silhouette iconique de l’écrivain-voyageur tessonien se cache une recette commerciale bien huilée, au service d’une idéologie ouvertement réactionnaire.
... au fil des ouvrages commis par l’écrivain depuis une vingtaine d’années, les ficelles du « phénomène Tesson » apparaissent désormais de plus en plus grossières. 2024 : nouvelle année, nouveau récit. Cette fois, ce sera une escapade en voilier le long des côtes atlantiques, de la Galice à l’Écosse, à la recherche des « fées », de cette « qualité du réel révélée par une disposition du regard ». La recette est connue. Il convient, pour cela, et dans cet ordre, de 1) prendre une idée de voyage originale : traversée de la France à pied, escapade sur les traces des évadés du goulag, séjour prolongé dans une cabane sibérienne, tour des Alpes à peaux de phoque… 2) mélanger allègrement avec des aphorismes sur la vie, la technique, l’amour, la grâce d’un paysage, la pureté de la neige, pour 3) saupoudrer le tout d’une mélasse réactionnaire fleurant bon la France d’autrefois (on y reviendra).
... À première vue, les descriptions des hauts plateaux tibétains ou du littoral irlandais ne semblent pas porter en eux de positionnement politique particulièrement clivant. Pourtant, force est de constater que ses multiples aphorismes et digressions sur la société contemporaine font de Tesson un écrivain engagé, qu’il s’en défende ou non. Un écrivain campé sur des thèmes et des prises de position ouvertement réactionnaires, qui ne sauraient être écartées d’un revers de main au nom de son droit à chanter la beauté des couchers de soleil et la grâce d’une montagne enneigée.
... Les liens tant idéologiques qu’interpersonnels qu’entretient Tesson avec l’extrême-droite la plus haïssable sont attestés, comme en témoigne l’enquête fouillée du journaliste François Krug parue l’an dernier. On pourrait aussi mentionner les références littéraires pour le moins douteuses mobilisées par l’écrivain-voyageur, à l’instar de Paul Morand, régulièrement cité, qui deux fois eut la gloire d’être nommé ambassadeur par Pétain avant de devoir fuir la France à la Libération. Mais bien sûr, littérature et politique sont deux mondes aussi étanches que l’Occident et l’Orient, et l’on serait bien mal intentionné de lire Morand, Jünger, Barrès, Raspail ou Céline en ayant à l’esprit leurs accointances avec ce que la droite a pu produire de pire.»

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