Sortir de l'histoire officielle

    


Bonté, décence, bienveillance

« L'homme est un loup pour l'homme » et un gars est arrivé et a dit aimez-vous les uns les autres »
Est-ce si simple ?

Je pense à 70 ans après lectures et réflexion que notre humanisme est « bêtement » inné.

Assistant à des cours à l'Université permanente de Nantes en 2020 j'ai encore entendu la citation « L'homme est un loup pour l'homme » décrivant une fatalité. Elle est venue en contradiction avec ma conviction profonde du refus de ce fatalisme qui nourrit des situations organisées et non tombées du ciel.

Par mes origines et par mon côtoiement avec des personnes peu argentées j’ai perçu intuitivement un sens moral profond et silencieux.
Les médias cherchant à faire la Une « le buzz » peuvent montrer un monde cupide, violent, envieux.
Ce n’est pas le mien.
Mes parents pauvres vivaient comme beaucoup tranquillement tirant le diable par la queue, surtout en fin de mois ;
- n’exprimant pas une jalousie envers les voisins ou envers les grands de ce monde au luxe affiché sur notre télé aux images monochromes ;
- ambitionnant simplement un quotidien moins inconfortable et une meilleure situation à venir pour leurs enfants ;
Il y a un bon sens populaire de vivre simplement sans haine et envie.
Un déterminisme bienveillant, est caché en nous.
Qu’en pensent les romanciers, les anthropologues et certains philosophes ?

Par Christian Godin dans « La philosophie pour les nuls »/2006 pages 266-267 chez les empiristes le Français Étienne Bonnot de Condillac (1714 – 1780) écrit dans un « Traité des animaux » que les qualités que nous nous attribuons en tant que déterminations de sa nature sont aussi possédées par les animaux et pour l’Écossais David Hume (1711 - 1776) que les animaux possèdent aussi la raison. Pour ce dernier il pensait que la sympathie est universelle car nécessaire pour penser le lien d'individus d'abord considérés comme isolés.

J’ai retrouvé cet esprit de bienveillance aussi dans les écrits de David Grossman, qu’il appelle « petite bonté ». J’ai l’ai retrouvé dans les écrits de George Orwell qu’il appelle décence ordinaire.
Devant le chaos, ces auteurs parmi d’autres ont repéré cette petite chose, base de notre humanisme.

Cette petite bonté est décrite dans le roman « Vie et destin » de David Grossman.
A partir de sa lecture Alexis Berelowitch, maître de conférence à Paris IV, dans l’émission de France culture « Une vie, une œuvre » indique : il ne faut pas se méfier du mal mais du bien car le mal est fait au nom du bien. Il ne reste que la bonté, la petite bonté individuelle. Pas la bonté avec un grand B comme vertu proclamée par l'église, institutionnalisée par l'inquisition.
La bonté ne sauvera pas le monde. Si quelque chose doit sauver le monde ce sera la bonté individuelle.
Le russe David Grossman reporter de guerre présent pendant la bataille de Stalingrad, dont le régime sous Kroutchev a essayé de faire disparaître le livre, ne voulant plus faire disparaître les auteurs.
Le mal par le bien dans « Vie et destin » de David Grossman : «J'ai vu au nom d'une idée du bien, ..., on exterminait les gens. ... [on exterminait parce] qu'ils étaient les ennemis de la grande et lumineuse idée du bien social.» «Le bien n'est pas dans la nature, il n'est pas non plus dans les prédications des prophètes, des grandes doctrines sociales, de l'éthique des philosophes ... Mais les simples gens portent en leur cœur l'amour pour tout ce qui est vivant, ils aiment naturellement la vie ; et après une journée de travail, ils se réjouissent de la chaleur du foyer et ils ne vont pas ... allumer ... des incendies. C'est ainsi qu'il existe, à côté de ce grand bien si terrible, la bonté humaine dans la vie de tous les jours. ... la bonté sans pensée. La bonté hors du bien religieux ou social. ...
... ce n'était pas l'homme qui était impuissant dans sa lutte contre le mal. J'ai vu que c'était le mal qui était impuissant dans sa lutte contre l'homme. Le secret de l'immortalité de la bonté est dans son impuissance. Elle est invincible. Plus elle est insensée, plus elle est absurde et impuissante et plus elle est grande. Le mal ne peut rien contre elle ! Les prophètes, les maîtres de la foi, les réformateurs, les leaders, les guides ne peuvent rien contre elles. L'amour aveugle et muet est le sens de l'homme.
L'histoire des hommes n'est pas le combat du bien cherchant à vaincre le mal. L'histoire de l'homme c'est le combat du mal cherchant à écraser la minuscule graine d'humanité.»

George Orwell par sa description d’un foyer d’un mineur dans le Quai de Wigan me le rend proche.
Par le rejet de l’hypocrisie de son milieu, qu’il estime être la partie inférieure de la classe supérieure, et par le rejet de l’injustice il va de la condescendance envers les travailleurs et les laissés pour tout compte à une empathie respectueuse.
C’est son travail de journaliste sur le terrain qui procure ce changement psychologique.
D’abord ambitionnant le rôle d’écrivain, pour des articles alimentaires il est amené à vivre et à enquêter parmi les tacherons des palaces parisiens et les clochards anglais. Il en perçoit simplement la bonté.
Le livre « La décence ordinaire » de Bruce Bégout, me fournit des idées pour y voir plus claire.
Ce livre est complexe, car concept complexe.
Je reprends quelques uns de ses propos.
La « common decency » serait ce « sens moral inné » qui incite les gens simples à bien agir.
La traduction française des essais, articles et lettres n'a pas réussi à trouver une formule unique pour traduire common decency, perdant ainsi l'unité de ce concept.
La décence ordinaire appartient à la sphère de nos sentiments les plus profonds et les plus essentiels.
Rien n'est plus difficile à exprimer que cette part cachée, inconnue de notre nature.
Elle s'enracine dans la vie affective.
Il cite George Orwell «En un certain sens, ce versant non verbal de notre esprit en constitue la partie la plus importante, car c'est là que presque tous les mobiles qui gouvernent notre vie prennent leur source.»
C’est un code moral intuitif.
Elle passe souvent inaperçue, mais recèle en elle-même ses propres valeurs pour la compréhension de notre expérience collective.
Elle est ce par quoi l'existence prend sens.
Orwell a tout d'abord repéré cette décence ordinaire parmi les gens considérés comme indécents en raison de leur manière débraillée : les mendiants et les vagabonds et ce qu'il découvre dans les asiles de nuit, puis dans les foyers ouvriers, chez les travailleurs sans qualification.
Il y découvre une dignité ordinaire, un sens viscéral de l'égalité, de la simplicité et de la solidarité.
Cette honnêteté ordinaire s'exprime sous la forme d'un penchant naturel au bien, et sert de critère du juste et de l'injuste, du décent et de l'indécent, sans faire appel à des principes moraux, religieux ou politiques.
Ce n'est pas par simple intérêt que l'homme ordinaire répugne à faire le mal, mais parce qu'il a en lui certaines dispositions morales qui l'incitent à prendre soin spontanément de ses semblables.
C’est une générosité naturelle que favorise la vie ordinaire et s'épanouit dans les pratiques quotidiennes du travail, du soin, de l'amitié.
Est décent ce qui n’humilie pas l’individu, mais témoigne du respect de sa vie, de ses choix, de ses manières d’être et de penser.
Pour Bruce Bégout la morale innée de chaque homme «...n'est pas à proprement parler une moralité spécifiquement ouvrière ou populaire, elle n'est rien d'autre que la moralité humaine de base.»
Cette décence implique une pratique commune du respect et de la loyauté.
La décence ordinaire présente trois qualités principales qui en rendent l’expression politique difficile.
- c’est une pratique interne non institutionnelle de groupes sociaux mal définis.
- elle est plutôt réactive qu’active. Elle signale une répugnance humaine à la violence et à la domination, mais n’indique rien de ce que serait une action juste.
- elle ne s’assemble pas elle-même en une théorie.
Pour Bruce Bégout les possédants et les dominants ne connaissent pas ce sentiment ordinaire de la décence.
C’est comme s'ils l'avaient perdu.
Tout ce que les gens ordinaires soutiennent, « l’affection, l’amitié, la bienveillance ou même la simple politesse », leur paraissent absolument naïf.

Maintenant quittons la littérature.
Comme pour toutes les espèces vivantes, comme pour l'arbre ou le criquet, chez l’humain et ses prédécesseurs il n’y a ni bien ni mal. C’est bon ou mauvais pour soi ou pour le groupe, c’est tout ! L’espèce qui s’adapte n’est pas la plus forte physiquement, ou ça ne dure pas, mais la plus maline.
L’entraide nous a permis de survivre, en comparaison de multiples essais d’individus cousins plus ou moins proches.
L’homo sapiens en a remis une couche, la technique, qui permet de multiplier la force.
Cette force décuplée est plus forte que la nature ce qui peut nous conduire à notre perte.

Qu’en pense les anthropologues qui étudient nos ancêtres restés proches de la nature ?
Dans le documentaire sur la cinq « Nos ancêtres les hominidés », ils décrivent une espèce éteinte d'Hominidé bipède ayant vécu en Afrique il y a environ 3 millions d'années, Australopithecus afarensis.
Un bipède qui pouvait encore grimper aux arbres.
Ses canines étaient beaucoup plus petites que celles de nos cousins les singes. Il ne montrait plus les dents pour s’imposer dans le groupe.
Sa faiblesse corporelle devant les prédateurs était compensée par sa rapidité à se déplacer. Des scientifiques pensent qu’il devait rapporter au groupe les fruits cueillis ou ramassés à des congénères bloqués par leur physique ou par l’existence d’un petit.
Chez les autres animaux c’est la femelle qui chasse, ou cueille pour elle ou pour son petit.
Il y a des exceptions et les frontières entre espèces des comportements ne sont jamais tranchées.

Cette spécialisation de la protection collective du faible est reprise dans l’article de S&V de février 2022. Chez les ancêtres du genre homo il y eu une croissance post natale du cerveau. Celui du bébé était beaucoup plus petit que celui de l’adulte, comparativement aux autres grands singes. Cette caractéristique aurait pu jouer un rôle dans la sociabilité humaine. Cette dépendance et vulnérabilité plus longues des jeunes enfants auraient provoqué une réaction collective et un partage des fardeaux appelé la reproduction coopérative.

Solidarité, entraide, protection sont innés en nous. Des religions n’ont fait que récupérer des valeurs immanentes en nous, et non d’un Dieu bienveillant.
Pas d’angélisme la force est toujours là car nécessaire pour chasser la viande fraîche et pour la protection de l’individu et celle du groupe.

Mais je constate que la Force aidée de la technique a été la plus forte.
Aujourd’hui nous sommes ce que nous sommes, c’est un fait.
Doit-on accepter ainsi cette situation sans comprendre ?
Le propre de l’humain est d’aller au-delà des apparences.
Comprendre et puis vaille que vaille l’humanité en fera ce qu’elle voudra de cette connaissance.
L’histoire est écrite par les vainqueurs, donc si nous sommes matures et exigeants nous devons revoir cette écriture pour comprendre.
La philosophie n’est faite que de questions, il y a celle-ci : qui sommes nous vraiment ?
J’en suis là, à cette question. Après avoir aborder quelques philosophes et lu quelques anthropologues je veux sortir de ma zone de confort. Sommes nous vraiment ce que nous pensons de nous ?

Sommes nous un loup suivant Hobbes ou un bon sauvage niais suivant Rousseau ?
L'État, pour ceux qui l'utilisent, a besoin que nous acceptions d'être contraints par l’illusion d’une humanité présentée comme des loups à la Hobbes ou comme des niais à la Rousseau. Nous n'avions pas accepté d'être embrigadés, nous en avons été écrasés. Et de notre mémoire a été effacé notre esprit d'adaptation libertaire.
L’État pour sa pérennité doit démontrer, par ses intellectuels, l’immaturité de l’humain nécessitant le carcan étatique.
Il faut donc aux jeunes générations leur faire croire que c'est une fatalité et que nous ne pouvons pas nous passer du centralisme étatique et de sa police.

Pour Simone Weil dans L’enracinement en 1943 « L'État n'est pas particulièrement qualifié pour prendre la défense des malheureux. Il en est même à peu près incapable, s'il n'y est pas contraint par une nécessité de salut public urgente, évidente, et par une poussée de l'opinion. »

A un moment l’humanité a fait un choix, celui de s’imposer l’État central. Elle vivait autrement semi-sédentaire semi-agricole. Avec des regroupements saisonniers plus ou moins importants. Les effondrements d’ébauches d’États ou d’États constitués étaient des renouveaux. Il n’y avait pas de raison que cela ne continuât pas. Par la géographie, déserts, océans, montagnes et par l’armée, les États se sont stabilisés contraignant des populations fournisseuses de denrée et d’impôts.
Cette absence de chronologie de l'histoire des groupements humains je l'ai comprise par la lecture de Homo domesticus de James Scott, qui n'a rien avoir avec Homo sapiens de Yuval Noah Harari, qui ne reprend que la chronologie de l'histoire écrite par les vainqueurs.

En ce qui concerne Hobbes un théoricien de l’État, que j’ai cité avec son loup, j’apprends par wikipédia que la citation complète est :
« Et certainement il est également vrai, ... qu’un homme est un dieu à un autre homme, et qu’un homme est aussi un loup à un autre homme. L’un dans la comparaison des Citoyens les uns avec les autres ; et l’autre dans la considération des Républiques ;
là, par le moyen de la Justice et de la Charité, qui sont les vertus de la paix, on s’approche de la ressemblance de Dieu ;
et ici, les désordres des méchants contraignent ceux mêmes qui sont les meilleurs de recourir, par le droit d’une légitime défense, à la force et à la tromperie, qui sont les vertus de la guerre, c’est-à-dire à la rapacité des bêtes farouches »
Donc c’est déjà moins net. L’homme, par la Justice, la Charité, la paix, est aussi un Dieu pour l’homme. Cette citation n’est pas issue du Leviathan, mais De cive (le citoyen).

Je reviens à l’homo sapiens sapiens, l’homme qui sait qu’il sait (nous devrions nous appeler homo sapiens nesquiens, l’homme qui sait qu’il ne sait pas). Donc nous sommes un mammifère vivant en groupe. Nous subissons simplement des comportements acquis par la sélection des individus les mieux adaptés. Il n’y a ni bien, ni mal nous sommes naturellement protecteurs, attentifs et dépendants des autres. Nous protégeons le petit, le faible et le groupe. L’attitude ferme et déterminée, allant jusqu’à la force, est utile à la protection du groupe, pour canaliser les membres du groupe et pour se nourrir.
Il y a eu un déséquilibre en faveur de la Force, c’est tout. Comment en sortir ?

Voilà j’ai eu l’ambition prétentieuse de changer de paradigme, comme on dit maintenant. Ce que l’on appelait le référentiel.


Je rajoute un lien et quelques extraits de textes reprenant cet esprit de bienveillance naturel qui a tendance à être perdu par l’accumulation des pouvoirs et des biens.

Les fondements utilitaristes et anti-utilitaristes de la coopération en biologie

Marguerite Audoux, qui a eu par défaut le Fémina en 1910 pour le texte «Maire-Claire» le Goncourt lui étant interdit étant une femme, écrit le soir après la journée de labeur ses souvenirs. Fille de l’orphelinat, bergère en Sologne devenue couturière à Paris, elle décrit les conditions de vie et de travail des petites mains qui ont paré ces dames de la Belle époque.
Par l’imprévoyance de celles-ci et leurs exigences voulant se pavaner le 25 décembre à la messe, c’est dans l’atelier que les couturières passent le réveillon de Noël à finir l’ouvrage. Pour se donner de l’entrain elles chantent les chants de Noël rapportés de leur pays où est exprimée la solidarité naturelle entre «petites» gens.
Marguerite Audoux se souvint, elle voyait les bergers solognots quitter leur troupeau pour aller porter des présents à l'enfant divin fils de parents rejetés de toutes les belles demeures du pays. Ce qui donne pour l’un des couplets :
«Sylvain lui porte un agnelet,
Son petit-fils, un pot de lait
Et deux moineaux dans une cage
Robin lui porte du gâteau,
Pierrot lui porte du fromage
Et le gros Jean, un petit veau.»

En voici un autre oublié. Panaït Istrati, qui a eu son heure de gloire mais comme il avait soutenu et rejeté l’État bolchevik, après sa visite en Russie, il s’est mis tout le monde à dos.
Il écrit : «Si je me trouve en troisième classe, je suis sociable, je prends part aux discussions ou je me contente d'écouter les bavardages qui m'environnent ; car les gens simples sont naturels, sont ouverts, disent ce qu'ils pensent, de sorte qu'on peut facilement lire dans leur cœur bon ou mauvais. Tout à fait autrement je procède lorsque le voyage dans les autres classes ou dans des wagons-lits où, en général, l'homme dit «bien élevé» est un singe hypocrite qui ne fait que guetter votre pensée. Ici, tout ce qui se dit est faux, c'est pour la galerie et les relations faites sont suspectes comme partout dans le « beau monde ». Ici, je n'ai rien à donner, rien à prendre et donc, je préfère me retirer en moi-même ou me coucher.»

Je poursuis avec Albert Camus dans son livre Actuelle 3 Chroniques algériennes «Nous avons un devoir en ce pays, il est de permettre à l'une des populations [ici les Kabyles] les plus fières et les plus humaines en ce monde de rester fidèle à elle-même et à son destin.
Le destin de ce peuple, je ne crois pas me tromper en disant qu'il est à la fois de travailler et de contempler, et de donner par là des leçons de sagesse aux conquérants inquiets que nous sommes. Sachons du moins nous faire pardonner cette fièvre et ce besoin de pouvoir, si naturel aux médiocres ...»

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