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Les paysans russes La vie quotidienne des paysans russes Lénine face aux Moujiks La vie quotidienne des paysans russes de la Révolution à la collectivisation : 1917-1939 / Nicolas Werth Mots, idées, concepts, personnalités repérés : la commune, 15% du texte en ligne https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10035247/f15.item Table des matières
PROLOGUE - LA RÉVOLUTION AU VILLAGE 7
7 à 12 Prise du pouvoir par les bolcheviks Autogestion des campagnes Absence de l'État = > organisation des grands propriétaires terriens réaction violente des paysans Soutien oportuniste de Lénine Page 12 « En rédigeant, le jour même de la prise du pouvoir par les bolcheviks, le décret sur la terre qui proclamait « l'abolition sans indemnité de la propriété privée et la remise de toutes les terres à la disposition des comités agraires locaux », Lénine eut l'habileté d'ajuster le programme de son parti aux nécessités de l'heure, de légaliser une situation acquise et de reconnaître un fait accompli. Ce faisant, il reniait le programme de son parti ; il n'était plus question de « nationalisation », de « socialisation » des terres. Ce revirement, dicté par les circonstances - « au moins jusqu'à l'été 1918, admettait Lénine, notre pouvoir a tenu parce que nous nous appuyions sur l'ensemble de la paysannerie » - était ainsi justifié : « En tant que gouvernement démocratique, disait Lénine, nous ne pouvons pas ne pas tenir compte des décisions des masses, même si nous ne sommes pas d'accord avec elles. Mais, ajoutait-il, les paysans eux-mêmes apprendront où se trouve la vérité quand ils mettront la loi en pratique. La vie est la meilleure école, elle montrera qui a raison. » Les paysans avaient indirectement, mais « objectivement », contribué au succès des bolcheviks. Les objectifs des uns et des autres divergeaient toutefois totalement. Pour les bolcheviks, citadins, souvent intellectuels, l'insurrection d'Octobre ouvrait « une ère nouvelle dans l'histoire de l'humanité ». Ils rêvaient d'exporter la révolution en Europe, de construire une nouvelle société, de bouleverser les rapports sociaux, de collectiviser les terres. Se rappelant ces années héroïques (1918-1919), un dirigeant bolchevique écrivait : « On considérait comme le bien suprême de nationaliser absolument tout, des grandes usines jusqu'aux salons de coiffure tenus par un seul coiffeur armé d'une tondeuse et de deux rasoirs, et jusqu'à la dernière carotte dans les magasins… ! » Pour les paysans, la Révolution n'avait été qu'une jacquerie que le pouvoir n'était pas parvenu à mater. Ils ne se sentaient d'aucune façon redevables à qui que ce soit. Ils avaient fait eux-mêmes leur propre révolution. Désormais, elle était terminée, à peine commencée. Ayant restauré le vieil idéal de la possession individuelle associée à une éminente propriété collective, ils espéraient enfin, dans le cadre traditionnel de la commune paysanne, pouvoir jouir gratuitement de la terre équitablement distribuée à chacun, et vivre peut-être un peu moins mal qu'auparavant. Entre bolcheviks et paysans existait un profond malentendu, qui allait rapidement dégénérer en conflit. » 15 « A la guerre sociale, qui avait mis aux prises paysans et grands propriétaires, succéda un nouveau conflit qui, trois années durant, allait opposer villes et campagnes. Au début de 1921, les Rouges triomphèrent des Blancs. Mais la résistance paysanne, parce qu'elle était la résistance de la majeure partie de la nation - 3 Russes sur 4 étaient paysans - fut la plus forte. Lénine le reconnut au Xe congrès du parti bolchevique, le 15 mars 1921 : « La paysannerie, dit-il, est mécontente de ses rapports avec nous, sous la forme qu'ils ont pris. Elle ne veut plus de cette forme et ne veut plus vivre comme maintenant. Sa volonté s'est exprimée de façon très nette. C'est la volonté de l'énorme masse de la population laborieuse. » L'impôt en nature remplaça les réquisitions. La Révolution semblait cette fois-ci terminée pour de bon. La N.E.P. était née. Elle permit enfin aux paysans d'acheter et de vendre plus librement, de se nourrir mieux, de souffler un peu. » et retour des miséreux dans les villes. Page 982 de vivre ma vie d'Emma Goldman La Nouvelle politique économique c'est le retour du luxe et sa misère à sa porte. 16-17 Opposition séculaire ville campagne - échec de la propagande bolchevik face à l’autarcie et l'inertie rurale. 17 « Devant cette résistance, le pouvoir réagit de manière brutale par la collectivisation forcée. Ce grand tournant de la vie paysanne allait être fatal à la civilisation et à la culture paysannes russes. » PREMIÈRE PARTIE - LES CADRES DE LA VIE PAYSANNE CHAPITRE PREMIER - LE VILLAGE RUSSE Le village isolé 21 « Une file de maisonnettes de rondins... » 26 Construire une izba 27 Le « dvor ». 30 Un intérieur paysan 33 Le mobilier 36 Les conditions de vie 40 L'habitat rural, une lente évolution 42 CHAPITRE II - LA COMMUNE PAYSANNE.. 46 Une institution originale 46 46-47 « Cette organisation sociale, la commune, a suscité les réflexions les plus idéalistes et les plus contradictoires. Les révolutionnaires populistes du XIXe siècle y ont vu une splendide réalisation du communisme : en redistribuant périodiquement les terres, la commune assurerait une sorte d'égalité économique entre les familles, résoudrait le problème social posé en Occident par la paupérisation absolue de larges couches paysannes, freinerait l'exode rural. Quant à l'État tsariste, il considérait la commune comme une organisation fort commode, puisque c'était elle, dont les membres étaient solidairement responsables, qui payait collectivement impôts et redevances. Au lendemain de la révolution de 1905, qui vit les jacqueries paysannes atteindre une ampleur sans précédent, cette image idyllique de la commune fit place à une image tout à fait opposée. Pour les sociaux-démocrates qui occupent désormais le devant de la scène révolutionnaire, la commune n'est qu'une création fiscale et policière de l'État, qui perpétue la solidarité dans la misère, entrave le développement économique du pays et retarde ainsi artificiellement le moment où le pays serait « mûr » pour la révolution. Pour le gouvernement et pour le Premier ministre Stolypine en particulier, la commune avec ses partages et ses repartages de terres, ôte toute motivation au cultivateur pour améliorer son exploitation et freine la formation d'une paysannerie prospère, dynamique et conservatrice. » 48 « Appropriation brutale qui s'abattit, dès l'été 1917, sur les domaines des propriétaires fonciers honnis... Chacun allait-il se jeter sur les meilleurs terrains pour les accaparer ? ... On aurait assisté à la guerre civile la plus sanglante, la plus interminable, la plus ruineuse et la plus insensée, si la tradition communale n'avait pas été là, avec ses principes de la propriété collective, de la jouissance proportionnelle à l'importance des familles, avec les habitudes créées par elle de discussion publique, de soumission à l'opinion et de discipline morale. A cette heure essentielle, la commune spontanément joua un grand rôle. » Une forme de démocratie égalitariste 49 Le partage des terres 51 52 « La fonction principale de la commune est la redistribution périodique des terres entre ses membres. Chaque famille possède à perpétuité sa maison et ses autres constructions, ainsi que l'enclos sur lequel elles sont bâties, avec un petit jardin potager. Mais les autres terres, champs et prés, sont communales. » La commune, un obstacle au progrès ? 56 Quitter la commune 58 Un « self-governnrient » paysan. 62 63 « Le paysan, pour obtenir du bois, doit encore verser tribut. « Ainsi, note un instituteur, se perpétue l'idée que tous les fonctionnaires sont partout pareils, quel que soit le régime, qu'ils sont tous des escrocs et des filous. Pour le paysan, le rapport au pouvoir n'a pas changé. Il craint tous ces « messieurs », mais en même temps elles méprise. On sent avec quelle ironie il leur apporte son tribut en nature, ses œufs, son beurre et sa bouteille de Samogon ! » [vodka faite maison ] » 64-65 « De manière générale, l'assemblée communale aspire sans cesse à étendre son champ de compétences aux services publics, au maintien de l'ordre, voire au règlement de litiges entre particuliers. En témoigne cet ordre du jour de l'assemblée communale de Mourakhino : « 1) Rapport sur l'état de l'école. 2) Examen de la plainte des habitants de Goundorovo contre l'arpenteur. 3) Examen de la plainte de Doulina contre son mari, qui la bat sans cesse. 4) Examen de la plainte des popes au sujet du vol de briques destinées à la réfection du mur de la chapelle. 5) Examen du conflit entre les habitants de Mourakhino et ceux de Bourovo au sujet des pâturages. 6) Examen de l'attitude à adopter envers Semion Strekalov, qui a chassé de la maison son fils Piotr, qui venait d'adhérer au Komsomol. » C'est l'assemblée communale qui s'occupe de la réparation des puits, de la réfection des chemins et des ponts, de l'entretien des « routes » ; chaque année, les paysans sont requis pour quelques jours de corvée. C'est l'assemblée qui vote une allocation en nature à l'instituteur qui ne parvient pas à subsister sur ses 20 roubles de traitement mensuel, payé par l'État. C'est elle qui nomme le veilleur de nuit, parfois salarié, le plus souvent fourni par chaque famille à tour de rôle, qui, dès l'extinction des feux, commence sa ronde en agitant une crécelle, et dont la tâche est moins de prévenir les voleurs que de déceler les incendies, ce terrible fléau des campagnes, qui emporte en fumée chaque année près de 150 000 izbas dans toute la Russie. C'est encore elle qui élit le pope (lorsqu'il y a plusieurs candidats), le « conseil de paroisse » chargé de gérer matériellement l'église, et qui nomme les gardiens « chargés de surveiller qu'aucun vagabond ne pénètre dans l'église et qu'aucune déprédation n'y soit faite, auxquels il sera versé une rétribution de 47 pouds de seigle par an ». L'assemblée villageoise s'improvise volontiers gardienne de l'ordre public. Pour faire face aux hordes de réfugiés et de vagabonds - en majorité des adolescents - qui, à la suite de la guerre civile et de la famine de 1921, sévissent dans les régions de la Volga et en Crimée, l'assemblée communale de Khatyni (district de Stavropol) prend les mesures suivantes, en juillet 1923 : « Etant donné que notre village a été littéralement envahi par une bande comptant jusqu'à 43 jeunes vagabonds, qui ne cessent d'importuner les habitants en réclamant l'aumône de façon insistante, en dormant dans les jardins fruitiers - où ils volent des fruits - ou dans les séchoirs à blé - auxquels ils menacent de mettre feu - nous avons décidé de créer, de concert avec d'autres communes (...) une commission d'aide aux réfugiés et de recueillir des fonds en organisant des collectes, ainsi qu'un spectacle monté par l'instituteur et ses élèves. Comme première mesure d'urgence, l'assemblée a réparti 12 adolescents dans les familles peu nombreuses ou fortunées. Celles-ci se sont engagées à nourrir ces adolescents en échange de leur travail. » » 66 « D'où la commune tire-t-elle ses revenus ? Essentiellement de contributions versées par les villageois. Ceux-ci les appellent « auto-impositions » pour bien marquer la différence entre ces contributions volontaires et les impôts d'État. En fait, ces contributions représentent entre la moitié et les deux tiers de l'impôt sur le revenu (en 1928, l'équivalent de 110 millions de roubles). Elles sont payées au fur et à mesure des dépenses, souvent en nature et directement, quand il s'agit de rétribuer un salarié de la commune (berger, veilleur de nuit, gardien d'église, pope) ou sous forme de corvées quand il faut effectuer des travaux ou des réparations. L'assemblée répartit les frais et les corvées entre les familles, soit à parts égales, soit proportionnellement au nombre de bêtes, au nombre de bouches ou au nombre d'hectares cultivés, selon qu'il semble dans chaque cas plus commode ou plus juste, et non sans discussions. » Le pouvoir soviétique contre la commune 66 66-67 « On voit à quel point la commune paysanne est vivace et active. Jusqu'à son élimination brutale lors de la collectivisation forcée des campagnes, la commune paysanne reste l'institution la plus représentative du monde rural. … En réalité, l’état d’arriération dans lequel se maintient l'agriculture russe des années 1920 tient moins aux défauts du système communal qu'à l'incapacité de l'industrie d'approvisionner correctement les campagnes en produits manufacturés, ainsi qu'à la politique d'un État parasite qui s'ingénie à dépouiller la paysannerie des fruits de son labeur. » 67 « Le réseau ténu de l'administration soviétique – quelque 50 000 soviets ruraux, administrant chacun un groupe factice de l0 localités environ - bute sans cesse sur ces 320 000 communes paysannes, autant de petites unités qui, par-delà la position sociale de chacun, témoignent de la solidarité du village face au monde extérieur et réalisent, dans les campagnes déshéritées, une sorte de démocratie de tous les instants, spontanée, directe, égalitariste. » CHAPITRE III - DU « BATRAK » AU KOULAK Une société rurale égalitaire? 68 Le « batrak » 71 Le « bedniak » 77 Le « seredniak » 86 Le koulak 89 CHAPITRE IV - MENER SA MAISON L'éclatement de la famille patriarcale 99 La place de la femme.......... Page(s) .......... 104 Vers une émancipation de la femme ?.......... Page(s) .......... 106 Un partage inégal des tâches.......... Page(s) .......... 111 Souvenirs de famine.......... Page(s) .......... 116 L'alimentation paysanne.......... Page(s) .......... 118 Accoucher au village.......... Page(s) .......... 121 Une terrible mortalité infantile.......... Page(s) .......... 122 « Organisez des crèches! ».......... Page(s) .......... 124 Des techniques archaïques.......... Page(s) .......... 125 Les travaux et les jours.......... Page(s) .......... 128 Morte-saison et migrations.......... Page(s) .......... 132 L'artisanat rural.......... Page(s) .......... 135 Le budget paysan.......... Page(s) .......... 137 DEUXIÈME PARTIE - L'ANCIEN ET LE NOUVEAU CHAPITRE V - FÊTES TRADITIONNELLES ET FÊTES SOVIÉTIQUES « A bas la fête traditionnelle! ».......... Page(s) .......... 145 Le rite du bain.......... Page(s) .......... 148 La « posidelka ».......... Page(s) .......... 149 Repas de fête.......... Page(s) .......... 152 Boire.......... Page(s) .......... 154 Le « goulianie ».......... Page(s) .......... 158 Les grandes fêtes.......... Page(s) .......... 161 Noce campagnarde.......... Page(s) .......... 163 Le club rural.......... Page(s) .......... 171 Les komsomols au village.......... Page(s) .......... 173 La « fête rouge ».......... Page(s) .......... 175 Vive le Premier Mai.......... Page(s) .......... 178 « Théâtre campagnard ».......... Page(s) .......... 181 CHAPITRE VI - LE PAYSAN, LE POPE ET L'ATHÉE Religion et sociabilité villageoise.......... Page(s) .......... 186 La paupérisation des popes.......... Page(s) .......... 188 Quel sentiment religieux?.......... Page(s) .......... 190 L'essor des sectes.......... Page(s) .......... 193 La Ligue des athées.......... Page(s) .......... 197 Le militantisme athée.......... Page(s) .......... 199 La « Pâque communiste ».......... Page(s) .......... 201 La « Trinité prolétarienne ».......... Page(s) .......... 202 L'échec du mouvement athée.......... Page(s) .......... 204 CHAPITRE VII - LIRE ET ÉCRIRE L'école de village.......... Page(s) .......... 207 Des instituteurs au bord de la famine.......... Page(s) .......... 209 Les nouveaux programmes scolaires.......... Page(s) .......... 210 Les paysans et l'école.......... Page(s) .......... 213 Enseignement et éducation politique.......... Page(s) .......... 214 Les nouveaux maîtres.......... Page(s) .......... 218 Luttes de classes à l'école.......... Page(s) .......... 222 La « croisade culturelle ».......... Page(s) .......... 224 La « liquidation de l'analphabétisme ».......... Page(s) .......... 225 Quels livres lit-on?.......... Page(s) .......... 228 Le journal au village.......... Page(s) .......... 236 CHAPITRE VIII - CULTURE ORALE, CULTURE POPULAIRE Phénomènes célestes et fantasmes collectifs.......... Page(s) .......... 245 Miracles et rumeurs.......... Page(s) .......... 247 Du surnaturel au politique.......... Page(s) .......... 249 Rumeurs de collectivisation.......... Page(s) .......... 253 Divinations et rites magiques.......... Page(s) .......... 254 Un monde hanté par les mauvais esprits.......... Page(s) .......... 256 Animaux intercesseurs et objets médiateurs.......... Page(s) .......... 258 Les rites agraires.......... Page(s) .......... 261 Les guérisseuses au village.......... Page(s) .......... 263 Maladies et épidémies.......... Page(s) .......... 264 Recettes de guérison.......... Page(s) .......... 267 Les rites de la mort .......... Page(s) .......... 268
TROISIÈME PARTIE - LES PAYSANS FACE AU POUVOIR
.......... Page(s) .......... 275
CHAPITRE IX - SOVIETS ET COMMUNISTES AU VILLAGE
.......... Page(s) .......... 277
Les « activistes » au soviet
.......... Page(s) .......... 278
Les élections au village
.......... Page(s) .......... 280
« Administrovanie »
.......... Page(s) .......... 281
L'ordre soviétique
.......... Page(s) .......... 284
« Komandovanie »
.......... Page(s) .......... 287
Vénalité et corruption
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Le parti secte
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Communiste ou bureaucrate?
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Le militant et les masses
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Les «maladies» du parti
.......... Page(s) .......... 301
La ville contre la campagne
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CHAPITRE X - LE GRAND CHOC : LA COLLECTIVISATION
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La crise de l'hiver 1927-1928
.......... Page(s) .......... 307
Le temps des réquisitions
.......... Page(s) .......... 309
Le cheval d'acier de l'antéchrist
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Le spectre de la collectivisation
.......... Page(s) .......... 316
La panique de l'été 1929
.......... Page(s) .......... 319
Le plan de collecte à 100 %
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Les 25 000
.......... Page(s) .......... 324
Les brigades de collectivisation au village
.......... Page(s) .......... 326
La dékoulakisation
.......... Page(s) .......... 332
« Le vertige du succès »
.......... Page(s) .......... 340
Paysans individuels contre kolkhoziens
.......... Page(s) .......... 345
CHAPITRE XI - « LA VIE GAIE ET HEUREUSE AU KOLKHOZE »
.......... Page(s) .......... 348
Le kolkhoze : enfer ou paradis ?
.......... Page(s) .......... 348
Tous au kolkhoze!
.......... Page(s) .......... 351
Le plan à tout prix!
.......... Page(s) .......... 353
Le personnel dirigeant
.......... Page(s) .......... 354
Brigades et brigadiers...
.......... Page(s) .......... 358
Passivité et « nonchalance pernicieuse »
.......... Page(s) .......... 359
La mécanisation, un remède miracle!
.......... Page(s) .......... 361
La dilapidation de la « propriété socialiste »
.......... Page(s) .......... 363
La carotte et le bâton
.......... Page(s) .......... 367
Les « cercles de famille »
.......... Page(s) .......... 371
Les revenus du kolkhozien
.......... Page(s) .......... 373
La famine de 1933
.......... Page(s) .......... 377
« L'économie auxiliaire individuelle »
.......... Page(s) .......... 379
Le grand exode
.......... Page(s) .......... 381
CONCLUSION
.......... Page(s) .......... 385 Chantal de Crisenoy, Lénine face aux Moujiks, 1978 «Présentation de l’éditeur Lénine n’aime pas le paysan russe, le moujik : dès ses premiers écrits, dans sa polémique avec les populistes russes, il se montre convaincu que la révolution ne pourra venir que des secteurs avancés de la société, de la grande industrie, non pas des campagnes archaïques. Selon lui, le moujik est un « petit-bourgeois », réactionnaire, viscéralement adverse à la classe ouvrière. Les faits démontrent l’exact inverse : en 1905, la paysannerie réclame comme un seul homme l’abolition du salariat; durant la révolution elle prend les armes par millions, exproprie les grands domaines, revendique l’union avec les ouvriers, qui viennent à peine de quitter la communauté villageoise, et en partagent les souffrances et les espérances. Pourtant, Lénine continue de mépriser cette classe, qui persiste à contredire son marxisme modernisateur. En effet, Lénine ignore tout ou presque des campagnes russes. C’est dans un bel isolement scientifique qu’il forge l’image d’un moujik avare, à l’instinct propriétaire, dont l’alliance avec le prolétariat constituerait « la pire violation du marxisme ». C’est en répétant inlassablement des schémas de pensée absurdes et très éloignés du monde réel qu’il a préparé, théorisé et mis en pratique la liquidation de la paysannerie, prélude à la liquidation de la révolution elle-même. Publié en 1978 aux éditions du Seuil dans la collection L’univers historique, Lénine face aux moujiks est issu de la thèse de doctorat de Chantal de Crisenoy. La présente édition en est une version abrégée et révisée, avec l’accord de l’auteure. Notre souhait était avant tout d’alléger l’appareil critique et les nombreux tableaux statistiques, qu’expliquait l’origine universitaire de l’ouvrage. Cet ouvrage a été écrit à une époque où Lénine constituait une référence pour de nombreux groupes et partis qui se revendiquaient révolutionnaires; à un moment, donc, où l’interprétation de sa théorie et de sa pratique constituait un enjeu politique important. Quarante années se sont écoulées depuis, ces débats semblent désormais bien éloignés, même s’il ne manquera sans doute pas, à l’occasion du centenaire de la révolution russe, du côté du milieu « radical » (on ne dit plus « révolutionnaire »), des tentatives de réhabilitation, franches ou dissimulées, du grand homme d’Etat. Cet ouvrage fournira, sur un point précis et bien documenté, un bon antidote à une éventuelle résurgence nostalgique. Sur le fond, ce livre touche un point crucial de l’histoire intellectuelle et politique de notre modernité: l’ambiguïté de la théorie marxiste de l’histoire. En effet, dès 1848, Marx et Engels ont déclaré haut et fort, dans leur Manifeste communiste que l’avènement de la société socialiste s’appuierait fatalement sur le développement des forces productives, celles-là même dont il critiquait avec férocité les ravages, et que le produit de ce développement, le prolétaire, l’ouvrier de la grande industrie, en serait le fossoyeur. L’industrialisation est donc à la fois célébrée comme force révolutionnaire et vitupérée en tant que source de misère et d’injustice. Confrontée à la réalité – ironie du sort, à la réalité russe, à laquelle Marx s’était intéressé à fond – cette contradiction a suscité chez le vieux barbu un profond embarras théorique: comment expliquer qu’un pays arriéré comme la Russie, peuplé de paysans, des « petit-bourgeois », puisse être manifestement au bord d’une révolution socialiste? Ce problème, Marx ne l’a jamais réglé, et la lettre cent fois raturée, adressée à Vera Zassoulitch, symbolise ce dilemme. Chez Lénine au contraire, la théorie est restée indemne : c’est la réalité qui a fait les frais de cette contradiction. Puisqu’on était dans un pays socialiste, qui avait fait la révolution, et que celle-ci ne pouvait avoir lieu que dans une nation industrialisée, il fallait, en bonne logique, liquider la paysannerie, et donc, malheureusement, la révolution et la liberté. C’était le prix à payer pour la modernisation du pays, le prix de l’« électrification ». La réforme agraire de Lénine constitue ainsi un exemple édifiant d’une politique guidée par le fétichisme technologique. Elle montre comment, par ce biais, le mode de production capitaliste peut trouver, à gauche, dans un parti maniant une rhétorique révolutionnaire, son plus sûr allié. Éditions La Lenteur, 2017. Un extrait de l’introduction : Le silence qui entoure les premières années de la politique agraire de Lénine et des bolcheviks est embarrassé. Il est certes plus facile d’accuser les paysans que d’interroger le léninisme et même la vulgate marxiste. Que nous dit celle-ci ? Calque fidèle du discours de la bourgeoisie triomphante du XIXe siècle, elle nous parle d’un paysan inculte et arriéré, incapable d’imaginer quoi que ce soit au-delà de son clocher. Elle reste enfermée dans un schéma social où seules deux classes importent : le prolétariat et la bourgeoisie. Elle se désintéresse profondément de la paysannerie. Ainsi, depuis plus d’un siècle maintenant, au nom de l’efficacité, de la rationalité de l’économie ou du nécessaire développement des forces productives, bref au nom du progrès, les idéologues de la bourgeoisie, comme la plupart des marxistes, prédisent « un monde sans paysans ». Un même point de vue guide ces deux discours : celui de l’accumulation du capital. Une même limite les borne : la fascination pour la grande industrie. Une même conception du travailleur les anime : l’homme déqualifié, déstructuré, normalisé, l’homme taylorisé, l’homme au travail brisé en multiples gestes inlassablement identiques, voilà pour la bourgeoisie le travailleur idéal. Le paysan est bien à l’opposé de ce rêve. Il représente le désordre car il se situe en dehors des normes du monde capitaliste et il en est au fond le perturbateur. Il dit le temps passé où le producteur direct n’était pas encore séparé de ses outils, mais il dit aussi le temps futur où les travailleurs se seront réappropriés les moyens de production, où le travail associé remplacera l’ordre des chaînes. Il dit ce temps, car le travail paysan est bien souvent collectif, œuvre de solidarité communautaire. Affirmer que cette forme-là de travail est incompatible avec la société socialiste, n’est-ce pas défendre une idée profondément capitaliste du travail ? Et n’est-ce pas cette idée que certains marxistes reprennent à leur compte ? Pour nombre d’entre eux, si le prolétariat est la seule classe vraiment révolutionnaire, ce n’est pas tant en raison de son exploitation mais bien plutôt parce qu’il est passé par l’école de la grande industrie. Et s’ils prédisent à la paysannerie un avenir conforme à celui que lui offre la bourgeoisie capitaliste, s’ils refusent de lui reconnaître toute autonomie révolutionnaire, si dans le monde socialiste non plus, elle n’a pas sa place, c’est justement parce qu’elle n’a pas été disciplinée par cette même école. L’ordre capitaliste prend ainsi le pas sur les rapports d’exploitation, l’homme discipliné sur l’homme révolté. La lutte armée de millions de paysans n’a pas suffi à faire naître ne serait-ce qu’un doute chez les stratèges de la révolution. Imperturbables, ils leur dénient toujours une place à la mesure de celle qu’ils accordent au prolétariat. Mais quel prolétariat ? Ce mépris du paysan n’est-il pas révélateur de la société qu’ils veulent construire ? Pour quelle raison le salariat y est-il baptême obligatoire, purgatoire impératif ? Et l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme n’est-elle pas remise à plus tard, à bien plus tard, au jour jamais précisé où tous les paysans auront expié leurs origines, où tous les travailleurs seront enfin « assez » éduqués ? Il serait temps pourtant de s’interroger sur cette certitude du mouvement marxiste: la paysannerie est incapable d’initiative, elle doit être guidée par le prolétariat sauf à tomber sous l’influence de la bourgeoisie. Les explications embarrassées de ceux qui reconnaissent aux révolutions vietnamienne et chinoise un caractère socialiste, sans pour autant rompre avec le dogme, ne sauraient convaincre. Comment justifient-ils leur position ? En recourant à des histoires de délégation de pouvoir, de substitution : les partis communistes vietnamien et chinois sont, assurent-ils, des partis prolétariens. Mais c’est là ne tenir aucun compte de leur réelle composition de classe. C’est une démarche mystique et non une analyse matérialiste. Quelque chose s’est passé que l’on ne veut pas admettre. Une question fondamentale reste occultée: pourquoi les révolutions sont-elles, encore au XXe siècle, le fait des paysans au lieu d’éclater, comme le prévoyait la théorie, dans les pays industrialisés ?» Haut de page Page en amont Des visites régulières de ces pages mais peu de commentaires. Y avez-vous trouvé ou proposez-vous de l'information, des idées de lectures, de recherches ... ? Y avez-vous trouvé des erreurs historiques, des fautes d'orthographes, d'accords ... ? Ce site n'est pas un blog, vous ne pouvez pas laisser de commentaires alors envoyez un mail par cette adresse robertsamuli@orange.fr Au plaisir de vous lire. |