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Confusions par des théories économiques La tyrannie des communs de l’écologue Garrett Hardin Le mythe des marchés de Fabian Scheiler Du site de l'éditeur «... ce livre haletant nous offre enfin la clé de compréhension des désastres climatiques, écologiques, pandémiques et économiques contemporains. Accuser Sapiens, un humain indifférencié et fautif depuis toujours, est une imposture. Notre histoire est sociale : c’est celle des structures de domination nées il y a cinq mille ans, et renforcées depuis cinq siècles de capitalisme, qui ont constitué un engrenage destructeur de la Terre et de l’avenir de l’humanité, une mégamachine. Mais ces forces peuvent aussi être déjouées et la mégamachine ébranlée. Alors que les alternatives ne manquent pas, quel déclic nous faut-il pour changer de cap et abandonner une voie manifestement suicidaire ? La réponse est dans ce récit. Car seul celui qui connaît sa propre histoire peut être capable de l’infléchir. » «Extrait [tiré de FaceBook ] «La
manière courante d’expliquer l’apparition des marchés et l’émergence de
l’argent remonte au père de la théorie économique bourgeoise,
l’Écossais Adam Smith. Il partait de l’idée que les êtres humains
possèdent quelque chose comme un « penchant naturel à l’échange » et
que, poussés par lui et par le désir de maximiser leur profit, ils
échangent leurs produits respectifs – d’abord sous la forme du troc,
ensuite par le biais de l’argent. Cette évolution est favorisée selon
Smith par une division du travail croissante qui se développe avec la
diversité des talents et des conditions locales. À suivre cette
théorie, la monnaie viendrait d’une marchandise qui fut d’abord
négociée comme n’importe quelle autre, mais qui était particulièrement
appropriée, en raison de certaines de ses propriétés (durabilité,
divisibilité, transportabilité), pour servir d’unité de mesure aux
transactions. Comme l’or et l’argent possèdent ces propriétés de
manière éminente, ils ont naturellement servi de moyen de paiement.
Cette théorie ne donne aux États qu’un rôle subordonné. Ils peuvent
certes favoriser ou entraver les échanges marchands, mais l’apparition
des marchés obéit à une dynamique qui leur est propre et semble
naturelle. Le
seul problème de cette histoire, dont l’aspect logique est séduisant,
est qu’elle est clairement fausse : 𝐍𝐢 𝐥𝐞𝐬 é𝐭𝐮𝐝𝐞𝐬
𝐡𝐢𝐬𝐭𝐨𝐫𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬, 𝐧𝐢 𝐥’𝐚𝐧𝐭𝐡𝐫𝐨𝐩𝐨𝐥𝐨𝐠𝐢𝐞
𝐜𝐨𝐦𝐩𝐚𝐫é𝐞 𝐧𝐞 𝐟𝐨𝐮𝐫𝐧𝐢𝐬𝐬𝐞𝐧𝐭 𝐥𝐞 𝐦𝐨𝐢𝐧𝐝𝐫𝐞
𝐞𝐱𝐞𝐦𝐩𝐥𝐞 𝐝𝐞 𝐬𝐨𝐜𝐢é𝐭é 𝐨ù, à 𝐩𝐚𝐫𝐭𝐢𝐫 𝐝’𝐮𝐧𝐞
é𝐜𝐨𝐧𝐨𝐦𝐢𝐞 𝐧𝐨𝐧 𝐦𝐚𝐫𝐜𝐡𝐚𝐧𝐝𝐞, 𝐥𝐞𝐬 𝐦𝐚𝐫𝐜𝐡é𝐬 𝐞𝐭
𝐥’𝐚𝐫𝐠𝐞𝐧𝐭 𝐬𝐞 𝐬𝐞𝐫𝐚𝐢𝐞𝐧𝐭 𝐟𝐢𝐧𝐚𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭
𝐢𝐦𝐩𝐨𝐬é𝐬 𝐜𝐨𝐦𝐦𝐞 𝐝’𝐞𝐮𝐱-𝐦ê𝐦𝐞𝐬, 𝐩𝐚𝐫 𝐥𝐚 𝐥𝐞𝐧𝐭𝐞
𝐝𝐢𝐟𝐟𝐮𝐬𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞𝐬 𝐫𝐞𝐥𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐝’é𝐜𝐡𝐚𝐧𝐠𝐞𝐬 𝐞𝐭
𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐝𝐢𝐯𝐢𝐬𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐮 𝐭𝐫𝐚𝐯𝐚𝐢𝐥. À 𝐥’é𝐜𝐡𝐞𝐥𝐥𝐞
𝐮𝐧𝐢𝐯𝐞𝐫𝐬𝐞𝐥𝐥𝐞, 𝐫𝐢𝐞𝐧 𝐧𝐞 𝐦𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐧𝐨𝐧 𝐩𝐥𝐮𝐬
𝐥’𝐞𝐱𝐢𝐬𝐭𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐝’𝐮𝐧𝐞 « 𝐢𝐧𝐜𝐥𝐢𝐧𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧
𝐧𝐚𝐭𝐮𝐫𝐞𝐥𝐥𝐞 à 𝐥’é𝐜𝐡𝐚𝐧𝐠𝐞 » 𝐢𝐧𝐬𝐜𝐫𝐢𝐭𝐞 𝐞𝐧
𝐜𝐡𝐚𝐪𝐮𝐞 ê𝐭𝐫𝐞 𝐡𝐮𝐦𝐚𝐢𝐧. Ce
que l’on voit dans les sociétés non marchandes, c’est plutôt que les
êtres humains régulent leurs relations matérielles et sociales par le
biais de dons, de cadeaux et d’actions symboliques, et non par
l’échange. Quand il y en avait, il concernait des étrangers avec
lesquels on n’entretenait pas de relations étroites ni ne désirait en
nouer3. Dans l’histoire, la transition vers une économie monétaire et
marchande généralisée ne s’est faite que là où les États sont entrés en
jeu, et avec eux la violence physique organisée. Cela se vérifie autant
pour les premiers rudiments d’économie de marché dans l’histoire
universelle – comme en Grèce classique – que pour l’apparition et la
diffusion du système marchand moderne à partir de la Renaissance. Malgré
tout, on ne cesse de raconter l’histoire selon laquelle l’économie de
marché est le fruit d’une évolution naturelle. Et cela pour une raison
simple : elle occulte la violence structurelle et la violence physique
qui, dans tous les cas historiquement documentés, sont de fait liées à
la création des marchés et de l’économie monétaire. Elle nous débite un
merveilleux conte de fées dans lequel les gens suivent leurs
inclinations naturelles et améliorent ainsi le bien-être de tous ; elle
nous parle du règne innocent et pacifique du commerce et de l’échange,
qui n’a rien à voir avec les crimes abominables des souverains, les
guerres qu’ils mènent et les autres monstruosités associées aux États.
C’est sur ce récit qu’est basée l’image du « marché libre » comme
antidote au despotisme d’État. Jusqu’à aujourd’hui, cette fable est
d’une importance capitale pour le pouvoir idéologique qui légitime la
violence des marchés et de l’argent en la présentant comme un fait de
nature. La manière dont les marchés sont effectivement apparus montre
tout autre chose : des histoires qui mettent la guerre et l’esclavage
au premier plan. LA GUERRE COMME BERCEAU DU MARCHÉ L’école
nous a enseigné que la Grèce antique fut le « berceau de la démocratie
». Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle a aussi engendré la première
ébauche d’économie de marché. Et qu’en son cœur, il y avait l’armée. Le
métier des armes a été la première forme de travail salarié et il est
longtemps restée la plus importante4. Au
début du VIe siècle av. J.-C., les rapports marchands jouaient encore
un rôle minime, les paysans produisaient surtout pour leur propre
consommation5. Il y avait quelques grands propriétaires terriens qui
vivaient en ville et faisaient exploiter leur ferme par des intendants
et des esclaves. Le marché du travail où des hommes démunis viennent
louer leurs bras était presque inconnu. Le commerce était mal vu par
les couches supérieures, les aristocrates employaient surtout leur
richesse pour parader ou faire de généreux cadeaux qui renforçaient
leur prestige et leur influence politique, mais pas pour l’investir
dans des projets commerciaux et encore moins dans des structures de
production. La monnaie était inconnue, les métaux précieux étaient
certes utilisés dans le grand commerce comme moyen d’échange, mais ils
ne l’étaient pas localement comme moyen de paiement6. Avec
l’introduction de la monnaie au cours du VIe siècle, le décor change.
Les premières pièces de monnaie ont été frappées dans le royaume de
Lydie en Asie Mineure – pays natal de Midas, le roi légendaire qui a
fini par mourir de faim parce que tout ce qu’il touchait se
transformait en or7. Ce n’est pas un hasard si la plus vieille pièce de
monnaie lydienne valait douze moutons : c’était le salaire annuel d’un
mercenaire8. Les pièces de monnaie ont ensuite connu une diffusion
croissante dans les cités grecques. Athènes en utilisait depuis le Ve
siècle pour payer les employés de la municipalité et – ce qui était
encore plus important – les troupes9. Mais l’introduction à grande
échelle des pièces de monnaie comme moyen de paiement ne faisait
vraiment sens qu’à une seule condition : il fallait que les employés et
les militaires puissent de leur côté acheter quelque chose avec elles,
et donc qu’apparaissent les marchés. L’introduction
du système monétaire étatique exigeait ainsi une marchandisation de la
vie, aussi bien en ville qu’à la campagne. Au lieu de produire pour se
nourrir, il fallait aussi travailler pour alimenter les marchés. Et
dans l’Antiquité comme au cours des Temps modernes, cela ne s’est pas
fait tout seul. Même sous l’Empire romain, la plupart des paysans
préféraient produire pour couvrir leurs propres besoins10. Pour les
contraindre à participer aux échanges marchands, il a fallu faire un
pas décisif : introduire des impôts et des taxes sous forme
monétaire11. Jusqu’à l’apparition des pièces de monnaie, les impôts
étaient exclusivement levés en nature : une partie de la récolte était
engrangée par l’État afin de pourvoir aux besoins des fonctionnaires et
des soldats. Avec l’introduction d’impôts à acquitter en argent, les
paysans ont été contraints de vendre une partie de leurs produits sur
les marchés12. Un
tel système était très avantageux pour faire la guerre. Tant que
l’économie marchande et monétaire ne fut pas mise en place, il n’y eut
pratiquement aucune armée permanente de soldats professionnels. Les
hoplites grecs (les fantassins) devaient tous rentrer chez eux pour les
récoltes et les semis, ils ne pouvaient être mobilisés que pour des
campagnes limitées. En outre, l’armée devait être payée sous forme de
biens en nature qui, de leur côté, devaient être soit acheminés là où
elle stationnait, soit pillés sur place, ce qui limitait les
proportions que les guerres pouvaient prendre ainsi que leur durée.
Jusqu’à l’introduction du paiement en argent, la portée maximale des
armées ne dépassait pas les trois jours de marche, parce que le
transport des vivres n’était plus possible au-delà13. Le pillage
pouvait provisoirement élargir leur champ de manœuvre, mais les grandes
armées épuisaient rapidement les capacités de production des régions
qu’elles traversaient. Par contre, une économie de marché pouvait
pousser les commerçants et la population locale à organiser un
approvisionnement durable afin de gagner l’argent qu’ils devaient
reverser comme impôt à l’État, qui l’utilisait quant à lui pour payer
les soldats. Il s’agit là d’une circulation presque parfaite sans
laquelle ni l’impérialisme grec jusqu’à Alexandre ni l’Empire romain
n’auraient été imaginables. Ni non plus le système-monde moderne. Dans
la Grèce du Ve siècle, c’était surtout la flotte qui constituait la
colonne vertébrale de l’impérialisme athénien et elle a été financée
par la nouvelle économie monétaire. Avec l’expansion du système basé
sur le marché et l’argent, la taille de la flotte athénienne a tout
simplement explosé. Dans la seconde moitié du Ve siècle, Athènes
disposait de 200 navires de guerre de grande taille (les trières), avec
leur équipage de 200 hommes14. La petite cité d’Athènes (Attique
incluse) avec ses 500 000 habitants entretenait donc une flotte de 40
000 hommes. Si l’on rapporte ce chiffre au nombre d’habitants de la
France, cela ferait 6 millions de marins, et 24 millions si l’on prend
les États-Unis pour référence. Le « berceau de la démocratie » était
une société militarisée à l’extrême.» Haut de page Page en amont Des visites régulières de ces pages mais peu de commentaires. Y avez-vous trouvé ou proposez-vous de l'information, des idées de lectures, de recherches ... ? Y avez-vous trouvé des erreurs historiques, des fautes d'orthographes, d'accords ... ? Ce site n'est pas un blog, vous ne pouvez pas laisser de commentaires alors envoyez un mail par cette adresse robertsamuli@orange.fr Au plaisir de vous lire. |