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La Gnose, cette illusion qui nous fait rêver.

« … les processus mentaux sont toujours inconscients – la conscience donne des réponses, mais pas leur origine. » Pour Nick Chater dans « Et si le cerveau était bête ? »

Pour l’intuition, à part mon savoir a posteriori, je me suis aidé de deux numéros hors-série sur ce sujet, de Sciences et vie et de Philosophie magazine, ainsi que de passages de « Voyage au cœur de l'espace-temps » de Stéphane d'Ascoli et d'Arthur Touati.

Certains chercheurs en philosophie font une différence entre la réalité et le réel. La réalité est ce qui est admis pour vrai et le réel dépasse nos représentations. Le réel est inatteignable, ou juste peut-être peut-on s’en approcher.

On peut illustrer par des mots l’apparence et le fond caché.
Ne connaissant pas le mot lié à un objet ou troublé nous ne voyons pas la profondeur d’un environnement. Nous passons à côté de la réalité, donc encore plus du réel.
Mais cette réalité n’est peut-être qu’un trompe-l’œil, qui donne satisfaction quand il se révèle.
Lacan dit pendant le séminaire XI, (ici aussi Ce qui nous séduit dans le trompe-l’œil, ce qui nous satisfait, ce qui fait que dans ce moment où par un simple déplacement de notre regard nous pouvons nous apercevoir qu’il ne bouge pas avec lui, qu’il n’est qu’un trompe-l’œil, c’est à ce moment qu’il nous captive, qu’il nous met dans cette sorte de Joie, de jubilation que donne le trompe-l’œil. »
Ensuite Lacan fait, et ça va de soi, un rapprochement avec Platon, car, en sortant de la caverne, se manifesterait le réel dépassant l’apparence.
Lacan souligne alors le désir que l’on ne peut atteindre, car il n’y a pas de coïncidence entre l’objet que l’on désire et le leurre. Le plaisir vient de la découverte de ce leurre.
Rappel le désir est le moteur de la vie, ce que l’on a nommé conatus pour la notion de désir exposé par Spinoza.

Je reviens à la gnose. Où se situe-elle ? Et comment y a-t-on accès ?

La gnose, connaissance sacrée, ne serait accessible que par l’intuition.
L’intuition est cette faculté inconsciente qui vous met en contact avec un savoir profond.
Mais existe-il une connaissance hors de la matière ? Une connaissance a priori, qui n’a pas besoin d’expérience, qui flotterait prête à être révélée à des esprits éveillés ?
L’inconscient n’est-il que de l’ a posteriori, ou de l’a priori s’y cache-t-il ? Pour moi ce dernier cas reste une croyance.

Je veux m’arrêter sur la notion d’a priori, importante pour Emmanuel Kant.
Quand nous disons de quelqu’un « il a des a priori » nous nous trompons. Ce sont des a posteriori construits par l’ignorance et des interprétations superficielles.
Ce que nous appelons a priori sont des idées préconçues par une information réduite et édulcorée.
L’a posteriori, ces idées préconçues, fausses ou vraies, se construit dans le ventre de notre mère dès notre prise de conscience de l’existence du monde, par les sons et les hormones du corps maternel. Cet a posteriori va se fortifier par les mots et les musiques utilisés, les choix esthétiques et alimentaires, par les dogmes inconscients et les tabous de l’entourage. Il suit son chemin souterrain qui est le sien plus que le nôtre, cet a posterirori.
Pour Kant l’a priori n’est présent qu’en dehors de l’expérience. Elle est dans la chose en soi. Cette chose en soi hors du sensible est-elle simplement hors de la caverne comme le suggère Platon ou est-elle, encore plus cachée, hors du pensable ?
Cet a priori est-il la bulle inconsciente du tas des connaissances construit par les générations et accessible à la naissance, ou dépasse-t-il la conscience, donc l’humanité ?
Je n’en sais rien, nous sommes toujours dans le domaine des croyances.

Alors que voit-on hors de la caverne de Platon ?
La chose est-elle hors de notre représentation imaginée ou est-ce incommensurable ?
La chose hors de notre représentation, la chose en soi pour Kant, l’intuition peut l’atteindre ou pas ?
Pour Arthur Schopenhauer cette chose en soi est assimilée à une Volonté qui nous mène, elle-même autonome de notre propre volonté. Dans « Le monde comme volonté et représentation », son œuvre principale, il suppose que l’art et la méditation nous permettent d’accéder à la Chose en soi, et avec une plus grande efficacité pour lui par la musique.
En voici quelques passages et je rappelle quand il parle de volonté c’est dans une définition qui lui est propre. Cette volonté est indépendante de nous, elle nous manipule malgré nous. Serait-ce l’instinct ?
Voici ces extraits «L’œuvre d’art n’est qu’un moyen destiné à faciliter la connaissance de l’idée, connaissance qui constitue le plaisir esthétique. ... l’artiste, ne connaissant plus la réalité, mais seulement l’idée, ne reproduit ... dans son œuvre que l’idée pure ; il la distingue de la réalité, il néglige toutes les contingences qui pourraient l’obscurcir. L’artiste nous prête ses yeux pour regarder le monde.»
«… les Idées [avec un grand i, les idées de Platon] sont essentiellement un objet d’intuition, .... Pour les communiquer, il faut prendre alors la voie intuitive, qui est celle de l’art. «L’impression produite par une œuvre d’art ne nous satisfait entièrement que s’il en reste une partie qu’aucune réflexion ne peut rabaisser à la précision d’un simple concept.»
«Le but de l’art est ... de communiquer l’Idée une fois conçue ; après être ainsi passée par l’esprit de l’artiste, où elle apparaît purifiée et isolée ...»
«...la musique ... est placée tout à fait en dehors des autres arts. Nous ne pouvons plus y trouver la copie, la reproduction de l’Idée de l’être tel qu’il se manifeste dans le monde ; et d’autre part, c’est un art si élevé et si admirable, si propre à émouvoir nos sentiments les plus intimes, si profondément et si entièrement compris, semblable à une langue universelle qui ne le cède pas en clarté à l’intuition elle-même !»
« ... la musique, qui va au-delà des Idées, est complètement indépendante du monde phénoménal ; elle l’ignore absolument, et pourrait en quelque sorte continuer à exister, alors même que l’univers n’existerait pas ... La musique, en effet, est une ... copie aussi immédiate de toute la volonté que l’est le monde, que le sont les Idées elles-mêmes dont le phénomène multiple constitue le monde des objets individuels. Elle n’est donc pas, comme les autres arts, une reproduction des Idées, mais une reproduction de la volonté au même titre que les Idées elles-mêmes.»
« De là provient l’action immédiate exercée par elle sur la volonté, c’est-à-dire sur les sentiments, les passions et les émotions de l’auditeur, qu’elle n’a pas de peine à exalter ou à transformer.» Écrit-il.

La chose en soi, siège des idées suivant Platon et Schopenhauer, qu’est-elle ? Un autre monde incommensurable ou le monde réel caché par nos a posteriori , nos constructions mentales ?
Je n’en sais rien, j’en suis là.
Pour nos anciens il s’agissait par la chose en soi de nommer ce qui est dehors de notre propre volonté.

En résumé cette gnose est-elle de l’a priori et où se situe-t-elle ?
Pour connaître cette gnose et y accéder nous devrions passées par l’intuition, comment définir cette dernière.
Pour Henry Bernstein dramaturge français mort en 1953 dit avec humour «L'intuition, c'est l'intelligence qui commet un excès de vitesse.»

L’intuition est une inspiration et la révélation d’une idée.
C’est une proposition instantanée accompagnée ensuite de réflexions.
C’est choisir instantanément le bon passage pour coincer le gibier ou perdre le prédateur, c’est pour le pompier repérer instantanément des signes indiquant que l’étage va s’effondrer et donc ne pas y pénétrer.
C’est une révélation de la solution.
Juste ou fausse l’intuition est aussi le nid ou se logent les arguments des partisans du New Age, de l’anthroposophie dénoncés par Bertrand Russel dans « De la fumisterie intellectuelle ».

En lisant Robert Musil et l’un de ses commentateurs Jacques Bouveresse dans « Les voix de l’âme et les chemins de l’esprit – dix études sur Robert Musil » je me rends compte que l’intuition est confondue avec l’irrationnel mystique « En ce qui concerne la question de l'intuition, Musil propose la solution suivante : «Je suggère que tous les écrivains allemands veuillent bien s'abstenir d'utiliser ce mot pendant deux ans. Car aujourd'hui nous en sommes au point où quiconque veut affirmer quelque chose qu'il ne peut pas démontrer et n'a pas non plus approfondi complètement invoque l'intuition. Dans l'intervalle, quelqu'un pourrait entreprendre de tirer au clair les innombrables significations de ce mot » … « Musil n'a jamais cessé de protester contre le fait que la méfiance à l'égard de la pensée et la haine de l'intellect soient devenues en quelque sorte la caractéristique constitutive du bel esprit littéraire d'aujourd'hui, « amolli par la Jouissance excessive, continue, de l'intuition » et trop timoré pour accepter la discipline et le risque de l'exactitude conceptuelle et empirique dans des choses réputées une fois pour toutes inexactes. »
En lisant « L’homme sans qualité » publié en 1930 Arnheim, l’un des personnages, homme d’affaires, réussit des coups boursiers par la réflexion mais aussi par l’intuition. Et comme cette intuition semble venir des dieux elle est donc morale.
Pour Musil et son époque l'intuition par son fonctionnement irrationnel, des idées qui apparaissent sans réflexion, est jugée elle même irrationnel. Mais le résultat de la production de celle-ci est autant rationnelle ou irrationnelle suivant les connaissances mémorisées sur laquelle elle s’appuie, dont des idées préconçues, des croyances.
Mais Musil essai d'éloigner l'intuition du mysticisme.
Bouveresse reprend « Musil observe que la différence entre les méthodes de connaissance qui sont appliquées aux différents domaines tend à être comprise directement comme une différence de fonction : « On a mis la connaissance intuitive en opposition avec la connaissance ordinaire et essayé de déduire de cela la dignité de la connaissance mystique. L'intuition intervient également dans des domaines purement rationnels. [...] Mais la fonction mystique n'est pas cette intuition, mais une fonction beaucoup plus englobante et conceptuellement moins pure » (.GW8, ,p 1336). On oppose, en effet, fréquemment, dans le mode d'opération de l'esprit, deux fonctions, l'une que l'on peut appeler la fonction rationnelle et utilitaire, et l'autre la fonction mystique. Musil n'est pas satisfait de cette façon de présenter les choses ; et il proteste, en tout cas, contre la tendance à identifier l'intellect avec la fonction rationnelle et l'intuition avec la fonction mystique. »

Dans le labeur productif de biens de consommation l'intuition exige l'autonomie.
Le technicien ou le chef ont par leur initiative la place pour de l’intuition utile à la production, pas l’agent de production.
L'intuition répond à des questions. Pour les questions philosophiques l'intuition demande du temps et de la disponibilité que ne laissent pas les smartphones, jeux et autre "Scrolling".
Sauf preuve du contraire l’intuition s’appuie sur les connaissances acquises même apparemment oubliées, les a posteriori. Connaissances volontairement acquises ou acquises par imprégnation.
Mozart a pondu de la musique et non de la peinture, il était d’une famille de musiciens.
Pour Louis Pasteur dans son discours prononcé en 1854, à l'occasion de l'installation de la Faculté des sciences de Lille : « Dans les champs de l'observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés »

L’intuition est à ne pas confondre avec l’imagination bien qu’elles se complètent et se nourrissent entre elles.
Pour David Bessis mathématicien «Les raisonnements mathématiques commencent souvent la phrase par « soit… » soit le segment AB ..., ce qui laisse voir de manière assez directe que c'est une affaire d'imagination. Et on ne peut pas progresser en mathématiques sans jouer avec son imagination. Le travail quotidien d'un chercheur en mathématiques, c'est d'essayer d'imaginer des choses qu'il n'arrive pas à imaginer, qui sont trop dures pour lui à comprendre. Mais en jouant avec, en essayant graduellement de regarder à quel endroit il les comprend, à quel endroit il ne les comprend pas, cette activité d'imagination a le pouvoir, et c'est une propriété du corps humain, de modifier graduellement l'intuition et de la développer pour nous rendre capable d'imaginer et de comprendre de manière très sensible, directe, charnelle, ce qui a initialement été une abstraction impossible à pénétrer.»
Je reprends l'imagination est la construction de concepts, images, idées à partir de concepts, images, idées conscientes, tout au moins faciles d'accès.
Par contre l'intuition est la proposition instantanée d'une solution à une question à un moment détaché de celle-ci, sans effort d'imagination, à partir de sa mémoire consciente ou inconsciente. Donc elle ne part pas de rien. Cette intuition se construit sur un savoir acquis. Elle intervient sur un sujet qui nous est familier.

L’intuition est un éclair de génie mais paradoxalement elle n’est pas instantanée. Elle demande du temps au cerveau.
Il s’agit d’un processus de décision, devenu intuitif avec l’apprentissage et la pratique.
Il nous pousse à prendre une décision, mais pas forcément la bonne. Nos émotions peuvent nous induire en erreur.
Elle a beau être rapide elle n’est pas l’instinct qui est un comportement inné.
L’intuition est une conséquence du fonctionnement automatique de notre mémoire.
Une sorte de raccourci se met en place grâce à l’expertise, qui évite de parcourir toutes les étapes que l’on ferait consciemment pour résoudre un problème, le raisonnement conscient, nécessitant de gros efforts de concentration.
Elle est un raccourci inconscient direct vers la mémoire à long terme.
Les grands joueurs d’échec ne réfléchissent pas, leur vision compare les groupes de pièces avec ceux enregistrés au plus profond.
L’intuition fait appel à l’apprentissage, la mémoire, l’expérience et fonctionne par associations.
Elle aurait longtemps été chuchotée par les dieux à l’oreille de leurs humains favoris.
Malheureusement elle n’a rien de magique ou de spirituel.
C’est un raisonnement hors de la conscience, un pur système de pensée rapide et émotionnel, complémentaire d’un second système lent et réfléchi.

Les solutions proposées par l'imagination et l'intuition ne sont pas obligatoirement des idées adéquates.
Pour Aristote la vitesse de la chute d'un corps est proportionnelle à sa masse. C'est faut. L'a-t-il imaginé ou était-ce une intuition ? L'indépendance de la masse et de la vitesse Galilée l’a prouvée en attachant ensemble des pierres. En chute libre même si vous prenez la main du voisin vous n'irez pas plus vite. (1)
Ce fut bien par l'intuition que Johannes Kepler trouva le dessin du parcours de Mars autour du soleil. Ce parcours dessine une ellipse. Les calculs pour un cercle ne correspondaient pas aux mesures compilées. Il eu l'intuition de l'ellipse, figure qu'il connaissait et qui a correspondu aux mesures. L'intuition ne part pas de rien, elle s'appuie sur des acquis. Il n'a pas imaginé une courbe qu'il aurait ensuite définie comme ellipse.

Donc ma vison de la gnose et de l’intuition serait contre productive pour la métaphysique.
L’intérêt de le compréhension de ces notions est de chercher et de réduire toute prétention à trouver dans les nuages des règles de vie commune, de douter d’une morale a priori à la Kant platement celle du 19e siècle.
Donc je crois en rien. Cette notion de « rien » est certainement une croyance mais elle ne s’appuie pas sur des notions qui pourraient nous diriger vers de l’inconnu. Ça n’empêche pas malgré cette croyance que nous devrions faire n’importe quoi. Nos grands pollueurs riches et industriels sont remplis de croyances qui n’ont rien à voir avec le matérialisme.
A ce jour en 2023 je limite la philosophie à l’action de lutter contre les croyances, de croire le moins possible.
Il me reste que notre vision de la gnose par la poétique métaphysique nous permet de nous échapper de ce monde mortifère. Une poétique des paréidolies, les formes imaginées dans les nuages, qui nous fait rêver.

(1) Pages 17 et 18 de "Voyage au cœur de l'espace-temps" de Stéphane d'Ascoli et d'Arthur Touati - 2021 - chez First éditions – Sinon pages 50 et 51 entre le passé et le futur s'ouvre un présent étendu séparé par la causalité.

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