Sortir de l'histoire officielle

    


Bertrand Russell (1870-1972)

Par Ali Benmakhlouf

De la fumisterie intellectuelle


Par Ali Benmakhlouf
https://www.lesbelleslettres.com/
De la 4e de couverture et du site de l'éditeur : «Bertrand Russell (1872-1970), mathématicien et philosophe, a durablement marqué le XXe siècle en donnant une impulsion nouvelle à la logique mathématique et la théorie de la connaissance. Il est considéré comme l'un des pères de la philosophie analytique.
En logique, il a produit le paradoxe qui porte son nom et ouvert la voie à une théorie axiomatique des ensembles. Il a également défendu aussi loin qu’il était possible le logicisme, l’idée que les mathématiques peuvent être réduites à la logique.
En philosophie, il a renouvelé la compréhension du langage, avec sa théorie des descriptions définies, et montré qu’on pouvait rendre compte de la réalité à l’aide d’une grammaire philosophique, c’est-à-dire d’une syntaxe reposant sur un vocabulaire minimum et des constructions logiques.
Dans le domaine pratique, Russell n’a pas donné de philosophie à part entière mais s’est engagé: militant pour le vote des femmes dès 1907, pacifiste pendant la première guerre mondiale, neutraliste à la veille de la seconde, il a oeuvré pour rapprocher l’Est et l’Ouest au temps de la guerre froide, lutté contre le surarmement et fondé (avec J.-P. Sartre) un TribunalInternational pour juger la guerre menée par les États-Unis au Viet-Nam dans les années 60-70.
Bertrand Russell a reçu le prix Nobel de Littérature en 1950.On examine ici les thèmes et concepts majeurs de ce penseur singulier qui a, entre autres, influencé Ramsey, Wittgenstein, Popper et Quine, en traversant notamment On Denoting, Prinicipia Mathematica, Mysticism and Logic, HumanKnowledge, its Scope and its Limits, mais aussi Pourquoi je ne suis pas chrétien. On espère ainsi faire sentir la grandeur d’une Œuvre dont l’actualité ne se dément pas.
Ali Benmakhlouf, professeur des universités, enseigne la philosophie à l’université de Nice-Sophia Antipolis il a notamment publié Averroès, Frege, le nécessaire et le superflu et Russell, philosophie de l’atomismelogique.»

Introduction

Page 23 ««Pourquoi ne pas considérer que la métaphysique, comme la science, n'est justifiée que par la curiosité intellectuelle et ne doit être guidée que par celle-ci ?»»
« Au chapitre VI de son autobiographie (chapitre introductif à la période 1900 1909), Russell note que dans « les relations humaines, on devrait pénétrer le cœur de la solitude de chacun et lui parier ». Durant cette période (lettre de 1902 à Gilbert Murray), c'est la connaissance et l'excellence de l'esprit qui est considérée comme la vertu au regard de laquelle le plaisir et la peine ont peu d'importance. Certes « la vie est un enfer si ceux que nous aimons le plus ont d'autres [personnes] qui viennent en premier, s'il n'y a pas un coin du monde où notre propre solitude prend fin » ; certes, « nous sommes tous nés dans le monde, seuls, séparés emprisonnés dans un donjon par les murs solides du soi », mais il y a fort heureusement « une communion des philosophes » et Russell reconnaît avoir avec Leibniz « des conversations imaginaires » qui permettent d'atténuer la solitude. »
28-29 « La philosophie confine compréhension théorique du monde.
Russell place la méthode philosophique dans l'horizon des sciences car les sciences nous habituent à nous affranchir de la vie instinctive, et c'est précisément ce que doit viser la philosophie :
« Un certain détachement à l'égard de toutes les espérances et de toutes les inquiétudes de ce monde »
L’ambition philosophique, qui est de comprendre théoriquement le monde, rencontre tout naturellement les objectifs des sciences. Mais, il ne s'agit pas de reproduire philosophiquement les résultats scientifiques, il faut s'inspirer des méthodes scientifiques. Celles-ci sont en grand nombre, chacune d'entre elles est appropriée à une classe de problèmes, mais malgré cela « il y a quelque chose qui n'est pas facilement définissable, qui peut être appelée la méthode de la science ». Il est plus facile de l'illustrer que de la définir : Galilée, en permettant l'application des mathématiques à des études où il n'existait aucune connaissance a priori, comme la connaissance qui porte sur la variation de la vitesse ; Darwin, par la méthode qui consiste à traiter l'homme comme un phénomène naturel, et par celle qui lui permet d'étendre au monde animal et végétal la démarche de l'économie politique classique.
Selon Russell, c'est de ces méthodes que la philosophie doit s'inspirer et non de l'éthique ou de la religion car celles-ci sont essentiellement anthropocentriques et, une fois transférées dans la métaphysique, « légifèrent sur l'univers à partir du désir présent des hommes ». Se produit alors une interférence avec « la réceptivité au fait qui est l'essence de l'attitude scientifique envers le monde ». Or, Russell considère que la collecte des faits et leur classification, sans généralisation hâtive, relèvent de cette attitude. Montaigne est cité. Les généralisations des résultats scientifiques effectuées par la philosophie, avant même de prendre une tournure absolue et nécessaire, reposent sur une falsification de ces résultats. Cette falsification prend deux formes ... »

De la fumisterie intellectuelle
Et aussi un commentaire de Jünger Habermas Bertrand Russell donnait deux conseils pour les générations futures

Préface de Jean Bricmont - Extraits :
«A la lecture de la Fumisterie on peut s’interroger sur la pertinence de la critique de ces « crétineries intellectuelles » aujourd’hui. La plupart des chrétiens diront que plus personne parmi eux ne soutient les idées brocardées dans la Fumisterie, et que le christianisme contemporain est devenu compatible avec la science et la rationalité. Mais, même en admettant que cela fût vrai – ce qui reste très discutable –, ce genre de réponse soulève un sérieux problème : comment se fait-il qu’un dieu, en principe bon et tout-puissant, ait laissé les croyants s’égarer à ce point et, plus étrange encore, comment se fait-il que ceux-ci n’aient été éclairés que grâce à l’action patiente des libres penseurs et des sceptiques que toutes les églises ont persécutés aussi longtemps qu’elles ont pu le faire ?
    Reste néanmoins l’objection de la non-pertinence. Commençons par envisager celle faite à Russell, par John Maynard Keynes, que Russell considérait comme une des personnes les plus intelligentes qu’il ait connue. Keynes estimait que Russell « entretenait simultanément deux opinions ridiculement incompatibles. Il pensait que les affaires humaines étaient gérées d’une façon totalement irrationnelle, mais que le remède était simple et facile, à savoir qu’il suffisait de les gérer rationnellement. »
    Ce type d’objection est fréquemment soulevée à l’encontre des rationalistes, mais Russell n’était pas si simpliste ; il pensait que la crétinerie intellectuelle était universelle et probablement éternelle, mais qu’on pouvait néanmoins s’élever contre elle et accomplir des progrès dans cette lutte.»
Extraits du texte :
«Dès lors que nous renonçons à la raison pour nous soumettre à l’autorité, nous ne savons plus à quel saint nous vouer. Qui fait autorité ? L’Ancien Testament ? Le Nouveau Testament ? Le Coran ? En dernière instance, nous nous en remettons au livre considéré comme sacré par la communauté qui est la nôtre et nous y sélectionnons les passages qui nous agréent, en faisant l’impasse sur les autres. Il fut un temps où le verset le plus significatif de la Bible était : « Tu ne souffriras pas que vive une sorcière. » [Exode XXII,18 "Tu ne laisseras point vivre la magicienne".]
Aujourd’hui, nous préférons le passer sous silence ou marmonner une excuse quelconque. Ainsi, même en nous référant à un livre sacré, nous nous arrangeons toujours pour adopter une vérité qui conforte nos préjugés. Aucun catholique, par exemple, ne s’attarde sur le verset selon lequel un évêque ne peut prendre qu’une seule femme.[ Timothée III,2 Donc qu'il peut de marier et que les autres peuvent en avoir plusieurs.]»
«la queue blanche des lapins, à en croire certains théologiens, a pour fonction de les rendre visibles aux chasseurs»
« Si les institutions politiques étaient réglées de telle sorte que la guerre ne soit manifestement pas rentable, rien dans la nature humaine n’obligerait à ce qu’elle advienne ni ne nous frustrerait si elle n’advenait pas.»
«Les sornettes que l’État est capable de nous faire avaler sont sans limite. Donnez-moi une armée digne de ce nom, donnez-moi les moyens de lui offrir un salaire plus généreux et une nourriture plus abondante que la moyenne, et je vous garantis qu’en l’espace de trente ans je me débrouillerai pour faire croire à la majorité de la population que deux et deux font trois, que l’eau gèle à 100 degrés et qu’elle entre en ébullition au-dessous de zéro, ou n’importe quelle autre fadaise susceptible de servir les intérêts de l’État. Évidemment, même si l’on y croyait, nul ne s’aviserait de mettre la bouilloire au congélateur pour faire chauffer de l’eau. Le fait que le froid porte l’eau à ébullition serait une vérité sacro-sainte, que l’on professe d’un ton exalté mais que l’on n’aurait pas idée d’appliquer dans la vie quotidienne. Toute négation de la sacro-sainte doctrine serait déclarée illégale et les hérétiques récalcitrants seraient « gelés » sur le bûcher. Ceux qui n’embrasseraient pas avec enthousiasme la doctrine officielle seraient interdits d’enseigner ou d’occuper un poste à responsabilités. Seuls les plus hauts fonctionnaires se permettraient d’admettre en aparté que ce ne sont que des foutaises, en ricanant dans leur barbe et en levant leur verre. Je caricature à peine ce qui se passe dans certains États modernes.
    La découverte que l’État peut manipuler le peuple à sa guise est l’une des causes de nos malheurs. Un groupe de citoyens libres d’esprit et une communauté abrutie par la propagande sont aussi dissemblables qu’un tas de matériau brut et un navire de guerre.»
«...des aphorismes directement empruntés à Platon, non de ceux que citent les érudits, mais des inepties comme : « L’homme qui ne recherche pas la vérité se réincarnera en femme ». Les commentateurs des grands philosophes ont toujours le bon goût de fermer les yeux sur leurs remarques les plus absurdes.
Aristote, malgré le prestige dont nous le parons, n’est jamais à court de fadaises. Il recommande de concevoir les enfants en hiver, quand le vent souffle du nord, et promet aux couples mariés trop jeunes qu’ils engendreront des filles. À l’en croire, le sang des femelles est plus sombre que celui des mâles ; le cochon est le seul animal susceptible d’attraper la rougeole ; les insomnies d’un éléphant se guérissent en lui appliquant un onguent de sel, d’huile d’olive et d’eau chaude ; les femmes ont moins de dents que les hommes ; etc. Toutes ces fadaises n’ont pas empêché les philosophes de saluer en Aristote un parangon de sagesse.»
«Quelque 600 ans avant notre ère, Lao-Tseu s’indignait des routes et des ponts, qu’il jugeait « non naturels », et il préféra quitter la Chine pour vivre parmi les barbares occidentaux.»
«Dans l’Antiquité, quand la suprématie masculine était incontestée et la morale chrétienne encore inconnue, les femmes étaient de charmantes idiotes et l’homme qui les prenait au sérieux n’était guère respecté. Platon réprouvait le théâtre au motif que, pour mettre en scène des personnages féminins, le dramaturge devait imiter les femmes.»
«Les généralisations relatives aux caractéristiques nationales sont tout aussi courantes et tout aussi infondées. Jusqu’en 1870, les Allemands étaient représentés comme une nation de professeurs à lunettes, nombrilistes et rêveurs. Depuis 1870, il a fallu revoir de fond en comble cette conception. La plupart des Américains s’imaginent que les Français sont tout entiers occupés par les intrigues amoureuses ; Walt Whitman, dans l’un de ses poèmes, évoque ainsi le « couple adultère sur le canapé sournois ». Les Américains expatriés en France sont éberlués, et peut-être dépités, par la solidité des liens matrimoniaux. Avant la révolution russe, on imaginait que les Russes étaient dotés d’une âme slave, incompatible avec un comportement raisonnable mais imbue d’une sagesse mystique que ne pouvaient espérer atteindre des nations plus pragmatiques. Du jour au lendemain, tout a basculé : la mystique a été évincée au profit d’ambitions plus terre à terre. En réalité, ce qu’une nation prend pour le caractère national d’une autre repose sur quelques personnalités éminentes ou sur la classe dirigeante. C’est ce qui explique qu’un changement de régime suffise à invalider de tels stéréotypes.» Sur notre vision passée des allemands Simone Weil dans L'Enracinement en a fait la même description.
«Certaines questions sont cependant plus difficiles à vérifier de manière expérimentale. Même si, comme la plupart de vos semblables, vous avez des idées bien arrêtées, il est toujours possible de prendre conscience de vos propres préjugés. Si la moindre contradiction vous met en colère, c’est qu’inconsciemment vous vous savez incapable de justifier l’opinion qui est la vôtre. Si votre interlocuteur maintient que deux et deux font cinq, ou que l’Islande se situe sur l’équateur, vous le prendrez en pitié plutôt qu’en haine, à moins que votre ignorance en arithmétique ou en géographie soit telle que son opinion suffise à ébranler la vôtre. Les controverses les plus hargneuses portent sur des questions qui n’admettent de preuve ni d’un côté ni de l’autre. La persécution est une arme propre à la théologie, et non à l’arithmétique : l’arithmétique, en effet, repose sur un savoir, mais la théologie repose simplement sur des opinions. Quand une divergence d’opinion vous irrite, méfiez-vous : vous verrez peut-être, après examen, que votre croyance va au-delà de ce que justifient les preuves.» Ho là attention, quand suis-je irrité ?
«Si vous êtes un homme, vous ferez valoir que la plupart des poètes et des hommes de science sont des hommes ; si vous êtes une femme, vous répliquerez que ces statistiques valent aussi pour les criminels.»


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