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Yuna Visentin Mots, idées, concepts, personnalités repérés : Walter Benjamin, La religion, bloc compact et figé, Le capitalisme, Domination et hiérarchisation, Violence fondamentaliste, Heidegger, interprétation de la laïcité, Les Lumières, Marginalisation convergences des différences, Pessah ou la pâque chrétienne, le péché originel, La chasse aux sorcières, la dite supériorité de sa religion originelle, Voltaire, Newsletter de Cheek - lesinrockuptibles.fr. Vendredi 30 août 2024 « Autrice en 2022 du remarqué Une Autre école est possible!, où elle dénonçait les dysfonctionnements de l’Éducation nationale et proposait des alternatives, Yuna Visentin est également l’autrice de Hila, le réveil des sorcières, un roman paru la même année. Dans son nouvel essai, la professeure agrégée de lettres, normalienne et autrice, se demande comment réconcilier nos vies spirituelle et militante. Son ouvrage, préfacé par la philosophe écoféministe Myriam Bahaffou, propose de puiser dans des “réservoirs de pratiques réparatrices” pour sortir des systèmes de domination, tout en faisant rimer justice sociale avec spiritualités. » Myriam Bahaffou « Il y a un continuum entre l’exploitation des femmes et celle des ressources naturelles »
Spiritualités radicales «Ce livre explore d'autres façons de parler de religions, de spiritualités et de traditions dans le sillage des interprétations féministes et anticapitalistes des chasses aux sorcières, des relectures anarchistes des traditions juives, des luttes et des cosmogonies décoloniales, et des liens que les éco-féministes tissent entre travail reproductif et spiritualités. Raconter des histoires impures, qui mêlent sorcières, Dieu et fantômes, parler ensemble de spiritualités et de religions, c'est un moyen de faire avec les passés, tout en s'engageant à les transformer vers des futurs émancipateurs, antifascistes, pleins de solidarités insoupçonnées. Préface de Myriam Bahaffou. YUNA VISENTIN est ancienne élève de l’École normale supérieure, professeure agrégée de lettres, autrice, et animatrice d'ateliers d’écriture féministes. Après plusieurs années d’enseignement et de recherches sur les rapports entre littérature, philosophie juive et traditions hétérodoxes, elle a publié un roman, et un essai sur la reproduction des oppressions systémiques à l'école. Elle publie son troisième livre, Spiritualités radicales, Rites et traditions pour réparer le monde, aux Editions Divergences. Elle vit en Bretagne avec son compagnon et ses deux enfants.» Quelques extraits : Page 32 « L’insatisfaction provoquée par ces récits hiérarchiques m’a conduit à chercher d’autres façons de parler de religions, de spiritualités, de traditions. Non pas pour les innocenter ou taire tout ce qu’elles ont reproduit en termes d’oppression, mais pour sortir justement de l’innocence dont se parent les discours binaires, et laisser déborder nos existences complexes et entrelacées jusqu’à ce qu’elles nous libèrent. J’ai découvert des mondes qui ont accompagné le mien : les relectures révolutionnaires et anarchistes des traditions juives, les interprétations féministes et anticapitalistes de la chasse aux sorcières, les luttes, pensées et cosmogonies décoloniales, les liens que les écoféministes tissent entre subsistance, reproduction de la vie et, pourquoi pas, un peu de magie. C’est dans leur sillage que j’ai pu percevoir que les discours dont on hérite pour parler de religions et de spiritualité sont le produit d’une histoire complexe, comme toutes les histoires, qui mêle des scènes d’émancipation à des assignations sexistes et racistes, ainsi que des privatisations capitalistes et coloniales des terres et des savoirs. » 33 « C’est pourquoi, aussi, remettre en question le partage qui produit la religion, impliquait également pour moi d’en travailler un autre, celui qui oppose le religieux au spirituel, notamment dans les discours qui valorisent les « spiritualités alternatives ». Remettre en cause un tel antagonisme en nous engageant à réfléchir aux traditions, aux responsabilités collectives, à ce que nous avons à transmettre en termes de transformation sociale, me semblait être un moyen de répondre, de biais, aux appropriations culturelles ainsi qu’aux manières que le capitalisme a de capter les spiritualités en les vidant de leur portée subversive, contestataire, joyeuse. Ça plie la question, ça la réoriente vers plus de concret, plus d’imaginaire aussi: il s’agit de trouver des mots et des chemins pour faire avec le temps long, de construire des solidarités qui se libèrent des fantasmes réactionnaires de purification, de naturalité, et qui démantèlent les origines uniques pour construire des futurs désirables. » 38-39 Commentaire sur le texte VII du Concept d'Histoire de Walter Benjamin « Ce que Walter Benjamin exprime, avec une conscience tragiquement incarnée de la marche de l’histoire … tout ce qui ne suffit pas dans nos refuges ordinaires, ces grands récits qu’on érige en remparts, en oubliant d’examiner les histoires qu’ils transmettent, et celles qu’ils précipitent dans l’oubli. Walter Benjamin replace les « biens culturels » dans les traditions des « maîtres du moment », mais les « vainqueurs » n’ont jamais complètement gagné ni les « vaincus » perdu, et on ne peut comprendre leur opposition si on fige dans des termes binaires, identitaires. C’est bien en historien matérialiste que Benjamin se place, c’est à dire dans l’attention aux rapports de force, aux conflits, à la transformation sociale. ... » Je parlerai plutôt ici d'historien marxiste. 40 «... pour habiter autrement le présent, et faire bifurquer l'avenir vers la libération.» 40-41 « Depuis ma position dans le monde, il m'est impossible de me retrouver dans le récit qui fait correspondre toute lutte antispirituelle et antireligieuse à une libération pour tourtes. ... Mes histoires ... parlent de personnes qui ont été assignées à la superstition, à l'obscurantisme, à des formes de religiosité hérétique, de personnes qui ont été rejetées de la vie, de l'espace politique et du avoir, parce que trop magiques, trop spirituelles, trop religieuses, pas assez rationnelles… ! Ce sont des histoires de sorcières, de femmes enfermées dans le foyer, de personnes disciplinées, racialisées, transformées en ennemies, en classe repoussoir. Des histoires où religiosité et marginalité sont non seulement associées, mais construites ensemble, figées dans les corps minorisés. … Quand on parle de religions, de spiritualités, on hérite aussi de phénomènes de racialisation, de féminisation du religieux qui nous engagent à chercher les termes justes, ceux qui ne réactiveront pas des scènes d'oppression toujours en cours. » 41-42 Deux anecdotes paradoxales sur l'interprétation de la laïcité. Interdiction d'ouvrir un livre en hébreu en salle d'étude dans un lycée et acceptation d'une crèche dans lieu publique. 45-46 « Difficile, en outre, de se montrer insensible au paradoxe qui se produit ici. Si l'objet perçu comme juif [livre en hébreu] est associé à une religiosité ostentatoire qui active en retour une invisibilisation politique, l'objet d'origine chrétienne, en étant perçu comme pluriel, peut demeurer visible. Il me semble que ces narrations donnent à voir l'instabilité sur laquelle reposent nos représentations dominantes quand il s'agit de « religion »…. voilà que quelque chose peut devenir religion, ou arrêter de l’être pour devenir autre chose - un objet culturel, et cette ligne d'arrivée est tout sauf anecdotique. On pourrait certes se réjouir d'une telle possibilité de transformation, si elle ne reproduisait pas une hiérarchisation raciale en fonction d'attachements perçus comme religieux. » 47-48 « ... référents chrétiens – l'« Ancien Testament » renvoie à un découpage chrétien du texte, le péché originel n'est pas nommé comme tel dans le judaïsme, et les clercs auxquels s'opposent les « anticléricaux » sont des autorités chrétiennes. ...[les] rites juifs, .. ils servent de miroir à une remémoration chrétienne : si je bénis le vin et le pain à Shabbat, ça rappelle la Cène, quand je fête Pessah, ça rappelle la pâque chrétienne. Cette inversion de la mémoire, bien qu'elle ne se fasse pas toujours intentionnellement, dématérialisé, voire efface les existences juives et participe ainsi à les rendre plus vulnérables. ... cette oblitération produit l'idée d'un monde où seul le christianisme ... serait inscrit dans le temps. Comme s'il s'agissait de la seule tradition religieuse dont il serait possible d'hériter en Europe, ... qui soit autorisée à poursuivre son histoire, même dans sa forme sécularisée. Cette privatisation du futur s'enracine dans l'épuration de nos passés, et notamment la construction historique de l'hégémonie chrétienne dans sa forme européenne et impérialiste. ... l'emploi si fréquent du terme « judéo-christianisme », est emblématique de ce processus complexe : en associant uniquement judaïsme et christianisme, il invisibilise l'histoire musulmane effective de l'Europe et transforme l'islam en une religion essentiellement étrangère voire barbare. En projetant une équivalence de position entre juif.ves et chrétien.nes, le terme passe par ailleurs sous silence l'histoire des violences antijuives des sociétés chrétiennes, qui se sont employées à maintenir les juif.ves dans une place subalterne, en s'en prenant à leurs corps comme à leurs traditions. » 48 « La religion, le nom « religion », la catégorie religion, la division du monde qu'implique ce concept, « cache un récit » qui affecte tout autant les manières de la critiquer. Commentant la définition de la tolérance proposée par Voltaire dans le Dictionnaire philosophique, Derrida donne justement à voir le récit laissé de côté par le philosophe ou, plutôt,les corps et les âmes qui sont évacués de l'histoire. Voltaire accorde en effet une sorte de « double privilège » aux chrétiens en les présentant certes comme les « plus intolérants de tous les hommes » mais aussi comme les seul à pouvoir devenir tolérants. Voltaire, écrit Derrida, « raconte d'abord une histoire et une expérience intrachrétiennes. Il délivre le message que des chrétiens adressent à d'autres chrétiens. Les chrétiens « les plus intolérants » sont rappelés, par le coreligionnaire, à la parole de Jésus et au christianisme authentique des origines. Si l'on ne craignait de choquer trop de monde à la fois, on dirait que par leur antichristianisme véhément, par leur opposition surtout à l'Église romaine, autant que par leur préférence déclarée, parfois nostalgique, pour le christianisme primitif, Voltaire et Heidegger appartiennent à la même tradition : protocatholique.» » 49 « ...si on continue de parler de « la religion », en tant que bloc compact et figé, comme on le fait jusque dans les milieux les plus à gauche, on ne fera que reconduire les hiérarchies, et renvoyer les dynamiques oppressives dans les silences de l’histoire. Et je ne parle pas ici des différences théologiques ni de systèmes de croyances qui s'opposeraient, mais de positions sociales,de rapports de force et de pouvoir. » « Ce passé archaïque, ce temps ostracisé par le récit dominant, c'est ce à quoi ma sœur a été renvoyée en devant fermer son livre en hébreu. » 50 « L’idée de marginalisation a ceci d'intéressant qu'elle matérialise ce que fait la discrimination elle nous place dans quelque chose qui ressemble à un endroit, ou plutôt une position, et celle-ci nous met en danger, en tristesse, en sursis aussi. On n'est pas seul.es dans ce lieu-là, on y rencontre d'autres existences,et les histoires de celleux qui ont été aussi repoussé.es, comme nous, bien que pas tout à fait comme nous. Dans mon histoire personnelle et sociale, c'est depuis cet endroit que j'expérimente les convergences, et donc aussi les différences,entre les racialisations des personnes juives et des personnes musulmanes. » 51 « ...la construction de cette différence, entre religieux ou non religieux, est produite par des systèmes de domination qui interagissent avec d’autres formes de hiérarchisation. Autrement dit, la catégorie « religion » réduit la pluralité de modes d’existence à une opposition binaire. » 52 «... là où l'occident aurait réussi, grâce à ses courageuses lumières mais aussi à la «supériorité» de sa religion originelle.» 54-55 « L’enjeu est vital, puisqu'il s'agit de libérer des outils plus précis, plus puissants surtout, pour lutter contre la violence fondamentalisme, qu'elle soit ou non monothéiste. Ici comme ailleurs, on ne peut sacrifier à l'urgence de la tâche la complexité de l'analyse, au risque de reproduire des dynamiques oppressives. Pour démanteler la violence des institutions religieuses, on se doit de regarder en face l'histoire de leurs textes, de leurs interprétations, et donc la responsabilité qu'elles portent dans la reproduction des systèmes de domination. Pour autant, réduire le fondamentalisme à une forme archaïque et naturelle de la religion, c'est risquer de valider le récit fanatique qui se raconte comme le représentant unique de l'authenticité de la tradition. Les préceptes portés par les extrémismes religieux n'ont rien d'authentique, rien d'originel, rien de pur - et on ne peut les combattre qu'en démantelant ce fantasme fascisant, et donc en les replaçant dans leurs contextes d'émergence. Cette désacralisation-là, celle qui réinscrit les fanatismes aussi dans l'histoire de la sécularisation, du capitalisme, des nationalismes et de la modernité, ouvre une voie de lutte antifasciste, et donc aussi antiraciste, contre les extrémismes religieux. » 55-56 « C'est dans les vestiges de l'invisible que se développent les rapports de production capitalistes. Cette généalogie de la sécularisation résonne avec les analyses que certaines écoféministes et féministes matérialistes ont proposées sur les chasses aux sorcières, et ainsi les liens entre disciplinarisation de la classe des femmes et assignation à une « spiritualité » considérée hérétique. Pendant le Moyen Age tardif et la Renaissance, en Europe et dans les terres colonisées, des dizaines de milliers de personnes sont persécutées, torturées, assassinées suite à des accusations de sorcellerie. Les études historiques varient sur le nombre exact des victimes, mais elles attestent d'une surreprétentation des femmes, ce qui a conduit certaines historiennes à qualifier la chasse aux sorcières de féminicide de masse. Une telle interprétation ne vient qu'après des siècles de silence, ou plutôt d'effacement de la portée politique des persécutions. Contrairement à ce que l'imaginaire dominant donne encore à croire, celles qu'on a appelées « sorcières », ne sont ni des êtres diaboliques, ni les victimes d'une abstraction sans âge, quelque chose d'aussi intemporel que la violence humaine ou l'intolérance religieuse. Si les charges mobilisées pour les inculper charrient un imaginaire diabolisant, définitivement irrationnel, les chasses aux sorcières émergent de rapports sociaux voire de l'instauration de nouveaux moyens de production et de divisions sexuelles du travail, selon les analyses des féministes matérialistes. Ainsi, la chercheuse Silvia Federici fait l'hypothèse que tuer les « sorcières » s'intégrait à un processus politique qui visait à discipliner les femmes à des fins de contrôle et d'exploitation ; en cela, la chasse aux sorcières « était aussi un instrument pour la construction d'un nouvel ordre patriarcal où le corps des femmes, leur travail, leurs pouvoirs sexuel et reproductif étaient mis sous la coupe de l'État et transformés en ressources économiques. » Les études montrent par ailleurs qu'en complément du genre, la classe, la religion ainsi que la position dans les rapports reproductifs constituaient également des facteurs de vulnérabilité. C'est ce qui explique que beaucoup de personnes accusées de sorcellerie étaient âgées, veuves, sages-femmes, non conformes à l'hétérosexualité, souvent issues des classes paysannes et populaires. » Silvia Federici «... remet en cause l’affirmation de Marx selon laquelle l’accumulation primitive serait le précurseur nécessaire du capitalisme.
Elle fait au contraire valoir que l’accumulation primitive est une
caractéristique fondamentale du capitalisme lui-même : le capitalisme,
afin de se perpétuer, nécessite un apport permanent de capital
exproprié.
Silvia Federici rattache cette expropriation au travail non payé des femmes, dans le cadre de la reproduction, de la reproduction de la force de travail. Elle montre que son apparition est un préalable historique à l’essor d’une économie capitaliste reposant sur le travail salarié. Dans ce cadre, elle souligne la lutte historique sur les communaux et pour le communalisme. Au lieu de comprendre le capitalisme comme une victoire sur un féodalisme vaincu, Federici analyse son ascension comme une contre-révolution face à la vague croissante de communalisme, s’employant à maintenir la structure sociale. Au centre de l’asservissement méthodique des femmes et de l’appropriation de leur travail se trouve, selon elle, l’institutionnalisation du viol et de la prostitution, ainsi que les procès des hérétiques et les chasses aux sorcières, les bûchers, et la torture. Ces processus sont mis en parallèle avec l’esclavage et le massacre des populations indigènes du continent américain. » Haut de page Page en amont Des visites régulières de ces pages mais peu de commentaires. Y avez-vous trouvé ou proposez-vous de l'information, des idées de lectures, de recherches ... ? Y avez-vous trouvé des erreurs historiques, des fautes d'orthographes, d'accords ... ? Ce site n'est pas un blog, vous ne pouvez pas laisser de commentaires alors envoyez un mail par cette adresse Contacts Au plaisir de vous lire. |