Sortir de l'histoire officielle

     


Walter Benjamin (1892-1940)

Mots, idées, concepts, personnalités repérés : Anges de la Kabbale, Antisémitisme banalisé, Fichte, Giraudoux, Histoire, intuition, Ivernel, Kabbale, Kafka, Else Laskel-Schüler, Fritz Lieb, matérialisme, métaphysique et théologie, pauvreté, progrès, et l'idéologie du progrès, Scholem, ,

  Je ne sais pas pourquoi Benjamin est dans l’actualité (2022) de l’édition historique et philosophique ?
  Deux livres récents :
  Le temps des magiciens de Wolfram Eilenberger. Où il fait parti des quatre choisis par l’auteur pour décrire l’effervescence intellectuelle en Allemagne entre les deux guerres. Avec Ludwig Wittgenstein, Ernst Cassirer et aussi cités Edmund Husserl, Karl Jaspers furent contraints de fuir le Nazisme. Le quatrième est Heidegger qui par accointance s’est adapté à celui-ci.
  Et une réédition de la biographie « Walter Benjamin » de Gershom Schlolem.

Cette actualité a mis cette personne par ces livres et articles devant mes yeux ignorants.
Nous ne pouvons qu’éprouver une tendresse devant cet intellectuel désintéressé, ballotté par le chaos.
L’un de ces derniers textes écrits en exil avant sa disparition prématurée, sorte de testament philosophique, pourrait être prémonitoire si l’humanité ne se soulève pas contre la prédation, prédation aidée de la technique.
Texte tiré de « Sur le concept d’histoire » :
    Souvent cité avec en exergue un extrait d’une lettre à Gerhard Scholem.
            « Salut de l’ange
        Mon aile est prête à prendre son essor
        Je voudrais bien revenir en arrière
        Car en restant même autant que le temps vivant
        Je n’aurais guère de bonheur »
« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès »

Une des dernières photos de Benjamin et l’aquarelle Angelus novus de Paul Klee propiété de Benjamin qu’il offre à Scholem

Gunthers Anders Angelu Novus dans Visite dans l'Hadès

Stéphane Hessel rencontre Benjamin pour la dernière fois à Marseille, en juillet 1940
Anna Harendt Walter Benjamin 1892-1940
2011-2012 Une exposition au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme. dont des vidéos
petit-journal-walter-benjamin.pdf
dossier-presse-walter-benjamin.pdf

Walter Benjamin Histoire d'une amitié par Gershom Scholem

Expérience et pauvreté 1933

Avec Arrendt une relation à flancs de ténèbres

Le temps des magiciens de Wilfram Eilenberger

Dans la revue LE MATRICULE DES ANGES

Critique en temps de crise par Philippe Ivernel

La sacralisation des œuvres d’art et leur désacralisation Par Sébastien Labrusse - 2021

Walter Benjamin L'ange assassiné de Tilla Rudel


Expérience et pauvreté 1933
Effacement des transmissions de l'expérience par la guerre, architecture transparente et intérieurs vides, échappatoire par des croyances de pacotille.
https://po-et-sie.fr/wp-content/uploads/2018/10/51_1989_p71_75.pdf


Sur le concept d’histoire

Petite biblio payot
4e de couverture et du site de l'éditeur «Au printemps 1940, quelques mois avant de se suicider, Walter Benjamin rédige une suite d’aphorismes denses et étincelants, bouleversants blocs de prose poétique au centre desquels rayonne« Angelus Novus», le tableau de Klee, que le philosophe associe à l’Ange de l’Histoire. Réunis sous le titre « Sur le concept d’histoire », ces aphorismes sont le texte le plus commenté de Benjamin. Leur répondent ici deux autres essais : « Eduard Fuchs, le collectionneur et l’historien » (1937), et « Paris, la capitale du XIXe siècle » (1935), traversés par une même question : peut-on sauver le passé?»

De la préface de Patrick Boucheron
Une étude Walter Benjamin : avertissement d’incendie de Mickaël Löwie
Recensions :
Benjamin ou l’apocalypse méthodologique par Marc Berdet

« Sur le concept d’histoire » en six versions par Nicolas Weill

Du texte sur Le concept d'histoire j'ai du mal à y lire une homogénéité. Déjà deux questions : un destin messianique ou un messianisme juste rêvé par l'espoir d'un monde souhaité ? Et comment voit-il ce matérialisme historique, positivement ou négativement ? Je les relis par l'analyse Mikael Löwie (voir plus bas pour les liens et préface )
Thèse I Illusion
«Celui qui doit l'emporter est toujours le mannequin auquel on donne le nom de «matérialisme historique».» Surtout s'il prend à son service la théologie qui est petite et laide. Allégorie d'une théologie pour un avenir radieux mécanique ironisant les marxistes, communistes et socialistes, de son époque. Ceci n'indique pas que Benjamin rejette le matérialisme historique et la théologie dans leur principe.
II Le bonheur attendu
Le bonheur attendu par le passé devenu notre espoir ce messianisme présent.
Introduction du terme Rédemption (ici l'ambition d'un monde altruiste), rachat de son passé, prétention de ne pas négliger les attentes des générations passées.
III Humanité redimée (rachetée)
Humanité redimée (rachetée) par la reconnaissance de son passé. Redimer emprunté au latin redimere (« racheter »).
Connaître les causes qui nous mènent.
Traduction de Oliver Malonni (Folio) «le jugement dernier» et «ce jour le dernier» par Mickael Löwy  (puf). Ce jour le dernier est ce jour d'aujourd'hui, ce présent immédiat. Qu'elle est la traduction la plus proche de l'original ? Par jugement dernier qu'aurait-il voulu dire par là lui le marxiste ?
IV Spiritualité dans les luttes de classes
Spiritualité dans les luttes de classes, car il y a une transformation subtile dans la transformation de l'activiste contre les dominants. Mais je n'arrive pas à percevoir si Benjamin se maintient dans une lutte des classes pragmatiques en oubliant les crapauds contrairement à Orwell qui en attache une grande importance. Il parle bien de fleur tournée vers le soleil de l'Histoire mais ça reste une métaphore. Les deux traducteurs mettent une majuscule à histoire, en allemand c'est général concernant tout les noms même communs ont droit à une majuscule. Comment font les traducteurs pour savoir que Benjamin ne parle que de l'histoire ? Si c'est bien Histoire, y voit-il un destin ? Et dans ce cas il était encore bien imprégné de la mythologie marxiste.
V Le passé file entre les doigts
Le passé file entre les doigts, et la vérité serait fendue en deux ? Pas ces mots de vérité coupée en deux pour Löwy ?
VI Refaire la conquête de la tradition
Une image du passé apparaît à l'instant du danger. Refaire la conquête de la tradition contre le conformisme.
VII Comprendre les causes
Comprendre les causes, ce que devrait faire le matérialisme historique. Si j'ai bien compris, sinon même si Fustel de Coulanges est un réac il a raison. Nous devons nous défaire de l'ultérieur d'un évènement dont le présent pour comprendre le passé.
En lisant Löwy je découvre qu'un philosophe à son époque une vedette, Victor Cousin mort en 1867, considère que même si notre sympathie entraïne vers le vaincu, s'il y a victoire il y a moral, notre civilisation victorieuse est donc morale, tant pis pour les colonisés écrasés et les esclaves.
VIII État d'exception perpétuel
Un concept d'Histoire qui reflétera un état d'exception perpétuel.
Dans les deux traductions on ne sait pas qui est l'adversaire du fascisme au nom du progrès. Confusion noté par Löwy concernant une précédente traduction. Et ses commentaires ne m'ont pas aidé.
IX La tempête du progrès
(voir aussi en haut de cette page)
De la préface de Patrick Boucheron page 44« Dans la plus célèbre de ses thèses « sur le concept d'histoire », la neuvième. Walter Benjamin a donné un inoubliable visage à cette catastrophe lente à venir. C'est l'Angelus novus de Paul Klee. Il l'accompagna toute sa vie, lui donna en tout cas son nom secret, Agesilaus Santanders, scellé dans un poème que son ami Gerhard Scholem écrivit pour lui en 1921 et qui revient, en 1940, au moment où tout est sur le point de s'achever. Voici l'Ange, et c'est l'Ange de l'Histoire. Il regarde vers le passé, « le tas de ruines devant lui monte jusqu'au ciel ». Mais il ne peut rester parmi nous et prendre soin des morts car une tempête le pousse vers cet avenir auquel il tourne le dos. « Ce que nous appelons progrès, c'est cette tempête. » L 'image est bouleversante, en elle se noue le temps messianique et l'espérance révolutionnaire, et la fièvre poétique de Walter Benjamin consistait sans doute à croire que sa vie tout entière s'y précipitait. Elle fut, on s'en doute, infiniment commentée, et d'abord par Scholem lui-même. Mais comment la regarder aujourd'hui, nous qui sommes face à lui, devant la fixité de son regard ? Benjamin était un marxiste qui du passé ne voulait pas faire table rase, sans pour autant renoncer à l'idée de révolution. Ce que l'on appelle aujourd'hui présentisme est la perte de l'un et de l'autre - oubli du passé, crise de l'avenir. Mais dès 1956, Günther Anders avait compris que nous étions désormais « aux antipodes de l'ange de Klee » : « car l'humanité actuelle regarde aussi peu vers le passé que vers l'avenir. Pendant la tempête, ses yeux restent fermés ou, dans le meilleur des cas, fixés sur l'instant présent. » »
De l'étude Löwy page 73 PUF « La thèse se présente comme le commentaire d'un tableau de Paul Klee, dont Benjamin avait fait l'acquisition dans sa jeunesse. En réalité,ce qu'il décrit n'a que très peu de rapport avec le tableau : il s'agit pour l'essentiel de la projection de ses propres sentiments et idées sur l'image subtile et dépouillée de l'artiste allemand. »
78 « Une image profane résume, dans les notes préparatoires, cette idée, en prenant à rebours les lieux communs de la gauche « progressiste » : « Marx avait dit que les révolutions sont la locomotive de l'histoire mondiale. Mais peut-être les choses se présentent-elles tout autrement. Il se peut que les révolutions soient l'acte, par l'humanité qui voyage dans ce train, de tirer les freins d'urgence. » [référence pour Benjamin de Marx dans « Luttes de classes en France 184-1850] ll
L'image suggère, implicitement, que si l'humanité permet que le train suive son chemin - déjà tout tracé par la structure en acier des rails - si rien ne vient arrêter sa course vertigineuse, on fonce tout droit vers le désastre, le choc ou la chute dans l'abîme. 
C'est seulement le Messie qui pourra accomplir ce que l'Ange de l'Histoire est impuissant à réaliser : arrêter la tempête, panser les blessés, ressusciter les morts et rassembler ce qui a été brisé … . Selon Scholem, cette formule contient une référent implicite à la doctrine kabbalistique du tikkoun, la restitution messianique de l'état originaire d'harmonie divine brisé par la shevirat ha kelim, la rupture des vases – doctrine que Benjamin connaissait grâce à l'article « Kabbala » publié par
sons ami en 1932 ... »
X Politiciens coupables
Politiciens coupables, revoir l'histoire pour ne plus être complice de ceux-ci.
Politiciens attachés au progrès et leur trahison par le traité Russie Allemagne de 1939.
XI Le progrès une illusion
Le progrès une illusion représentée comme une fatalité qu'il faut suivre.Mais la nature est-elle là gratuitement ?
XII La classe laborieuse rendue amnésique
La classe laborieuse rendue amnésique de la haine, et de la volonté de sacrifice est réduite, par l'oubli des aïeux asservis, à l'espoir pour leurs petits enfants.
Soit je n'ai pas compris, soit Benjamin se trompe, la haine a été toujours présente mais détournée.
XIII La représentation dogmatique du progrès
Exemple des différences entre les traduction, dans la citation : le pourtant indique pour l'un une évidence et le peuple devient soit plus avisé, soit plus sage (on peut être sage et avisé mais l'inverse est moins évidant).
La représentation du progrès forgée par une ambition dogmatique, dont il rend responsable les sociaux-démocrates. Je pense que les marxistes ont ce même travers.
Trois critiques du progrès lues par Löwy : distinguer progrès des connaissances et progrès de l'humanité ; nécessité d'une rupture radicale ; seuls moments de liberté dans les interruptions.
XIV L'Histoire est une construction
L'Histoire est une construction de moments passés casés dans le présent à des fins de propagande.
Suivant Löwy «... selon l'essais sur Fushs, il faut tisser, dans la trame du présent, les fils de la tradition qui ont été perdus pendant des siècles.»
XV Supprimer le minutage
Supprimer le temps qui écrase par ses journées de travail minutées ou arrêter le déroulement de ce jour révolutionnaire pour repousser le moment de la trahison.
« Pendant la révolution de Juillet survint un événement au cours duquel cette conscience retrouva son droit. Lorsque fut venu le soir de la première journée de combat, il se trouva qu'en plusieurs endroits de Paris, simultanément mais de manière indépendante, on tira sur les horloges des clochers. Un témoin qui doit peut-être son intuition à la rime écrivait alors :
« Qui le croirait ! On dit qu'irrités contre l’heure
De nouveaux Josué, au pied de chaque tour,
Tiraient sur les cadrans pour arrêter le jour. »»
XVI Gloire ou ironie du matérialisme historique
Gloire ou ironie concernant le partisan du matérialisme historique.
XVII Des monades dans le matérialisme historique
Des monades dans le matérialisme historique pour détacher une vue de son époque.
Pour Löwy en faisant référence à S. Mosès «Contre la conception historisciste quantitative du temps historique comme accumulation, Benjamin esquisse sa conception qualitative, discontinue, du temps historique.» ... par Charles Péguy «.... le temps de la théorie du progrès est «très précisément justement le temps de la caisse d'épargne et des grands établissements de crédit ....»»
XVIIa Ajouté par Mickael Löwie voir plus bas.
Malheur de la sécuralisation marxiste d'un lendemain qui chante
«Une fois que la société sans classes était définie comme tâche infinie, le temps homogène et vide se métamorphosait pour ainsi dire dans une antichambre, dans laquelle on pouvait attendre avec plus ou moins de placidité l'arrivée d'une situation révolutionnaire.»
XVIII Poussière du temps
Le temps messianique une poussière dans le temps de l'univers.
A Causalité et présent
La causalité ne réduit pas «le temps du maintenant».
Après avoir cité G. Scholem, Löwy commente cette thèse «« Dans la pensée du royaume messianique on trouve la plus grande image de l'histoire, sur laquelle s'élèvent des relations infiniment profondes entre la religion et l'éthique. Walter [Benjamin] a dit une fois : Le royaume messianique est toujours là. Ce jugement contient la plus grande vérité - mais seulement dans une sphère que, à ma connaissance, personne après les prophètes n'a atteinte. »
Le temps qualitatif, constellé d'éclats messianiques, s'oppose radicalement à l'écoulement vide, au temps purement quantitatif, de l'historicisme et du « progressisme ». Nous sommes ici, dans la rupture entre la rédemption messianique et l'idéologie du progrès, au cœur de la constellation formée par les conceptions de l'histoire de W. Benjamin, G. Scholem et F. Rosenzweig, qui s'inspirent de la tradition religieuse juive pour s'opposer au modèle de pensée commun à la théodicée chrétienne, aux Lumières et à la philosophie de l'histoire hégélienne. Par l'abandon du modèle téléologique occidental, on passe d'un temps de la nécessité à un temps des possibilités, un temps aléatoire ouvert à tout moment à l'irruption imprévisible du nouveau. »
B Chaque seconde porte d'entrée de l'avenir (rejoint la A)
Les juifs n'exploraient pas l'avenir, mais chaque seconde pouvait être la porte d'entrée du Messie.

XVIIa Ajouté par Mickael Löwie dans "Walter Benjamn : Avertissement d'incendie." « Marx a sécularisé la représentation de l'âge messianique dans la représentation de ta société sans classes. Et c'était bien. Le malheur a commencé quand la social-démocratie a fait de cette représentation un « idéal ». L'idéal fut défini dans la doctrine néo-kantienne comme une « tâche infinie ». Et cette doctrine était la philosophie scolaire des partis sociaux-démocrates - de Schmidt et Stadler jusqu'à Natorp et Vorländer. Une fois que la société sans classes était définie comme tâche infinie, le temps homogène et vide se métamorphosait pour ainsi dire dans une antichambre, dans laquelle on pouvait attendre avec plus ou moins de placidité l'arrivée d'une situation révolutionnaire. En réalité, il n'existe pas un seul instant qui ne porte en lui sa chance révolutionnaire - elle veut seulement être définie comme spécifique, à savoir comme chance d'une solution entièrement nouvelle face à une tâche entièrement nouvelle. Pour te penseur révolutionnaire la chance révolutionnaire propre à chaque instant historique se vérifie dans la situation politique. Mais elle se vérifie non moins par le pouvoir d'ouverture de cet instant sur un compartiment bien déterminé du passé, jusqu'alors fermé. L'entrée dans ce compartiment coïncide strictement avec l'action politique ; et c'est par cette entrée que l'action politique petit être reconnue, pour destructive qu'elle soit, comme messianique. (La société sans classes n'est pas le but final du progrès dans l'histoire mais plutôt son interruption mille fois échouée, mais finalement accomplie. »

Eduard Fuchs, le collectionneur de l'historien

Paris, la capital du XIXe siècle
Patrick Boucheron Encore la trace, encore l’aura : Walter Benjamin et l’obsession de l’historien
«Une partie de son propos reprend un texte déjà publié in Patrick Boucheron, Faire profession d’historien, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010 (« La trace et l’aura. Un court-circuit de Walter Benjamin », p. 7-36). Il anticipe également la préface qu’il a donnée à une nouvelle traduction de Sur le concept d’histoire.»
«Pour Alexandre Lacroix [https://editions.flammarion.com/voyage-au-centre-de-paris/9782081290303], il y a bien deux manières de rater un tel ouvrage : celle de Maxime Du Camp et celle de Walter Benjamin. ... Selon Patrick Boucheron, la comparaison est aisée avec le Paris, capitale du XIXème siècle de Benjamin, bien que cette dernière œuvre ait été ruinée avant même d’être bâtie. Car en médiéviste, l’historien est sensible au fait que le livre n’existe pas, qu’il n’est que ce que Pascal Quignard appelait un « précipitat de langue ». En effet, au Moyen Âge, seul le manuscrit a une existence textuelle ; de la même manière, pour Patrick Boucheron, considérer l’œuvre de Walter Benjamin comme un corpus littéraire semble être une illusion, une illusion littéraire à laquelle chacun participe en la traduisant et en la commentant : la plupart des livres de Benjamin ne sont en réalité que des manuscrits qu’il faut recomposer – ce dont l’édition contemporaine ne se prive pas.»
Lecture été 2023

De la préface de Patrick Boucheron page 37 « Il est difficile, en lisant Benjamin, de ne pas céder à la tentation de « déchiffrer un texte à l'arraché de ses citations ».»
10 Marseille 1940 «Cour des miracles des révolutions, des démocraties et des intelligences vaincues! Nous nous disons parfois que si cinq sur cent de ces hommes abandonnés réussissent, de l’autre côté de l’Atlantique, à se refaire des âmes de combattants, ce sera magnifique.» Extrait de "Mémoires d'un révolutionnaie" Victor Serge.
28 « Ce qui est en jeu ici : rien moins que la texture du temps qui déjoue toute application mécaniste de la causalité en histoire, l'historicisme postulant l'existence d'un « temps vide » dans l'essai sur Fuchs, d'un « temps homogène et vide «  dans les thèses « Sur le concept d'histoire ». D'un texte l'autre, passent donc plusieurs formulations, et notamment celle que la postérité a retenue, après la mort de Benjamin , comme le plus terrifiant et le plus implacable démenti à l'idée même de progrès en histoire, « on ne trouve aucune illustration de la culture qui ne soit aussi une illustration de la barbarie ». »
31 « Il est en vérité impossible de deviner, à la lecture de cet essai, ce que serait devenu le chantier de la Passagenarbeit si Walter Benjamin n'avait quitté Paris, ce 15 juin 1940. en enfouissant ses vestiges ou ses rebuts dans deux valises pleines de papiers confiées à Georges Bataille, employé à la Bibliothèque nationale. »
32-33 « Non pas un manuscrit, mais un amas de fragments, rassemblés par liasses, chacune portant un nom et renvoyant à d'autres en un rébus obscur. Les exégètes se penchent amoureusement sur ce désastre, comme des restaurateurs au chevet d'une mosaïque émiettée par un séisme - à ceci près qu'ils ne sont pas certains de l'existence même d'une totalité à reconstituer. Certains, comme Giorgio Agamben, l'envisagent comme le brouillon monstre du Baudelaire – et c'est par conséquent ce livre-là qu'il faudrait réinventer. Pourtant. en quittant la forme rhapsodique du Livre des passages pour celle, qu'il espérait plus systématique. de Paris, capitale du XIXe siècle, Walter Benjamin quittait la figure du flâneur pour celle du chiffonnier. Le premier avance rêveur et ingénu, le nez en l'air, distrait par les clartés électriques de la ville moderne quand le second grommelle, méthodique et implacable, baissant les yeux vers les rêves brisés qui gisent au sol, et « fouine compulsivement sous les yeux du premier ». »
33 « … à ces deux images en partie antagonistes du flâneur et du chiffonnier peut-on préférer celle qui les rassemble et les réconcilie : le pêcheur de perles développé par Hannah Arendt pour faire comprendre ce qu'était le travail de la citation chez Walter Benjamin : « Comme le pêcheur de perles qui va au fond de la mer, non pour l'excaver et l'amener à la lumière du jour, mais pour arracher dans la profondeur le riche et l'étrange. perles et coraux, et les porter, comme fragments, à la surface du jour, il plonge dans les profondeurs du passé, mais non pour le ranimer tel qu'il fut et contribuer au renouvellement d'époques mortes . » »
34 «malentendus féconds» Jean-Michel Palmier Walter Benjamin Le chiffonnier, l'Ange et le Petit Bossu. Esthétique et politique
35 à 37 « …Gershom Scholem accueille de manière très réservée le texte sur Eduard Fuchs, c'est pour des raisons symétriquement opposées : il y critique son nouvel usage de la notion d'aura, « employée par lui durant de nombreuses années dans un sens tout à fait différent », mais que Benjamin inscrivait désormais « dans un cadre pseudo-marxiste ». Tandis que Scholem exhortait son ami à éclaircir son rapport au judaïsme et le pressait de répondre à l'appel de Jérusalem, il refusait de voir dans sa conversion au matérialisme historique autre chose que le poids du surmoi brechtien ou de la docilité obligée vis-à-vis des maîtres de l'Institut de recherche sociale. Bref, entre ses convictions marxistes et ses aspirations théologiques, également sincères. Walter Benjamin était pris dans une tenaille amicale et théorique, la montré avec force Jean-Michel Palmier [Walter Benjamin Un itinéraire théorique], « avait quelque chose de tragique ».
Ce tragique irradie la prose poétique de « Sur le concept d'histoire » où sa brûlure est portée à son point d'incandescence. Il l'écrit à Max Horkheimer le 22 février 1940 : « Je viens d'achever un certain nombre de thèses sur le concept d'histoire. Ces thèses s'attachent, d'une part aux vues qui se trouvent ébauchées au chapitre l du "Fuchs". Elles doivent, d'autre part, servir comme armature théorique au deuxième essai sur Baudelaire. » Critique de la confusion entre progrès historiques et progrès technique ; théorie du temps présent comme « temps du maintenant », c’'est-à-dire un passé plein criblé d'éclats d'avenir, pour déjouer les causalités linéaires du « temps homogène et vide » de l'historicisme ; fulgurance de l'image du passé qui « se faufile devant nous » et dont l'historien doit se saisir en imitant « le bond du tigre » : ces trois grandes constellations de sens se trouvaient déjà dans les essais précédents de Walter Benjamin. Mais une quatrième vient désormais les traverser, pour les armer d'espérance : l'idée centrale du messianisme et de la rédemption. Puisque « le passé est chargé d'un indice secret qui le désigne pour la rédemption »,alors seul celui qui sait écrire l’histoire « a le don d’allumer dans le passé l’étincelle d’espoir qui en est pénétrée ».
Il est difficile, en lisant Benjamin, de ne pas céder à la tentation de « déchiffrer un texte à l'arraché de ses citations ». Car elles sont comme autant de signes vers tout ce qui demeure, dans le lieu même de son écriture, fondamentalement étranger à la philosophie. Aussi est-il en partie mensonger de procéder comme je viens de le faire dans le paragraphe précédent, prélevant dans les blocs de prose de Walter Benjamin quelques éclats (respectivement dans les thèses A, 13, 5 , 14, 2 et 6) qui, montés en un collier trop clinquant, feint l'unité d'une doctrine. Mais cette doctrine n'existe pas, ou disons qu'elle n'est pas présentable, exactement comme la théologie « petite et laide » qui anime secrètement l'automate du « matérialisme historique » dans la première thèse de « Sur le concept d'histoire ».Walter Benjamin s'inspire d'un conte d'Edgar Poe traduit par Baudelaire pour imaginer ce mannequin joueur d'échecs manipulé par un « nain petit et bossu » que dissimulait « un système de miroirs ». »
38-39 «... doit-on admettre que lire Walter Benjamin, c'esta ccepter de ne pas toujours le comprendre, mais d'accueillir ce penser poétiquement comme y invite René Char dans les Matinaux : «J'aime qui m'éblouit puis accentue l'obsur à l'intérieur de moi.» René Char Les Matinaux»
40 « … il écrit quelques semaines plus tard à Gretel Adorno : « La guerre et la constellation qui l'a amenée m'ont conduit à mettre par écrit quelques pensées dont je peux dire que je les ai tenues enfermées, oui, enfermées face à moi pendant vingt ans. » Telle est sans doute la nature obsidionale de toute création de pensée : un artiste n'a pas d'idées mais des obsessions. Elles l'assiègent, jusqu'au moment où il ne peut plus les contenir. En 1940, pour Walter Benjamin, les défenses ont cédé. »
44-45 « Dans la plus célèbre de ses thèses « sur le concept d'histoire », la neuvième. Walter Benjamin a donné un inoubliable visage à cette catastrophe lente à venir. C'est 1'Angelus novus de Paul Klee. ... » Suite de cet extrait

Walter Benjamin : avertissement d’incendie de Mickaël Löwie

Autre édition http://www.lyber-eclat.net/
Du site de L'éclat «Les thèses Sur le concept d’histoire (1940) de ­Walter Benjamin constituent un des textes philosophiques et politiques les plus importants du XXe siècle. Dans la pensée révolutionnaire c’est peut-être le document le plus significatif depuis les Thèses sur Feuerbach de Marx. Texte énigmatique, allusif, voire sibyllin, son hermétisme est constellé d’images, d’allégories, d’illuminations, parsemé de paradoxes étranges, traversé d’intuitions fulgurantes » écrit Michael Löwy, en ouverture de cet “avertissement d’incendie” qui en propose une interprétation au mot à mot, phrase après phrase  pour en comprendre tous les enjeux.
Au croisement de ce qui est au cœur de la pensée de ­Benjamin, les Thèses proposent une vision de l’histoire à contre-courant de l’idée de progrès, témoignant d’une véritable fusion dialectique entre romantisme allemand, pensée marxiste et messianisme juif. Elles incarnent un moment de la pensée du XXe siècle où l’intelligence a ­supplanté le dogme.
Michaël Löwy enseigne à l'EHESS. Il est l'auteur de très nombreux ouvrages sur cette si particulière articulation entre romantisme et révolution qui s'incarne dans des auteurs tels que Kafka, Benjamin, mais aussi Bloch ou Lukács. Il a publié aux Editions de l'éclat, Juifs hétérodoxes, qui dresse le portrait d'un certain nombre d'entre eux.»

Une recension avril 2002 de Rita Hermon-Belot

Notes et extraits
Introduction
Page 2 D'autres livres  de Daniel Bensaïd, Stéphane Mosès, Jeanne-marie Gagnebin et Arno Münster
3 Un des « principaux concepts benjaminiens ... «l'à-présent», cet instant authentique qui interrompt le continuum de l'histoire ...»
3-4 Dans le même camp philosophique que Heidegger ? C'est Hannah Arendt qui a contribué à cette confusion dans son essais Walter Benjamin. Or dès janvier 1930 dans une lettre à Scholem «il est question de  « l'entre-choc de nos deux manières, très différentes, d'envisager l'histoire» et en avril il entrevoit avec Brecht de «démolir Heidgger»». et autre citation du Livre des passages parisiens.
4-5 "Sur le concept d'histoire" est un texte philosophique et politique le plus important du XXe siècle.
5 Trois sources différentes pour la philosophie de l'histoire de Benjamin : le romantisme allemand, le messianisme juif et le marxisme.
Pas une synthèse des trois mais une source pour une nouvelle conception.
Les thèses de la Philosophie de l'histoire n'induisent pas un système philosophique, «sa réflexion prend la forme de l'essai ou du fragment.»
Deux erreurs symétriques régulières, une coupure entre son idéalisme de jeunesse et le matérialisme de la maturité ; la deuxième serait un tout homogène. Il y a une continuité de certains thèmes et des «ruptures qui jalonnent sa trajectoire intellectuelle et politique.»
6 Une définition du romantisme allemand.
8 Existe à l'époque ««Le désir révolutionnaire de réaliser le Royaume de Dieu est ... le début de l'histoire moderne.»»
Réflexion surgit lors de cette lecture : Les idéalistes de diverses croyances et les matérialistes marxistes devant la dureté sociale contemporaine font des projections idylliques opposées à un bien-être simple immédiat. Au lieu de proposer le paradis ils devraient s’opposer à l’oppression de l’État.
Le progrès optimisme est destructeur, il ne change rien aux rapports marchands nécessaire à cette oppression. La réalité immédiate est de fait pessimiste.
L’optimisme n’est pas dans le progrès scientifique et technique. Il peut s’imaginer dans les changements relationnels qui passent par la participation directe des citoyens donc par la démocratie.
11 « Il se réclame (dans l'article sur le surréalisme en 1929) du pessimisme ... ici au service de l’émancipation des classes opprimées. Sa préoccupation n’est pas le « déclin » des élites, ou de la nation, mais les menaces que fait peser sur l’humanité le progrès technique et économique promu par le capitalisme.
Rien ne semble plus dérisoire … que l’optimisme des partis bourgeois et de la social-démocratie, dont le programme de politique n’est qu’un « mauvais poème de printemps ». Contre cet « optimisme sans conscience », cet « optimisme de dilettante », inspiré par l’idéologie du progrès linéaire ... »
15-16 Lecture et influence de Johann Jakob Bachofen (1815-1887 juriste, philologue et sociologue suisse, théoricien du matriarcat) qui a aussi influencé Élisée Reclus, remettant en cause le concept d'autorité patriarcale.
22 Pour Benjamin la publication de ces thèses «ouvrirait grand les portes à l'incompréhension enthousiaste».
23 Pensées d'une vingtaine d'années.
24 Pas compris la XVIIIe thèse citée ici. L'auteur a ajouté une thèse XVIIa retrouvée ailleurs.
26-27 Thèse XVIIa ajoutée.
27 Il reste pour Löwi des zones d'ombre dans certains passages. Mais leur lecture «a ébranlé mes certitudes ... renversé (certains de mes dogmes», dit-il. L'oblige «à réfléchir autrement ... le progrès, la religion, l'histoire, l'utopie, la politique.»
27-28 Les propositions de Benjamin présentent un intérêt pour comprendre les opprimés, les exclus, les parias, femmes, juifs, tziganes, Amérindiens, noirs ... de toutes les époques et de tous les continents.
28 Malgré des multiples lectures et études il reste pour Löwi des lectures nouvelles de ces thèses.

Benjamin ou l’apocalypse méthodologique par Marc Berdet
Résumé «Fichée au cœur des thèses Sur le concept d’histoire, que l’on considère aujourd’hui comme le testament philosophique de Walter Benjamin, la figure poétique de l’« Ange de l’Histoire » dresse un tableau apocalyptique de l’Europe des années 1930. Mais au-delà du contexte politique dont elle témoigne, cette allégorie implique aussi des questions de méthode. Car si l’Ange concerne d’abord l’historien, il frappe aussi tout chercheur en sciences sociales qui prête une oreille aux vaincus de l’histoire, aux déchets de la grande ville ou aux rebuts du récit scientiste. Par cette image, Benjamin suggère que l’apocalypse est un principe méthodologique, et qu’il convient d’accélérer la ruine pour dresser le portrait fidèle d’une époque. Il dépeint lui-même, dans son œuvre, de tels paysages apocalyptiques et développe ainsi l’art, ou la science, de faire parler les ruines.»
Extraits «L’Ange surgit au milieu des thèses, en neuvième place. L’horizon en ruine désagrège l’illusion socio-démocrate d’un progrès continu critiqué par les thèses précédentes, et annonce l’action révolutionnaire évoquée par les thèses suivantes.
Aussi l’Ange forme-t-il la charnière entre le début et la fin des thèses.
Le début concerne le matérialisme, la théologie et l’historicisme théoriquement parlant : s’il ne prend pas la théologie à son service, l’historien matérialiste qui devrait prêter l’oreille à la souffrance des vaincus risque de succomber à l’historicisme narcotique de l’historiographie bourgeoise, qui égrène la légende des vainqueurs comme un chapelet.
La fin passe à la pratique : contre les effets politiques désastreux de cette vision narcotique de l’histoire qui, chez les socio-démocrates comme chez les marxistes orthodoxes, a enterré le potentiel subversif des utopies socialistes (notamment Charles Fourier) et oublié les véritables révolutionnaires (Auguste Blanqui et les spartakistes), Benjamin présente ce qui pourrait constituer une nouvelle relation, vivante, entre le présent et le passé, inspirée du messianisme juif et à vocation révolutionnaire
.
L’Ange forme donc, dans le dispositif du texte, l’articulation entre la théorie et la pratique, entre l’écriture historiographique de l’histoire et son écriture politique dans l’action. Il personnifie, à cette place, la force de destruction des fourvoiements anciens. Après son passage, la dialectique des forces historiques émerge : les réels adversaires de l’Antéchrist impérial (qu’il s’agisse du Second Empire ou du Troisième Reich) se nommaient Fourier, Blanqui et les spartakistes. Les mouvements politiques et les utopies qu’ils représentent rouvrent le processus de l’histoire, et à la fin des thèses le Messie apparaît pour mettre en œuvre ce que l’Ange échouait à faire : « S’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré », autrement dit allier la rédemption messianique et la révolution sociale.
»

« Sur le concept d’histoire » : Walter Benjamin en six versions
L’édition scientifique de ce texte mythique du penseur allemand suicidé en 1940 a réclamé un véritable travail de détective
Par Publié dans Le Monde le 04 mars 2023
«De fait, les « Thèses sur le ­concept d’histoire » – son autre ­titre – articulent sous la plume d’un penseur athée et de gauche la théo­logie et la politique dans une critique radicale de la notion de ­progrès, source selon lui des défaites face au fascisme dont Benjamin finit par subir les effets sur son propre destin. Il refuse pourtant d’accepter que le fin mot de l’histoire reste aux « vainqueurs » au nom d’une prétendue nécessité à laquelle il oppose l’irruption « messianique » de la révolte des exploités.
Sur le concept d’histoire peut être considéré comme une sorte de testament laissé avant le tragique suicide de son auteur à la frontière espagnole, alors qu’il cherchait à fuir l’invasion nazie. Parce qu’il représente sans doute le texte le plus commenté de Benjamin (qui n’en a, de son vivant, jamais envisagé la publication), une mythologie l’entoure, que Gérard Raulet s’efforce de dissiper en superposant les six versions tirées des archives, dont aucune ne peut revendiquer, confie-t-il au « Monde des livres », de donner le « dernier mot ».
Il préfère y repérer une « préface épistémo-critique » dont les premières élaborations remonteraient à 1935. Selon lui, Benjamin y aurait édifié l’armature théo­rique des projets sur lesquels il travaillait dans les années 1930 et qu’il ne put achever. Condensées à l’extrême, les « Thèses » sont considérées par l’éditeur comme une sorte de geste « esthétique » dépassant infiniment le contenu dans lequel ses nombreux interprètes cherchent à le figer. L’équilibre en tension entre le messianisme et le marxisme n’y aboutirait pas forcément à un système, et l’accent penche tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre. La trace d’événements tragiques comme le pacte germano-soviétique d’août 1939 s’y retrouve toutefois (« En un instant où les politiciens en qui les adversaires du fascisme avaient placé leurs espoirs gisent à terre et aggravent leur défaite en trahissant leur propre cause »).
Lire aussi (2014) :  Article réservé à nos abonnés  Walter Benjamin, penseur culte
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Le halo d’inconnu qui entoure leur genèse est d’ailleurs renforcé par le cheminement chaotique des six versions, entre le sud de la France occupée où Benjamin trouve refuge, à Lourdes notamment où il séjourne avec Hannah Arendt (à qui il a remis un manuscrit), la Suisse où sa sœur Dora Benjamin en copie un, et les Etats-Unis, où s’est replié l’Institut de ­recherche sociale, dirigé par les philosophes et sociologues Max Horkheimer et Theodor Adorno, l’ami de Benjamin. C’est à New York que le texte paraît pour la première fois, à partir d’un original difficile à identifier, en 1942, dans une brochure au stencil ­tirée à peu d’exemplaires. Dans l’atmosphère américaine de l’époque, certains termes ou allusions sont édulcorés ou supprimés, comme la mention de Spartacus, évoquant fâcheusement l’insurrection communiste allemande de janvier 1919, ou la notion marxiste de « matérialisme historique », qui devient « dialectique historique ».»

Critique en temps de crise par Philippe Ivernel

https://www.klincksieck.com/
Du site de l'éditeur «Philippe Ivernel engage vers 1960 une thèse intitulée Walter Benjamin. Critique en temps de crise. Retrouvé dans ses archives après sa disparition en 2016, ce travail inédit et resté inachevé a donné l’impulsion première à ce recueil de textes qui couvre plus de cinquante années de recherches consacrées au philosophe berlinois. Une double ambition s’y donne à voir dès le départ : faire connaître rigoureusement, y compris dans ses dimensions les plus méconnues, la pensée de l’auteur de Sens unique et montrer comment s’y nouent, à partir des années trente, des relations singulières, complexes et parfois tendues, avec l’œuvre de Bertolt Brecht grâce à laquelle, au tout début de sa formation, Philippe Ivernel découvrit les écrits de Walter Benjamin.
La question pratique du geste et plus largement du corps, sur scène comme dans la vie, acquiert dès lors, chez Walter Benjamin et dans les interprétations proposées par Philippe Ivernel, une place éminente, de nature foncièrement politique, place rarement soulignée et où s’origine l’espace de l’action, du passage à l’action, que cette dernière renvoie à la figure de l’enfance, souvent convoquée, ou relève plus souterrainement de la sphère de l’utopie, jamais négligée.
D’articles en conférences, de préfaces en synthèses didactiques, à travers fragments et entretiens, Philippe Ivernel déploie ainsi le profil d’un Walter Benjamin critique en temps de crise : un homme non seulement en prise avec les urgences de son temps exposé aux menaces des fascismes, mais un penseur dont chaque mouvement porte à réflexion. »

Walter Benjamin Histoire d'une amitié par Gershom Scholem

éditions Les Belles Lettres
Sur leur site et la 4e de couverture «Gershom Scholem et Walter Benjamin, deux Juifs berlinois appartenant à la même génération, refusent d’emblée le mensonge et le confort. Scholem quitte dès 1923 Berlin pour Jérusalem. Il y édifiera une œuvre magistrale. À ses certitudes s’opposent les hésitations de Benjamin, la dispersion de ses écrits, la précarité de ses entreprises universitaires et littéraires, son balancement entre les séductions du marxisme et un sentiment très vif de son appartenance au judaïsme. Il envisagera même de s’installer en Palestine. 
Témoin lucide, Scholem évoque les phases et les lieux de cette amitié : le Berlin de la guerre et de l’après-guerre, la Suisse, le Paris de 1927 et de 1938. Lettres à l’appui, il apporte des précisions sur l’attitude de Benjamin envers le sionisme et le communisme, sur ses relations avec d’autres figures des lettres allemandes de son temps : Brecht, Buber, Ernst Bloch, Hannah Arendt, Adorno, Horkheimer et l’École de Francfort. Il retrace la formation de la pensée de Benjamin, sa conception du rôle du critique littéraire, ses goûts artistiques, sa position ambiguë devant le marxisme. Il constate son double refus ; ni Moscou, ni Jérusalem, puis le caractère tragique de son exil : pour Benjamin, chassé d’Allemagne par le nazisme en 1933, Paris, « capitale du XXe siècle », siège d’une littérature dont il est le critique et le traducteur (Baudelaire, Proust), sera un lieu de solitude et d’angoisse avant le suicide d’octobre 1940 à la frontière espagnole. Au moment où l’œuvre de Walter Benjamin est l’objet d’une attention croissante, cet essai de Gershom Scholem est une contribution essentielle à sa compréhension.»
«À un Scholem austère, passant de la philosophie et des mathématiques à l'exégèse biblique et talmudique, migrant en Palestine dès 1923 pour y devenir l'historien majeur de la mystique juive, répond un Benjamin errant, exilé à Paris en 1933, submergé par sa curiosité tous azimuts et sa puissance intellectuelle d'analyse.»
Le Monde des Livres - 21/10/2022
Gershom Scholem (1897-1982), né à Berlin, émigre en 1923 en Palestine et devient professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem dès 1925. Il entame alors une réflexion sur l'histoire et la philosophie du judaïsme, dont il deviendra une grande voix. Il a été président de l'Académie israélienne des sciences.

Une recension par Martine Cohen 1981
Recension de  la Correspondance Scholem-Benjamin par Nicolas Weill
Dans la même sphère Hannah Arendt et Gershom Scholem, histoire d’une amitié paradoxale

Table des matières et quelques extraits
- Avant-propos 
- Les premiers contacts (1915) 
- Naissance d’une amitié (1916-1917) 
- En Suisse (1918-1919)
page 113 « … il allait écrire à propos de Fichte, que par sa faute de celui-ci « l’esprit révolutionnaire de la bourgeoisie allemande était devenu la larve dont allait s’échapper plus tard la papillon à tête de mort du national-socialisme ».
146 Anarchisme théocratique ? « Nous parlâmes également beaucoup de politique et notamment du socialisme, ainsi que de la situation de l'homme dans une éventuelle société socialiste ; nous avions tous deux de grandes craintes à ce sujet. En fait, l'anarchisme théocratique nous paraissait toujours la réponse la plus pertinente aux problèmes politiques. Je venais alors de rédiger un article où je critiquais longuement la revue des « socialistes populaires » palestiniens qui s'intitulait Hapoël hatsaïr (« Le jeune ouvrier ») ; dans cet article, je manifestais mes craintes concernant le sort des intellectuels dans un système socialiste. J'écrivais : « Dans un tel système, l'intellectuel ne pourrait tenir que le rôle de l 'aliéné » , phrase que je relis aujourd'hui (cinquante-cinq plus tard) avec une profonde frayeur dans mon journal en date du 29 juin 1919 »
146 L’intuition « Je notai la définition de Benjamin, sur laquelle je n'étais pas d'accord : « L'objet de l'intuition est la nécessité, pour un contenu qui est pressenti comme étant pur, de devenir perceptible. L'appréhension de cette nécessité s'appelle l'intuition. » Il ne put admettre ma protestation contre ce transfert théologique de l'intuition vers le domaine acoustique. Il m'expliqua que là était précisément le point important : les divers domaines ne peuvent pas être séparés entre eux ; il n'y a pas d'intuition pure qui ne soit une perception, non certes la perception d'une voix, mais celle d'une nécessité. »
- Les premières années de l’après-guerre (1920-1923) 
- Confiance malgré l’éloignement (1924-1926)
206 Imbrication métaphysique et théologique d'un côté, matérialisme de l 'autre « Les références à la nature expérimentale, heuristique [voir eurêka], de cette fréquentation de l'univers idéologique ou, comme il lui semblait, de la pratique du communisme constituent un thème qui revient sans cesse dans les lettres qu'il m'adressa, depuis son retour de Capri à Berlin jusqu'à la fin de sa vie, ainsi que dans les conversations que nous eûmes encore. Il ne s'agissait nullement là d'un comportement tactique, utilisé pour se justifier vis-à-vis de certaines objections de principe ; bien au contraire, cette attitude correspondait, comme le monté toute sa production littéraire jusqu'à ses derniers moments, à sa conviction réelle qui ne lui permettait à aucun instant de rompre avec sa pensée antérieure et de développer une pensée neuve à partir de ce point de rupture. Il subsistait donc une sorte de juxtaposition, voire d'imbrication, entre ces deux modes de pensée, métaphysique et théologique d'un côté, matérialiste de l 'autre. Cette imbrication, qui de par sa nature ne pouvait conduire à aucun équilibre stable, est précisément ce qui confère aux travaux de Benjamin, inspirés par cette attitude, leur effet significatif et cet éclat marqué de profondeur qui les différencie de manière impressionnante de la plupart des produits du mode de pensée et de la critique littéraire matérialiste, produits qui se distinguent par l'incroyable ennui qu'ils distillent. Sa nouvelle vision produisait une fermentation dans ses idées, pour laquelle il ne trouva pas d'expression adéquate pendant longtemps, ce qui l 'incita à renvoyer à plus tard les explications écrites de nature plus précise. »… 208 « Il ajoutait ... ses réflexions sur le plan politique, nettement différencié par rapport au plan théologique, avaient, à sa grande surprise, renouvelé en divers points le contact avec une théorie bolchevique radicale, et cela dans le cadre de sa pensée propre, c'est-à-dire non matérialiste. »
209 Kafka et la Kabbale « … cela me rappelle une remarque que je fis, également au cours des années trente, devant mes élèves et que ceux-ci allaient citer fréquemment je leur déclarai que, de nos jours, pour comprendre la Kabbale, il fallait lire au préalable les écrits de Franz Kafka, et plus particulièrement Le Procès. »
- Paris (1927) 
- L’échec d’un projet (1928-1929) 
- Crises et tournants (1930-1932)
262 Brecht, Adorno, Hotkheimer, Fritz Stenberg, Karl Korsch
283 Hilarant « Il est vrai que Brecht voyait en Kafka, comme le nota Benjamin le 6 juin 1931 à la suite d’une de leur conversation, « le seul écrivain bolchévique authentique ».
296 Salman Schocken éditeur de Samuel Joseph Agnon, Martin Buber et de Franz Kafka auteurs rencontrés et ou cités.
309 « La dernière lettre de Benjamin datant de cette année-là, [1932] ..., ne pouvait, compte tenu des circonstances, qu'être profondément pessimiste. « Tu n'as qu'à te rappeler que les "intellectuels" parmi nos "coreligionnaires" sont toujours les premiers à offrir aux oppresseurs des victimes provenant de leurs propres rangs, simplement pour rester épargnés eux-mêmes. »
- Les années d’exil (1933-1940)
327 « En dépit de l'intervention de quelques protecteurs haut placés, comme Alexis Léger, Gide et Giraudoux, qu'il connaissait depuis les années vingt, ces démarches restèrent vaines. Il faut dire, à propos de Giraudoux - qui l'avait aidé à obtenir un permis de séjour en France - que celui-ci allait certes devenir Commissaire général à l'information à la veille de la guerre, mais en même temps allait prendre des positions de plus en plus nettement antisémites, comme le prouve son livre « Pleins pouvoirs », publié en 1 939, qui contient des accents que n'aurait pas désavoués Julius Streicher. » Julius Streicher éditeur antisémite allemand devenu cadre du NSDAP. Il participe au putsch manqué de Munich en et est condamné à mort en 1946 au procès de Nuremberg.
Les propos de Giraudoux montrent de l'idiotie, peut-être due à de l'ignorance. Est-ce d'époque ? Mais certains à cette même époque n'ont pas cette façon xénophobe de penser, xénophobe au sens large, la haine de la différence.
332 « … dans les cercles marxistes … Benjamin n’avait rencontré qu’une seule avec laquelle il avait pu nouer une amitié exempte de toute ambiguïté : il s'agissait de Fritz Lieb, un personnage vraiment extraordinaire. Lieb, un des disciples les plus originaux de Karl Barth, avait eu une authentique formation de théologien - il était alors « Privatdozent » de théologie à l 'université de Bâle - ce qui ne l'empêchait pas d'être, de façon tout aussi authentique, un socialiste fidèle au credo communiste. Il était donc le seul, dans ce milieu, à qui la dimension théologique, telle qu'elle existait chez Benjamin à cette époque, fût directement compréhensible, et qui l'appréciât, sans le moindre embarras, comme significative. Ainsi, les deux hommes pouvaient parfaitement se rencontrer sur le plan de leurs aspirations personnelles. ... Lieb, dont je ne fis la connaissance que vers la fin de sa vie, avait un rayonnement spécifique qui émanait de l'univers de la foi ; il n'y avait, bien sûr, rien de cela chez les autres. »
Fritz Lieb «...l'Université de Bonn ... en 1931, il est nommé professeur associé, mais doit quitter l'Allemagne après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes en 1933 et l'émigration à Paris. Au cours de ses trois années à Paris, Lieb a fondé l'Académie allemande libre antifasciste et a maintenu des contacts étroits avec, entre autres, avec Walter Benjamin et Heinrich Mann, ainsi qu'avec le philosophe russe Nikolai Berdjajew, collaborateur de sa revue Orient et Occident, qu'il a fondée en 1929.»
340-341 Xénophobie chez des intellectuels de gauche « … nous eûmes une discussion sur l'antisémitisme. Lorsque je séjournai à Paris, le livre de Céline, « Bagatelles pour un massacre », venait de paraître et s'étalait un peu partout dans les vitrines des libraires ; il s'agissait d'un violent pamphlet antisémite de plus de six cents pages. Ayant toujours porté intérêt à la littérature antisémite, je l'achetai immédiatement, bien que ma connaissance du français ne fût guère suffisante pour comprendre beaucoup plus de la moitié du vocabulaire, d'une vulgarité extravagante, de l'autour. Ce livre fut très remarqué. Que le nihilisme de Céline eût trouvé son expression naturelle dans la haine des Juifs, voilà qui devait donner à penser. Benjamin n'avait pas encore lu le livre, mais il était parfaitement conscient de l'étendue de l'antisémitisme en France. Il me raconta que, dans les cercles littéraires français, les admirateurs de Céline évitaient de prendre une position nette sur le livre, en affirmant : « Ce n'est qu'une blague. » A mes yeux, comme je le déclarai à Benjamin, c'était là une attitude ridicule, lâche et irresponsable. Benjamin m'affirma que son expérience personnelle lui avait appris que, même parmi les intellectuels de gauche, un certain antisémitisme latent était très répandu, et que très peu de non-Juifs - parmi lesquels il cita Frietz Lieb et Adrienne Monnier - en étaient exempts, congénitalement si l 'on pouvait dire. Il me cita quelques exemples de cet antisémitisme ; je serais aujourd'hui gêné de les mentionner, alors que je m'en souviens parfaitement. »

Novembre 2022

Walter Benjamin L'ange assassiné de Tilla Rudel


https://victoires.com/editeur/3-menges

https://www.philomag.com/livres/walter-benjamin-lange-assassine
«Une recension de Marion Rousset, publié le 03 octobre 2012 C’est un portrait sensible et documenté, nourri de multiples rencontres, que dessine Tilla Rudel dans l’ouvrage qu’elle consacre à Walter Benjamin. Le portrait d’une des figures intellectuelles majeures du XXe siècle, incarnation de « la pureté et la beauté de l’échec ». L’auteur, qui ne cache pas son admiration pour ce « héros de notre temps », nous invite à suivre ses traces pas à pas, de sa naissance en 1892 à Berlin dans une famille bourgeoise à son exil, jusqu’à son suicide en 1940. Au fil des pages, le libre penseur allergique à tous les systèmes, le joueur, l’éternel voyageur en proie à « une tristesse propre à l’âme juive déracinée », gagne en épaisseur. Tilla Rudel a su rendre plus proche, plus présent, cet homme pudique à l’œuvre « inachevée, anachronique, inqualifiable, injuste, imparfaite, éclatée, faite de traits fulgurants, de fusées éclairantes ».»

&

4ème de couverture «Quand Walter Benjamin se suicide le 26 septembre 1940 à Port-Bou, à la frontière franco-espagnole, c'est, à bien des égards, la pensée qu'on assassine... S'il meurt inconnu ou presque, Walter Benjamin, né à Berlin en 1892, connaît à titre posthume une gloire qui fait de lui un véritable Socrate des temps modernes. Celui que Susan Sontag présente comme " le dernier Européen ", " le dernier Intellectuel " est à la fois fils de Moïse et de Marx, ami de Brecht, Schotem, Arendt et Adorno en même temps que frère de cœur de Kafka. Il " invente " la modernité tout en cultivant la mélancolie. On lui doit une oeuvre exceptionnelle qui récuse les systèmes, abroge les frontières entre les disciplines, explore nombre de formes, donne au fragment, à l'inachevé, à la citation ses lettres de noblesse. Le destin hors du commun de ce " héros de notre temps " mérite d'être écrit : rejeté par l'Université de son temps, hanté par des figures de suicidés, d'exilés, dévoré par d'impossibles passions féminines, collectionneur fou, rattrapé par la pauvreté, Benjamin le juif apatride connaît finalement l'exil et la solitude. Il a la passion de Paris où il vivra si longtemps, de la littérature française dont il est un traducteur exceptionnel. Il ne s'installera jamais en Palestine ni en Union soviétique, même si son cœur et sa raison balancent souvent entre Jérusalem et Moscou. Il voyage, vit et écrit dans cette Europe qu'il se refuse à quitter quand le chaos s'annonce avec la Seconde Guerre mondiale. L'ange qui était à ses côtés à la naissance a fini par être assassiné. Benjamin est devenu aujourd'hui une icône. Sa vie, comme son œuvre, le distingue. Une vie et une pensée faites de malentendus aussi magnifiques que tragiques. Walter Benjamin incarne ainsi, pour des générations, " la pureté et la beauté de l'échec ".»

Page 53 « Dans Agesilaus Santander, il écrit : « Dans la chambre que j'ai habitée à Berlin, celui-là (homme), avant qu'il ne vienne à la lumière, issu armé et cuirassé de mon nom, a fixé son image sur le mur : ange nouveau. La kabbale raconte qu'à chaque instant Dieu crée une multitude de nouveaux anges, qui tous ne sont destinés, avant de se dissoudre dans le néant, qu'à chanter un instant devant son trône ses louanges. Le nouveau s'est présenté comme l'un de ces anges avant qu'il veuille se nommer. Je crains seulement de l'avoir enlevé un temps abusivement long à son hymne. D'ailleurs, il me l'a fait payer. En effet, tirant parti du fait que.je suis venu au monde sous le signe de Saturne - l'astre à la révolution la plus lente, la planète des détours et des retards - il envoya sa forme féminine rejoindre sa forme masculine dans l'image par le plus long, le plus néfaste détour, bien que toutes deux eussent été autrefois - mais elles ne se connaissaient pas - très intimement voisines. » »
83-84 « Mais c 'est surtout par la littérature, par la langue allemande, considérée comme la langue de la civilisation, que les juifs ont contribué à la culture allemande. Walter Benjamin le sait qui manie très tôt avec précision et force cette langue écrite. La poétesse Else Laskel-Schüler incarne parfaitement l'esprit de Weimar. Karl Kraus, ami de Walter Benjamin, a dit à son propos que depuis Goethe, il n'y a pas eu de poète dont le langage et les idées, l'âme et la sonorité aient été si profondément liés et qu'il donnerait volontiers tout Haine pour un soul poème d'Else Laskel-Schüler. Elle devient la figure exemplaire de la bohème berlinoise dont elle est l'égérie. Dans les cafés, Else croise Walter Benjamin, malgré le peu d'intérêt que celui-ci éprouve pour la vie trépidante du moment. De fortes amitiés se nouent entrre les écrivains Franz Werfel, Georg Trakl, Karl Kraus, le poète Albert Ehrenstein, (les peintres comme George Grosz, Franz Marc, Sonia Delaunay, Marc Chagall ou des hommes de théâtre comme Max Reinhard. On doit au mari d'Else, le musicien Herwath Walden, la fondation de la célèbre revue Der Sturm qui devient rapidement le centre d'un mouvement artistique international. Les peintres de Die Brücke rejoignent Der Sturm et dans le sillage de la revue naissent également l'expressionnisme, le futurisme, le dadaïsme ... Herwarth Walden possède également une maison d'édition spécialisée en littérature ainsi qu'une galerie où Esse Lasker-Schüler se lie d'amitié avec Guillaume Apollinaire : Oscar Kakoschka, Biaise Cendrars, Juan Gris et Vassili Kandinsky. Un grand nombre de ces artistes sont juifs, mais le sentiment d'appartenir à la nation et à la culture allemande prédomine. Benjamin est, quant à lui, partagé. t.'idée d'une symbiose judéo-allemande naîtra plus tard, théorisée par le philosophe Hermann Cohen, créateur de l'école de Marburg. Pour lui, c'est une vérité de l'histoire culturelle, de la politique et du sentiment du peuple allemand : « En tant qu'Allemands nous voulons être juifs, en tant que juifs, allemands. » Quant à Else Laskel-Schüler, elle est contrainte, comme Benjamin, de s'exiler : elle part ainsi en Suisse en 1932 après avoir été attaquée dans les rues de Berlin et traitée par un groupe de SA de « juive pornographique ». Déchue de sa nationalité allemande en ï938, Clic réside à Jérusalem jusqu'à sa mort cn 1945. Inhumés surie mont des oliviers, elle partage avec Walter Benjamin le triste privilège d'une tombe disparue, absente. Il est, sur terre comme au ciel, des anges dont seule une pauvre plaque rappelle, dans un cimetière, la mémoire »
A partir de la page Wikipédia de Else Laskel-Schüler :
«Werner Kraft
inscrit dans son journal intime à cette date du 16 janvier 1945, le début du poème Gebet [prière] de Lasker-Schüler.
La sculpture Ange pour Jérusalem d'Horst Meister, dans la forêt d'Aminadav à côté du mémorial Kennedy, est accompagnée de ces mêmes vers.»
Traduit à l'aide de Translate.google avec deux corrections

«Ich suche allerlanden eine Stadt,
Die einen Engel vor der Pforte hat.
Ich trage seinen großen Flügel
Gebrochen schwer am Schulterblatt
Und in der Stirne seinen Stern als Siegel.

Und wandle immer in die Nacht ...
Ich habe Liebe in die Welt gebracht, -
Daß blau zu blühen jedes Herz vermag,
Und hab ein Leben müde mich gewacht,
In Gott gehüllt den dunklen Atemschlag.

O Gott, schließ um mich deinen Mantel fest;
Ich weiß, ich bin im Kugelglas der Rest,
Und wenn der letzte Mensch die Welt vergießt,
Du mich nicht wieder aus der Allmacht läßt
Und sich ein neuer Erdball um mich schließt.»
Je cherche une ville partout,
Qui a un ange à la porte.
Je porte sa grande aile
Gravement cassé à l'omoplate
Et sur son front son étoile en forme de sceau.

Et je marche toujours la nuit…
J'ai apporté l'amour au monde, -
Pour que chaque cœur puisse fleurir en bleu,
Et je me suis réveillé fatigué de toute une vie,
Enveloppé en Dieu, le souffle sombre battait.

Ô Dieu, ferme ton manteau autour de moi ;
Je sais que je suis le reste dans la boule de verre,
Et quand le dernier homme quittera le monde,
Tu ne me laisseras plus sortir de ma toute-puissance
Et un nouveau globe se referme autour de moi.

86 « Dès 1920, les associations d'étudiants ferment leurs portes aux étudiants juifs et sanctionnent ceux d'entre eux qui se marient avec des juives. La littérature antisémite inonde les librairies avec des versions allemandes des Protocoles des sage de Sion et les œuvres d'Artur Dinter. En 1921, le point 4 du programme du Parti national-socialiste prévoit l'exclusion des juifs de la citoyenneté allemande, de la fonction publique et des médias. Néanmoins, malgré ces signes flagrants, rares sonnes juifs qui en 1921 se sentent déjà menacés ... »

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