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Arthur Schopenhauer
«Le monde comme volonté et représentation»

Mots, idées, concepts, personnalités repérés : Plotin

Le Monde comme volonté et représentation, pour Michel Piclin dans le Magazine Littéraire de janvier 1995, est, avec les Ennéades de Plotin et l'Ethique de Spinoza, l'un des plus beaux livres de métaphysique. On y trouverait, entre autre, une structure philosophique subtile et puissante.
Je devrais y comprendre que l'espace et le temps ne seraient plus que des idéalités sensibles. Les vérités éternelles de la géométrie pour Platon ne seraient liées qu'à notre propre vision du monde. Pour Piclin ainsi d'autres êtres sensibles peuvent être soumis à d'autres structures spatio-temporelles. Et pour Schopenhauer le couple sujet-objet n'a aucune valeur ontologique, tous deux apparaissant et disparaissant ensemble.
Michel Piclin est l'auteur de "Schopenhauer ou le tragédien de la volonté" chez Seghers et "Schopenhauer" chez PERSÉE : Université de Lyon, CNRS & ENS de Lyon

« Le talent est pareil à un archer qui touche une cible que les autres ne peuvent atteindre, le génie pareil à celui qui en touche une que les autres ne sont pas même capables de voir », page 1771

Une approche https://la-philosophie.com/le-monde-comme-volonte-comme-representation-schopenhauer

Entendu sur franceculture/les-chemins-de-la-philosophie/schopenhauer-Christophe Bouriau :
Pour Christophe Bouriau le Vouloir plus que la Volonté.
À 19'32 : Échapper à la tyrannie du désir source de conflits par l'écriture philosophique et se dévouer aux autres.
20'45 Le mal est métaphysique. Il vient du Vouloir vivre, moelle substantielle de l'univers qui tend aveuglément sans but, juste se maintenir à travers les espèces.
27'14 Comparaison de l'absurde chez Schopenhauer et chez Camus. «Il faut imaginer Sisyphe heureux» veut dire que ce qui compte c'est le chemin.
Le texte en ligne https://www.schopenhauer.fr/oeuvres/le-monde-ebook.html

Dans l'édition folio-essais avec le tome 2 on arrive à environ 2000 pages.
Le tome 1 c'est 71 courts chapitres répartis sur 4 livres, suivi d'une Critique de la philosophie kantienne.
Le tome 2 est le complément du premier en 50 autres chapitres.
C'est donc environ 1700 pages pour le Monde et plus de 300 pages de notes.
J'essaie de noter l'essentiel, mais cet essentiel changera avec d'autres lectures.
Extraits de la traduction Auguste Burdeau de 1912 que l'on retrouve dans l'édition Quadrige des puf.
Voici les têtes de chapitres qu'il a ajoutées. Têtes de chapitres en pdf
Il a aussi ajouté un numéro et un titre à chaque chapitre de La critique de la philosophie kantienne.
J'ai choisi les chiffres arabes pour les chapitres du tome 1 et les chiffres romains pour ceux du tome 2.
Notes de l'édition folio-essai 2009
Le lecteur se trouve devant un vrai jeu de pistes, les chapitres se prolongeant, se détaillant, se précisant en aval comme en amont. Par exemple le chapitre 60 pour les traducteurs de Folio-essais est le développement du chapitre 26 du même 1er tome.
Il y a un travail à faire sur les liens internes à l'ensemble des deux tomes, sans compter les autres textes précédents ou suivant le Monde ... Comme le travail écrit sur les liens internes de L'Éthique de Spinoza, une sorte de nappage, réalisé par Pierre macherey dans son Introduction à l'Éthique de Spinoza. Le réseau démonstratif de l'Éthique à la fin du premier volume (sur les 5).

Termes trouvés dans le texte voir dans Définitions

Préface - édition folio-essais de Vincent Stanek
Page 17 Abolition de l’opposition entre le sujet et l’objet ;
Le passage de la conscience empirique, où sont inclus tous les mots inhérents à ce monde (erreur, hasard, méchanceté, folie …), à une conscience supérieure gage d’amélioration … pas seulement gnoséologique.
Donc la lecture du Monde n’est pas juste une recherche intellectuelle mais aussi une recherche éthique pour ne pas dire morale.
Misrahi revendique la même approche avec l’Éthique de Spinoza.
Comment choisir le fondement de sa morale ? Il suffit de regarder la vie de l’auteur pour s’aider dans son choix. Par ses recherches de bien vivre ensemble Spinoza exprime plus un altruisme que la misanthropie de Schopenhauer qui n'aimait que son chien.
Description courte des 4 parties :
* Rajouté : Pour Victorine de Oliveira dans le Philosophie magazine du 30 novembre 2022
21 1ère partie : Limites du principe de raison qui par ses 4 formes détermine les rapports entre les phénomènes - https://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_de_raison_suffisante - la première forme citée : la causalité.
* «Schopenhauer y discute son idée principale : la monde est la représentation du sujet, ce qui signifie que l’entendement se tient toujours entre l’objet et le sujet qui l’observe (et non pas que le monde est une illusion, une fabrication complète). Dans cette première partie, l’auteur poursuit le chemin tracé par Kant.»
23 Le second livre : « On quitte la propédeutique ..., pour entrer dans la métaphysique. »
* «Avec le concept de volonté, Schopenhauer s’affranchit de son maître. Alors que Kant décrit une dimension de la réalité qui demeure inconnaissable, la « chose en soi », Schopenhauer avance que l’on peut en avoir l’intuition et qu’il s’agit d’une force que chacun peut sentir en soi : la volonté. Par ailleurs, cette dernière ne concerne pas que les êtres humains mais l’intégralité du monde organique et inorganique.»
27 Le livre 3. Comme « l’arc-en-ciel l’art est une oasis dans un monde de souffrance … sublimation du regard … archétypes des phénomènes ... » Là on rejoint le symbolisme qui n’est pas une première interprétation du phénomène, l’archétype. L’archétype serait-il la vision d’une idée de l’objet observé qui serait indépendante de l’objet lui même ?
* «Schopenhauer analyse les différentes formes d’art (peinture, sculpture, poésie…) comme échappatoire au tourbillon infernal de la volonté. Il revient à Kant et à sa définition du plaisir esthétique comme désintéressé, et voit dans le sublime la possibilité de se soustraire à la volonté. Il accorde à la musique un rôle privilégié : expression de la volonté, elle révèle également la structure profonde du monde via l’harmonie.»
31 Le livre 4
32-33 Ce livre « accumule les avertissements de prudence : qu’on aille pas demander à la philosophie de sonder l’insondable. »
* «Ce sont les pages à la fois les plus inspirées et les plus noires de l’ouvrage. Schopenhauer y décline sa vision désespérée d’un monde où la volonté se vit sur le mode de la douleur, du déchirement et de l’insatisfaction permanente. Il discute de l’égoïsme et du suicide comme horizons quasi immanquables de la volonté.»

Préface de la deuxième édition
Page 56 «Celui qui prend à cœur, qui prend en main une œuvre sans utilité matérielle, doit d’abord n’attendre aucun intérêt de la part de ses contemporains.» Donc être désintéressé car : «... toute intention intéressée menace et met en danger la vue juste
57 «...dès que Kant eut rénové aux yeux de tous la philosophie, qu’elle devînt un instrument pour de certains intérêts : intérêts d’État en haut, intérêts individuels en bas »
«...la vérité n’est pas une fille qui saute au cou de qui ne la désire pas ; c’est plutôt une fière beauté, à qui l’on peut tout sacrifier, sans être assuré pour cela de la moindre faveur.»

Livre 1 Le monde comme représentation - Première considération
LE MONDE COMME REPRÉSENTATION - PREMIER POINT DE VUE: LA REPRÉSENTATION SOUMISE AU PRINCIPE DE RAISON SUFFISANTE L’OBJET DE L’EXPÉRIENCE ET DE LA SCIENCE
Chapitre 1
LE MONDE EST MA REPRÉSENTATION. MATIÈRE DU LIVRE PREMIER.
« Le monde est ma représentation. – Cette proposition est une vérité pour tout être vivant et pensant, bien que, chez l’homme seul, elle arrive à se transformer en connaissance abstraite et réfléchie. Dès qu’il est capable de l’amener à cet état, on peut dire que l’esprit philosophique est né en lui. » « Il accède à la réflexion philosophique »
Trouver une vérité hors des phénomènes, plus générale, que « le temps, l’espace et la causalité ».
et note 2 page 969 « temps, espace et causalité sont … les trois grandes formes de la représentation, subordonnées à cette forme générale qu’est la distinction entre sujet et objet ... » Voir aussi en chapitre 2 (80) et notes 12, 13 et 14 page 972
« Le monde est notre représentation » « Cette vérité est d’ailleurs loin d’être neuve. Elle fait déjà le fond des considérations sceptiques [Pyrrhon est considéré comme l’initiateur de la philosophie sceptique] d’où procède la philosophie de Descartes. Mais Berkeley fut le premier à l’énoncer clairement ... »
Georges Berkeley : sa base philosophique « est : que le monde, représenté par nos sens, requiert d'être perçu pour exister en tant que tel » En dehors de vous rien n’existe.
Pourquoi ne pas suivre Schopenhauer qui suit Berkeley où tout ce qui nous entoure est notre illusion ? Schopenhauer ne le suivait pas complètement en soutenant la répression de la révolution de 1848 par peur de voir disparaître ses ressources de rentier. Et si tout est notre interprétation sensorielle ceci n’empêche pas la réalité. C’est notre espoir d'humain d’aller vers cette réalité.
Dans "Voyage au cœur de l'espace-temps" de Stéphane d'Ascoli et d'Arthur Touati - 2021 - chez First éditions pages 52 et 53. Suivant la relativité restreinte d'Albert Einstein le temps et l'espace sont relatifs à la place de l'observateur par rapport au mouvement. Entre le passé et le présent s'ouvre un présent étendu séparé par la causalité (pages 50 et 51). Nous retrouvons l'empirisme transcendantale de Kant repris par Schopenhauer.
Traduction en bas de page d'un ajout dans la dernière version « Pas de déni de l’existence de la matière … ce serait de la folie … existence et perceptibilité étant des concepts interchangeables »
Ouf, nous existons ! Pas clair tout ça, contradictoire.  Il a eu besoin de faire cet avertissement.
« ...chacun peut et doit dire : « Le monde est ma volonté ». »
« En attendant, il nous faut, dans ce premier livre, envisager le monde sous un seul de ses aspects, celui qui sert de point de départ à notre théorie, c’est-à-dire la propriété qu’il possède d’être pensé (la cognoscibilité dans le folio-essais). Nous devons, dès lors, considérer tous les objets présents, y compris notre propre corps ..., comme autant de représentations et ne jamais les appeler d’un autre nom. La seule chose dont il soit fait abstraction ici ..., c’est uniquement la volonté, qui constitue l’autre côté du monde : à un premier point de vue, en effet, ce monde n’existe absolument que comme représentation ; à un autre point de vue, il n’existe que comme volonté. Une réalité qui ne peut se ramener ni au premier ni au second de ces éléments, qui serait un objet en soi (et c’est malheureusement la déplorable transformation qu’a subie, entre les mains même de Kant, sa chose en soi), cette prétendue réalité, dis-je, est une pure chimère, un feu follet propre seulement à égarer la philosophie qui lui fait accueil.»
Chap. 2
OBJET ET SUJET ; ILS SE CONDITIONNENT MUTUELLEMENT ; LE PRINCIPE DE RAISON.
« ce qui connaît tout et n’est connu par personne, c’est le SUJET. » Qui est-il ?
«Ce sujet, chacun le trouve en soi, en tant du moins qu’il connaît, non en tant qu’il est objet de connaissance. Notre propre corps lui-même est déjà un objet, et, par suite, mérite le nom de représentation. Il n’est, en effet, qu’un objet parmi d’autres objets, soumis aux mêmes lois que ceux-ci ; c’est seulement un objet immédiat. Comme tout objet d’intuition, il est soumis aux conditions formelles de la pensée, le temps et l’espace, d’où naît la pluralité.»
« Le monde comme représentation … possède deux parties … inséparables. L’une est l’OBJET, dont les formes sont le temps et l’espace, conditions de la multiplicité. [ET] l’autre partie, le sujet, ne réside pas dans le temps et l’espace … entière et indivise en tout être capable de représentation … ces deux parties sont inséparables ... »
Un sujet unique au dessus de tout, pourtant ne se revendiquait-il pas athée ? Ou un sujet unique, Soi, qui disparaîtrait avec moi ?
et 971 Notes 11 à 14 Corrélation entre objet et sujet.
Note 12 «Temps et espace sont les formes de l'intuition pure, que Schopenhauer reprend de l'Esthétique transcendantale de Kant. ...»
Note 14 Tableau des quatre classes de représentations empiriques, concepts, intuitions a priori, volonté.
Chap. 3
LA REPRÉSENTATION INTUITIVE. SES FORMES, DÉRIVÉES DU PRINCIPE DE RAISON : LE TEMPS ET L’ESPACE.
«La plus grande différence à signaler entre nos représentations est celle de l’état intuitif et de l’état abstrait. Les représentations de l’ordre abstrait ne forment qu’une seule classe, celle des concepts, apanage exclusif de l’homme en ce monde. Cette faculté qu’il possède de former des notions abstraites, et qui le distingue du reste des animaux, est ce qu’on a de tout temps appelé raison.»
«... la représentation intuitive. Celle-ci comprend tout le monde visible, ou l’expérience en général, avec les conditions qui la rendent possible. Kant, comme nous l’avons dit, a montré (et c’est là une découverte considérable) que le temps et l’espace, ces conditions ou formes de l’expérience, éléments communs à toute perception et qui appartiennent également à tous les phénomènes représentés, que ces formes, ... peuvent non seulement être pensées in abstracto, mais encore saisies immédiatement en elles-mêmes et en l’absence de tout contenu ; il a établi que cette intuition n’est pas un simple fantôme résultant d’une expérience répétée, qu’elle en est indépendante et lui fournit ses conditions, plutôt qu’elle n’en reçoit d’elle : ce sont, en effet, ces éléments du temps et de l’espace, tels que les révèle l’intuition a priori, qui représentent les lois de toute expérience possible.»
Chap. 4
LA MATIÈRE, OBJET DE L’ENTENDEMENT. ELLE EST ESSENTIELLEMENT ACTIVE, ET SOUMISE A PRIORI À LA CAUSALITÉ.
«Être cause et effet, voilà donc l’essence même de la matière ; son être consiste uniquement dans son activité.
Si le temps et l’espace peuvent être connus par intuition chacun en soi et indépendamment de la matière, celle-ci ne saurait en revanche être aperçue sans eux.
...la matière ne suppose pas seulement le temps et l'espace, chacun séparément : son essence est constituée d'une union de temps et d'espace [du fait] que son essence réside dans la causalité.»
«...la causalité qui forme le lien entre le temps et l’espace. Or nous avons vu que toute l’essence de la matière consiste dans l’activité, autrement dit dans la causalité ; il en résulte que l’espace et le temps se trouvent ainsi coexister dans la matière : celle-ci doit donc réunir dans leur opposition les propriétés du temps et celles de l’espace, et concilier (chose impossible dans chacune des deux formes isolée de l’autre) la fuite inconstante du temps avec l’invariable et rigide fixité de l’espace : quant à la divisibilité infinie, la matière la tient de tous deux ; c’est grâce à cette combinaison que devient possible tout d’abord la simultanéité ; celle-ci ne saurait exister ni dans le temps seul, qui n’admet pas de juxtaposition, ni dans l’espace pur, à l’égard duquel il n’y a pas plus d’avant que d’après ou de maintenant
«C’est de la combinaison du temps et de l’espace que résulte la matière, qui est la possibilité de l’existence simultanée ; la durée en dérive aussi, et rend possible à son tour la permanence de la substance sous le changement des états.»
Donc concrétisation de la matière par le temps et l'espace.
«La faculté de l’esprit correspondant au temps et à l’espace considérés en soi a été appelée par Kant la sensibilité pure ... : cette dénomination peut être conservée, en souvenir de celui qui a ouvert une voie nouvelle à la philosophie ; elle n’est cependant pas absolument exacte ; car « sensibilité » suppose déjà matière. La faculté correspondant à la matière, ou à la causalité (car ces deux termes sont équivalents), c’est l’entendement, qui n’a pas d’autre objet. Connaître par les causes, voilà, en effet, son unique fonction et toute sa puissance. ... Réciproquement, toute causalité, et, par suite, toute matière, toute réalité, n’existe que pour l’entendement, par l’entendement. La première manifestation de l’entendement, celle qui s’exerce toujours, c’est l’intuition du monde réel ; or, cet acte de la pensée consiste uniquement à connaître l’effet par la cause : aussi toute intuition est-elle intellectuelle.»
«Mais de même que l’apparition du soleil découvre le monde visible, ainsi l’entendement, par son action soudaine et unique, transforme en intuition ce qui n’était que sensation vague et confuse. Cette intuition n’est nullement constituée par les impressions qu’éprouvent l’œil, l’oreille, la main : ce sont là de simples données. Après seulement que l’entendement a rattaché l’effet à la cause, le monde apparaît, étendu comme intuition dans l’espace, changeant dans la forme, permanent et éternel en tant que matière ; car l’entendement réunit le temps à l’espace dans la représentation de matière, synonyme d’activité.»
«...l’intuition n’est pas d’ordre purement sensible, mais intellectuel ; on peut dire, en d’autres termes, qu’elle consiste dans la connaissance de la cause par l’effet, au moyen de l’entendement : elle suppose donc la loi de causalité
Chap. 5
LE PROBLÈME DE LA RÉALITÉ DU MONDE EXTÉRIEUR. LE RÊVE ET LA RÉALITÉ.
«...l'intuition se fait au moyen de la connaissance de la causalité...»
Mais pas d'effet entre l'objet et le sujet, seulement entre l'objet immédiat et médiat (voir chapitre 6 avec son propre corps objet médiat et non immédiat malgré ses impressions).
«... À ce point de vue, le monde perçu par l’intuition dans l’espace et le temps, le monde qui se révèle à nous tout entier comme causalité, est parfaitement réel et est absolument ce qu’il se donne pour être ; or, ce qu’il prétend être entièrement et sans réserve, c’est représentation, et représentation réglée par la loi de causalité.»
«le monde réel, c’est-à-dire actif, est toujours, comme tel, conditionné par l’entendement, sans lequel il ne serait rien.» «... le monde objectif est et demeure représentation, et, pour cette raison, est absolument et éternellement conditionné par le sujet ; en d’autres termes, l’univers a une idéalité transcendantale. Il n’en résulte pas qu’il soit illusion ou mensonge ; il se donne pour ce qu’il est, pour une représentation, ou plutôt une suite de représentations dont le lien commun est le principe de causalité.» Traduit Principe de raison par la traduction collective de Folio-Essais
Fin de page «Aux yeux des sens et de l’entendement, le monde se révèle et se donne avec une sorte de naïve franchise pour ce qu’il est, pour une représentation intuitive, qui se développe sous le contrôle de la loi de causalité.»
«Kant « l’enchaînement des représentations par la loi de causalité qui distingue la vie du rêve»
«La vie et les rêves sont les feuillets d’un livre unique : la lecture suivie de ces pages est ce qu’on nomme la vie réelle ; mais quand le temps accoutumé de la lecture (le jour) est passé et qu’est venue l’heure du repos, nous continuons à feuilleter négligemment le livre, l’ouvrant au hasard à tel ou tel endroit et tombant tantôt sur une page déjà lue, tantôt sur une que nous ne connaissions pas ; mais c’est toujours dans le même livre que nous lisons
«Ce monde que je ne connais que d’une manière représentative, est-il analogue à mon propre corps qui se révèle à ma conscience sous deux formes : comme représentation et comme volonté ?
La solution positive de cette question remplit le second livre, et les conséquences qui en résultent forment la matière du reste de l’ouvrage.»
Chap. 6
LE CORPS PROPRE, OBJET IMMÉDIAT : PASSAGE AUX OBJETS MÉDIATS. L’ILLUSION.
«...la conscience, qui déjà protestait contre la réduction des objets extérieurs à de simples représentations, admet difficilement pour le corps lui-même une telle explication. Cette répugnance instinctive a une raison : la chose en soi, en tant qu’elle se manifeste à l’homme comme son corps propre, est connue immédiatement, il n’en a, au contraire, qu’une connaissance médiate lorsqu’elle lui apparaît réalisée dans les objets extérieurs.»
«L’essence de la matière consiste, nous l’avons montré, dans son activité. Or, il n’y a d’action et de causalité que pour l’entendement, cette faculté n’étant que le corrélatif subjectif de l’action et de la causalité. Mais jamais l’entendement n’entrerait en activité s’il ne trouvait pas dans autre chose que lui-même un point de départ.»
«...ce n'est pas le corps lui-même qui apparaît comme un objet au sens propre du mot, mais d'abord les corps qui influent sur lui.»
«La forme de notre propre corps ne nous est donc pas révélée par la sensibilité générale ; ce n’est que par le fait de la connaissance et par la représentation, c’est-à-dire dans le cerveau, que le corps s’apparaît à lui-même comme quelque chose d’étendu, d’articulé, d’organisé»
La non communication directe entre les sens, et le rapprochement et l'interprétation des signaux de ceux-ci par le cerveau je l'ai déjà entendu à un cours sur Diderot. Qui en a déjà eu l'idée ?
«...il en résulte que tous les animaux ... possèdent un entendement? ...»
« L'entendement ... la connaissance de la causalité ... et rien d'autre
«...il ne connaît que le rapport de causalité entre l'objet immédiat et l'objet médiat, et en passant de l'effet que subit le corps à sa cause, il parvient donc à intuitionner cette dernière comme un objet dans l'espace.»
Spinoza m'a déjà donné cette vision par ses modes inclus les uns dans les autres et matérialisés par les affections.
Sinon si notre propre corps est médiat et non immédiat alors quels sont les exemples de corps immédiats. ?
«la pensée découvre l’enchaînement causal des objets médiats entre eux et pousse cette science jusqu’à pénétrer les combinaisons les plus complexes de causes et d’effets dans la nature. Cette connaissance appartient à l’entendement, et non à la raison : les notions abstraites de cette dernière faculté servent seulement à classer, à fixer et à combiner les connaissances immédiates de l’entendement, sans jamais produire aucune connaissance proprement dite.»
Pages 108 et 109 Schopenhauer réduit les 2 premières formes de connaissances déterminées par Spinoza. Si j'ai bien retenu la première est l'expérience directe, la deuxième est la réflexion et l'abstraction, et la troisième est la connaissance de la cause des causes, c'est à dire la chose en soi pour Schopenhauer. J'ai l'impression qu'ils ne mettent pas l'entendement au même niveau ?
«Le manque d’entendement est ce qu’on nomme proprement stupidité : c’est une sorte d’inaptitude à faire usage du principe de causalité, une incapacité à saisir d’emblée les liaisons soit de la cause à l’effet, soit du motif à l’acte.»
Chap. 7
ERREUR DE VOULOIR TIRER LE SUJET DE L’OBJET (MATÉRIALISME), OU L’OBJET DU SUJET (IDÉALISME DE FITCHE). RELATIVITÉ DU MONDE COMME REPRÉSENTATION.
«notre point de départ n’a été pris ni dans l’objet ni dans le sujet, mais dans la représentation, phénomène où ces deux termes sont déjà contenus et impliqués ; le dédoublement en objet et sujet est, en effet, la forme primitive essentielle et commune à toute représentation.»
«les autres formes, temps, espace et causalité, ... ces formes appartiennent proprement à l’objet en tant qu’objet ... le temps, l’espace et la causalité peuvent aussi bien être dérivés du sujet et connus a priori : à ce point de vue, ils représentent la limite commune du sujet et de l’objet. Toutes ces formes se laissent d’ailleurs ramener à une commune expression, le principe de raison»
Suit un débat indirect sur l'unité objet-sujet par l'intuition rationnelle qui pour certains serait un détachement proche de la mort ? Voir note 63 page 980
Il finit sur ses doutes sur le matérialisme et l'idéalisme de confrères. Quoiqu'il en pense je ne crois pas que même si l'on admet notre corps comme médiat et non immédiat ceci soit en contradiction avec le matérialisme.
«La marche de ma pensée se distingue toto genere de ces deux observations opposées, voici comment : je ne pars ni du sujet ni de l’objet pris séparément, mais du fait de la représentation, qui sert de point de départ à toute connaissance, et a pour forme primitive et essentielle le dédoublement du sujet et de l’objet ; à son tour, la forme de l’objet est représentée par les divers modes du principe de raison, et chacun d’eux règle si parfaitement la classe de représentations placée sous son autorité, qu’il suffit de posséder le principe pour avoir en même temps l’essence commune à la classe tout entière ; cette essence, en effet, envisagée comme représentation, consiste uniquement dans la forme même du principe : ainsi, le temps n’est que le principe d’existence au point de vue de la durée, c’est-à-dire la succession ; l’espace n’est que le principe de raison déterminé par rapport à l’étendue, autrement dit la position ; la matière n’est autre chose que la causalité ; le concept (comme nous le verrons bientôt) est tout ce qui tient du principe de connaissance. Cette relativité essentielle et constante du monde considéré comme représentation, relativité inhérente à sa forme générale (sujet et objet) tout aussi bien qu’à la forme dérivée de cette dernière (principe de raison), ce caractère, dis-je, démontre la nécessité de chercher ailleurs que dans l’univers lui-même et dans tout autre chose que la représentation l’essence intime du monde ; le livre suivant établira que cette essence réside dans un élément qui apparaît avec non moins d’évidence que la représentation chez tout être vivant.»
Tome 2 pour les chapitres 1 à 7 du tome 1
Chapitre I
LE POINT DE VUE IDÉALISTE
«... la vraie philosophie doit toujours être idéaliste ...» C'est un point de vue, en tant qu'ancien matérialiste je rejoints Spinoza où matière et idée ne font qu'un.
«Seule la conscience est immédiatement donnée ...»
«... que tout ce que nous connaissons réside à l'intérieur de la conscience.»
Ensuite il argumente contre mon point de vue de la transmission d'une réalité, mais ne me convainc pas. S'il est vrai que pour moi le monde va disparaître avec moi, ma vision est assez proche des visions des autres . Ce monde continuera à exister pour les autres.
Le monde est ma représentation, issu de ma conscience ou ma représentation consciente et inconsciente s'est pliée et se plie au monde matériel et à celui des idées ?
Schopenhauer misanthrope et sans enfant ne se projette pas après lui. Son altérité est inexistante ou pire n'est que négative.
L'intérêt de l'approche de Schopenhauer est de remettre en question la sensation de ce monde. Cette sensation est modelée par ma conscience et mon inconscient, eux-même modelés par mon environnement, par la société. Donc chercher ce Monde en Soi en échangeant avec l'autre pour s'approcher de la réalité.
«... [Kant] a prouvé, que l’espace et le temps ne sont que de simples formes de notre intuition, lesquelles par conséquent n’appartiennent pas aux choses en soi. Ce qui ni dans l’espace, ni dans le temps ne saurait être un objet, par conséquent l’essence des choses en soi, ne peut être objective, elle doit être d’une autre sorte, je veux dire métaphysique.»
«Le véritable idéalisme au contraire n’est pas l’idéalisme empirique, mais l’idéalisme transcendantal. Celui-ci ne s’occupe pas de la réalité du monde extérieur ; il se borne à soutenir que tout objet et par conséquent toute réalité empirique en général, est doublement conditionné par le sujet : d’abord matériellement, c’est-à-dire en tant qu’objet, attendu qu’une existence objective ne se conçoit que par rapport à un sujet, et en tant qu’elle est sa représentation ; ensuite formellement, en ce que le genre d’existence des objets, ou leur manière d’être représentés (espace, temps, cause) provient d’un sujet, est disposée d’avance dans un sujet.»
«De tout cet exposé, il résulte bien clairement que vouloir atteindre l’essence intime des choses est une tentative illusoire, du moins par voie de représentation et dans la connaissance pure et simple. Car la représentation n’atteint les choses que par le dehors, et par conséquent ne peut les pénétrer.»
«le sujet connaissant est un produit de la matière que de dire que la matière est une simple représentation du sujet connaissant ; seulement ce sont deux points de vue également étroits ; car le matérialisme est la philosophie du sujet qui s’oublie dans ses calculs. C’est pourquoi à cette hypothèse, que je suis une simple modification de la matière, doit s’opposer cette autre, que toute matière n’existe que dans ma représentation ; elle n’est pas moins fondée. La notion encore obscure de ces rapports semble avoir donné naissance à l’expression platonicienne... la matière est un mensonge, et pourtant vraie.»
«...la matière n’est que le support de ces forces, comme la loi de causalité n’est que la règle de leurs manifestations.»
«D’un autre côté, le point de départ et l’axiome fondamental de la philosophie subjective, « le monde est ma représentation », est également incomplet : d’abord parce que le monde est encore autre chose (chose en soi, Volonté), et que partout la forme ou la représentation n’est pour lui qu’une forme accidentelle ; ensuite,...»
«Une conscience sans objet n’est pas une conscience. Un sujet pensant a des concepts en rapport avec son objet, un sujet intuitif a des objets doués de qualités correspondantes à son organisation.»
«Tout le reste est dans un perpétuel mouvement de vie et de mort, tandis que le sujet et la matière représentent les deux pôles immobiles du monde comme représentation. On peut par conséquent considérer la matière immobile comme le reflet du sujet pur, en dehors du temps, envisagé comme condition pure et simple de tout objet. Tous deux appartiennent au phénomène, et non à la chose en soi ; mais ils sont le matériel indispensable de tout phénomène. On ne peut les obtenir que par abstraction ; ils ne sont pas donnés à l’état pur et en eux-mêmes.»
«LE SUJET
Je suis, et en dehors de moi, rien n’est. Car le monde est ma représentation.
LA MATIÈRE
Illusion téméraire ! C’est moi, moi qui suis ; en dehors de moi, rien n’existe. Car le monde est ma forme passagère. Tu n’es que le résultat d’une partie de cette forme, ton existence n’est qu’un pur hasard.
LE SUJET
Quelle sotte outrecuidance ! Ni toi, ni ta forme n’existeriez sans moi ; vous êtes conditionnés par moi. Quiconque me néglige et croit encore pouvoir penser, est le jouet d’une grossière illusion ; car votre existence, en dehors de ma représentation, est une contradiction formelle, c’est un « fer-en-bois » ; vous êtes veut dire simplement que vous êtes représentés en moi. Ma représentation est le lieu de votre existence, et ainsi j’en suis la première condition.
...»
Chapitre II
SUPPLÉMENT À LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE INTUITIVE OU D’ENTENDEMENT
«Malgré son idéalité transcendantale, le monde objectif a une réalité empirique [expérience et observation sans méthode ni science] ; sans doute l’objet n’est pas la chose en soi, mais c’est le réel, en tant qu’objet empirique.» Donc il doute, l'objet serait aussi dans la chose en soi ?
«L’espace n’existe que dans ma tête ; mais empiriquement ma tête est dans l’espace.» L’œuf ou la poule ?
«...la loi de causalité ..., en formant une sorte de pont entre les choses en soi et la connaissance que nous avons d’elles, et par suite en confirmant la réalité absolue du monde, à la représentation duquel elle est employée ; mais cela ne supprime en rien le rapport causal des objets entre eux, ni celui qui existe évidemment entre le corps du sujet connaissant et les divers objets matériels.»
«...la loi de causalité n’est qu’un lien entre les phénomènes ; elle ne les dépasse pas.» Donc pas de destin.
«Le sujet lui-même (en tant que simple sujet connaissant) appartient au pur phénomène, dont il constitue la seconde moitié en le complétant.» Le sujet ne peut donc pas espérer aller dans la chose en soi.
«Sans l’emploi de la loi de causalité, il ne pouvait y avoir d’intuition du monde objectif. Car cette intuition, ...est essentiellement intellectuelle et non simplement sensible. Les sens ne donnent que la sensation, qui n’est pas encore l’intuition.»
«Chez Locke la chose en soi n’a ni couleur, ni son, ni odeur, ni saveur ; elle n’est ni chaude, ni froide, ni tendre, ni dure, ni rude, ni polie ; cependant elle reste étendue, figurée, impénétrable, immobile ou en mouvement, capable d’être mesurée ou comptée. Au contraire, chez Kant elle a perdu toutes ces dernières propriétés, parce qu’elles ne sont possibles que grâce au temps, à l’espace et à la cause, et que ces derniers principes procèdent de notre intellect, comme les couleurs, les sons, les odeurs, les saveurs, etc., des nerfs de notre organisme. La chose en soi est devenue, chez Kant, inétendue et incorporelle. Ainsi, ce que la sensation pure et simple livre à l’intuition, qui enferme le monde objectif, se rapporte à ce que livrent les fonctions du cerveau (espace, temps, cause) comme la masse du système nerveux à la masse du cerveau, après qu’on a séparé en elle la partie qui est affectée proprement à la pensée, c’est-à-dire à la représentation abstraite, et qui par conséquent manque aux animaux.»
«...cette loi de causalité dont nous avons conscience a priori, comme un moyen dans l’intuition, cependant nous n’avons pas une conscience claire, dans la vision, de l’acte de l’entendement moyennant lequel nous passons de l’effet à la cause ; c’est pourquoi l’impression sensible ne se distingue pas de la représentation que l’entendement extrait de l’impression prise par lui pour matière brute. On peut encore moins saisir dans la conscience une différence qui d’une manière générale n’existe pas, entre la représentation et son objet ; mais nous percevons immédiatement les choses elles-mêmes, comme situées en dehors de nous ; quoiqu’il soit certain que la sensation seule peut être immédiate, et qu’elle est limitée à notre épiderme. ... l’extérieur est exclusivement une détermination de l’espace, et que l’espace lui-même est une forme de notre faculté d’intuition, c’est-à-dire une fonction du cerveau. ... l’extérieur, où nous situons les objets, à la suite des sensations visuelles, gît à l’extérieur de notre tête ; c’est là toute la scène où il se développe, à peu près comme au théâtre nous voyons des montagnes, des bois, la mer, et cependant tout cela n’est qu’en décors.» C'est un point de vue, car le poteau fait bien une bosse si on le considère juste comme une illusion.
«...quand nous lisons, ou quand nous écoutons, nous ne percevons que des mots, mais nous passons si rapidement aux idées qu’ils désignent, que c’est absolument comme si nous percevions directement les concepts ; car nous n’avons pas conscience du passage des mots aux idées.»
«Entendons-nous un son, nous ne savons d’abord, si c’est une simple sensation interne, ou si c’est réellement une affection de l’ouïe venue du dehors, puis, si le son est lointain et faible, s’il est rapproché et fort, quelle en est la direction, enfin si c’est la voix d’un homme ou d’un animal, ou le son d’un instrument. L’effet étant donné, nous cherchons la cause. Dans les sensations de l’odorat et du goût, l’incertitude est constante sur le genre de la cause, à laquelle appartient l’effet éprouvé ; tant le passage de l’un à l’autre est conscient. Sans doute dans l’acte de la vision, le passage de l’effet à la cause est inconscient, en sorte que c’est comme si cette espèce de perception était absolument immédiate, et se produisait d’elle-même dans l’impression sensible, sans coopération de l’entendement, mais la cause en est d’une part dans la perfection de l’organe, d’autre part dans le mode d’action exclusivement rectiligne de la lumière.»
Chapitre III
SUR LES SENS
«Les sens ne sont que des prolongements du cerveau ; c’est par eux qu’il reçoit du dehors, sous forme de sensation, la matière dont il va se servir pour élaborer la représentation intuitive.
Ces sensations, qui devaient servir principalement à la composition objective du monde extérieur, ne pouvaient être par elles-mêmes ni agréables, ni désagréables, c’est-à-dire qu’elles ne pouvaient émouvoir la volonté. Autrement la sensation même solliciterait notre attention, et nous en resterions à l’effet, au lieu de remonter à la cause, ce qui est ici le but ; et cela grâce à la préférence que nous accordons à la volonté, aux dépens de la représentation pure et simple ; nous ne nous référons à celle-ci, que lorsque celle-là se tait. Par conséquent, les couleurs et les sons ne nous procurent en eux-mêmes, s’ils ne dépassent pas la mesure normale, ni plaisir, ni douleur ; mais ils se produisent avec ce caractère d’indifférence qui en fait la matière propre de l’intuition proprement objective. Et c’est là effectivement ce qui se passe, autant du moins qu’il était possible dans un corps qui est entièrement Volonté, et à ce titre le fait est merveilleux. ...» Suit des commentaires sur la physiologie des sens qui sont peut-être confirmés ou infirmés par des recherches plus récentes, et suit une classification de ces sens avec des liens possibles avec l'intuition, la raison et la mémoire. L'intérêt de connaître ce fonctionnement est de déterminer où se limite l'illusion source de manipulations.
Chapitre IV
SUR LA CONNAISSANCE A PRIORI
«De ce fait que nous pouvons tirer de nous-mêmes et déterminer les lois des rapports dans l’espace, sans recourir à l’expérience, Platon concluait que toute science (ce que nous apprenons) n’est qu’un souvenir ; Kant, au contraire, que l’espace est une condition subjective et une simple forme de notre faculté de connaître.»
«Cogito, ergo sum est un jugement analytique ... Descartes a proprement voulu exprimer par là cette grande vérité, que la certitude immédiate n’appartient qu’à la conscience, c’est-à-dire au subjectif ; quant à l’objectif, c’est-à-dire tout le reste, il n’a qu’une certitude médiate, puisqu’il n’existe que par l’intermédiaire du premier ; c’est une connaissance de seconde main, et l’on doit par conséquent la considérer comme problématique.»
«...pour un esprit spéculatif les premières questions qui s’imposent, c’est : Qu’est-ce que le temps ? Qu’est-ce que cet être qui ne consiste qu’en mouvement, sans rien qui le meuve lui-même ? – Qu’est-ce que l’espace, ce néant omniprésent en dehors duquel rien ne peut exister sans cesser d’être ?»
Suivent commentaires éthologiques et mécaniques.
«Nous ne reconnaissons nullement l’action immédiate particulière de la volonté comme différente de l’action du corps, et nous ne voyons pas de lien causal entre l’une et l’autre ; toutes deux nous apparaissent comme une seule et même chose ; il est impossible de les séparer. Il n’y a entre elles aucune succession ; elles sont simultanées. C’est une seule et même chose perçue de deux façons différentes ; car ce qui nous est donné dans la perception intime (la conscience) comme un acte réel de la volonté, nous apparaît dans l’intuition externe, où le corps est objectivé, comme un acte de ce même corps.»
«Nous avons dit plus haut : Les choses, c’est-à-dire les phénomènes de la matière, car une modification et une cause ne peuvent se rapporter qu’à des phénomènes. Ce sont ces phénomènes que l’on comprend sous le nom de formes, dans un sens plus large ; seules les formes se modifient, la matière est fixe. C’est pourquoi la forme seule est soumise au principe de causalité. Mais d’autre part c’est aussi la forme qui fait les choses, c’est-à-dire qu’elle est le fondement de la diversité, tandis que la matière ne peut être pensée que comme un homogène absolu. ... [la forme donne l’essence à la chose, la matière lui donne l’existence]. C’est pourquoi la question de cause ne concerne que la forme de l’objet, son phénomène, sa manière d’être et non sa matière, et encore faut-il considérer cette manière d’être non pas comme quelque chose d’éternel, mais comme le résultat d’un changement. La réunion de la forme et de la matière, ou de l’essence avec l’existence, donne le concret, ..., c’est-à-dire une chose ; et ce sont les formes, dont l’alliance avec la matière, ..., est soumise au principe de causalité. Une trop grande extension in abstracto du concept de causalité a conduit à étendre la cause jusqu’à l’objet pris absolument, puis à son essence entière, à son existence, et enfin à la matière, si bien qu’en fin de compte on s’est trouvé autorisé à demander une cause du monde ; et c’est de là qu’est sortie la preuve cosmologique. Elle consiste à conclure, sans y être nullement autorisé, de l’existence du monde à sa non-existence antérieure ; puis à la fin à supprimer cette loi de causalité, dont elle tire toute sa force, en s’arrêtant à un premier principe, sans vouloir remonter plus haut ; ce qui est finir par un véritable parricide,... C’est sur une preuve cosmologique aussi impudente et aussi bien déguisée, que repose toute la phraséologie de l’absolu, qui, depuis soixante ans, malgré la critique de la Raison pure, ...»
«D’autre part, il n’en reste pas moins vrai, comme nous l’avons déduit dans le chapitre IV du premier volume, et mieux encore dans la seconde édition de notre traité sur Le principe de raison à la fin du chapitre XXI, que la matière est la causalité même prise objectivement, car toute son essence consiste en général dans l’agir ; elle-même est l’activité ... des choses, l’abstraction, pour ainsi dire, de leurs différents modes d’activité. Puis donc que l’être de la matière (essentia) consiste surtout dans l’agir, et que la réalité des choses (existentia) consiste dans leur matérialité, on peut affirmer de la matière, qu’en elle l’essence et l’existence coïncident et ne font qu’un ; car elle n’a pas d’autre attribut que l’existence elle-même en général, indépendamment de toute autre détermination. En revanche, toute matière empiriquement donnée (c’est-à-dire ce que nos matérialistes ignorants d’aujourd’hui confondent avec la matière) est déjà entrée dans le moule des formes, et ne se manifeste que par leurs qualités et leurs accidents ; parce que dans l’expérience tout acte nous apparaît d’une façon particulière et déterminée, et non pas simplement comme un acte général. C’est pourquoi la matière pure n’est qu’un objet de la pensée, et non pas de l’intuition...»
Tome 2 Chapitre XXIV pour le chapitre IV du tome 2
DE LA MATIÈRE - et forme - a priori - force - substance ...
«J’ai déjà traité de la matière dans les Compléments au premier livre, au quatrième chapitre, en considérant la partie de la connaissance qui nous est donnée a priori. Mais là nous n’avons pu l’envisager exclusivement qu’à un seul point de vue : nous n’en considérions en effet que le rapport avec les formes de notre intellect et non avec la chose en soi, c’est-à-dire que nous ne l’examinions que par le côté subjectif, en tant qu’elle est notre représentation, et non par le côté objectif, c’est-à-dire selon ce qu’elle peut être en soi.»
«...la matière est la volonté même, non plus en soi, mais en tant que perçue par intuition, c’est-à-dire en tant que revêtue de la forme de la représentation objective : ce qui objectivement est matière est donc subjectivement volonté.»
«Quand la volonté s’objective, c’est-à-dire passe à l’état de représentation, la matière est le substratum universel de cette objectivation, ou mieux encore l’objectivation même prise in abstracto, c’est-à-dire abstraction faite de toute forme.»
Chap. 8
LA CONNAISSANCE RÉFLÉCHIE, OU CONNAISSANCE PAR CONCEPTS, EST FONCTION DE LA RAISON.
Le vocabulaire illustrant l'accès aux connaissances ne m'est pas plus très clair. Je garde l'idée des trois formes de connaissances mais en attachant l'intuition dès la première forme. Dès l'éveil, dès les premiers apprentissages le bébé va imaginer des nouvelles perspectives.
«Comme on passerait de la lumière directe du soleil à cette même lumière réfléchie par la lune, nous allons, après la représentation intuitive, immédiate, qui se garantit elle-même, considérer la réflexion, les notions abstraites et discursives de la raison, dont tout le contenu est emprunté à l’intuition et qui n’ont de sens que par rapport à elle. Aussi longtemps que nous demeurons dans la connaissance intuitive, tout est pour nous lucide, assuré, certain.» et 986 note 82 du folio-essais vision différente avec Kant en ce qui concerne la raison et l'entendement vis à vis de la connaissance et de l'intuition ! Aussi au chapitre 10
«Si, dans la représentation intuitive, l’apparence peut un instant déformer la réalité, dans le domaine de la représentation abstraite l’erreur peut régner pendant des siècles, étendre sur des peuples entiers son joug de fer, étouffer les plus nobles aspirations de l’humanité, et faire charger de chaînes par ses dupes et ses esclaves celui-là même qu’elle n’a pu abuser.»
«On a dit souvent qu’il fallait chercher la vérité, alors même qu’on n’en voyait pas l’utilité ; l’utilité en effet peut ne pas être immédiate et apparaître au moment où l’on y compte le moins. J’ajouterai qu’il faut à tout prix dénoncer et extirper l’erreur, lors même qu’on n’en aperçoit pas les inconvénients, parce que ces inconvénients peuvent être, eux aussi, indirects et se révéler à l’improviste. Toute erreur porte en elle une sorte de venin.» Qui se trompe dans l'analyse de l'abstraction ?
En résumé fonctions de l'entendement et de la raison :
«L’entendement, on l’a vu, n’a qu’une fonction propre : la connaissance immédiate du rapport de cause à effet ; et l’intuition du monde réel, aussi bien que la prudence, la sagacité, la faculté de l’invention ne sont évidemment que des modes variés de cette fonction primitive. Or il en est de même de la raison, elle n’a qu’une fonction essentielle, la formation des concepts : de cette source unique dérivent tous les phénomènes que nous avons énumérés plus haut et qui distinguent la vie humaine de la vie animale ; le discernement, établi de tout temps et partout, entre ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas, a son fondement dans la présence ou l’absence de cet acte primitif
Chap. 9
RAPPORTS DES CONCEPTS AVEC LES INTUITIONS : CELLES-CI SONT SUPPOSÉES PAR CEUX-LÀ. RAPPORTS DES CONCEPTS ENTRE EUX : LA LOGIQUE, ART DE RAISONNER ET SCIENCE DE LA RAISON.
«Les concepts forment une classe spéciale de représentations, entièrement distinctes des représentations intuitives dont il a été question jusqu’ici, car elles n’existent que dans l’esprit humain. Aussi est-il impossible d’arriver à une connaissance intuitive et absolument évidente de leur nature propre ; l’idée qu’on s’en peut faire est elle-même purement abstraite et discursive. Il serait donc absurde d’en exiger une démonstration expérimentale, si l’on entend, par expérience, le monde extérieur et réel, qui n’est que représentation intuitive : il est impossible de mettre ces notions sous les yeux ou de les présenter à l’imagination, comme s’il s’agissait d’objets perceptibles aux sens. On les conçoit, on ne les perçoit pas, et leurs effets seuls peuvent tomber sous les prises de l’expérience»
«Les concepts, bien que radicalement distincts des représentations intuitives, ont pourtant avec celles-ci un rapport nécessaire, sans lequel ils n’existeraient pas : ce rapport constitue donc toute leur essence et leur réalité.»
«...les concepts sont des représentations de représentations. Il en est de même du principe de raison, qui revêt ici un caractère tout spécial. On a vu que la forme sous laquelle il régit toute une classe de représentations constitue et résume, pour ainsi dire, toute l’essence de cette classe au point de vue représentatif : le temps, par exemple, est tout entier dans la succession, l’espace dans la position, la matière dans la causalité. De même, toute l’essence des concepts qui forment la classe des représentations abstraites consiste uniquement dans la relation du principe de raison qu’elles mettent en évidence ; et comme cette relation est celle qui constitue le principe même de la connaissance, la représentation abstraite a ainsi pour essence le rapport qui existe entre elle et une autre représentation : celle-ci lui sert alors de principe de connaissance ; mais la dernière peut aussi être un concept, c’est-à-dire une représentation abstraite, et avoir à son tour un principe de connaissance de même nature. Toutefois la régression ne saurait se poursuivre à l’infini ; il y a un moment où la série des principes de connaissance doit arriver à un concept qui a son fondement dans la connaissance intuitive, car le monde de la réflexion repose sur celui de l’intuition, d’où il tire son intelligibilité. La classe des représentations abstraites se distingue donc de celles des représentations intuitives par la caractéristique suivante : ...»
Tome 2 pour les chapitres 8 et 9 du tome 1
Chapitre V
DE L’INTELLECT IRRATIONNEL
D'abord encore de l'éthologie en comparant animaux et humains. Tout ceci est peut-être confirmé ou infirmé par des études plus récentes.
«L’intelligence [La réflexion - au puf] parfaite repose, en effet, sur une claire conscience du passé et de l’avenir comme tels, dans leur rapport avec le présent. Par conséquent, la mémoire proprement dite, nécessaire à cette opération, est une réminiscence intelligente, ordonnée, harmonieuse ; or, une telle réminiscence n’est possible qu’au moyen de concepts généraux, sans lesquels les faits particuliers ne sauraient être localisés.»
«...le présent est inétendu ; tandis que le passé et l’avenir, sources de presque tous nos maux, s’étendent très loin, et à leur contenu réel s’ajoute encore tout le champ du possible ; aussi le domaine du désir et de la crainte est-il illimité. Débarrassés de ces soucis, les animaux au contraire jouissent tranquillement et heureusement de la sensation présente, quelque insignifiante qu’elle soit. Il en est ainsi, ou à peu près, des hommes très bornés. Ajoutons que les souffrances qui n’appartiennent qu’au présent, ne peuvent être que physiques.» Pour l'animal passé et futur sont dans l'instinct.
«... [nôtre] intelligence  est double ; outre l’intuition, nous avons la pensée, opérations qui sont souvent indépendantes l’une de l’autre : nous voyons une chose, et nous en pensons une autre ; et qui souvent aussi se confondent.» Pourtant je ne vois pas d'intuition sans pensée.
Chapitre VI
APPENDICE À LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE ABSTRAITE OU RATIONNELLE
«Il n’y a qu’une chose, qui ne disparaisse pas instantanément comme l’impression, et qui ne s’efface pas petit à petit, comme son image : c’est le concept. C’est en lui par conséquent, que doit se trouver déposé tout le savoir de l’expérience, et c’est lui seul qui est capable de nous diriger dans la vie. ... pour s’imposer aux autres, dans la vie réelle, il faut être soi-même posé, réfléchi, guidé uniquement par des concepts ; c’est la condition essentielle.» Ne vivre qu'en suivant des concepts, difficiles à imaginer.
«Un instrument de l’intelligence aussi considérable que le concept ne peut évidemment être identique au mot, à ce simple son qui, en tant qu’impression sensible, disparaît avec la présence de l’objet qui l’a causé, ou qui en tant qu’image auditive, finit par s’effacer avec le temps. Pourtant le concept est une représentation, dont la claire conscience et dont la conservation est attachée au mot... le concept est aussi différent du mot auquel il est attaché, que de l’intuition d’où il est sorti. Il est d’une tout autre nature que ces impressions des sens. Ce qui ne l’empêche pas de concentrer en lui tous les résultats de l’intuition, pour les restituer longtemps après, dans toute leur intégrité : c’est là le commencement de l’expérience. Seulement, ce n’est pas l’intuition ou la sensation telles quelles, que conserve le concept, c’en est le général, l’essentiel, et cela sous une forme très différente, sans qu’il cesse pourtant d’en être toujours le fidèle représentant.»
Il compare ensuite le concept à l'essence, l'huile essentielle, des fleurs, qui elles se fanent.
Abstraction «...on ne fait que jeter par-dessus bord tout le bagage inutile ; c’est ce qu’on appelle abstraire. On se rend ainsi plus facile le maniement des notions à comparer, c’est-à-dire à tourner et à retourner en tous sens. On laisse tomber tout le particulier, tout le changeant des objets réels, et l’on ne garde qu’un petit nombre de déterminations abstraites, mais générales.»
«Si au contraire l’on veut apprendre quelque chose de nouveau, c’est à l’intuition qu’il faut recourir, comme à la source vraiment riche et féconde de nos connaissances.»
«...les systèmes philosophiques qui s’en tiennent aux concepts généraux [par exemple l'être], sans revenir au réel, ne sont presque que des jeux de mots. Si en effet l’abstraction consiste simplement à éliminer, plus on la poursuit, moins on garde de réalité. Aussi quand il me tombe sous les yeux de ces philosophèmes à la mode, qui se déroulent en abstractions sans fin, il m’est presque impossible, malgré l’attention que j’y apporte, de penser quoi que ce soit là-dessous ; je n’y trouve plus la substance de la pensée, mais je ne sais quelle forme creuse.»
«...lorsqu’on pense un concept, on doit aussi pouvoir dire ce qu’il y a dedans.»
«Seul les intuitions sont claires, les concept ne le sont pas, ils peuvent tout au plus être distincts.»
«...lorsqu’on a donné la connaissance intuitive comme étant obscure, on a fait synonymes le jour et la nuit, si absurde que cela semble ; car on a eu l’air de considérer la connaissance abstraite comme la seule qui fût claire.»
«Parole et langage, voilà donc les instruments indispensables de toute pensée claire. Mais comme tout moyen, comme toute machine, ces instruments sont en même temps une gêne et une entrave. Le langage en est une, parce qu’il contraint à entrer dans certaines formes fixes, les nuances infinies de la pensée toujours instable, toujours en mouvement : et en les fixant, il leur ôte la vie.»
«...conclusion fausse, que nous entendons les mots, que nous les percevons et les employons, sans y attacher la moindre représentation (idea) ; alors ... que toutes les représentations (ideas) ne sont pas des images intuitives (images), mais que celles qui doivent être désignées par des mots sont de purs concepts (abstract notions), et que ceux-ci, par leur nature même, ne sont pas intuitifs.»
«...les auditeurs d’un même récit perçoivent des concepts identiques ; mais lorsqu’on veut ensuite se représenter l’événement, l’imagination de chacun y glisse une image, qui diffère sensiblement de la vraie, laquelle n’existe que pour le témoin oculaire.»
«... Pic de la Mirandole ... distingue ......la différence qu’il y a entre la raison et l’entendement, – l’une, faculté des représentations abstraites, l’autre, faculté des représentations intuitives... il distingue soigneusement la raison de l’entendement, et considère la première comme la faculté discursive, particulière à l’homme, et la seconde comme la faculté intuitive, qui est le mode de connaissance des anges, presque celui de Dieu. De même Spinoza définit très justement la raison, la faculté de former des concepts généraux (Eth. II, prop. 40, scol. 2).»
«L’animal ne peut jamais s’écarter beaucoup du chemin de la nature ; car ses motifs appartiennent tous au monde intuitif, qui est le domaine unique du possible, ou plutôt du réel ; dans nos concepts abstraits, au contraire, dans nos pensées et nos mots peut entrer tout ce qu’il est possible d’imaginer, c’est-à-dire le faux, l’impossible, l’absurde et l’insensé. Comme la raison appartient à tous et le bon jugement à quelques-uns, il en résulte que l’homme est livré à toutes les illusions.» Par l'éducation les espoirs sont permis.
«La culture ...est remplacée, pour le plus grand nombre, par une sorte de dressage ; ce dressage se fait par l’exemple, la coutume, et surtout par l’habitude qu’on a d’imprimer de très bonne heure et très fortement dans les cerveaux humains, certaines notions qui précèdent l’expérience, l’entendement et le jugement, en un mot tout ce qui pourrait détruire cette œuvre d’éducation. Ainsi se greffent certaines notions, qui, par la suite, sont aussi solides, aussi rebelles à tout essai de rectification, que des idées innées...»
Tome 2 Aussi pour le chapitre 9 du tome 1
Chapitre IX
À PROPOS DE LA LOGIQUE EN GÉNÉRAL
«La logique, la dialectique et la rhétorique se tiennent entre elles ; car ensemble elles forment une technique de la raison. C’est sous ce titre qu’on devrait les étudier simultanément, la logique en tant que technique du penser proprement dit, la dialectique en tant que technique de la discussion avec autrui, et la rhétorique en tant que technique de la parole adressée à plusieurs (concionatio) ; ces trois sciences correspondent au singulier, au duel et au pluriel, de même que le monologue, le dialogue et le panégyrique.»
Chapitre X
À PROPOS DE LA THÉORIE DU SYLLOGISME
«Le syllogisme [raisonnement logique mettant en relation au moins trois propositions] est une opération de la raison qui, de deux jugements, par leur simple comparaison et sans le secours d’aucune autre connaissance, en tire un troisième, avec cette condition que les deux jugements en question doivent avoir un concept qui leur soit commun, sans quoi ils seraient étrangers l’un à l’autre et sans point de contact.»
«Pour que deux jugements, posés en prémisses, produisent une conclusion, il faut donc qu’ils aient un concept commun ; de plus, ils ne devront pas être tous deux négatifs ou particuliers ; enfin, dans le cas où les deux concepts à comparer sont leurs sujets, ils ne devront pas être affirmatifs tous les deux. On peut considérer la pile de Volta comme un symbole du syllogisme. Le point d’indifférence au milieu de la pile représente le moyen terme, qui relie les deux prémisses et leur permet d’aboutir à une conclusion ; les deux concepts disparates, au contraire, qui sont proprement l’objet de la comparaison, sont représentés par les deux pôles hétérogènes ; c’est seulement lorsque ceux-ci sont mis en rapport au moyen de leur fil conducteur respectif (ces fils symboliseront à leur tour les copules des deux jugements), que jaillit l’étincelle, je veux dire la lumière nouvelle de la conclusion.»
Chapitre XI Ce chapitre se rapporte à la fin du § 9 du tome 1
À PROPOS DE LA RHÉTORIQUE 
La rhétorique. «...devra-t-on plutôt dissimuler la conclusion et ne donner que les prémisses, nettement, complètement, sous tous leurs aspects. Si possible, qu’on n’énonce même pas la conclusion ; elle se présentera nécessairement...»
Chap. 10
TOUTE SCIENCE, À PART LA LOGIQUE, QUI A POUR OBJET LES PRINCIPES RATIONNELS ET LES RÈGLES DE RAPPORTS DES CONCEPTS, EST UNE CONNAISSANCE DES CONCEPTS ABSTRAITS.
«La raison ne peut donner qu'après avoir reçu» «...La raison ne peut être une source de connaissance, comme l'affirmait pourtant Kant.» et 989 note 112 voir aussi au chapitre 8
«...la connaissance abstraite seule constitue le savoir ; la condition du savoir est donc la raison, ... nous ne pouvons pas dire des animaux qu’ils savent quelque chose, bien qu’ils aient la connaissance intuitive, et dans une mesure correspondante la mémoire, en même temps que l’imagination, comme le prouvent leurs rêves.»
​Chap. 11
LE SENTIMENT : SON DOMAINE, OPPOSÉ À CELUI DU SAVOIR.
«le sentiment s’oppose ... au savoir : le concept, que désigne le mot sentiment, a un contenu absolument négatif. Il veut dire ... qu’il y a quelque chose actuellement présent dans la conscience, – qui n’est ni un concept, ni une notion abstraite de la raison. ... il peut y avoir n’importe quoi sous le concept de sentiment, dont l’étendue démesurément large embrasse les choses les plus hétérogènes. .... elles tiennent sous un même concept, ... elles s’accordent à un point de vue négatif : ce ne sont pas des concepts abstraits. Car les éléments les plus divers, et même les plus opposés, se trouvent réunis dans ce concept : par exemple le sentiment religieux, le sentiment du plaisir, le sentiment corporel en tant que toucher ou douleur, en tant que sentiment des couleurs, ... sentiment de haine ... il est dit qu'on les sent.»
Chap. 12
RÔLE DU SAVOIR ET RÔLE DU SENTIMENT DANS LA PRATIQUE : LE PRIVILÈGE DU SAVOIR EST D’ÊTRE COMMUNICABLE ; LE SENTIMENT NE L’EST POINT.
«La savoir ...(en l’opposant à son contraire le concept du sentiment) une connaissance abstraite ... une connaissance de la raison.»
Ce qui est connu intuitivement doit devenir une connaissance abstraite.
«la raison n’est pas la source de la vertu ... elle consiste à maintenir les résolutions une fois prises, à rappeler les règles de conduite, pour mettre en garde l’esprit contre les faiblesses du moment, et donner plus d’unité à la vie. Le rôle de la raison est le même dans le domaine de l’art, où elle n’est pas la faculté essentielle ; elle se borne à soutenir l’exécution, parce que le génie ne veille pas toujours, et que son œuvre cependant doit être achevée dans toutes les parties et former un tout.»
Tome 2 Chapitre VII pour le chapitre 12 du tome 1
DES RAPPORTS DE LA CONNAISSANCE INTUITIVE ET DE LA CONNAISSANCE ABSTRAITE
«...la matière des concepts, ... n’est autre que la connaissance intuitive, et que par conséquent tout l’édifice de notre monde intellectuel repose sur le monde de l’intuition, nous devons pouvoir revenir, comme par degrés, de concepts en concepts aux intuitions d’où ces concepts ont été immédiatement tirés ; c’est-à-dire que nous devons pouvoir appuyer tout concept sur des intuitions qui, par rapport aux abstractions, jouent le rôle d’un modèle. Ces intuitions représentent donc le contenu réel de notre pensée ; partout où elles manquent, il n’y a plus de concepts, mais des mots.»
«Expliquer un mot par un autre, comparer entre eux les concepts, c’est en quoi consistent à peu près toutes les discussions philosophiques ; et ce n’est au fond que s’amuser à faire rentrer les unes dans les autres toutes les sphères de concepts, afin de voir celles qui sont capables de s’y prêter et celles qui ne le sont pas. Dans le cas le plus heureux, on arrive ainsi à des conclusions ; mais les conclusions non plus n’apportent aucune connaissance nouvelle, et ne font que révéler tout ce qui se trouvait déjà dans une connaissance préalable, et ce qu’on en doit prendre pour les divers cas qui se présentent. Au contraire voir, laisser les choses elles-mêmes nous parler, embrasser entre elles de nouveaux rapports, puis déposer le tout dans des concepts, pour le posséder plus sûrement, voilà qui est augmenter sa science.»
«...tout le monde peut comparer entre eux des concepts, il n’est donné qu’à quelques-uns de confronter ces concepts avec l’intuition.»
«La substance même de toute vraie connaissance est une intuition ; aussi c’est d’une intuition que procède toute vérité nouvelle. Toute pensée, à l’origine, est une image ; c’est pourquoi l’imagination est un outil si nécessaire de la pensée ; les têtes qui en sont dépourvues ne font jamais rien de grand, [sauf peut-être] en mathématiques.»
«La sagesse proprement dite est quelque chose d’intuitif et non d’abstrait.»
«Dans la pratique, la connaissance intuitive de l’entendement peut servir de règle immédiate à notre conduite, tandis que la connaissance abstraite de la raison a besoin, pour cela, de l’intermédiaire de la mémoire. De là l’avantage de la connaissance intuitive, dans tous les cas où la réflexion n’a pas le temps de se faire, par exemple dans nos rapports journaliers ; ... Tout autre aura beau apprendre les trois cents règles de civilité de Gracian ; cela ne l’empêchera pas de commettre des balourdises et des bévues, si cette connaissance intuitive lui manque. Toute connaissance abstraite en effet ne donne que des principes généraux et des règles ; le cas particulier n’est presque jamais exactement défini par la règle ; de plus, il faut que la mémoire intervienne à temps, et elle le fait rarement ; puis, la règle une fois retrouvée, on forme la mineure avec le cas particulier donné, et on tire enfin la conclusion.»
«Agir selon des concepts peut virer à la pédanterie, mais agir sur des impressions intuitives peut virer à la légèreté et à la folie»
​Chap. 13
THÉORIE PSYCHOLOGIQUE DU RIRE, FONDÉE SUR LA DISTINCTION QUI PRÉCÈDE.
«... désavantages de l'utilisation de la raison ...» ? «...le savoir abstrait [est] un reflet de la représentation intuitive ...»
Certaines «des actions humaines ... sont bien mieux réalisées sans recours [de la raison] ... ceci est un phénomène propre à la nature humaine.»
« Le rire n’est jamais autre chose que le manque de convenance – soudainement constaté – entre un concept et les objets réels qu’il a suggérés, de quelque façon que ce soit ; et le rire consiste précisément dans l’expression de ce contraste.»
«Le rire se produit donc toujours à la suite d’une subsomption paradoxale, et par conséquent inattendue, qu’elle s’exprime en paroles ou en action.» Subsomption : relation d'inclusion entre des concepts, deux termes dont le sens de l'un inclut celui de l'autre : la notion d'animal subsume celle de mammifère.
Tome 2 Chapitre VIII pour le chapitre 13 du tome 1
À PROPOS DE LA THÉORIE DU RIDICULE
«...le phénomène du rire révèle toujours la perception subite d’un désaccord entre un tel concept et l’objet réel qu’il sert à représenter, c’est-à-dire entre l’abstrait et l’intuitif. Plus ce désaccord paraîtra frappant à la personne qui rit, plus vif sera son rire.»
«...on voit, à n’en pouvoir douter, qu’il naît précisément du contraste entre la représentation abstraite et l’intuition. Suivant que nous passerons du réel, c’est-à-dire de l’intuitif, au concept, ou inversement du concept au réel, et que ces deux éléments ne s’accorderont pas, il naîtra soit un calembour, soit une absurdité, soit même, et surtout dans la vie pratique, une insanité.»
Chap. 14
VÉRITÉ INTUITIVE ET VÉRITÉ DÉMONTRÉE. LA VÉRITÉ INTUITIVE EST LE FONDEMENT DE L’AUTRE.
«Après ces diverses considérations, qui, je l’espère, feront mieux comprendre la différence et le rapport qu’il y a entre le mode de connaissance de la raison pure, la science et le concept d’une part, et la connaissance immédiate d’autre part, dans l’intuition purement sensorielle et mathématique, ainsi que l’aperception par l’entendement ... » Bah j'ai tout à reprendre, lectures et réflexions !
«...nous avons vu qu’en logique, où, pour chaque cas particulier, la connaissance immédiate est plus à notre portée, que la déduction scientifique, nous ne dirigeons jamais notre pensée que d’après la connaissance immédiate des lois de la raison, et que nous ne nous servons pas de la logique.» Les lois de la raison traduit par les lois de la pensée Folio-Essais
Tome 2 Chapitre XII pour le chapitre 14 du tome 1
THÉORIE DE LA SCIENCE
«Une proposition d’une certitude immédiate est un axiome [considéré comme digne, convenable, évident en soi : un nombre noté 0 existe]... Une proposition, qui s’appuie immédiatement sur l’intuition empirique, est une assertion [présenté comme vrai : 2+2=4 dans les entiers] ; pour confronter l’assertion avec la réalité, il faut du jugement. – L’intuition empirique ne peut fonder que des vérités particulières, non des vérités générales ; il est vrai que par la fréquence de la répétition, les vérités empiriques acquièrent une certaine généralité, mais une généralité relative seulement et précaire, puisqu’elle est toujours sujette à caution... »
 «Si un philosophe voulait commencer par élaborer la méthode suivant laquelle il philosophera, il aurait l’air d’un poète qui composerait tout d’abord une esthétique pour y conformer ensuite son inspiration ; tous deux ressembleraient à un homme qui commencerait par se fredonner à lui-même un air et qui danserait ensuite. L’esprit pensant doit trouver sa voie par une impulsion naturelle ; la règle et l’application, la méthode et la doctrine doivent se présenter ensemble, inséparablement unies comme la matière et la forme.»
«La philosophie ou métaphysique, comme théorie de la conscience et de son contenu ou du tout de l’expérience en tant que telle, ne se place pas sur le même rang que les sciences ..., parce qu’elle ne se livre pas immédiatement à l’étude sous la direction du principe de raison, mais fait d’abord de ce principe même l’objet de ses recherches.»
Puis suivent disparition du latin comme langue scientifique européenne et querelle contre une réforme de l'allemand.
Chap. 15
ABUS DE LA DÉMONSTRATION DANS LA GÉOMÉTRIE EUCLIDIENNE. DE LA CAUSE DE L’ERREUR. LES SCIENCES ET LA PHILOSOPHIE, FONCTION SUPRÊME DE LA RAISON.
«...l’intuition est la source première de toute évidence, ... la vérité absolue consiste ... dans un rapport direct ou indirect avec elle, ... le chemin le plus court est toujours le plus sûr, attendu que la médiation des concepts est exposée à bien des erreurs...»
«Le propre de la philosophie, c’est qu’elle ne suppose rien de connu, ... tout lui est également étranger et problématique, non seulement les rapports des phénomènes, mais les phénomènes eux-mêmes. Elle ne s’en tient même pas au principe de raison, auquel les autres sciences se bornent à tout ramener ; ... un anneau de la chaîne lui est aussi étranger que l’autre, ... la philosophie, ... commence, ..., là où s’arrêtent les autres sciences. Elles ne peuvent s’appuyer sur des preuves ; car celles-ci déduisent l’inconnu de principes connus, et, aux yeux de la philosophie, tout est également étranger et inconnu. Il ne peut exister aucun principe dont le monde entier et tous ses phénomènes ne seraient que la conséquence. C’est pourquoi une philosophie ne se laisse pas déduire, comme le voulait Spinoza, par une démonstration ex firmis principiis. La philosophie est la science du plus général ; ses principes ne peuvent donc être la conséquence d’autres plus généraux. Le principe de contradiction se borne à maintenir l’accord des concepts ; il n’en fournit pas lui-même ; le principe de raison explique le rapport des phénomènes, mais non les phénomènes eux-mêmes. Donc, le but de la philosophie ne peut être la recherche d’une cause efficiente [qui produit un effet] ou d’une cause finale de tout l’univers. Aujourd’hui elle doit se demander moins que jamais d’où vient le monde, et pourquoi il existe. La seule question qu’elle doive se poser, c’est : qu’est-ce que le monde ? »
Tome 2 pour le chapitre 15 du tome 1
Chapitre XIII
À PROPOS DE LA MÉTHODOLOGIE DES MATHÉMATIQUES
«Les mathématiciens sont très fiers de l’inscription que Platon passe pour avoir placée à l’entrée de son école "Celui qui n’a pas étudié la géométrie n’a pas accès ici" ; il est probable que si Platon exigeait de ses disciples la connaissance des figures géométriques, c’est uniquement parce qu’il les considérait comme des essences intermédiaires entre les idées éternelles et les objets particuliers, ainsi qu’Aristote le fait remarquer à plusieurs reprises dans sa Métaphysique ... De plus, ces figures présentaient à ses yeux l’avantage de rendre plus facilement sensible le contraste entre les formes éternelles, ou Idées, existant en soi, et les objets particuliers éphémères, et de pouvoir devenir ainsi la base de la doctrine des Idées, centre de la philosophie de Platon, bien plus, seul dogme théorique sérieux qu’il ait énoncé ; aussi dans son exposition de cette doctrine partait-il de la géométrie. C’est dans le même sens qu’il faut entendre ces paroles du scholiaste d’Aristote (pp. 12, 15), suivant lesquelles Platon considérait la géométrie comme un exercice préparatoire, habituant les élèves à s’occuper d’objets immatériels, alors que dans la vie pratique ils n’avaient eu affaire jusque-là qu’à des choses corporelles. Voilà donc comment Platon entendait recommander la géométrie aux philosophes»
Chapitre XVII
SUR LE BESOIN MÉTAPHYSIQUE DE L’HUMANITÉ
«La sagesse de la nature parle encore par le calme regard de l’animal ; car, chez lui, l’intellect et la volonté ne divergent pas encore assez, pour qu’à leur rencontre, ils soient l’un à l’autre un sujet d’étonnement. Ici, le phénomène tout entier, est encore étroitement uni ... à la Nature, d’où il sort ...» L'instinct et l'entendement serait ainsi étroitement confondus.
«...le besoin métaphysique qui est propre à l’homme seul. L’homme est un animal métaphysique....»
 «Aristote : "...c’est l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques"» Actuellement considérons-nous que l'animal peut s'étonner ?
«...avoir l’esprit philosophique, c’est être capable de s’étonner des événements habituels et des choses de tous les jours, de se poser comme sujet d’étude ce qu’il y a de plus général et de plus ordinaire ; tandis que l’étonnement du savant ne se produit qu’à propos de phénomènes rares et choisis, et que tout son problème se réduit à ramener ce phénomène à un autre plus connu.»
«...on n’a jamais manqué de gens qui se sont efforcés de tirer leur subsistance de ce besoin métaphysique, et qui l’ont exploité autant qu’ils ont pu ; chez tous les peuples, il s’est rencontré des personnages pour s’en faire un monopole, et pour l’affermer : ce sont les prêtres. Mais afin d’assurer complètement leur trafic, il leur fallait obtenir le droit d’inculquer de bonne heure aux hommes leurs dogmes métaphysiques, avant que la réflexion ne fût encore sortie de ses ténèbres, c’est-à-dire dans la première enfance ; car alors, tout dogme, une fois qu’il est bien enraciné, reste pour toujours, quelle qu’en soit l’insanité ; si les prêtres devaient attendre pour faire leur œuvre que le jugement fût déjà mûr, ils verraient s’écrouler tous leurs privilèges.»
«En général, la philosophie des universités, c’est de l’escrime en face d’un miroir ; au fond son véritable but est de donner aux étudiants des opinions selon le cœur du Ministre qui distribue les chaires. Rien de mieux, au point de vue de l’homme d’État ; mais la conséquence c’est qu’une telle philosophie est, pour ainsi dire, nervis alienis mobile lignum "Une marionnette mise en mouvement par des ressorts étrangers" ; on ne saurait la considérer comme sérieuse ; c’est une philosophie pour rire. Aussi est-il équitable que cette surveillance ou cette direction se borne à la philosophie d’école, et ne s’étende pas jusqu’à la vraie, jusqu’à la philosophie sérieuse. Car s’il y a quelque chose de souhaitable au monde, ... c’est de voir un rayon de lumière tomber sur l’obscurité de notre existence ; c’est de trouver quelque solution à la mystérieuse énigme de notre vie, dont nous n’apercevons que la misère et la vanité.»
«Par métaphysique, j’entends tout ce qui a la prétention d’être une connaissance dépassant l’expérience, c’est-à-dire les phénomènes donnés, et qui tend à expliquer par quoi la nature est conditionnée dans un sens ou dans l’autre, ou, pour parler vulgairement, à montrer ce qu’il y a derrière la nature et qui la rend possible.» Alors pourquoi cette langue obscure ?
«Donc, comme nous l’avons dit, c’est le mal moral, c’est la souffrance et la mort qui confèrent à l’étonnement philosophique sa qualité et son intensité particulières ; le punctum pruriens de la métaphysique, le problème qui remplit l’humanité d’une inquiétude que ne sauraient calmer ni le scepticisme ni le criticisme, consiste à se demander, non seulement pourquoi le monde existe, mais aussi pourquoi il est plein de tant de misères.»
«La physique ne saurait vivre d’une vie indépendante ; si dédaigneuse que soit son allure à l’égard de la métaphysique, elle a besoin de s’y appuyer. Car elle-même explique les phénomènes par quelque chose de plus inconnu encore qu’eux-mêmes, par des lois naturelles, qui se fondent sur des forces naturelles,...»
«Premièrement, on ne pourrait jamais atteindre le commencement de cette série de causes et d’effets, c’est-à-dire de modifications liées entre elles ; ce commencement se trouverait reculé sans cesse à l’infini, comme les limites du monde dans l’espace et le temps. Ensuite l’ensemble des causes effectives par lesquelles on prétend tout expliquer, repose sur quelque chose d’absolument inexplicable, je veux dire les qualités primordiales des objets et les forces naturelles qui s’y manifestent, forces qui permettent aux qualités d’agir d’une manière déterminée. Telles sont : la pesanteur, la solidité, la force d’impulsion, l’élasticité, la chaleur, l’électricité, les forces chimiques, etc. Toute explication physique donne ces forces comme résidu ; telle une équation algébrique, dont tous les autres termes seraient résolus, mais dans laquelle une quantité demeurerait inconnue et indéterminable.»
«... la différence de la physique et la métaphysique ... repose pour l’essentiel sur la distinction kantienne entre le phénomène et la chose en soi. Kant déclarait celle-ci absolument inexplicable, et voilà pourquoi il ne saurait y avoir selon lui aucune métaphysique ; il n’y a de possible que la connaissance immanente, par conséquent que la physique, et à côté de celle-ci la critique de la raison dans ses aspirations métaphysiques
«...la pesanteur, demeure après toutes les explications physiques un mystère au même titre que la pensée. Seulement comme l’impossibilité d’expliquer cette dernière nous frappe du premier coup, on s’est empressé de faire un saut de la physique à la métaphysique et d’hypostasier [Considérer comme existant réellement, ayant une réalité] une substance d’une nature tout autre que celle des choses corporelles. On a transporté dans le cerveau une âme. Si notre intellect n’avait pas été tellement émoussé qu’il fallût pour le frapper un phénomène extraordinairement surprenant, nous aurions dû expliquer la digestion par une âme stomacale,...»
«... cette idée obscure d’une physique absolue sans métaphysique, qui inspire au fond le reproche insipide et le plus souvent malveillant d’athéisme ; c’est elle qui lui donne son sens intima, de la vérité et par là de la force. Une telle physique serait certainement destructive de toute éthique, et si l’on a eu tort de considérer le théisme comme inséparable de la moralité, celle-ci en tout cas ne peut se concevoir sans une métaphysique quelconque, c’est-à-dire sans une doctrine qui reconnaisse que l’ordre de la nature n’est pas le seul ni l’ordre absolu des choses.» Note 342 page 2209 «..ce n'est pas un appel à un quelconque surnaturel, mais la reconnaissance du caractère insuffisant de l'ordre phénoménal ... vouloir tout expliquer qu'en fonction phénoménal, c'est à dire du principe de raison.»
«...il est ... nécessaire que l’homme soit persuadé de l’impossibilité de s’en tenir à une physique absolue...»
Mais si nous pouvons construire une éthique hors de la métaphysique.
«Plus les progrès de la physique seront grands, plus vivement ils feront sentir le besoin d’une métaphysique. En effet, si d’une part, une connaissance plus exacte, plus étendue et plus profonde de la nature mine et finit par renverser les idées métaphysiques en cours jusqu’alors, elle sert d’autre part à mettre plus nettement et plus complètement en relief le problème même de la métaphysique, à le dégager plus sévèrement de tout élément purement physique. Plus notre connaissance de l’essence des objets particuliers sera complète et exacte, plus impérieusement s’imposera à nous la nécessité d’expliquer l’ensemble et le général, et plus la connaissance empirique de cet élément général aura été juste, précise et complète, plus mystérieux et plus énigmatique il nous paraîtra.»
«...les concepts mathématiques sont extraits des rapports quantitatifs, connus à la fois a priori et intuitivement...»
«...de tels concepts [ sur lesquels on avait cru pouvoir édifier une métaphysique, d’essence, d’être, de substance, de perfection, de nécessité, de réalité, de fini, d’infini, d’absolu, de principe, etc.] ne sont nullement primordiaux ; ils ne sont pas tombés du ciel et ne sont pas non plus innés ; comme tous les concepts, ils sont dégagés d’intuitions, et comme ils ne contiennent pas seulement, à l’exemple de ceux des mathématiques, l’élément tout formel de l’intuition, mais quelque chose de plus, il s’ensuit qu’ils ont pour base des intuitions empiriques.» - «intuition empirique» redondance non ?
«Demande-t-on des concepts purs, c’est-à-dire qui n’aient pas une origine empirique, on ne pourra guère produire que ceux qui concernent l’espace et le temps, en d’autres termes, l’élément purement formel de l’intuition, à savoir les concepts mathématiques, peut-être encore à la rigueur le concept de causalité, qui ne dérive sans doute pas de l’expérience, mais qui ne pénètre dans la conscience que par le moyen de celle-ci (en premier lieu, dans l’intuition sensible). ... Kant a fort bien démontré qu’il sert uniquement à mettre de l’unité dans l’expérience, non à la dépasser, qu’il comporte seulement une application physique, non une application métaphysique.»
«...toute idée préconçue d’une métaphysique pouvant être construite purement a priori est nécessairement vaine.»
«Le problème de cette science [la métaphysique] n’est-il pas posé empiriquement ? Pourquoi dès lors la solution ne s’aiderait-elle pas de l’expérience ?»
«...le caractère même a priori d’une partie de la connaissance humaine est saisi par la métaphysique comme un fait donné, duquel elle conclut à l’origine subjective de cette partie. C’est seulement parce que la conscience de son caractère a priori l’accompagne, que cette partie de notre connaissance s’appelle chez Kant transcendantale, en opposition à transcendant, qui signifie « ce qui dépasse toute possibilité empirique », et qui s’oppose lui-même à immanent,...»
«Sans doute, en assignant à la métaphysique une telle origine [subjective] – et, si l’on veut être sincère, il est impossible de la lui refuser – on lui enlève cette sorte de certitude apodictique, qui n’est possible que par la connaissance a priori...» Apodictique : universel, nécessairement vrai.
«...bien que personne ne puisse connaître la chose en soi à travers l’enveloppe des formes de l’intuition, d’autre part pourtant chacun porte cette chose en soi...»
«...elle implique la notion d’un noyau du phénomène, distinct du phénomène....»
«...la métaphysique dépasse la nature pour atteindre à ce qui est caché dans elle ou derrière elle, mais elle ne considère cet élément caché que comme apparaissant dans la nature et non indépendamment de tout phénomène ; elle demeure donc immanente, non transcendante. Et en effet elle ne se détache jamais entièrement de l’expérience ; elle en est la simple explication et interprétation, puisqu’elle ne parle de la chose en soi que dans ses rapports avec le phénomène.»
«...la solution réelle, positive de l’énigme du monde, est-elle nécessairement quelque chose que l’intellect humain est absolument impuissant à saisir et à penser ; de sorte que si un être supérieur descendait sur terre et se donnait toute la peine du monde pour nous communiquer cette solution, nous ne comprendrions rien aux vérités qu’il nous révélerait.»
D'après Platon dans l'Apologie de Socrate : «...le point de départ nécessaire de toute vraie philosophie, c’est ce mot profond de Socrate : « La seule chose que je sache, c’est que je ne sais rien »»
«Une philosophie donnée n’a donc pas d’autre critérium de sa valeur que la vérité. – D’ailleurs, la philosophie est essentiellement la science du monde ; son problème, c’est le monde ; c’est au monde seul qu’elle a affaire ; elle laisse les dieux en paix, mais elle attend, en retour, que les dieux la laissent en paix.»
Chap. 16
DE LA RAISON PRATIQUE. ERREUR DE VOULOIR FONDER SUR ELLE SEULE UNE MORALE : ÉCHEC DU STOÏCISME.
«...la raison ... une faculté de connaissance particulière et propre à l'homme [humanité] seul ... les réalisations et les phénomènes qu'elle accomplit, propres à la nature humaine...»
«... ce que Kant a appelé raison pratique... comme le siège d'un devoir absolu...»
«les actions et la conduite de l’homme diffèrent de celles des animaux, et que cela provient uniquement de la présence de concepts abstraits dans sa conscience.»
«... à l’honneur de Spinoza, qu’à l’encontre de ces philosophes, et avec un sens plus droit, il déclare que toutes les notions générales naissent de la confusion inhérente aux connaissances intuitives (Eth., II, prop. 40, schol. 1).»
«N’est-il pas surprenant, merveilleux même, de voir l’homme vivre une seconde vie in abstracto à côté de sa vie in concreto ? Dans la première, il est livré à toutes les tourmentes de la réalité, il est soumis aux circonstances présentes, il doit travailler, souffrir, mourir, comme les animaux.»
«... l’éthique stoïcienne, par son essence et son point de vue, diffère absolument des systèmes de morale qui n’ont en vue que la vertu, comme, par exemple, les préceptes des Védas, ceux de Platon, du christianisme, de Kant.»
«... la volonté de posséder sans cependant posséder, cette volonté de posséder étant la condition nécessaire pour que l'absence de possession engendre la privation et la douleur.» Donc pour les stoïciens (si c'est bien eux) il faut souffrir, se créer des besoins qui ne peuvent être satisfaits juste pour souffrir.
Tome 2 Chapitre XVI pour le chapitre 16 du tome 1
SUR L’USAGE PRATIQUE DE LA RAISON ET SUR LE STOÏCISME
«Dans mon septième chapitre, j’ai démontré qu’en théorie, la déduction des concepts aboutit à de médiocres résultats, et que pour arriver à quelque chose de mieux, il faut s’adresser à l’intuition elle-même, comme à la source de toute connaissance. Dans la pratique, c’est tout le contraire : ici il n’y a que les animaux qui soient déterminés par l’intuition ; il n’en saurait être de même de l’homme qui a des concepts pour régler sa conduite, et qui par là échappe à la puissance de l’intuition présente, à laquelle l’animal est absolument livré. C’est dans la mesure où l’homme tire parti de ce privilège que sa conduite peut être appelée raisonnable, et c’est uniquement dans ce sens qu’il peut être question de raison pratique, non dans le sens kantien, lequel est inadmissible, comme je l’ai fait voir tout au long dans mon mémoire sur le Fondement de la morale.
Mais il n’est pas facile de se déterminer uniquement par des concepts ; le caractère le mieux trempé n’est pas sans ressentir l’action puissante du monde extérieur, qui l’entoure avec toute sa réalité intuitive. Seulement, c’est précisément en tenant cette influence en échec, en comptant pour rien la fantasmagorie du monde, que l’esprit humain fait éclater sa grandeur et sa dignité.»
«Le stoïcisme est sorti du cynisme, en ce sens qu’il en a converti la pratique en théorie. Selon les stoïciens, il n’est pas nécessaire de se retrancher tout...»
«...le panthéisme des stoïciens Qu’est-ce que Dieu ? La pensée de l’univers. Qu’est-ce que Dieu ? Tout ce que tu vois et tout ce que tu ne vois pas. C’est ainsi seulement que l’on peut lui rendre sa juste mesure, à lui dont la grandeur dépasse toute imagination : si, à lui seul, il est toutes choses, il maintient son œuvre de dedans et de dehors.» Donc Spinoza n'a pas été le premier.

Pas d'indication de liens ci-dessous avec les chapitres du tome1
Tome 2 Parts consciente et inconsciente de notre pensée
Chapitre XIV
DE L’ASSOCIATION DES IDÉES
«La présence des représentations et des pensées dans notre conscience est aussi sévèrement soumise aux différentes formes du principe de raison que le mouvement des corps l’est à la loi de causalité. Pas plus qu’un corps ne peut entrer en mouvement sans cause, une pensée ne saurait entrer dans la conscience sans une occasion qui l’amène. Cette occasion est ou extérieure (impression exercée sur les sens), ou intérieure (pensée qui en amène une autre en vertu de l’association).»
«Pour nous rendre la chose sensible, comparons notre conscience à une eau de quelque profondeur ; les pensées nettement conscientes n’en sont que la surface ; la masse, au contraire, ce sont les pensées confuses, les sentiments vagues, l’écho des intuitions et de notre expérience en général, tout cela joint à la disposition propre de notre volonté qui est le noyau même de notre être.»
«...l’élaboration des matériaux venus du dehors et qui doivent devenir des pensées se fait d’ordinaire dans les profondeurs les plus obscures de notre être, nous n’en avons pas plus conscience que de la transformation des aliments en sucs et en substances vivifiantes. C’est pourquoi nous ne pouvons souvent pas rendre compte de la naissance de nos pensées les plus profondes ; elles procèdent de la partie la plus mystérieuse de notre être intime.»
«La conscience n’est que la surface de notre esprit ; de même que pour la terre, nous ne connaissons de ce dernier que l’écorce, non l’intérieur.»
Chapitre XV
DES IMPERFECTIONS ESSENTIELLES DE NOTRE INTELLECT
«La forme de notre conscience de nous-mêmes est le temps, non l’espace. Aussi notre pensée ne revêt-elle pas comme notre intuition trois dimensions, mais une seule ; elle évolue selon une seule ligne sans largeur ni profondeur. C’est là précisément la source de la plus grande entre les imperfections essentielles à notre intellect. En effet, nous ne pouvons connaître les choses que successivement et dans un même moment nous n’avons conscience que d’une seule chose...»
«... notre intellect peut être comparé à un télescope dont le champ de vision serait très restreint, car notre conscience n’est pas à l’état stable, mais dans un flux perpétuel.»
«La pensée qui m’occupe vivement en ce moment ... et il est possible que je ne la retrouve jamais, à moins qu’elle ne soit liée à mon intérêt personnel, c’est-à-dire à ma volonté qui demeure toujours présente et maîtresse.»
«...les représentations étrangères à notre occupation principale et qui dans l’intervalle ont occupé la conscience y laissent un écho d’elles-mêmes, qui déterminera, dans une certaine mesure, la nature des représentations à venir.»
«Il ressort de tout ceci que la conscience et la pensée humaines sont fragmentaires...»
« Notre conscience pensante ressemble à une lanterne magique, dans le foyer de laquelle ne peut apparaître qu’une image à la fois...»
«...nous n’avons en réalité qu’une demi-conscience et que nous avançons à tâtons dans le labyrinthe de notre vie et les ténèbres de nos recherches ; des moments de clarté, semblables à des éclairs, illuminent parfois notre route.»
«Je suis même étonné de voir que nous arrivons à nous reconnaître dans ce chassez-croisez de pensées fragmentaires et de représentations de toute sorte ; qu’au lieu d’aboutir à une confusion complète des idées, nous parvenons à les ordonner harmonieusement.»
«le moi [le Je] est une grandeur inconnue, c’est-à-dire un mystère à lui-même. – Ce qui donne à notre conscience de l’unité et de la cohésion, ce qui en traverse toutes les représentations, ce qui en est la base et le support permanent, ne saurait être déterminé lui-même par la conscience, et par conséquent ne peut pas être une représentation ; non, c’est quelque chose d’antérieur à la conscience, c’est la racine de l’arbre dont celle-ci est le fruit. Cette base, dis-je, est la Volonté ; elle seule est immuable et absolument identique et a engendré la conscience conformément à ses propres fins.»
«La Volonté seule est l’élément permanent et immuable de la conscience. C’est elle qui établit un lien entre toutes les pensées, qui en fait des moyens pour ses fins personnelles,...»
«...l’érudit cherche à prendre une conscience distincte de quelque particularité de son savoir ; il lui faut, pour la tirer de ce chaos, du temps et des efforts.»
«La connaissance la plus parfaite et la plus suffisante est la connaissance intuitive ; mais elle est bornée au particulier, à l’individuel. La réunion du multiple et du divers dans une même représentation n’est possible que par le concept,»
«L’intellect humain n’est qu’un degré supérieur de l’intellect animal ; et si celui-ci est entièrement borné au présent, le nôtre aussi conserve de fortes traces de cette limitation.»
Avant Freud ! «L’inconscience est l’état primitif et naturel de toute chose, conséquemment aussi le fonds d’où émerge, chez certaines espèces, la conscience, efflorescence suprême de l’inconscience ; voilà pourquoi celle-ci prédomine toujours dans notre être intellectuel.»
«Les imperfections de l’intellect au contraire font très bon ménage ensemble, et c’est pourquoi il demeure dans la réalité bien au-dessous de ce qu’il pourrait être.»
«l’optique atomistique des Français, avec leurs molécules de lumière» Les quanta (pluriel de quantum) ?
«L’intellect a pour fonction naturelle le seul soin de la conservation de l’individu, et généralement c’est à peine s’il suffit même à cette besogne.»
«...« Il y a un mystère dans l’esprit des gens qui n’en ont pas ».»
«De grandes différences dans le degré d’intelligence et dans le développement intellectuel creusent entre les hommes un large abîme ; la bonté du cœur peut seule le faire franchir, c’est elle qui est le principe unifiant qui identifie les autres avec notre propre moi. Mais en tout cas l’union n’est que morale, elle ne sera jamais intellectuelle.» L'altruisme serait donc intellectuel ?
Livre 2 Le monde comme volonté - L'objectivation de la volonté
Chapitre 17
PROBLÈME : LA SCIENCE N’EXPLIQUE PAS L’ESSENCE DES PHÉNOMÈNES : COMMENT ATTEINDRE CETTE ESSENCE ?
«... ce qui concerne la représentation abstraite, le concept... celle-ci ... possède ... un contenu et une signification ... sa représentation intuitive ... nous exigerons de connaître aussi son contenu, ses déterminations ... et les formes qu'elle nous présente. »
«la philosophie nous semble un monstre à plusieurs têtes, dont chacune parle une langue différente.»
« ... un objet suppose toujours un sujet, et par conséquent n’est qu’une représentation ; ajoutons que nous avons reconnu l’existence de l’objet comme dépendant de la forme la plus générale de la représentation, la distinction en « moi » et « non-moi »» (traduit par «scission entre objet et sujet» dans Folio-Essais)
Note 6 page 1000 Notion de concept de force pour Newton
«...le philosophe, en face de la science étiologique complète de la nature, devrait éprouver la même impression qu’un homme qui serait tombé, sans savoir comment, dans une compagnie complètement inconnue, et dont les membres, l’un après l’autre, lui présenteraient sans cesse quelqu’un d’eux comme un ami ou un parent à eux, et lui feraient faire sa connaissance : tout en assurant qu’il est enchanté, notre philosophe aurait cependant sans cesse sur les lèvres cette question : Que diable ai-je de commun avec tous ces gens-là ?»
Étiologie : étude de l'ensemble des causes d'un phénomène
« ... la loi de la causalité ...à partir du sujet, c'est à dire a priori ... à partir de l'objet, c'est à dire a posteriori ...»
«Nous voyons déjà par là que ce n’est pas du dehors qu’il nous faut partir pour arriver à l’essence des choses ; on aura beau chercher, on n’arrivera qu’à des fantômes ou à des formules ; on sera semblable à quelqu’un qui ferait le tour d’un château, pour en trouver l’entrée, et qui, ne la trouvant pas, dessinerait la façade. C’est cependant le chemin qu’ont suivi tous les philosophes avant moi.»
Chap. 18
LA NATURE DE MON CORPS ÉCLAIRE CELLE DES AUTRES OBJETS ; DÉCOUVERTE DE L’IDENTITÉ DE MONCORPS AVEC LA VOLONTÉ.
«...il serait impossible de trouver la signification cherchée de ce monde, qui m’apparaît absolument comme ma représentation, ou bien le passage de ce monde, en tant que simple représentation du sujet connaissant, à ce qu’il peut être en dehors de la représentation, si le philosophe lui-même n’était rien de plus que le pur sujet connaissant (une tête d’ange ailée, sans corps). ... les modifications [affections dans Folio] sont, nous l’avons vu, le point de départ de l’entendement pour l’intuition de ce monde.»
Détermination de la Volonté.
Page 1001 notes 11 Volonté synonyme de Nature naturante (renvoie au chapitre 25 page 1664) et 12.
«...le corps entier n’est que la volonté objectivée, c’est-à-dire devenue perceptible ... Dans le livre précédent, et dans ma discussion sur le principe de raison, j’ai appelé le corps objet immédiat en me plaçant à dessein au seul point de vue de la représentation. Ici, au point de vue contraire, je l’appellerai objectivité de la volonté. ...La volonté est la connaissance a priori du corps ; le corps est la connaissance a posteriori de la volonté.»
«...pour la réflexion seule qu’il y a une différence entre vouloir et faire : en fait, c’est la même chose. Tout acte réel, effectif, de la volonté, est sur-le-champ et immédiatement un acte phénoménal du corps ; et par contre, toute action exercée sur le corps est par le fait et immédiatement une action exercée sur la volonté : comme telle, elle se nomme douleur, lorsqu’elle va à l’encontre de la volonté ; lorsqu’elle lui est conforme au contraire, on l’appelle bien-être ou plaisir.»
Note 13 page 1002 «... Schopenhauer maintient le qualificatif immédiat mais retire le terme d'objet ... les deux membres forment un quasi-oxymore : l'objet est précisément ... médiat ... médiatisé par les formes de l'objectivité.» Donc à suivre. Sommes-nous médiat ou immédiat ?
«...qu’un petit nombre d’impressions exercées sur le corps qu’on puisse considérer immédiatement comme de simples représentations ; elles n’affectent pas la volonté, et, grâce à elles, le corps apparaît comme objet immédiat de la connaissance, objet que nous connaissons déjà médiatement, à l’égal de tous les autres, à titre d’intuition dans l’entendement.»
«Je ne connais pas ma volonté dans sa totalité ; je ne la connais pas dans son unité, pas plus que je ne la connais parfaitement dans son essence ; elle ne m’apparaît que dans ses actes isolés, par conséquent dans le temps, qui est la forme phénoménale de mon corps, comme de tout objet : aussi mon corps est-il la condition de la connaissance de ma volonté. Je ne puis, à proprement parler, me représenter cette volonté sans mon corps.»
Tome 2 Chapitre XVIII pour le chapitre 18 du tome 1
COMMENT LA CHOSE EN SOI EST CONNAISSABLE
«Ce livre, où se trouve décrite la démarche la plus originale et la plus importante de ma philosophie, à savoir le passage, déclaré impossible par Kant, du phénomène à la chose en soi,...»
«Qu’est-ce que la connaissance ? – C’est avant tout et essentiellement une représentation. – Qu’est-ce que la représentation ? – Un processus physiologique très complexe, s’accomplissant dans le cerveau d’un animal, et à la suite duquel naît dans ce même cerveau la conscience d’une image. – Évidemment cette image ne saurait avoir qu’un rapport très médiat à quelque chose de tout à fait distinct de l’animal, dans le cerveau duquel elle s’est produite.»
«La vérité, c’est que les données immédiates de notre conscience comprennent une existence subjective et une existence objective, ce qui est en soi et ce qui n’est qu’au point de vue d’autrui, un sentiment de notre moi propre et un sentiment d’autre chose, et ces données se présentent à nous comme étant si radicalement distinctes, qu’aucune autre différence ne saurait être comparée à celle-là. Chacun se connaît immédiatement soi-même, et n’a de tout le reste qu’une connaissance médiate. Voilà le fait ; voilà aussi le problème.» Chacun se connait immédiatement et progressivement dès la naissance ... non, dès l’embryon.
«La pensée n’a de rapports immédiats qu’avec l’intuition, mais l’intuition en a avec l’existence en soi de ce qui est intuitivement perçu,...L’existence empirique, telle que nous la connaissons, n’est autre chose que le fait d’être donnée dans l’intuition ; le rapport de celle-ci à la pensée est loin d’être une énigme ; car les concepts, c’est-à-dire la matière immédiate de la pensée, dérivent de l’intuition dont ils sont abstraits...»
Plotin «La matière est un mensonge, et pourtant vraie»
«Quant à l’objet donné dans l’intuition, il doit être quelque chose en soi, et non pas seulement quelque chose pour autrui ; autrement il se réduirait à la représentation, et nous aboutirions à un idéalisme absolu, qui en fin de compte ne serait que de l’égoïsme théorique : toute réalité serait supprimée, le monde ne serait plus qu’un fantôme subjectif.»
«...j’ai posé la vérité suivante qui la tient en quelque manière en échec, à savoir que nous ne sommes pas seulement le sujet qui connaît, mais que nous appartenons nous-mêmes à la catégorie des choses à connaître, que nous sommes nous-mêmes la chose en soi, qu’en conséquence si nous ne pouvons pas pénétrer du dehors jusqu’à l’être propre et intime des choses, une route, partant du dedans, nous reste ouverte : ce sera en quelque sorte une voie souterraine, une communication secrète qui, par une espèce de trahison, nous introduira tout d’un coup dans la forteresse, contre laquelle étaient venues échouer toutes les attaques dirigées du dehors. La chose en soi, comme telle, ne peut entrer dans la conscience que d’une manière tout à fait immédiate, à savoir en ce sens qu’elle-même prendra conscience d’elle-même...»
«En fait, notre volonté nous fournit l’unique occasion que nous ayons d’arriver à l’intelligence intime d’un processus qui se présente à nous d’une manière objective ; c’est elle qui nous fournit quelque chose d’immédiatement connu, et qui n’est pas, comme tout le reste, uniquement donné dans la représentation. C’est donc dans la Volonté qu’il faut chercher l’unique donnée susceptible de devenir la clé de toute autre connaissance vraie ; c’est de la Volonté que part la route unique et étroite qui peut nous mener à la vérité.»
«...cette perception intime que nous avons de notre propre volonté est loin de fournir une connaissance complète et adéquate de la chose en soi.»
«...dans la conscience même le moi n’est pas absolument simple, mais il se compose d’une partie connaissante, l’intellect, et d’une partie connue, la volonté : le premier n’est pas connu, celle-ci ne connaît pas, bien que tous deux se rencontrent et se confondent dans la conscience d’un même moi.»
«Mais, malgré toutes ces imperfections, la perception dans laquelle nous saisissons les impulsions et les actes de notre volonté propre, est de beaucoup plus immédiate que toute autre perception ; elle est le point où la chose en soi entre le plus immédiatement dans le phénomène, où elle est éclairée de plus près par le sujet qui connaît.»
«...la question n’en demeure donc pas moins de savoir ce que cette volonté, qui se représente dans le monde et comme monde, est en dernier lieu, absolument, en soi. En d’autres termes, qu’est-elle, abstraction faite de sa représentation comme volonté, de son phénomène ? qu’est-elle, en dehors de la connaissance ? – Cette question ne recevra jamais de réponse...»
Chap. 19
PASSAGE DE MON CORPS AUX AUTRES OBJETS ; ABSURDITÉ DE L’ÉGOÏSME THÉORIQUE ; LA VOLONTÉ SEULE ESSENCE POSSIBLE DE TOUS LES CORPS
«nous avons déclaré, non sans répugnance, que notre corps, comme tous les autres objets du monde de l’intuition, n’est pour nous qu’une pure représentation du sujet connaissant ... dans la conscience de chacun, distingue la représentation de son corps de celle, – en tout semblable pour le reste, – des autres objets ; cette différence consiste en ce que le corps peut encore être connu d’une autre manière absolument * différente, et que l’on désigne par le mot volonté ; cette double connaissance de notre corps... » * Ici inséré dans Folio-Essais "toto genere" (toute la famille).
« ...cette double connaissance de notre corps nous donne sur celui-ci, ... des éclaircissements que nous ne pouvons obtenir directement sur l’essence, sur l’activité, sur la passivité des autres objets réels.»
Notre corps inconnu à nous même !?
« Par son rapport particulier avec un seul corps qui, ... n’est pour lui qu’une représentation comme toutes les autres, le sujet connaissant est un individu. Mais ce rapport, ..., n’existe par là même qu’entre lui et une seule de ses représentations ; c’est pourquoi elle est aussi la seule dont il ait conscience à la fois comme d’une représentation et comme d’une volition. ... lorsqu’on fait abstraction de ce rapport spécial, de cette connaissance double et hétérogène d’une seule et même chose, le corps, celui-ci n’est plus qu’une représentation comme toutes les autres ; alors l’individu connaissant, pour s’orienter, doit admettre l’une des deux hypothèses suivantes :
- ou bien ce qui distingue cette unique représentation consiste seulement en ce qu’elle est seule à lui être ainsi connue sous un double rapport, en ce que cet objet d’intuition est seul à être saisi de lui sous ce double aspect, en ce qu’enfin cette distinction s’explique, ... par celle qui existe entre le rapport de sa connaissance à cet unique objet et le rapport de sa connaissance à tous les autres objets ;
- ou bien il doit admettre que cet objet est essentiellement différent des autres ; que seul entre tous il est à la fois volonté et représentation ; que les autres ne sont que représentations, c’est-à-dire purs fantômes, et que par conséquent son corps est le seul individu réel au monde,...»
«notre connaissance, toujours liée à l’individu, et par cela même limitée, demande que l’individu, tout en étant un, puisse cependant connaître tout, et c’est même cette limitation qui fait naître le besoin d’une science philosophique...l’égoïsme théorique ...»
Note 17 page 1003 Doute sur cette Volonté autonome Schopenhauer n'ayant pas une démonstration solide est obligé de multiplier les exemples. Je pense qu'il a compris cette notion intuitivement qui répond aux débordements humains menés par son inconscient et l'instinct.
Comparaison de la Volonté avec la pesanteur.
Cette Volonté nous devons en avoir conscience et s'en servir sans s'y opposer. Comme dans la mission Apollo 13. Suite à une panne ils doivent faire demi-tour. Directement ils consommeront excessivement de l'énergie réduite par l'accident et donc utilise la gravitation lunaire pour être relancé vers la Terre. Ou si vous tombez dans une rivière vous ne devez pas vous opposer au courant mais vous devez nager avec lui pour rejoindre la berge.
Tome 2 Chapitre XIX pour le chapitre 19 du tome 1
DU PRIMAT DE LA VOLONTÉ DANS LA CONSCIENCE DE NOUS-MÊMES
Le primat de la Volonté sur l'intellect.
«La volonté, comme chose en soi, constitue l’essence intime, vraie et indestructible de l’homme ; mais en elle-même elle est sans conscience. Car la conscience est déterminée par l’intellect qui n’est qu’un simple accident de notre essence : l’intellect est en effet une fonction du cerveau, et celui-ci avec les nerfs ambiants et la moelle épinière n’est qu’un fruit, qu’un produit, je dirai même un parasite du reste de l’organisme, puisqu’il ne s’engrène pas directement dans les rouages intimes de cet organisme et ne sert à la conservation du moi que parce qu’il en règle les rapports avec le monde extérieur. Au contraire, l’organisme lui-même est la volonté individuelle devenue visible, objectivée ; il est l’image de cette volonté telle qu’elle se dessine dans le cerveau...»
«...l’intellect est le phénomène secondaire, l’organisme le phénomène primaire, à savoir le phénomène immédiat de la volonté ; la volonté est métaphysique, l’intellect physique ; l’intellect est, tout comme ses objets, un pur phénomène, la volonté seule est chose en soi, ... la volonté est la substance de l’homme, l’intellect en est l’accident ; la volonté est la matière, l’intellect la forme ; la volonté est la chaleur, l’intellect la lumière.»
«...qu’il n’y a pas d’objet sans sujet, de même il n’y a pas de sujet sans objet, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de connaissance, sans quelque chose qui diffère du sujet qui le connaît. Une conscience donc, qui ne serait qu’intelligence, est impossible. L’intelligence ressemble au soleil qui n’éclaire l’espace que grâce à la présence d’un corps, qui en reflète les rayons.»
«Comme élément connu dans la conscience de nous-mêmes, nous trouvons exclusivement la volonté.»
«...le bonheur ou la souffrance, le plaisir ou la douleur ; tous ces états d’âme sont précisément l’acte de volonté,...»
«Si nous parcourons de haut en bas l’échelle hiérarchique des animaux, nous voyons que l’intellect y devient de plus en plus faible et imparfait ; mais nous ne remarquons nullement une dégradation correspondante de la volonté. Celle-ci au contraire s’affirme partout identique à elle-même, et se produit toujours avec les mêmes caractères : attachement extrême à la vie, souci de l’individu et de l’espèce, égoïsme absolu à l’égard de tous les autres êtres, inclinations fondamentales,...»
«Cette différence fondamentale de nature entre la volonté et l’intellect, la simplicité et la spontanéité de l’une, la complexité et le caractère dérivé de l’autre,...»
«L'intellect se fatigue ; la volonté est infatigable.»
«Si, comme on l’admet généralement, la volonté émanait de l’intellect, si elle en était le résultat ou le produit, en ce cas, là où il y a beaucoup de volonté, il devrait se trouver aussi beaucoup de connaissance, de pénétration, de raison. Mais il n’en est nullement ainsi : nous trouvons plutôt chez beaucoup d’hommes une volonté forte, c’est-à-dire décidée, résolue, ferme, inflexible, obstinée et violente, unie à un entendement faible et impuissant.»
Cette représentation de la volonté correspond bien à l'image que j'en ai au titre de l'individu, mais Schopenhauer nous propose de voir cette volonté indépendante de celui-ci et générale à l'ensemble des phénomènes.
Chap. 20
CHAQUE MOUVEMENT DU CORPS RÉPOND À UN ACTE DE LA VOLONTÉ ; LE CORPS DANS SON ENSEMBLE MANIFESTE LA VOLONTÉ DANS SON ESSENCE CARACTÉRISTIQUE. L’ÉCHELLE DES FORMES ANIMALES ET LES DEGRÉS DE LA VOLONTÉ
«...essence en soi de notre propre corps, ... chose même qui est notre corps, ...pas objet de l’intuition, ... la volonté, ... se manifeste dans les mouvements volontaires du corps, ... actes de la volonté visibles, ... ils ne font qu’un avec elle, ...ils n’en diffèrent que par la forme de la connaissance, sous laquelle ils se sont manifestés comme représentation.»
«Ces actes de volonté ont toujours un fondement, en dehors d’eux-mêmes, dans leurs motifs. Cependant ils ne déterminent jamais que ce que je veux, à tel moment, à tel endroit, dans telle circonstance ; et non pas mon vouloir en général, .... il est impossible de tirer des motifs une explication de mon vouloir, dans son essence ; ils ne font que déterminer ses manifestations à un moment donné ; ils ne sont que l’occasion dans laquelle ma volonté se montre.»
Note 21 page 1004 «Le concept de phénomène est le pivot autour duquel tourne tout ce passage ... la théorie esthétique se coulera aisément dans le cadre général de cette philosophie de l'expression, en montrant que l’œuvre d'art exprime la volonté plus clairement que les phénomènes ordinaires.»
Note 23 page 1005 «Le concept d'objectivation se superpose à la conception expressive de la phénoménalité dont Schopenhauer vient de poser les bases....»
Tome 2 Chapitre XX pour le chapitre 20 du tome 1
OBJECTIVATION DE LA VOLONTÉ DANS L’ORGANISME ANIMAL
«Ce qui dans la conscience de nous-mêmes, c’est-à-dire subjectivement, se présente sous la forme de l’intellect, dans la conscience d’autre chose, c’est-à-dire objectivement, prend la forme du cerveau ; ce qui, dans la conscience de nous-mêmes, c’est-à-dire subjectivement, prend la forme de la volonté, dans la conscience d’autre chose, c’est-à-dire objectivement, prend la forme de l’organisme dans son ensemble.»
«La plupart des faits sur lesquels se fonde la première partie de cette thèse ont été donnés dans le chapitre précédent. J’y ai montré par la nécessité du sommeil, par les modifications qu’entraîne l’âge, par les différences que présente la construction anatomique, que l’intellect, étant de nature secondaire, dépend d’un organe particulier, du cerveau, dont il est la fonction, comme l’action de palper est la fonction de la main ; qu’il est par conséquent physique comme la digestion, et non métaphysique comme la volonté.»
«Tiedemann est peut-être le premier qui ait comparé le système nerveux cérébral à un parasite...»
«Par contre, le cerveau s’occupe de la direction des rapports avec le monde extérieur ; c’est là sa fonction unique et par là il s’acquitte de sa dette envers l’organisme qui le nourrit ; car l’existence de ce dernier est déterminée par les circonstances extérieures.»
«Plus haut déjà, au chapitre XVIII, j’ai montré que la chose en soi, qui est la base nécessaire de tout phénomène, conséquemment aussi du nôtre, dépouille dans la conscience de soi une de ses formes phénoménales, l’espace, pour ne retenir que l’autre, le temps ; de la sorte cette chose en soi se révèle plus immédiatement que partout ailleurs, et quand elle s’est ainsi débarrassée d’un grand nombre de ses voiles, nous l’appelons volonté.»
« ... aucune substance durable ne peut se représenter dans le seul temps, et la matière est une substance de cette sorte ; car une substance durable n’est possible, comme il est démontré au § 4 du 1er vol., que par l’union intime du temps et de l’espace.»
« ...dans la conscience de soi, la volonté n’est pas connue comme le substratum permanent de ses impulsions, elle ne se présente pas dans l’intuition sous forme de substance durable ; ce sont les actes isolés de la volonté, ses mouvements et ses états, comme résolutions, souhaits, affections, que nous connaissons successivement et pendant le temps de leur durée, immédiatement mais non intuitivement.»
« La connaissance de la volonté dans la conscience de soi n’en est donc pas l’intuition, mais un sentiment tout à fait immédiat de ses excitations successives. Au contraire dans la connaissance dirigée vers le dehors, qui est préparée par les sens et achevée dans l’entendement, qui a pour forme non seulement le temps mais aussi l’espace, qui réunit intimement ces formes au moyen de la loi intellectuelle de causalité, et qui par cette causalité devient intuition, dans cette connaissance, dis-je, ce même pouvoir, qui dans la conscience immédiate était saisi comme volonté, se représente intuitivement sous la forme d’un corps organisé. Ce corps, par ses mouvements successifs, représente intuitivement les actes volontaires ; par ses parties et ses formes, il incarne les aspirations durables et le caractère fondamental de la volonté individuelle ; les souffrances mêmes et les plaisirs du corps sont des affections tout à fait immédiates de cette même volonté.»
Pas d'indication de liens ci-dessous avec les chapitres du tome1
Tome 2 Chapitre XXI
REVUE ET CONSIDÉRATION GÉNÉRALE
«Si l’intellect n’était pas de nature secondaire, comme le démontrent les deux chapitres précédents [XIX et XX], on ne comprendrait pas que tout ce qui se produit sans lui, c’est-à-dire sans l’intervention de la représentation, comme par exemple la génération, le développement et la conservation de l’organisme,...»
«...Anaxagore. Car il a considéré arbitrairement comme l’élément premier et originel, d’où dérive le reste, un νους [esprit], une intelligence, un sujet représentant, et il passe pour avoir le premier établi cette manière de voir. D’après lui, le monde aurait existé dans la simple représentation avant d’exister en lui-même ; tandis que, chez moi, c’est la volonté qui fonde la réalité des choses ; celles-ci n’arrivent, dans la conscience animale, à la représentation et à l’intelligence qu’après une très longue évolution, si bien que dans ma théorie c’est la pensée qui apparaît en dernier lieu.»
«Toute physico-théologie est le développement, poussé jusqu’au bout, de l’erreur qui s’oppose à la vérité que nous avons énoncée au commencement de ce chapitre, erreur suivant laquelle la manière la plus parfaite de naître pour les choses est celle qui s’opère au moyen d’un intellect. C’est cette vue fausse qui barre la route à toute étude plus approfondie de la nature.»
«...l’intellect, physiquement conditionné, fonction d’un organe matériel, dépend entièrement de ce dernier et sans lui serait aussi impossible que le toucher sans la main, qu’il appartient par conséquent à la simple phénoménalité et en subit le sort ; que la volonté, au contraire, n’est liée à aucun organe spécial, qu’elle est présente partout, qu’elle est l’élément moteur et plastique par excellence, la condition de tout l’organisme, le substrat métaphysique de toute la phénoménalité,...»
Chap. 21
LA VOLONTÉ EST L’ESSENCE DES PHÉNOMÈNES DE LA MATIÈRE BRUTE COMME DE LA MATIÈRE VIVANTE.
«... sa volonté, l’objet le plus immédiat de sa conscience, qui constitue l’essence intime de son propre phénomène, se manifestant comme représentation aussi bien par ses actions que par leur substratum permanent, le corps ; si l’on s’est rendu compte que cette volonté ne rentre pourtant pas complètement dans ce mode de connaissance où objet et sujet se trouvent en présence l’un de l’autre, ... le sujet se distingue mal de l’objet, ... on pourra, ... pénétrer l’essence intime de la nature entière, en embrassant tous les phénomènes que l’homme reconnaît, non pas immédiatement et médiatement tout à la fois, comme il le fait pour son propre phénomène, mais seulement indirectement, par ..., celui de la représentation.»
«.. il sera amené à reconnaître qu'elle est aussi la force qui agit et végète dans les plantes ... celle dont il reçoit le coup en touchant des métaux hétérogènes ... » Courant électrique dû à un effet électrochimique.
Chap. 22
DU MOT VOLONTÉ : LA VOLONTÉ N’EST QU’UN CONCEPT DE L’ESSENCE INACCESSIBLE DES CHOSES ; MAIS C’EN EST LE CONCEPT LE PLUS IMMÉDIAT.
«Jusqu'ici on a subsumé le concept de Volonté dans celui de Force...» Le concept de Volonté rangé dans celui de Force. «.. or au contraire ...»
Chap. 23
DIFFÉRENCE ENTRE LES MOTIFS DES PHÉNOMÈNES DE LA VOLONTÉ ACCOMPAGNÉS DE CONSCIENCE, CHEZ L’HOMME ET LES ANIMAUX ; LES EXCITATIONS DES PHÉNOMÈNES DE VOLONTÉ INCONSCIENTS, CHEZ LES ÊTRE VÉGÉTATIFS ; ET LES CAUSES DES PHÉNOMÈNES DE VOLONTÉ DANS LA MATIÈRE BRUTE. CETTE DIFFÉRENCE N’EMPÊCHE PAS LA VOLONTÉ D’ÊTRE LA MÊME EN TOUS, ÉGALEMENT LIBRE EN SOI ET DÉTERMINÉE DANS SES MANIFESTATIONS PARTOUT.
«La volonté, comme chose en soi, est absolument différente de son phénomène et indépendante de toutes les formes phénoménales dans lesquelles elle pénètre pour se manifester, et qui, par conséquent, ne concernent que son objectité et lui sont étrangères à elle-même. Même la forme la plus générale de la représentation, celle de l’objet, par opposition avec le sujet, ne l’atteint pas...» Donc nous ne pourrions pas atteindre cette Volonté par l'objet, par le corps ?
«j’appellerai l’espace et le temps, – suivant une vieille expression de la scolastique, sur laquelle j’attire l’attention une fois pour toutes, – principium individuationis ; car c’est par l’intermédiaire de l’espace et du temps que ce qui est un et semblable dans son essence et dans son concept nous apparaît comme différent, comme plusieurs, soit dans l’ordre de la coexistence, soit dans celui de la succession.»
note 33 page 1006 Au sujet de la liberté, Schopenhauer reprend la distinction kantienne ... le plan des phénomènes et le plan de la chose en soi. ...existence d'un très rigoureux déterminisme  ...»
«C’est seulement après l’étude des phénomènes et des manifestations de la volonté, – et nous allons l’entreprendre, – que nous comprendrons clairement le sens de cette proposition kantienne, à savoir que l’espace, le temps et la causalité ne conviennent pas à la chose en soi, mais ne sont que des formes de la connaissance.
On a bien vu l’inconditionnalité de la volonté (grundlosigkeit), – là où elle se manifeste le plus clairement, – dans le vouloir de l’homme ; alors on l’a déclarée libre, indépendante. Mais en même temps, ...– on a perdu de vue la nécessité à laquelle est soumise chacune de ses manifestations, et l’on a déclaré libres tous les actes, ce qui n’est pas, ... Toute nécessité est, ... le rapport d’un effet à une cause, et rien de plus. Le principe de raison est la forme générale de tout phénomène, et l’homme, dans l’ensemble de ses actions, doit, comme tous les autres phénomènes, lui être soumis.
... comme la volonté est connue directement et en soi, dans la conscience, il s’ensuit que cette connaissance embrasse aussi la notion de liberté. Seulement on oublie qu’alors l’individu, la personne n’est pas la volonté, en tant que chose en soi, mais qu’elle est le phénomène de la volonté, et, comme telle, déjà déterminée et engagée dans la forme de la représentation, le principe de raison. De là ce fait singulier que chacun se croit a priori absolument libre, et cela dans chacun de ses actes, c’est-à-dire croit qu’il peut à tout instant changer le cours de sa vie, en d’autres termes, devenir un autre. C’est seulement a posteriori, après expérience, qu’il constate, à son grand étonnement, qu’il n’est pas libre, mais soumis à la nécessité ; qu’en dépit de ses projets et de ses réflexions, il ne modifie en rien l’ensemble de ses actes, et que, d’un bout à l’autre de sa vie, il doit développer un caractère auquel il n’a pas consenti et continuer un rôle commencé.»
«nous ne voyons que trop, par l’instinct et le caractère industrieux de certains animaux, que la volonté agit encore là où elle n’est pas guidée par la connaissance ; qu’ils aient des représentations et une connaissance, ce n’est pas une considération qui puisse nous arrêter ici, car le but auquel ils travaillent comme si c’était un motif connu, ils l’ignorent parfaitement. Leur activité n’est pas réglée par un mobile, elle n’est pas accompagnée de représentation, et nous prouve clairement que la volonté peut agir sans aucune espèce de connaissance.» La Volonté est donc égale à l'instinct.
Tome 2 Chapitre XXIII pour le chapitre 23 du tome 1
DE L’OBJECTIVATION DE LA VOLONTÉ DANS LA NATURE INANIMÉE
«La volonté, que nous trouvons au-dedans de nous, ne résulte pas avant tout, comme l’admettait jusqu’ici la philosophie, de la connaissance, elle n’en est même pas une pure modification, c’est-à-dire un élément secondaire dérivé et régi par le cerveau, comme la connaissance elle-même ; mais elle est le Prius de la connaissance, le noyau de notre être et cette propre force originelle qui crée et entretient le corps animal, en en remplissant toutes les fonctions inconscientes et conscientes : comprendre cette vérité est le premier pas à faire pour pénétrer dans ma métaphysique. Si paradoxal qu’il puisse sembler aujourd’hui encore à beaucoup de gens, que la volonté soit en elle-même privée de connaissance,...»
Chap. 24
CE QU’IL Y A DE PLUS CLAIR DANS LA CONNAISSANCE, C’EST LA FORME ; CE QUI RESTE OBSCUR, C’EST LA RÉALITÉ. VANITÉ DES EXPLICATIONS MATÉRIALISTES, QUI RÉDUISENT LES CHOSES À LEURS ÉLÉMENTS MATHÉMATIQUES. SUPÉRIORITÉ D’UNE PHILOSOPHIE QUI EXPLIQUE TOUT PAR LA CHOSE EN SOI, APERÇUE IMMÉDIATEMENT DANS LA VOLONTÉ.
«...Kant nous a appris que le temps, l’espace et la causalité, avec toutes leurs lois et toutes leurs formes possibles, existent dans la conscience, indépendamment des objets qui apparaissent dans ces formes, et qui en font tout le contenu. ... on peut les trouver aussi bien en partant du sujet qu’en partant de l’objet ; c’est pourquoi on peut les appeler avec autant de raison : modes d’intuition du sujet, ou propriétés de l’objet, en tant qu’il est objet (chez Kant, phénomène), c’est-à-dire représentation.
... on peut encore considérer ces formes comme les limites irréductibles du sujet et de l’objet ; aussi tout objet doit-il apparaître en elles, et le sujet, en revanche, indépendant de l’objet qui apparaît, doit l’embrasser entièrement et le dominer.
...les objets apparaissant sous ces formes ne devaient pas être de vains fantômes, mais avoir une signification, exprimer quelque chose qui ne serait pas encore un objet comme eux, une représentation, quelque chose de purement relatif et de conditionné par le sujet, quelque chose qui existerait indépendamment de toute condition essentielle et de toute forme, c’est-à-dire une représentation ;
l’objet, pour avoir un sens, doit exprimer la chose en soi. C’est ce qui expliquerait cette question toute naturelle : Ces objets, ces représentations sont donc quelque chose, en dehors de ce fait qu’ils sont des représentations ? ... Qu’est-ce, enfin, que la chose en soi ?»
«Kant a eu ... raison de conclure que le temps, l’espace et la causalité (que nous avons reconnus plus haut comme les formes du principe de raison, de même que nous avons reconnu ce dernier comme l’expression générale des formes phénoménales), Kant a eu raison, dis-je, de conclure que ces trois formes ne sont pas des déterminations de la chose en soi, et qu’elles ne peuvent lui convenir qu’autant qu’elle est elle-même représentation, c’est-à-dire qu’elles appartiennent au phénomène, et non à la chose en soi ;...»
«Les mathématiques ..., de même que toutes les sciences naturelles pures et a priori. Dans ces sciences seules, la connaissance ne se heurte à rien d’obscur, à rien d’inexplicable (l’inexplicable, c’est la volonté), .... Mais, d’autre part, ces mêmes sciences ne nous apprennent à connaître que des rapports, des relations entre une représentation et une autre, des formes sans aucune substance. »
«ce qui se dérobe là à l’investigation, c’est la chose en soi, c’est ce qui essentiellement n’est pas représentation ou objet de connaissance, c’est ce qu’on ne peut connaître qu’après qu’il a pris une des formes du principe de raison. Dès l’origine la forme lui est étrangère, et la chose en soi ne peut jamais s’identifier complètement avec celle-ci...
...l’étiologie nous apprend à connaître parfaitement les conditions régulières dans lesquelles se produisent les phénomènes avec toutes leurs déterminations dans le temps et dans l’espace, sans toutefois nous dire autre chose, si ce n’est pourquoi tout phénomène donné doit avoir lieu ... nous ne pouvons ... pénétrer dans l’essence intime des choses
«la chose en soi qui, en tant qu’elle apparaît, représente ces phénomènes, et elle en diffère absolument, elle est entièrement soumise, dans son phénomène, au principe de raison, comme à la forme de la représentation, mais elle-même est irréductible à cette forme, par conséquent ne peut s’expliquer étiologiquement jusqu’au bout ; cependant elle est complètement perceptible, en tant qu’elle a pris cette forme, c’est-à-dire qu’elle est un phénomène, et cependant cette perceptibilité n’en éclaircit nullement l’essence.»
«mon corps est l’unique objet dont je ne connaisse pas uniquement un des côtés, celui de la représentation ; j’en connais aussi le second qui est celui de la volonté.»
Chap. 25
UNITÉ DE LA VOLONTÉ, MALGRÉ LA PLURALITÉ DE SES DEGRÉS ET CELLE DES INDIVIDUS QUI LA MANIFESTENT EN CHACUN DE SES DEGRÉS. LES IDÉES DE PLATON.
«...la pluralité, en général, est conditionnée nécessairement par l’espace et le temps, et n’est pensable qu’au sein de ces concepts que nous nommons, sous ce point de vue, « principe d’individuation ». ... nous avons reconnu l’espace et le temps comme des formes du principe de raison, dans lequel s’exprime toute notre connaissance a priori. Or, nous l’avons montré, elle ne convient, en tant que telle, qu’à la cognition des choses et non aux choses en elles-mêmes ;
...elle n’est que la forme de notre connaissance, non la propriété de la chose en soi, qui, en tant que telle, est indépendante de toute forme de la connaissance, ... celle qui consiste à être objet pour le sujet, et elle est de tous points différente de la représentation.
...cette chose en soi, ... est la volonté, elle est en dehors du temps et de l’espace, en tant que telle et que séparée de son phénomène ; elle ne connaît pas la pluralité, elle est une ...»
Tome 2 Chapitre XXV
CONSIDÉRATIONS TRANSCENDANTES SUR LA VOLONTÉ COMME CHOSE EN SOI
«...la nécessité n’appartient qu’au phénomène, et non à la chose en soi, c’est-à-dire à l’essence véritable du monde, de même aussi la multiplicité. J’ai déjà assez longuement exposé cette idée au chapitre 25 du premier volume. ...
Tout homme ne connaît directement qu’une seule chose, sa propre volonté dans la conscience intime. Tout le reste, il ne le connaît que médiatement,...»
«L’unité ... de cette volonté, dans laquelle nous avons reconnu l’essence intime du monde phénoménal, est située au delà des phénomènes, c’est une unité métaphysique ; la connaissance qu’on en peut avoir est donc transcendante, c’est-à-dire qu’elle ne repose pas sur les fonctions de notre intellect et qu’ainsi ces fonctions ne peuvent, à la vérité, servir à la saisir.»
Chap. 26
L’ÉTIOLOGIE, OU SCIENCE DES CAUSES, N’EXPLIQUE QUE L’ENCHAÎNEMENT DANS LE TEMPS ET DANS L’ESPACE, DES PHÉNOMÈNES DE LA VOLONTÉ ; LA PHILOSOPHIE SEULE PEUT ATTEINDRE L’ORIGINE DE CES PHÉNOMÈNES, EN LES RATTACHANT À DES IDÉES OU FORCES NATURELLES, ET PAR LÀ À LA VOLONTÉ.
«Les forces générales de la nature nous apparaissent comme le degré le plus bas de l’objectivation de la volonté ; elles se manifestent dans toute matière, sans exception, comme la pesanteur, l’impénétrabilité, et, d’autre part, elles se partagent la matière, de telle sorte que les unes dominent ici, les autres là, dans une matière spécifiquement différente, comme la solidité, la fluidité, l’élasticité, l’électricité, le magnétisme, les propriétés chimiques, et les qualités de toute espèce. Elles sont en soi les manifestations immédiates de la volonté, aussi bien que de l’activité humaine ; comme telles, elles n’ont pas de raison , pas plus que le caractère de l’homme ; leurs seuls phénomènes sont soumis au principe de raison comme les actes de l’homme ; mais elles-mêmes ne peuvent jamais être une activité ou une cause,...» D'où vient la force de la pesanteur ?
«À son origine et dans son universalité, une force naturelle n’est dans son essence rien autre chose que l’objectivation, à un degré inférieur, de la volonté. Un tel degré, nous l’appelons une idée éternelle, au sens de Platon. Une loi de la nature, c’est le rapport de l’idée à la forme de ses phénomènes. Cette forme, c’est le temps, l’espace et la causalité liés entre eux par des rapports et un enchaînement nécessaires, indissolubles. Par le temps et l’espace l’idée se multiplie en d’innombrables manifestations ; quant à l’ordre d’après lequel se produisent ces manifestations dans ces formes de la multiplicité, il est déterminé par la loi de causalité ; cette loi est en même temps la norme qui marque la limite des manifestations des différentes idées ; c’est d’après elle que l’espace, le temps et la matière sont répartis dans les phénomènes...»
Chap. 27
LA SCIENCE ÉTIOLOGIQUE NE PEUT LÉGITIMEMENT RÉDUIRE À L’UNITÉ LES FORCES DE LA NATURE. GRADATION DE SES FORCES : COMMENT CHACUNE D’ELLES SORT D’UNE PLUS BASSE, QU’ELLE SUBJUGUE. APPARITION DE LA CONNAISSANCE DANS LE MONDE.
«nous voyons ... où doit cesser l’explication par les causes, quand elle ne veut pas tomber dans l’absurde prétention de ramener le contenu de tous les phénomènes à leur forme pure, effort qui ne laisserait plus subsister à la fin que la forme vide...»
«nous pouvons désormais déterminer ... ce que nous devons demander à toute étiologie. Elle a dans la nature à chercher les causes de tous les phénomènes, en d’autres termes les circonstances dans lesquelles ces phénomènes apparaissent constamment. Ensuite elle a à ramener les phénomènes ... à ce qui agit dans tout phénomène et qu’on suppose dans toute cause, à une force originelle de la nature.»
«c’est là la fin de l’explication étiologique et le commencement de l’explication métaphysique.»
«...l'explication étiologique touche là à son terme, et que là commence la métaphysique.»
«chaque animal doit abandonner la matière par laquelle se représentait son idée, pour qu’un autre puisse se manifester, car une créature vivante ne peut entretenir sa vie qu’aux dépens d’une autre, de sorte que la volonté de vivre se refait constamment de sa propre substance et, sous les diverses formes qu’elle revêt, constitue sa propre nourriture. Enfin la race humaine, qui est arrivée à se soumettre toutes les autres, considère la nature comme une immense fabrique répondant à la satisfaction de ses besoins, et finit par manifester en elle, ... ce divorce de la volonté ; dès lors se vérifie l’adage : « homo homini lupus. » [l’homme est un loup pour l’homme]»
«Ainsi, nous avons vu, au degré le plus bas, la volonté nous apparaître, comme une poussée aveugle, comme un effort mystérieux et sourd, éloigné de toute conscience immédiate.»Au lieu de conscience les traducteurs de Folio-essais préfère cognoscibilité (ce que l'on peut connaître).»
«L’animal est déjà exposé à l’illusion, à l’apparence. Mais il n’a que des représentations intuitives ; il est dépourvu de concepts, de réflexion, enchaîné au présent, incapable de prévoir l’avenir.»
«...ce phénomène très curieux se présente à nous, que l’activité aveugle de la volonté et celle qui est éclairée par la connaissance empiètent d’une façon frappante sur le domaine l’une de l’autre, en revêtant deux formes différentes de manifestation.»
«L’homme, cette créature compliquée, multiple d’aspect, plastique, éminemment remplie de besoins et exposée à d’innombrables lésions, devait, pour pouvoir résister, être éclairé par une double connaissance : à l’intuition simple devait venir s’ajouter, pour ainsi dire, une puissance plus élevée de la connaissance intuitive, un reflet de celle-ci, en un mot la raison, la faculté de créer des concepts. Avec elle se présente la réflexion, qui embrasse la vue de l’avenir et du passé, et, à sa suite, la méditation, la précaution, la faculté de prévoir, de se conduire indépendamment du présent, enfin la pleine et entière conscience des décisions de la volonté, en tant que telle
«nous verrons, au IIIe livre, comment chez quelques hommes la connaissance peut s’affranchir de cette servitude, rejeter ce joug et rester purement elle-même, indépendante de tout but volontaire, comme pur et clair miroir du monde ; c’est de là que procède l’art.
dans le IVe livre, nous verrons comment cette sorte de connaissance, quand elle réagit sur la volonté, peut entraîner sa disparition, c’est-à-dire la résignation [?] qui est le but final, l’essence intime de toute vertu et de toute sainteté, et la délivrance du monde.»
Tome 2 Chapitre XXII pour la 2è moitié du chapitre 27 du tome 1
VUE OBJECTIVE DE L’INTELLECT
«Il y a deux manières tout à fait distinctes de considérer l’intellect, suivant le point de vue où l’on se place ; et si opposées que soient par là même ces deux manières de voir, il faut pourtant les mettre en harmonie.
L’une est la manière subjective ; partant du dedans et prenant la conscience comme donnée, elle nous montre par quel mécanisme le monde s’y représente, comment il s’y construit avec les matériaux fournis par les sens et l’entendement.
Locke est le promoteur de cette méthode ; Kant l’a portée à un degré de perfection incomparablement plus élevée, et moi-même j’y ai consacré mon premier livre et ses compléments.
La manière de voir opposée est la manière objective. Elle prend son point de départ au dehors, choisit comme son objet, non pas la conscience propre, mais les êtres donnés dans l’expérience externe, conscients d’eux-mêmes et du monde, puis elle recherche quel est le rapport de l’intellect de ces êtres à leurs autres qualités, par quoi il a été rendu possible et nécessaire, et ce qu’il leur fournit.
Le point de vue où se place cette méthode est le point de vue empirique : en partant du monde et des êtres animés qui s’y trouvent, elle les prend comme absolument donnés. Elle sera donc essentiellement zoologique, et ne deviendra philosophique qu’en s’unissant à la première manière de voir et au point de vue plus élevé sur lequel se fonde celle-ci.»
«Tout ce que j’ai dit dans les deux chapitres précédents sur la vie et l’activité cérébrale appartient déjà à cette manière de voir...»
«...dans cette méthode régressive d’envisager objectivement l’intellect, nous poussons le plus loin possible, nous trouverons que la nécessité, ou le besoin de la connaissance en général, naît de la pluralité et de l’existence séparée des êtres, c’est-à-dire de l’individuation.»
«Avec la pluralité des êtres, au contraire, chaque individu se trouve isolé de tous les autres, et de là naît la nécessité de la connaissance.»
«...nous savons qu’inversement la pluralité du semblable n’est possible que par l’espace et le temps, c’est-à-dire par les formes de notre connaissance. L’espace naît alors seulement que le sujet connaissant regarde au dehors : il est la façon dont le sujet saisit quelque chose comme différent de lui-même.»
«...qu’au delà du phénomène, dans l’essence en soi de toutes choses, à laquelle l’espace et le temps et avec eux la pluralité sont nécessairement étrangers, il n’y a pas non plus de connaissance. ... Une « connaissance de choses en soi », au sens rigoureux du terme, serait déjà impossible pour cette raison que la connaissance s’évanouit, là où commence l’essence en soi des choses, et que toute connaissance est limitée par essence à des phénomènes. Car elle naît d’une limitation, qui la rend nécessaire, afin de reculer les bornes.»
«Dans le cerveau ce développement de la sensibilité est poussé à un tel point, qu’il se produit même une réaction après des impressions sensibles reçues, réaction qui ne part pas immédiatement de la volonté, mais qui est au premier chef un acte spontané de la fonction de l’entendement. Cette dernière opère le passage de l’impression sensible immédiatement perçue à sa cause, et comme dans cette opération le cerveau crée également la forme de l’espace, ainsi naît l’intuition d’un objet extérieur. Le point donc où, de l’impression reçue sur la rétine, impression qui n’est encore qu’une simple affection du corps et par conséquent de l’organisme, l’entendement opère le passage à la cause de cette impression, cause qu’au moyen de la forme de causalité il projette au dehors comme distincte de la personne propre, ce point, dis-je, peut être considéré comme la limite entre le monde comme volonté et le monde comme représentation ou si l’on veut comme le berceau de ce dernier.»
«La conséquence de tout le développement précédent est que la gradation de l’intelligence, depuis la conscience animale la plus sourde jusqu’à celle de l’homme, est un détachement progressif de l’intellect d’avec la volonté, et qui se produit tout entier quoique au seul titre d’exception dans le génie ; le génie peut donc se définir le plus haut degré de l’objectivité de la connaissance. La condition si rarement réalisée du génie est une quantité d’intelligence bien supérieure à celle qu’exige le service de la volonté qui en est la base : c’est cet excédent devenu libre qui perçoit proprement le monde, c’est-à-dire qui le conçoit dans une objectivité parfaite et fait ensuite l’artiste, le poète, le penseur.»
Chap. 28
FINALITÉ INTIME ET FINALITÉ EXTÉRIEURE DES PHÉNOMÈNES : ELLE S’EXPLIQUE PAR L’UNITÉ DE L’IDÉE DANS L’INDIVIDU, ET PAR L’UNITÉ DE LA VOLONTÉ DANS LE MONDE. ELLE NE TEND QU’À LA CONSERVATION DES ESPÈCES.
«nous avons constaté que la volonté elle-même, comme chose en soi, n’est nullement impliquée dans leur [les phénomènes] multiplicité et leur diversité.
La variété des idées (platoniciennes), c’est-à-dire les degrés d’objectivation, la foule des individus dans lesquels chacune d’elles se manifeste, la lutte des formes et de la matière, tout cela ne concerne pas la volonté, mais n’est qu’une manière, une façon dont elle s’objective, et n’a, par suite, qu’une relation médiate avec elle. Par cette relation, tout cela aussi, pour la représentation, appartient à l’expression de son essence. Comme une lanterne magique montre de nombreuses et multiples images, bien qu’il n’y ait qu’une seule et même flamme pour les éclairer, de même, dans la multiplicité des phénomènes qui remplissent le monde où ils se juxtaposent ou se chassent réciproquement comme successions d’événements, c’est la volonté seule qui se manifeste...»
«...l’homme, il faut le sonder et lui arracher son secret, car la raison le rend éminemment capable de dissimulation.»
Tome 2 pour le chapitre 28 du tome 1
Chapitre XXVI  sur la téléologie (les causes finales)
DE LA TÉLÉOLOGIE
«La finalité partout présente dans la nature organique, et destinée à assurer le maintien de chaque être, ainsi que la conformité de cette nature organique avec la nature inorganique, ne peut prendre plus naturellement place dans la suite d’aucun système philosophique que dans celui qui donne pour fondement à l’existence de toute créature naturelle une volonté propre à en exprimer l’essence et la tendance non seulement dans les actions, mais déjà même dans la forme de l’organisme tel qu’il nous apparaît.»
«La finalité partout présente dans la nature organique, et destinée à assurer le maintien de chaque être, ainsi que la conformité de cette nature organique avec la nature inorganique, ne peut prendre plus naturellement place dans la suite d’aucun système philosophique que dans celui qui donne pour fondement à l’existence de toute créature naturelle une volonté propre à en exprimer l’essence et la tendance non seulement dans les actions, mais déjà même dans la forme de l’organisme tel qu’il nous apparaît.»
«Nous sommes plongés dans l’admiration ; tout à coup l’idée nous vient que la nature livre sans merci à la destruction ces organismes mêmes, si parfaits et si compliqués, que chaque jour elle les laisse périr par milliers, victimes du hasard, de la rapacité animale, du caprice humain ; cette prodigalité insensée nous jette aussitôt dans une profonde surprise. Mais il y a là une confusion d’idées [amphibolie des concepts pour le Folio-essais]: nous avons dans l’esprit l’oeuvre d’art humaine, qui demande l’aide de l’intelligence pour dompter la résistance d’une matière étrangère et rebelle, et qui coûte ainsi sans doute bien des efforts. Mais les productions de la nature, quelle qu’en soit la perfection, ne lui coûtent pas la moindre peine : chez elle la volonté d’agir est déjà l’action, l’œuvre elle-même ; car, je le répète, l’organisme n’est que la réalisation dans le cerveau de la forme visible d’une volonté déjà existante.» Amphibolie : deux sens contradictoires ou imprécis dans une même phrase, exemple : il quitte sa femme le jour de son anniversaire.
Chapitre XXVII
DE L’INSTINCT EN GÉNÉRAL ET DE L’INSTINCT D’INDUSTRIE
«Il semble que la nature ait voulu, par les instincts industriels des animaux, mettre un commentaire explicatif dans la main de l’observateur qui étudie les causes finales d’après lesquelles elle procède, et l’admirable convenance qui en résulte dans ses productions organiques. Car ces instincts sont la preuve la plus claire que des êtres peuvent, avec la détermination la plus décidée, travailler à une fin qu’ils ne connaissent pas, et dont ils n’ont même aucune représentation. Tels sont par exemple le nid de l’oiseau, la toile de l’araignée
Chap. 29
RÉSUMÉ. LA VOLONTÉ EN SOI N’A PAS DE BUT, PARCE QU’ELLE N’A PAS DE CAUSE : LE PRINCIPE DE CAUSALITÉ NE VAUT QUE POUR LES PHÉNOMÈNES.
«si nous nous demandons ce qui subsiste, abstraction faite de cette forme et de toutes celles qui lui sont subordonnées et qui sont exprimées par le principe de raison, ce résidu, considéré comme différent de tous points (toto genere) de la représentation, ne peut être autre que la volonté, c’est-à-dire la chose en soi proprement dite. Chacun a conscience qu’il est lui-même cette volonté, volonté constitutive de l’être intime du monde ; chacun aussi, a conscience qu’il est lui-même le sujet connaissant, dont le monde entier est la représentation ; ce monde n’a donc d’existence que par rapport à la conscience, qui est son support nécessaire. Ainsi, sous ce double rapport, chacun est lui-même le monde entier, le microcosme ; chacun trouve les deux faces du monde pleines et entières en lui.» Chacun se sent Dieu !
«Toute volonté est la volonté de quelque chose ; elle a un objet, un but de son effort ; qu’est-ce donc que veut cette volonté qu’on nous donne comme l’essence du monde en soi, et à quoi tend-elle ? – Cette question, comme beaucoup d’autres, repose sur la confusion de l’être en soi et du phénomène ; le phénomène est soumis au principe de raison, dont la loi de causalité est une forme ; il n’en est pas de même de l’être en soi. Il n’y a que les phénomènes, comme tels, et que les choses isolées dont on puisse toujours donner une raison ; la volonté s’en passe,»
«C’est un vrai non-sens, résultant d’un défaut de réflexion, que de demander la cause de la pesanteur, de l’électricité, etc. Si l’on montrait que la pesanteur et l’électricité ne sont pas des forces naturelles irréductibles et simples, mais seulement des formes phénoménales d’une autre force connue et plus générale, on pourrait demander pourquoi cette force se traduit ici par la pesanteur, là par l’électricité.»
«L’absence de tout but et de toute limite est, en effet, essentielle à la volonté en soi, qui est un effort sans fin.»
«L’effort de la matière ne peut qu’être contenu, il ne peut être jamais réalisé ni satisfait. C’est ce qu’il a de commun avec toutes les forces qui sont des manifestations de la volonté : le but qu’elle atteint n’est jamais que le point de départ d’une carrière nouvelle, et cela à l’infini.»
«un éternel devenir, un écoulement sans fin, voilà ce qui caractérise les manifestations de la volonté.»
«la volonté sait toujours, quand la conscience l’éclaire, ce qu’elle veut à tel moment et à tel endroit ; ce qu’elle veut en général, elle ne le sait jamais. ...la force plus générale qui se manifeste dans ce phénomène n’a pas elle-même de cause, puisqu’il n’est qu’un degré des manifestations de la chose en soi, de la volonté qui échappe au principe de raison. La seule conscience générale d’elle-même qu’ait la volonté est la représentation totale, l’ensemble du monde qu’elle aperçoit ; il est son objectité, sa manifestation et son miroir...»
Tome 2 Chapitre XXVIII pour le chapitre 29 du tome 1
CARACTÈRE DU VOULOIR-VIVRE
«...cette volonté qui s’est révélée comme l’essence en soi de toute chose en ce monde... Un tel exposé est possible, parce que nous avons reconnu pour l’essence intime du monde une réalité absolue, une donnée de l’expérience. La dénomination d’« âme du monde », donnée par maint philosophe à cette essence intime, n’y substitue déjà au contraire qu’un pur être de raison (ens rationis) ; car le mot « âme » indique une unité de conscience individuelle, évidemment étrangère à cette essence ; en général d’ailleurs cette notion d’« âme » ne peut ni se justifier, ni s’employer, parce qu’elle personnifie la connaissance et le vouloir rassemblés dans une union inséparable [tout en les hypostasiant] et néanmoins indépendants de tout organisme animal. Il ne faudrait user de ce terme qu’au sens figuré, car il est bien plus perfide que ceux de φυχη ou d’anima, qui signifient seulement souffle.» Le terme hypostasiant est ajouté dans le Folio-essais. L'hypostase une substance fondamentale, un principe premier.
«enveloppons tout ce spectacle d’un coup d’œil et nous donnerons raison à Aristote quand il dit : ... la nature est démoniaque et non pas divine ...
nous avouerons même qu’un Dieu, qui se serait avisé de se transformer en un pareil monde, devrait avoir été vraiment possédé du diable.»
«il semblerait que le seul souci de la nature soit de ne laisser perdre aucune de toutes ses idées (platoniciennes), c’est-à-dire de ses formes permanentes : l’heureuse découverte et la disposition de ces idées (dont la succession des trois règnes animaux antérieurs à la surface de la terre n’a été que le prélude) l’auraient satisfaite à tel point que son unique crainte serait maintenant de voir disparaître quelqu’une de ces belles inventions, c’est-à-dire de voir quelqu’une de ses formes échapper au temps et à la causalité. Les individus en effet sont passagers, comme l’eau courante, les idées au contraire sont permanentes comme les tourbillons de la rivière : elles ne doivent donc s’anéantir que si la source se tarit
«Nous avons posé tout à l’heure, comme caractère de ce subjectif ou de cette volonté, un penchant démesuré de tous les animaux et de tous les hommes à conserver et à prolonger le plus possible leur vie : pour reconnaître dans ce penchant une force primitive et absolue, nous devons encore nous rendre exactement compte qu’il n’est en aucune façon le résultat d’une connaissance objective de la valeur de la vie, mais qu’il est indépendant de toute connaissance, ou en d’autres termes que ces êtres ne se présentent pas comme tendant à une fin qui les attire, mais comme poussés par une énergie invisible.»
«la vie est une affaire, dont le revenu est loin de couvrir les frais.»
Livre 3 Le monde comme représentation - Deuxième considération
LE MONDE COMME REPRÉSENTATION - SECOND POINT DE VUE : LA REPRÉSENTATION CONSIDÉRÉE INDÉPENDAMMENT DU PRINCIPE DE RAISON. L’IDÉE PLATONICIENNE. L’OBJET DE L’ART
Chap. 30
L’OBJET DE CE LIVRE : LES IDÉES.
«... nous avons déjà précédemment reconnu les Idées de Platon ...L’Idée ... est-elle étrangère à la pluralité comme au changement. Tandis que les individus, les innombrables individus, dans lesquels elle se manifeste, sont soumis irrévocablement au devenir et à la mort, elle demeure inaltérable, unique et identique ; le principe de raison, pour elle, est sans valeur.»
Chap. 31
LA DOCTRINE DES IDÉES DANS PLATON ET LA DOCTRINE DE LA CHOSE EN SOI DANS KANT : LEUR ACCORD PARFAIT.
«la chose en soi de Kant et l’Idée de Platon, ... sont non pas identiques, mais liés ensemble d’une très étroite parenté ; ils ne diffèrent l’un de l’autre que par un seul caractère.»
«... dit Kant : « ... notre propre moi ; nous ne le saisissons que dans son phénomène, nullement dans la réalité qu’il peut constituer en soi.»»

Par la caverne de Platon «...la seule chose à laquelle on puisse donner le nom d’être véritable parce qu’elle est toujours, ne devient ni ne passe jamais, ce sont les objets réels que reflètent ces ombres ; ces objets réels représentent les Idées éternelles, les formes primordiales de toutes choses. Elles n’admettent point la pluralité ; chacune d’elles, d’après son essence, est seule de son espèce, attendu qu’elle est elle-même le modèle dont toutes les choses analogues, particulières et passagères, ne sont que la copie ou l’ombre. Elles ne comportent non plus ni commencement ni fin ; car elles possèdent véritablement l’être ; elles ne deviennent ni elles ne passent comme leurs copies éphémères. Ces deux caractères négatifs nous induisent nécessairement à supposer que le temps, l’espace et la causalité n’ont, au point de vue des Idées, aucune signification, aucune valeur et qu’ils n’existent point en elles…»
«...le sens profond des deux doctrines [celles de Platon et de Kant] est exactement le même : toutes deux tiennent le monde sensible pour une apparence qui en soi est sans valeur et n’a de signification, de réalité cachée, qu’en vertu de ce qui s’exprime par lui (les Idées pour Platon, la chose en soi pour Kant)...»

«temps, espace et causalité ne sont que cette loi de notre intellect, en vertu de laquelle l’être, à proprement parler unique, qui constitue chaque espèce, se manifeste à nous comme une multitude d’êtres analogues, qui renaissent et qui périssent sans cesse dans une succession éternelle. Saisir les choses par le moyen et dans les limites de cette loi constitue l’aperception [perception accompagnée de réflexion et de conscience.] immanente ; les saisir au contraire en parfaite connaissance de cause constitue l’aperception transcendantale. Or, par la critique de la raison pure nous arrivons à concevoir l’aperception transcendantale, mais nous ne la concevons qu’in abstracto ; pourtant elle peut aussi se produire en nous intuitivement. C’est par ce dernier point que je prétends compléter la doctrine ; tel est l’objet que je me suis efforcé d’éclaircir dans ce troisième livre.» Note 8 page 1024 «L'adjectif transcendantal doit être considéré ici comme synonyme de transcendant, c'est à dire qu'il qualifie ce qui dépasse les conditions de possibilité de la connaissance objective. La confusion entre [ces 2 mots] est d'origine kantienne ... oppose un usage empirique et un usage transcendantal des catégories...» Si je comprends bien immanent ou transcendant dépend ici du sens de l'observation. Il faudrait inventer donc l'expression inverse de transcendantale, exemple immanentale. Car immanent ou transcendant indique la place de l'énergie créatrice et non le lieu de la création.
Chap. 32
DIFFÉRENCE ENTRE L’IDÉE ET LA CHOSE EN SOI : CELLE-LÀ N’EST QUE LA MANIFESTATION LA PLUS IMMÉDIATE DE CELLE-CI, EN DEHORS DU PRINCIPE DE RAISON.
«...malgré l’accord profond de Kant et de Platon, malgré l’identité du but qu’ils se proposaient, c’est-à-dire malgré la conception du monde, sur laquelle leur philosophie se guidait et se dirigeait, l’idée et la chose en soi ne sont pourtant pas tout à fait identiques...»
«...l’idée n’est pour nous que l’objectité immédiate, partant adéquate, de la chose en soi,[non] devenue représentation...»
«...la chose en soi doit ..., selon Kant, être dégagée de toutes les formes inhérentes à la connaissance ... et ç’a été ... une véritable erreur de la part de Kant, que de ne point mettre au nombre de ces formes et en tête de la liste la forme qui consiste à « être un objet pour un sujet » ; car telle est la forme primitive et la plus générale de tout phénomène...»
«L’Idée de Platon, au contraire, constitue nécessairement un objet, une chose connue, une représentation ; c’est précisément par ce caractère, mais, il est vrai, par ce seul caractère, qu’elle se distingue de la chose en soi. Elle n’a dépouillé que les formes secondaires du phénomène...»
Note 14 page «..désincarnation et ... désindividuation ... du sujet ... sembler difficile à réaliser. .. Schopenhauer insistera sur le fait que la contemplation esthétique ... ne se produit que dans de rares moments, où nous sommes transportés au-dessus de nous-mêmes. ...[son] esthétique ... repose toujours sur une expérience du sublime.»
«Le temps n’est que le point de vue partiel et incomplet auquel l’être individuel contemple les Idées, lesquelles sont en dehors du temps et, par le fait, éternelles ; c’est ce qui fait dire à Platon que le temps est l’image mouvante de l’éternité...». N'est-ce pas les plis de Leibniz soulignés par Gilles deleuze.
Tome 2 Chapitre XXIX pour les chapitre 30 à 32 du tome 1
DE LA CONNAISSANCE DES IDÉES
«Nous [avons] jusqu’ici examiné l’intellect que dans sa condition primitive et naturelle d’esclave au service de la volonté ; dans ce troisième livre, il apparaît délivré de cette servitude ; mais hâtons-nous de le remarquer, il s’agit ici non pas d’un affranchissement durable, mais seulement d’un court instant de répit, d’une libération exceptionnelle et, à vrai dire, momentanée du service de la volonté...
Ainsi que je l’ai montré au § 33, l’intellect au service de la volonté c’est-à-dire dans sa fonction naturelle, ne connaît proprement que les rapports des choses ; tout d’abord les relations des choses avec la volonté, à laquelle il appartient, ce qui sert même à en faire des motifs ; et de plus ensuite, pour compléter cette connaissance, les relations des choses entre elles.»

«Il est évident que la compréhension des relations des choses entre elles ne rentre qu’indirectement dans le service de la volonté. Elle est donc la transition à la connaissance tout objective, entièrement indépendante de la volonté : elle est la connaissance scientifique, qui mène à la connaissance artistique. Supposons en effet un objet donné dont nous saisissions directement de nombreuses et diverses relations : l’essence propre de l’objet en ressort avec une netteté toujours plus grande et finit insensiblement par s’en dégager, composée de simples relations, dont elle ne cesse pas de différer totalement elle-même. Dans ce monde de compréhension, l’assujettissement de l’intellect à la volonté ne cesse en même temps de s’affaiblir et de devenir plus indirect. L’intellect a-t-il assez de force pour prendre le dessus, pour ne plus se soucier du rapport des choses à la volonté, pour y substituer l’intelligence de l’essence objective pure du phénomène qui s’exprime à travers toutes les relations ; il s’affranchit alors, en même temps que du service de la volonté, de la conception des simples relations, et par là aussi de celle de l’objet individuel en tant que tel. L’intelligence plane alors d’un libre essor, détachée de toute volonté ; dans l’individu elle ne connaît plus que la partie essentielle, c’est-à-dire toute l’espèce ; elle n’a donc plus pour objet que les idées, au sens primitif où je prends, avec Platon, ce mot dont on a tant abusé, c’est-à-dire enfin les formes persistantes, immuables, indépendantes de l’existence temporelle des individus, les species rerum [sortes de choses], qui constituent l’objectivité propre des phénomènes.»
«L’idée est la racine commune de toutes ces relations, et par suite le phénomène complet et parfait, ou encore, selon le terme que j’ai employé dans le corps de l’ouvrage, l’objectivation adéquate de la volonté à ce degré de sa manifestation.»
Confus. Qu'entend-il par espèce et genre ? «...ce qui, envisagé comme pure image objective, comme pure forme, et détaché ainsi du temps, non moins que de toutes relations, est l’idée platonicienne, est, pris empiriquement et dans le temps, l’espèce ou le genre : l’espèce est donc le corrélatif  [en relation] empirique de l’idée. L’idée est proprement éternelle, l’espèce est d’une durée infinie, quoique le phénomène puisse en disparaître sur quelque planète [?]. Leurs noms mêmes rentrent l’un dans l’autre :... species, genre [forme, genre]. L’idée est espèce ..., mais non genre ... : aussi les espèces sont-elles l’œuvre de la nature, les genres sont-ils l’œuvre de l’homme ; ce ne sont en effet que de simples concepts. Il y a des espèces naturelles (species naturales), mais il n’y a que des genres logiques (genera logica).»
«...qu’on pourrait user du langage scolastique et appeler les idées universalia ante rem, les concepts universalia post rem [avant et après l'universel]: entre les deux se placent les choses individuelles... – N’en doutons pas, le réalisme des scolastiques est né de la confusion des idées platoniciennes, auxquelles on peut attribuer une existence objective et réelle, puisqu’elles sont en même temps les espèces, avec les simples concepts, auxquels les réalistes voulaient à leur tour conférer la même existence ; et ce fut là l’origine de l’opposition victorieuse du nominalisme [pour les nominalistes les concepts sont des constructions humaines et  les noms qui s'y rapportent ne sont que conventions de langage].»
Chap. 33
LA CONNAISSANCE, AUTANT QU’ELLE EST AU SERVICE DE LA VOLONTÉ, N’ATTEINT QUE LES RELATIONS DES CHOSES, RÉSULTANT DE LEUR SOUMISSION AU PRINCIPE DE RAISON.
«Nous n’avons donc, en tant qu’individus, aucune autre connaissance que celle qui est soumise au principe de raison ; d’ailleurs, cette forme exclut la connaissance des idées...»
«...si nous sommes capables de nous élever de la connaissance des choses particulières jusqu’à celle des idées, cela ne se peut faire que par une modification intervenue dans le sujet...»
«...le sujet, dans la mesure où il connaît une idée, n’est plus un individu.»
«...la connaissance, en général, fait partie elle-même de l’objectivation de la volonté considérée à ses degrés supérieurs...»
«...la sensibilité, les nerfs, le cerveau sont, au même titre que les autres parties de l’être organique, l’expression de la volonté considérée à ce degré d’objectivité ; nous savons par suite que la représentation qui en résulte est également destinée au service de la volonté comme moyen pour arriver à un but actuellement plus compliqué et pour conserver un être ayant des besoins multiples.»
«Car l’individu considère son corps comme un objet au milieu d’autres objets,...»
«...la considération de ces objets doit donc toujours, par un chemin plus ou moins détourné, aboutir au corps, et par suite à la volonté.»
«...la connaissance, destinée à servir la volonté, va tendre à connaître uniquement dans les objets les rapports établis par le principe de raison, c’est-à-dire à rechercher leurs relations multiples considérées sous les formes du temps, de l’espace et de la causalité»
«...car ce qui sépare son commencement de sa fin, c’est justement le temps...». Il en parle comme si nous étions parasités !
«Chez les animaux, la servitude de la connaissance à l’égard de la volonté ne peut jamais être supprimée. Chez les hommes, l’abolition de cette servitude n’a lieu qu’à titre d’exception...».
Chap. 34
L’INDIVIDU S’ÉLÈVE, PAR LA CONTEMPLATION DÉSINTÉRESSÉE DES CHOSES, À L’ÉTAT DE SUJET PUR DONT TOUT LE CONTENU EST L’OBJET PUR. CETTE IDENTITÉ DU SUJET ET DE L’OBJET CONSTITUE L’IDÉE.
«Ce passage de la connaissance commune des choses particulières à celle des Idées est possible ... il doit être regardé comme exceptionnel ...se produit brusquement ; c’est la connaissance qui s’affranchit du service de la volonté. Le sujet cesse par le fait d’être ... individuel ... devient alors un sujet purement connaissant et exempt de volonté ; il n’est plus astreint à rechercher des relations conformément au principe de raison ; absorbé désormais dans la contemplation profonde de l’objet qui s’offre à lui, affranchi de toute autre dépendance, c’est là désormais qu’il se repose et qu’il s’épanouit.»
note 21 page 1027 Idée, sujet, objet. Pour Hartmann un des meilleurs interprètes de Schopenhauer «l'Idée est l'éternel sujet-objet»
Note 23 page 1028 Citation du troisième genre de connaissance de Spinoza renvoyant au chapitre 41 des compléments.
«...qu’il soit impossible de distinguer le sujet de l’intuition elle-même et que celle-ci comme celui-là se confondent en un seul être, en une seule conscience entièrement occupée et remplie par une vision unique et intuitive ; lorsque enfin l’objet s’affranchit de toute relation avec ce qui n’est pas lui et le sujet, de toute relation avec la volonté ; alors, ce qui est ainsi connu, ce n’est plus la chose particulière en tant que particulière, c’est l’Idée, la forme éternelle, l’objectité immédiate de la volonté ; à ce degré par suite, celui qui est ravi dans cette contemplation n’est plus un individu (car l’individu s’est anéanti dans cette contemplation même), c’est le sujet connaissant pur, affranchi de la volonté, de la douleur et du temps.» Qu'elle différence avec la rêverie ?
Tome 2 Chapitre XXX pour les chapitre 33 et 34 du tome 1
DU PUR SUJET DE LA CONNAISSANCE
«La conception d’une idée, l’introduction de cette idée dans notre conscience demande en nous pour condition préalable un changement ... comme un acte de renoncement à soi-même. Ce changement consiste en effet dans une séparation momentanée et complète de la connaissance d’avec la volonté propre : la connaissance ... considérer les choses comme si elles ne pouvaient jamais concerner en rien la volonté. ...c’est le seul moyen pour la connaissance de devenir le pur reflet de la nature objective des choses. Toute œuvre d’art ... doit avoir pour principe et pour base une connaissance soumise à ces conditions. La modification ... dans le sujet, par cela même qu’elle consiste dans l’élimination de tout vouloir, ne peut dériver de la volonté ; elle n’est donc pas le fait de notre libre arbitre, ... nous n’en sommes pas les maîtres. ... elle a pour unique origine une prédominance momentanée de l’intellect sur la volonté, ou, au point de vue physiologique, une forte excitation de l’activité cérébrale intuitive, sans aucune excitation des penchants ou des passions. Pour plus de clarté, je rappelle que notre conscience a deux faces : elle est d’une part conscience du moi propre, c’est-à-dire volonté ; d’autre part, conscience des autres choses, et à ce titre tout d’abord connaissance intuitive du monde extérieur, aperception des objets. Plus l’un des côtés de la conscience totale se dessine nettement, plus l’autre s’efface. La conscience des autres choses, ou connaissance intuitive, sera donc d’autant plus parfaite, c’est-à-dire d’autant plus objective, que nous aurons moins conscience de notre propre moi.»
«La connaissance pure, sans mélange de volonté, se produit donc, lorsque la conscience des autres choses s’élève à une telle puissance que la conscience du moi propre disparaît.»
«...partout la volonté, en tant que principe de subjectivité, est l’opposé, l’antagoniste de la connaissance.»
«...la réflexion abstraite et la lecture, toutes deux liées aux mots, appartiennent aussi ... à la conscience des autres choses, c’est-à-dire à l’occupation objective de l’esprit. Mais ce n’est encore qu’indirectement, car elles réclament l’intermédiaire des concepts ; or ceux-ci sont un produit artificiel de la raison, et par suite déjà une œuvre intentionnelle.»
«...la pure objectivité de l’intuition, moyen de reconnaître non plus l’objet isolé ..., mais l’idée de son espèce, demande qu’on ait conscience, non plus de soi-même, mais des seuls objets perçus, et que la conscience propre ne subsiste qu’à titre de soutien de l’existence objective de ces objets.»
«La connaissance ... quoique issue de la volonté, ... et fondée sur le phénomène de cette volonté, sur l’organisme, n’en est pas moins corrompue par cette même volonté, comme la flamme est obscurcie par la matière en combustion et la fumée qui s’en dégage.»
«les idées des êtres ressortent plus facilement pour nous de l’œuvre d’art que de la réalité. ... ce que nous apercevons seulement dans un tableau ou dans une poésie se trouve en dehors de toute relation possible avec notre volonté ; ... cela n’existe déjà en soi même que pour la connaissance et ne s’adresse immédiatement qu’à elle seule. Au contraire, pour saisir l’idée du milieu de la réalité, il faut en quelque sorte faire abstraction de sa volonté propre, s’élever au-dessus de son intérêt, ce qui exige une énergie particulière de l’intelligence.»
«... nous arrive-t-il par exception d’éprouver une élévation momentanée de l’intensité de notre intelligence intuitive ; aussitôt nous voyons les choses d’un tout autre œil : nous ne les concevons plus alors d’après leurs relations, mais selon ce qu’elles sont en soi et par soi, et soudain, avec leur existence relative, nous percevons encore leur existence absolue.»
«Pourquoi la vue de la pleine lune exerce-t-elle une action si bienfaisante, si calmante, si propre à élever l’âme ? C’est que la lune est objet d’intuition, et non de volonté... Elle est grande, c’est-à-dire elle nous dispose à la grandeur, parce que, sans rapport avec nous, éternellement étrangère à l’agitation terrestre, elle passe et voit tout sans prendre part à rien. Aussi, à son aspect, la volonté, avec ses misères incessantes, s’efface-t-elle de la conscience et laisse-t-elle sa place à la connaissance pure.»
Chap. 35
LES ÉVÉNEMENTS N’ONT D’IMPORTANCE, AUX YEUX DE LA CONNAISSANCE PHILOSOPHIQUE, QUE COMME MANIFESTATION DES IDÉES.
« Pour arriver à une intuition plus profonde de l’être du monde, il faut de toute nécessité faire une distinction entre la volonté considérée comme chose en soi et son objectité adéquate [et] entre les différents degrés de clarté et de perfection de cette objectité, c’est-à-dire les Idées...»
«...le simple phénomène des idées soumis aux différentes expressions du principe de raison et de la modalité inhérente à la connaissance individuelle.»
«...Platon, qui ne reconnaît d’existence propre qu’aux Idées et qui n’accorde aux choses situées dans le temps et dans l’espace ... pas plus de réalité qu’aux fantômes ni qu’aux songes.»
«... l’idée une et identique se manifeste en tant de phénomènes différents ...»
«..on distinguera l’idée elle-même de la manière dont son phénomène tombe sous l’aperception de l’individu ; on reconnaîtra dans celle-là l’essentiel, dans celle-ci l’accidentel.»
Chap. 36
LA CONTEMPLATION DES IDÉES, L’ART, LE GÉNIE. – OPPOSITION ENTRE LE GÉNIE ET LA CONNAISSANCE DISCURSIVE. – GÉNIE ET FOLIE.
«L’histoire suit le fil des événements ; elle est pragmatique, dans la mesure où elle les déduit d’après la loi de motivation, loi qui détermine les phénomènes de la volonté, lorsqu’elle est éclairée par la connaissance.»
«Aux degrés inférieurs de son objectité, là où la volonté agit encore inconsciemment, c’est la science de la nature, en tant qu’étiologie, qui étudie les lois des modifications des phénomènes ; en tant que morphologie, elle étudie ce qu’il y a de permanent dans les phénomènes, elle simplifie sa matière presque infinie à l’aide des concepts, elle rassemble les caractères généraux pour en déduire le particulier.»
«... la mathématique étudie l’espace et le temps, formes simples, à l’aide desquelles les Idées nous apparaissent comme phénomènes multiples, appropriées à la connaissance du sujet en tant qu’individu.»
«Toutes ces études, dont le nom générique est celui de science, se conforment en cette qualité au principe de raison, ... leur matière n’est toujours que le phénomène,»
«...y a-t-il une connaissance spéciale qui s’applique à ce qui dans le monde subsiste en dehors et indépendamment de toute relation, à ce qui fait à proprement parler l’essence du monde et le substratum véritable des phénomènes, à ce qui est affranchi de tout changement et par suite connu avec une égale vérité pour tous les temps, en un mot aux Idées, lesquelles constituent l’objectité immédiate et adéquate de la chose en soi, de la volonté ? – Ce mode de connaissance, c’est l’art, c’est l’œuvre du génie.»
«Son origine unique est la connaissance des Idées ; son but unique, la communication de cette connaissance. – Suivant le courant interminable des causes et des effets, tel qu’il se manifeste sous ses quatre formes,...» Quelles quatre formes ?
Tome 2 pour le chapitre 36 du tome 1
Chapitre XXXI
DU GÉNIE
Du génie pour les uns ou du talent pour l'homme ordinaire !
«Comme cette connaissance a pour objet les idées platoniciennes et que les idées se conçoivent non pas in abstracto, mais par la seule intuition, l’essence du génie doit consister dans la perfection et l’énergie de la connaissance intuitive.»
«L’intellect n’est par destination que l’intermédiaire des motifs ; en conséquence il ne conçoit primitivement des choses que leurs relations directes, indirectes ou possibles avec la volonté.»
«...le résultat de nos recherches du premier livre à savoir que toute intuition tient à l’intelligence et non pas seulement aux sens.»
«C’est à l’intuition que se dévoile et se révèle tout d’abord l’essence propre et véritable des choses, bien que d’une manière encore toute relative. Tous les concepts, toutes les idées ne sont que des abstractions, c’est-à-dire des représentations partielles d’intuition, dues à une simple élimination de pensée. Toute connaissance profonde, toute véritable sagesse même a sa racine dans la conception intuitive des choses, ainsi que nous l’avons longuement exposé dans les Compléments au premier livre.»
«Si, d’après ce qui précède, le genre de connaissance particulier et essentiel au génie est l’intuition, l’objet propre néanmoins n’en est nullement constitué par les êtres individuels, mais par les idées platoniciennes qui s’expriment en eux, telles que nous en avons analysé la conception au chapitre XXIX.»
«Le talent, c’est le tireur qui atteint un but que les autres ne peuvent toucher ; le génie, c’est celui qui atteint un but que les autres ne peuvent même pas voir : ils n’apprennent donc à le connaître qu’indirectement, c’est-à-dire tard, et ils s’en rapportent alors même à la parole d’autrui.»
«...Résumé analytique des observations de Fr. Cuvier sur l’instinct et l’intelligence des animaux, par Flourens, 1841. On y lit ... page 118 : « La conservation des espèces ne repose pas moins sur les qualités intellectuelles des animaux, que sur leurs qualités organiques. » Cette dernière remarque confirme ma proposition que l’intellect, comme les serres et les dents, n’est autre chose qu’un instrument au service de la volonté.»
Chapitre XXXII
DE LA FOLIE
«...la volonté alors apparaît comme force naturelle aveugle, impétueuse, destructive, et se manifeste par la rage d’anéantir tout ce qu’elle rencontre sur son chemin. La volonté ainsi déchaînée ressemble alors au fleuve qui a rompu ses digues, au cheval qui a désarçonné son cavalier, à la montre dont on a enlevé les vis modératrices. Cependant, c’est la raison seule, c’est-à-dire la connaissance réfléchie qui se trouve frappée de suspension, mais non la connaissance intuitive ; sinon la volonté serait privée de toute direction et l’homme devrait demeurer immobile.»
Chap. 37
L’HOMME EST CAPABLE DE S’ÉLEVER À LA CONTEMPLATION, MÊME SANS GÉNIE : L’ART NOUS Y CONDUIT.
«L’œuvre d’art n’est qu’un moyen destiné à faciliter la connaissance de l’idée, connaissance qui constitue le plaisir esthétique. Puisque nous concevons plus facilement l’idée par le moyen de l’oeuvre d’art que par la contemplation directe de la nature et de la réalité, il s’ensuit que l’artiste, ne connaissant plus la réalité, mais seulement l’idée, ne reproduit également dans son oeuvre que l’idée pure ; il la distingue de la réalité, il néglige toutes les contingences qui pourraient l’obscurcir. L’artiste nous prête ses yeux pour regarder le monde.»
Chap. 38
LE PLAISIR ESTHÉTIQUE : IL NAÎT D’UN EXERCICE DE LA FACULTÉ DE CONNAÎTRE, INDÉPENDANT DE LA VOLONTÉ.
«Nous avons trouvé dans la contemplation esthétique deux éléments inséparables : la connaissance de l’objet considéré non comme chose particulière, mais comme idée platonicienne, c’est-à-dire comme forme permanente de toute une espèce de choses ; puis la conscience, celui qui connaît, non point à titre d’individu, mais à titre de sujet connaissant pur, exempt de volonté. Nous avons également vu la condition nécessaire pour que ces deux éléments se montrent toujours réunis ; il faut renoncer à la connaissance liée au principe de raison, laquelle cependant est seule valable pour le service de la volonté comme pour la science.»
«...le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable.»
«J’espère avoir montré clairement par ces considérations la nature et l’importance de la condition subjective du plaisir esthétique ; cette condition, nous l’avons vu, consiste à affranchir la connaissance que la volonté asservissait, à oublier le moi individuel, à transformer la conscience en un sujet connaissant pur et affranchi de la volonté, du temps, de toute relation
Tome 2 Chapitre XXXIII pour le chapitre 38 du tome 1
REMARQUES DÉTACHÉES SUR LA BEAUTÉ NATURELLE
1788 «proverbe indien : « Le plus petit grain de riz projette aussi son ombre. »»
Chap. 39
DU SUBLIME : IL RÉSULTE DE L’EFFORT PAR LEQUEL UN INDIVIDU, EN FACE D’OBJETS HOSTILES, SE SOUSTRAIT À LA VOLONTÉ, SE FAIT SUJET PUR, ET LES CONTEMPLE. SUBLIME DYNAMIQUE ET SUBLIME MATHÉMATIQUE. EXEMPLES.
«Nous avons cherché à mettre en lumière la part subjective du plaisir esthétique (en parlant de part subjective, j’entends ce qui dans ce plaisir se ramène à la joie d’exercer la faculté de connaître d’une manière pure, intuitive, indépendante de la volonté).»
«...dans le cours de sa propre existence, il considérera moins son sort individuel que celui de l’humanité en général : il sera capable de connaître plutôt que sujet à souffrir.» Sort-il de sa misanthropie ?
Chap. 40
DU JOLI : IL FLATTE LA VOLONTÉ ET DÉTRUIT LA CONTEMPLATION. IL DOIT ÊTRE EXCLU DE L’ART.
Est-ce utile de savoir ce qui est sublime, ce qui de plus va dépendre de l'individu dans son époque ? C'est étonnant ici il en reste à l’aspect premier des représentations peintes de natures mortes et ou sculptées de nus qui détourneraient d'une réflexion plus générale.
Chap. 41
DE LA BEAUTÉ : QU’IL Y A DE LA BEAUTÉ PARTOUT, MÊME DANS LES OEUVRES LES PLUS IMPARFAITES DE L’ART.
«...notre théorie des Idées s’écarte beaucoup de celle de Platon. Il enseigne (De Rep., X) que l’objet que les beaux-arts s’efforcent de reproduire, c’est-à-dire le modèle de la peinture et de la poésie, ce n’est point l’Idée, mais la chose particulière. Toute l’analyse que nous avons faite jusqu’ici établit justement le contraire ; et cette opinion de Platon doit d’autant moins nous troubler, qu’elle est la cause d’une des plus grandes et des plus signalées erreurs de ce grand homme, je veux dire la sentence de dédain et de bannissement qu’il a prononcée contre l’art et particulièrement contre la poésie ; le faux jugement qu’il porte à cet égard se rattache directement au passage que nous avons mentionné.» Ce rejet des poètes par Platon serait dû au fait que ceux-ci seraient aussi des prosélytes des dogmes religieux ?
Chap. 42
DEUX FORMES DU PLAISIR ESTHÉTIQUE : IDÉES INFÉRIEURES, IDÉES SUPÉRIEURES.
«...la connaissance du beau suppose toujours un sujet connaissant pur et une Idée connue comme objet, tous deux simultanés, tous deux inséparables.» Le beau nous mènerait-il vers la compréhension de la métaphysique ? Et quel beau ? Certains trouvent beau un champ de tournesols alors que ce champ peut être plein de pesticides et autres intrants néfastes à dame Nature.
Chap. 43
LA BEAUTÉ EN ARCHITECTURE : ELLE RÉSULTE DE LA CONTEMPLATION DE DEUX FORCES ÉLÉMENTAIRES : LA RÉSISTANCE ET LA LUMIÈRE. L’HYDRAULIQUE ARTISTIQUE.
«La matière, prise comme telle, ne peut pas être la représentation d’une Idée. La matière, comme nous l’avons découvert dans le premier livre, est essentiellement causalité ; son être ne consiste que dans l’agir. Or la causalité est une expression du principe de raison, tandis que la connaissance de l’Idée exclut essentiellement le contenu de ce principe.»
«Nous avons vu encore, dans le deuxième livre, que la matière était le substratum commun de toutes les manifestations particulières des Idées ; que par suite elle formait le lien entre les Idées et leur phénomène, je veux dire les choses particulières.»
«Ces deux principes s’accordent donc à nier que la matière puisse par elle-même représenter une Idée.»
«...la matière, prise comme matière, ne peut être l’objet d’aucune représentation intuitive, mais seulement d’un concept abstrait ; en effet, la conception intuitive n’a d’autre objet que les formes et les qualités, dont la matière est le support et qui représentent toutes des Idées.»
«...la causalité, essence même de la matière, ne peut être par elle-même représentée d’une manière intuitive ; une pareille représentation n’est possible que pour une relation causale déterminée.»
«...tout phénomène d’une Idée doit se manifester par la matière, à titre de qualité de la matière. – C’est en ce sens que la matière, ... forme la liaison entre l’Idée et le principe d’individuation, lequel n’est autre chose que la forme de la connaissance de l’individu, c’est-à-dire le principe de raison.»
«... Platon avait-il bien raison lorsque, au-dessous de l’Idée et de la chose particulière, son phénomène, ..., il admettait encore un troisième élément, différent des deux autres, la matière...»
«L’individu, en tant que phénomène de l’Idée, est toujours matière. Réciproquement toute qualité de la matière est toujours phénomène d’une Idée ...»
«...contemplée d’une manière esthétique, c’est-à-dire de se prêter à la conception de l’Idée qu’elle représente. Cela est vrai même pour les qualités les plus générales de la matière, qualités dont elle ne se départit jamais et dont les Idées constituent les degrés inférieurs de l’objectité de la volonté. Ce sont : la pesanteur, la cohésion, la résistance, la fluidité, la réflexion de la lumière, etc.»
Tome 2 Chapitre XXXV pour le chapitre 43 du tome 1
L’ESTHÉTIQUE DE L’ARCHITECTURE
«D’une façon générale, l’architecture et la musique ne sont pas des arts d’imitation, quoique bien souvent on les ait toutes deux tenues pour telles.
Ainsi que je l’ai longuement exposé dans le texte, la satisfaction esthétique repose toujours sur la conception d’une idée (platonicienne). L’architecture, considérée seulement à titre d’art et de source du beau, a pour thème propre les idées des degrés inférieurs de la nature, c’est à-dire la pesanteur, la rigidité, la cohésion, et non pas, comme on le croyait jusqu’ici, la simple régularité de forme, la proportion et la symétrie. Ces qualités, purement géométriques, sont des propriétés de l’espace, et non des idées ; elles ne peuvent donc être l’objet d’aucun des beaux-arts.»

Chap. 44
LA BEAUTÉ DANS L’ART DES JARDINS, DANS LA PEINTURE DE PAYSAGE, CHEZ LES ANIMALIERS.
L'art dans les jardins et la nature ...
Chap. 45
LA BEAUTÉ HUMAINE DANS LA SCULPTURE. L’ARTISTE NE COPIE PAS LA RÉALITÉ ; IL EN DÉGAGE L’IDÉE.
Winckelmann (archéologue, antiquaire et historien de l’art allemand.) cité souvent dans les chapitres 45 à 51.
«Représenter d’une manière immédiate et intuitive les Idées dans lesquelles la volonté atteint le plus haut degré de son objectivation, telle est enfin la grande mission de la peinture d’histoire et de la sculpture. Le côté objectif du plaisir esthétique est ici tout à fait dominant ; le côté subjectif passe dans l’ombre.»
«La beauté humaine est une expression objective qui figure l’objectivation la plus parfaite de la volonté au plus haut degré où elle soit connaissable : j’entends par là l’Idée de l’homme, exprimée complètement sous une forme intuitive.»
«nous ne pouvons acquérir purement a posteriori, par la seule expérience, aucune connaissance de la beauté ; cette connaissance nous vient toujours, du moins en partie, a priori, bien qu’elle soit d’un tout autre genre que les expressions du principe de raison qui nous sont également connues a priori. Celles-ci concernent la forme générale du phénomène considéré comme phénomène, en tant que cette forme constitue la condition générale de la possibilité de la connaissance ; elles concernent le « comment », question générale et universelle qui vise le phénomène ; c’est de ce genre de connaissance que procèdent les mathématiques et les sciences naturelles pures : au contraire cet autre genre de connaissance a priori qui rend possible la réalisation du beau concerne non la forme, mais le contenu des phénomènes, non le comment, mais la nature même de la représentation.»
«...nous sommes nous-mêmes cette volonté dont il s’agit ici d’analyser et de créer l’objectivation adéquate, dans ses degrés supérieurs.»
Chap. 46
DIGRESSION : POURQUOI LAOCOON, DANS LE GROUPE QUI PORTE SON NOM, N’EST PAS REPRÉSENTÉ DANS L’ACTION DE CRIER.
Laocoon crie-t-il ou pas ? Tel est la question soulevée dans ce chapitre.
Chap. 47
DU NU ET DU VÊTEMENT EN SCULPTURE.
A poil ou Pas ? Sinon se mettre à nu dans ses propos pour sortir de la solitude :
«...de même, toute belle et vraiment riche intelligence s’exprimera toujours de la manière la plus naturelle, la plus directe et la plus simple, toutes les fois qu’elle s’efforcera, si cela est possible, d’exprimer ses pensées aux autres et par là même de s’adoucir la solitude que l’on doit ressentir dans un monde comme celui-ci...» L'excès de parures cache-t-il un manque d'esprit et d'éloquence ?
Chap. 48
DE LA PEINTURE : PEINTURE DE GENRE ; PEINTURE D’HISTOIRE : STÉRILITÉ DE L’HISTOIRE JUDÉO-CHRÉTIENNE EN SUJETS PITTORESQUES ; LA MORALE CHRÉTIENNE, INSPIRATION ARTISTIQUE INCOMPARABLE.
Présentation de la Volonté dans la peinture d'histoire ?
Chap. 49
DIFFÉRENCE ENTRE L’IDÉE ET LE CONCEPT, ENTRE LE GÉNIE ET L’IMITATION. POURQUOI LE GÉNIE EST SOUVENT MÉCONNU.
«...l’art, l’objet que l’artiste s’efforce de représenter, l’objet dont la connaissance doit précéder et engendrer l’œuvre, comme le germe précède et engendre la plante, cet objet est une Idée, au sens platonicien du mot, et n’est point autre chose ; ce n’est point la chose particulière, car ce n’est point l’objet de notre conception vulgaire ; ce n’est point non plus le concept, car ce n’est point l’objet de l’entendement, ni de la science.»
«...l’Idée et le concept ont quelque chose de commun, en ce qu’ils sont tous deux des unités représentant une pluralité de choses réelles...»
«...entre eux une grande différence ... qui explique d’une manière suffisamment claire et lumineuse ce que j’ai dit du concept dans le premier livre et des Idées dans celui-ci.»
«Platon avait-il déjà nettement conçu cette différence ? ... il donne, à propos des Idées, nombre d’exemples et d’explications que l’on pourrait appliquer à de simples concepts.» Donc ils ne seraient pas d'accord ?
Note 110 page 1043 «Schopenhauer ... soutient que les idées platoniciennes sont intuitivement perçues ... des intuitivités ou visibilités....»
« Le concept est abstrait et discursif ; complètement indéterminé, quant à son contenu, rien n’est précis en lui que ses limites ; l’entendement suffit pour le comprendre et pour le concevoir ; les mots, sans autre intermédiaire, suffisent à l’exprimer ; sa propre définition, enfin, l’épuise tout entier.»
«L’Idée au contraire, que l’on peut à la rigueur définir le représentant adéquat du concept, est absolument concrète ; elle a beau représenter une infinité de choses particulières, elle n’en est pas moins déterminée sur toutes ses faces ; l’individu, en tant qu’individu, ne la peut jamais connaître ; il faut, pour la concevoir, dépouiller toute volonté, toute individualité, et s’élever à l’état de sujet connaissant pur ; autant vaut dire qu’elle est cachée à tous, si ce n’est au génie ... : l’Idée n’est point essentiellement communicable, elle ne l’est que relativement ; car, une fois conçue et exprimée dans l’œuvre d’art, elle ne se révèle à chacun que proportionnellement à la valeur de son esprit ...» Pauvre de nous sans génie.
«L’Idée, c’est l’unité qui se transforme en pluralité par le moyen de l’espace et du temps, formes de notre aperception intuitive...»
«...le concept ... c’est l’unité extraite de la pluralité, au moyen de l’abstraction qui est un procédé de notre raison...»
« ...le concept peut être appelé unitas post rem [unité après la chose], l’Idée unitas ante rem [l'unité avant la chose].»
«... différence entre concept et Idée : le concept ressemble à un récipient inanimé ; ce qu’on y dépose reste bien placé dans le même ordre ; mais on n’en peut tirer (par les jugements analytiques) rien de plus que ce que l’on y a mis (par la réflexion synthétique) ; l’Idée, au contraire, révèle à celui qui l’a conçue des représentations toutes nouvelles au point de vue du concept de même nom : elle est comme un organisme vivant, croissant et prolifique, capable en un mot de produire ce que l’on n’y a pas introduit
«...quelle que soit dans la pratique l’utilité du concept, quelles que soient ses applications, sa nécessité, sa fécondité dans les sciences, il n’en reste pas moins éternellement stérile au point de vue artistique. Au contraire, une fois conçue, l’Idée devient la source véritable et unique de toute œuvre d’art digne de ce nom.»
«Toute pleine d’une vigoureuse originalité, résidant au sein de la vie et de la nature, ... C’est seulement d’une vision aussi directe que peuvent naître les œuvres véritables, celles qui portent en elles l’immortalité.»
«Comme l’Idée est et demeure intuitive, l’artiste n’a aucune conscience in abstracto de l’intention, ni du but de son œuvre ; ce n’est point un concept, c’est une Idée qui plane devant lui : aussi ne peut-il rendre aucun compte de ce qu’il fait ; il travaille, comme on dit vulgairement, à vue de nez, inconsciemment, instinctivement.»
Un râleur «la masse abrutie»
Ce prend vraiment pour un génie et c'est fatigant qu'il nous prenne continuellement pour des crétins.
Tome 2 Chapitre XXXIV pour le chapitre 49 du tome 1
DE L’ESSENCE INTIME DE L’ART
«Il résulte des chapitres précédents et de toute ma théorie de l’art que l’art a pour but d’aider à la connaissance des Idées du monde (au sens platonicien, le seul que je reconnaisse au mot Idée). Or les Idées sont essentiellement un objet d’intuition, et par là inépuisables dans leurs déterminations plus intimes. Pour les communiquer, il faut prendre alors la voie intuitive, qui est celle de l’art. Tout homme qui est plein de la conception d’une idée et veut la communiquer est donc autorisé à choisir l’art comme intermédiaire. – Le simple concept au contraire est chose que la pensée suffit pleinement à saisir, à déterminer, à épuiser, et dont tout le contenu se peut froidement et sèchement exprimer par des mots. Vouloir l’exprimer par une œuvre d’art, c’est faire un détour bien inutile, c’est tomber dans cette habitude, que nous blâmions tout à l’heure, de jouer sans aucun but avec les ressources de l’art.»
«L’impression produite par une œuvre d’art ne nous satisfait entièrement que s’il en reste une partie qu’aucune réflexion ne peut rabaisser à la précision d’un simple concept.»
Chap. 50
DE L’ALLÉGORIE : DÉPLACÉE EN PEINTURE, OÙ ELLE NOUS FAIT REDESCENDRE DE L’INTUITION AU CONCEPT, ELLE EST EXCELLENTE EN POÉSIE, OÙ ELLE AJOUTE AU CONCEPT UNE IMAGE INTUITIVE.
L'art un pont entre l'Idée et nous «Le but de l’art est donc de communiquer l’Idée une fois conçue ; après être ainsi passée par l’esprit de l’artiste, où elle apparaît purifiée et isolée de tout élément étranger, elle est intelligible, même à une intelligence d’une faible réceptivité et d’une stérilité complète...»
«...le passage de l'Idée au concept est toujours une dégradation.»
«un tableau allégorique ... une pareille œuvre sert, en même temps, à deux fins, l’expression d’un concept et celle d’une Idée ; seule, l’expression d’une Idée peut être le but de l’art...»
«La sculpture grecque correspond à l’intuition : aussi est-elle esthétique ; la sculpture hindoue correspond au concept : aussi est-elle simplement symbolique.»
«...dans la poésie au contraire, le rapport est inverse : ici ce qui nous est directement offert par le moyen des mots, c’est le concept ; or l’artiste a toujours pour but de nous conduire du concept à l’intuition...»
«...en poésie, c’est le concept qui constitue la matière, la donnée immédiate, et l’on peut parfaitement s’élever au-dessus de lui pour évoquer une représentation intuitive tout à fait différente dans laquelle le but de la poésie se trouve atteint.»
Utilisation du mot Trope, pour le Dictionnaire Larousse : Emploi d'un mot ou d'une expression dans un sens figuré. (Exemple : voiles pour bateaux.)
«...le symbole offre, entre autres inconvénients, celui de laisser sa signification en proie à l’oubli et aux injures du temps. Qui devinerait, s’il ne le savait par avance, pourquoi le poisson est le symbole du christianisme 72 ? Champollion seul à coup sûr ; car il n’y a là qu’un hiéroglyphe phonétique. C’est pourquoi aujourd’hui l’Apocalypse de saint Jean se trouve comme allégorie poétique à peu près sur le même pied que les bas-reliefs portant l’inscription « Magnus Deus sol Mithra » [Mithra grand dieu soleil], sur lesquels on ne cesse point de discuter encore aujourd’hui.» Note 72 «Schopenhauer fait ici allusion à un acrostiche bien connu : Іησους Χριστος Θεου Υιος Σωτηρ, mots qui signifient : « Jésus-Christ, fils de Dieu, Sauveur, » et dont les initiales composent le mot grec Ιχθυς : poisson.»
Tome 2 Chapitre XXXVI pour les chapitres 44 à 50 du tome 1
REMARQUES DÉTACHÉES SUR L’ESTHÉTIQUE DES ARTS PLASTIQUES
«le but propre de la peinture, ainsi que de l’art en général, est de nous faciliter la conception des idées (platoniciennes) des êtres de ce monde, ce qui nous transporte en même temps dans un état de connaissance pure, c’est-à-dire dégagée de la volonté. Mais à cette beauté vient s’en joindre une autre, indépendante de la première, et toute particulière, celle qui résulte de la simple harmonie des couleurs, du bonheur de la disposition, de la répartition favorable de l’ombre et de la lumière et du ton général du tableau. Ce nouveau genre de beauté, quoique secondaire, aide aussi à produire l’état de connaissance pure : c’est dans la peinture ce que sont dans la poésie la diction, le mètre et la rime ; ce n’est pas l’essentiel, mais c’est ce qui agit tout d’abord et immédiatement.»
Chap. 51
LA POÉSIE : SON OBJET PROPRE EST L’IDÉE DE L’HOMME. SA SUPÉRIORITÉ À L’ÉGARD DE L’HISTOIRE ET MÊME DE L’AUTOBIOGRAPHIE. POÉSIE SUBJECTIVE OU LYRIQUE. POÉSIE OBJECTIVE : IDYLLE, ROMAN, ÉPOPÉE, DRAME. LA TRAGÉDIE EST LA FORME SUPRÊME DE LA POÉSIE : ELLE NOUS MONTRE L’ASPECT TERRIBLE DE LA VIE. LA TRAGÉDIE LA PLUS PARFAITE EST CELLE QUI NOUS PRÉSENTE LE MALHEUR COMME UN ÉVÉNEMENT NATUREL, FAMILIER, CONSTANT.
«Les Idées sont, par essence, intuitives»
«...dans la poésie, on n’exprime directement par des mots que des concepts abstraits, il n’en est pas moins évident que le but est de faire voir à l’auditeur, au moyen des signes représentatifs de ces concepts, les Idées de la vie. Et cela n’est possible que si cet auditeur prête au poète le concours de sa propre imagination.»
«...le poète tire de la généralité abstraite et transparente des concepts, par la manière dont il les unit, le concret, l’individuel, la représentation intuitive. Car l’Idée ne peut être connue que par intuition : et la connaissance de l’Idée est le but de toute forme d’art.»
«...l’expérience et l’histoire nous apprennent aussi à connaître l’homme : mais elles nous montrent les hommes plutôt que l’homme ; c’est-à-dire qu’elles nous fournissent des notions empiriques sur la façon dont les hommes se conduisent les uns envers les autres,...»
Étonnant que des savants, comme Schopenhauer, fassent des raccourcis, des rapprochements inadaptés : «De même qu’un cercle d’un pouce de circonférence et un cercle de 40 millions de milles de diamètre ont exactement les mêmes propriétés géométriques, de même les aventures et l’histoire d’un village et d’un empire sont essentiellement les mêmes...» On ne peut comparer des figures géométriques et le fonctionnement démocratique (la gestion immédiate) d'un village et le despotisme de l'empire qui l'inclut.
Tome 2 pour le chapitre 51 du tome 1
Chapitre XXXVII
DE L’ESTHÉTIQUE DE LA POÉSIE
«La plus simple et la plus juste définition que je puisse donner de la poésie, c’est de dire qu’elle est l’art de mettre en jeu l’imagination par le moyen des mots.»
«Goethe enfin l’a dit sans détour : « Il n’y a que les gueux qui soient modestes. » pour la traduction Folio-essais : «Seul les crapules sont modestes»
Chapitre XXXVIII
DE L’HISTOIRE
Chronologie de l’acquisition des savoirs «Dans tout ordre de choses les faits sont innombrables, les individus en nombre infini, et la variété de leurs différences est inexprimable. Un coup d’œil jeté sur cette foule donne le vertige à l’esprit curieux de savoir : il se voit condamné à l’ignorance, si loin qu’il pousse ses recherches. – Mais vient alors la science ; elle classe cette multiplicité innombrable, elle la groupe sous les concepts d’espèce, qu’elle range à leur tour sous les notions de genre : elle fraye ainsi la voie à une connaissance du général et du particulier, qui embrasse aussi la multitude des individus, puisqu’elle vaut pour tout, sans exiger un examen spécial de chaque chose considérée en soi. La science promet ainsi le repos à l’esprit investigateur. Puis toutes les sciences viennent se placer les unes à côté des autres et au-dessus du monde réel des individus qu’elles se sont partagé entre elles.»
Avec la philosophie au dessus «Mais au-dessus de toutes plane la philosophie, comme la science la plus générale et par là même la plus importante, qui énonce les solutions, auxquelles les autres ne font que préparer.»
Et l'histoire à part «– Seule l’histoire ne peut vraiment pas prendre rang au milieu des autres sciences, car elle ne peut pas se prévaloir du même avantage que les autres : ce qui lui manque en effet, c’est le caractère fondamental de la science, la subordination des faits connus dont elle ne peut nous offrir que la simple coordination. Il n’y a donc pas de système en histoire, comme dans toute autre science. L’histoire est une connaissance, sans être une science, car nulle part elle ne connaît le particulier par le moyen de l’universel, mais elle doit saisir immédiatement le fait individuel, et, pour ainsi dire, elle est condamnée à ramper sur le terrain de l’expérience. Les sciences réelles au contraire planent plus haut, grâce aux vastes notions qu’elles ont acquises, et qui leur permettent de dominer le particulier, ... Les sciences, systèmes de concepts, ne parlent jamais que des genres ; l’histoire ne traite que des individus. Elle serait donc une science des individus, ce qui implique contradiction. Il s’ensuit encore que les sciences parlent toutes de ce qui est toujours, tandis que l’histoire rapporte ce qui a été une seule fois et n’existe plus jamais ensuite. De plus, si l’histoire s’occupe exclusivement du particulier et de l’individuel, qui, de sa nature, est inépuisable, elle ne parviendra qu’à une demi-connaissance toujours imparfaite.»
«...dans l’histoire : il n’y a pas ici de généralité objective des concepts, il n’y a plus qu’une généralité subjective de ma connaissance, et celle-ci ne mérite le nom de générale que pour être superficielle.»
«...l’histoire, plus intéressante à mesure qu’elle est plus spéciale, devient en même temps d’autant plus suspecte, et se rapproche alors à tous égards du roman.»
«L’individu seul, en effet, et non l’espèce humaine, possède l’unité réelle et immédiate de conscience ; l’unité de marche dans l’existence de l’espèce humaine n’est donc, de même, qu’une pure fiction. En outre, de même que dans la nature l’espèce seule est réelle, et que les genres (genera) sont de simples abstractions, de même dans l’espèce humaine la réalité appartient aux individus seuls et à leur vie, les peuples et leur existence sont de simples abstractions. Enfin ces constructions historiques, guidées par un plat optimisme, aboutissent toujours en définitive à un état prospère, productif, fertile, pourvu d’une constitution bien réglée, d’une bonne justice et d’une bonne police, de nombreuses fabriques et d’une belle industrie. Tout au plus mènent-elles à un certain perfectionnement intellectuel ; c’est en effet le seul possible, car le côté moral, dans sa partie principale, demeure invariable. Or cette moralité est, au témoignage de notre conscience la plus intime, l’essentiel dans notre être, et elle n’existe dans l’individu que pour diriger sa volonté. En réalité la vie de l’individu possède seule de l’unité, de la liaison et une signification véritable ; nous devons y voir un enseignement dont l’esprit est moral. Seuls les faits intimes, en tant qu’ils concernent la volonté, ont une réalité véritable et sont de vrais événements, parce que seule la volonté est chose en soi. Tout microcosme renferme le macrocosme tout entier, et le second ne contient rien de plus que le premier. ... Ce que raconte l’histoire n’est en fait que le long rêve, le songe lourd et confus de l’humanité.»
«Les sots pensent au contraire qu’il va seulement naître et survenir quelque chose de grand. De là l’importance qu’ils attribuent à l’histoire dans leur philosophie ; de là cette construction de l’histoire sur l’hypothèse d’un plan universel, d’après lequel tout est régi pour le mieux et qui doit aboutir au règne d’une félicité parfaite, à une vie de délices. Ils croient donc à l’entière réalité de ce monde et ils en placent le but dans ce misérable bonheur terrestre, qui, en dépit des efforts des hommes et des faveurs du sort, n’en est pas moins une illusion creuse, un présent caduc et triste, dont ni constitutions ni législations, ni machines à vapeur ni télégraphes ne pourront jamais faire un bien véritable. Ces philosophes historiens et glorificateurs sont ainsi de naïfs réalistes, optimistes et eudémonistes, de plats compagnons d’existence et des philistins incarnés ; j’ajoute, même, de mauvais chrétiens, car le véritable esprit et la substance du christianisme, comme du brahmanisme et du bouddhisme, consiste à reconnaître le néant des biens de ce monde, à les mépriser entièrement et à se tourner vers une existence tout autre et même contraire.»
«La vraie philosophie de l’histoire ...ne doit pas considérer, pour parler la langue de Platon, ce qui devient toujours et n’est jamais, elle ne doit pas chercher là l’essence propre du monde, mais ce qu’elle ne doit pas perdre de vue, c’est ce qui est toujours et ne devient ni ne passe jamais. Elle ne consiste donc pas à élever les fins temporelles de l’homme à la hauteur de fins éternelles et absolues, à nous retracer la marche artificielle et imaginaire de l’humanité vers ces fins, au milieu de toutes les confusions et de toutes les erreurs. Mais il lui faut comprendre que l’histoire, non seulement dans sa forme, mais déjà dans sa matière même, est un mensonge : sous prétexte qu’elle nous parle de simples individus et de faits isolés, elle prétend nous raconter chaque fois autre chose, tandis que du commencement à la fin c’est la répétition du même drame, avec d’autres personnages et sous des costumes différents. La vraie philosophie de l’histoire revient à voir que sous tous ces changements infinis, et au milieu de tout ce chaos, on n’a jamais devant soi que le même être, identique et immuable, occupé aujourd’hui des mêmes intrigues qu’hier et que de tout temps : elle doit donc reconnaître le fond identique de tous ces faits anciens ou modernes, survenus à l’Orient comme à l’Occident ; elle doit découvrir partout la même humanité, en dépit de la diversité des circonstances, des costumes et des mœurs. Cet élément identique, et qui persiste à travers tous les changements, est fourni par les qualités premières du cœur et de l’esprit humains, – beaucoup de mauvaises et peu de bonnes. La devise générale de l’histoire devrait être : Eadem, sed aliter [les mêmes choses mais d’une autre manière]. Celui qui a lu Hérodote a étudié assez l’histoire pour en faire la philosophie ; car il y trouve déjà tout ce qui constitue l’histoire postérieure du monde : agitations, actions, souffrances et destinée de la race humaine, telles qu’elles ressortent des qualités en question et de la constitution physique du globe.»
«L’histoire est pour l’espèce humaine ce que la raison est pour l’individu.»
«L’animal, au contraire, dont la connaissance sans réflexion est bornée à l’intuition, et par suite au présent, erre parmi les hommes, même une fois apprivoisé, ignorant, engourdi, stupide, délaissé et esclave.– De même un peuple qui ne connaît pas sa propre histoire est borné au présent de la génération actuelle : il ne comprend ni sa nature, ni sa propre existence, dans l’impossibilité où il est de les rapporter à un passé qui les explique ; il peut moins encore anticiper sur l’avenir. Seule l’histoire donne à un peuple une entière conscience de lui-même. L’histoire peut donc être regardée comme la conscience raisonnée de l’espèce humaine ; elle est à l’humanité ce qu’est à l’individu la conscience soutenue par la raison, réfléchie et cohérente, dont le manque condamne l’animal à rester enfermé dans le champ étroit du présent intuitif. Toute lacune dans l’histoire ressemble ainsi à une lacune dans la conscience et la mémoire d’un homme ; et en présence d’un monument de l’antiquité primitive, qui a survécu à sa propre signification, par exemple en présence des pyramides, des temples et des palais du Yukatan, nous restons aussi déconcertés et aussi stupides que l’animal devant une action humaine, où il est impliqué à titre d’instrument, que l’homme qui considère une vieille page d’écriture chiffrée, dont il a perdu la clef, ou que le somnambule étonné de trouver le matin l’ouvrage fait par lui pendant son sommeil. L’histoire peut en ce sens être envisagée comme la raison ou la conscience réfléchie de l’humanité ; elle remplit le rôle d’une conscience de soi immédiate, commune à toute l’espèce et qui seule en fait un tout véritable, une humanité.»
«L’écriture ... sert à rétablir l’unité dans cette conscience du genre humain brisée et morcelée sans cesse par la mort : elle permet à l’arrière-neveu de reprendre et d’épuiser la pensée conçue par l’aïeul ; elle remédie à la dissolution du genre humain et de sa conscience en un nombre infini d’individus éphémères, et elle brave ainsi le temps qui s’envole dans une fuite irrésistible avec l’oubli son compagnon. Les monuments de pierre ne servent pas moins à cette fin que les monuments écrits, et leur sont en partie antérieurs.»
Chap. 52
LA MUSIQUE. DÉFINITION DE LEIBNIZ : ELLE EST VRAIE, MAIS INSUFFISANTE. LA MUSIQUE EST EN DEHORS DE LA HIÉRARCHIE DES AUTRES ARTS : ELLE N’EXPRIME PAS LES IDÉES ; ELLE EST, PARALLÈLEMENT AUX IDÉES, UNE EXPRESSION DE LA VOLONTÉ ELLE-MÊME. ANALOGIES ENTRE LA MUSIQUE ET LE MONDE : LA NOTE FONDAMENTALE ET LA MATIÈRE BRUTE ; LA GAMME ET L’ÉCHELLE DES ESPÈCES ; LA MÉLODIE ET LA VOLONTÉ CONSCIENTE, ETC. LA MUSIQUE N’EST PAS SEULEMENT UNE ARITHMÉTIQUE, ELLE EST UNE MÉTAPHYSIQUE. CONCLUSION DU LIVRE : EN QUEL SENS L’ART EST LA FLEUR DE LA VIE.
«Dans ce qui précède, nous avons étudié tous les beaux-arts au point de vue général que nous avons adopté ; nous avons commencé par l’architecture artistique, qui a pour but esthétique d’exprimer la volonté objectivée au plus bas degré qu’il nous soit donné de saisir, à savoir la tendance sourde, inconsciente, nécessaire, de la matière, où déjà cependant percent un antagonisme et une lutte internes dans le combat de la pesanteur contre la résistance ; nous avons terminé par la tragédie, qui nous fait voir, au plus haut degré de cette objectivation, cette même lutte de la volonté avec elle-même, mais avec des proportions et une clarté qui nous effraient...»
«...la musique. Elle est placée tout à fait en dehors des autres arts. Nous ne pouvons plus y trouver la copie, la reproduction de l’Idée de l’être tel qu’il se manifeste dans le monde ; et d’autre part, c’est un art si élevé et si admirable, si propre à émouvoir nos sentiments les plus intimes, si profondément et si entièrement compris, semblable à une langue universelle qui ne le cède pas en clarté à l’intuition elle-même !»
«Nous considérons les choses au point de vue esthétique, nous nous proposons d’envisager l’effet esthétique, et à ce point de vue nous devons reconnaître dans la musique une signification plus générale et plus profonde, en rapport avec l’essence du monde et notre propre essence...»
«Elle doit avoir, en quelque façon, avec le monde le rapport du représentant au représenté ; de la copie au modèle...»
«Les arts n’objectivent donc pas la volonté directement, mais par l’intermédiaire des Idées. Or, le monde n’est que le phénomène des Idées multiplié indéfiniment par la forme du principium individuationis, seule forme de la connaissance qui soit à la portée de l’individu en tant qu’individu. Mais la musique, qui va au-delà des Idées, est complètement indépendante du monde phénoménal ; elle l’ignore absolument, et pourrait en quelque sorte continuer à exister, alors même que l’univers n’existerait pas : on ne peut en dire autant des autres arts. La musique, en effet, est une objectité, une copie aussi immédiate de toute la volonté que l’est le monde, que le sont les Idées elles-mêmes dont le phénomène multiple constitue le monde des objets individuels. Elle n’est donc pas, comme les autres arts, une reproduction des Idées, mais une reproduction de la volonté au même titre que les Idées elles-mêmes.»
«qu’elle parle de l’être[l'essence dans Folio]. Et comme c’est la même volonté qui s’objective dans l’Idée [les idées dans Folio] et dans la musique...»
«...la philosophie, comme j’ai tâché de le prouver, doit être une exposition, une représentation complète et précise de l’essence du monde saisie en des notions très générales qui seules en peuvent embrasser vraiment l’ampleur.»
«maintenant, dans le livre suivant, nous allons nous tourner vers le sérieux.» Ha bon ça ne l'était pas sérieux ? Ça inquiète !
Tome 2 Chapitre XXXIX pour le chapitre 52 du tome 1
DE LA MÉTAPHYSIQUE DE LA MUSIQUE
«La musique n’est pas, comme tous les autres arts, une manifestation des idées ou degrés d’objectivation du vouloir, mais l’expression directe de la volonté elle-même. De là provient l’action immédiate exercée par elle sur la volonté, c’est-à-dire sur les sentiments, les passions et les émotions de l’auditeur, qu’elle n’a pas de peine à exalter ou à transformer.»
Livre 4 Le monde comme volonté - Seconde considération
LE MONDE COMME VOLONTÉ - SECOND POINT DE VUE: ARRIVANT À SE CONNAÎTRE ELLE-MÊME, LA VOLONTÉ DE VIVRE S’AFFIRME, PUIS SE NIE.
Arrivé à ce stade de lecture, sans le prévoir, le sens des mots volonté, concept, esthétique, raison, phénomène, objet et être deviennent flou, et j'ai trouvé un nouveau sens à idée. J'ai découvert aussi des nouveaux mots : Noumène, objectité et quelques autres, voir en début de cette page.
A ce stade de lecture ce que je ressens c'est que je dois oublié l'être en moi, en étant objet je peux aller au delà des illusions, et par contre voir l'être des autres pour ne plus les prendre pour des objets.
Ce livre est un tiers des pages de l'ensemble du Monde ... vais-je survivre. Dans cette ascension il faut que je fasse une pose en me nourrissant de nourriture terrestre, je vais relire La peste.
Chap. 53
OBJET DU LIVRE : PHILOSOPHIE DE LA VIE PRATIQUE. ELLE NE SERA NI UNE MORALE IMPÉRATIVE, NI UNE MÉTAPHYSIQUE TRANSCENDANTE, NI UNE COSMOGONIE. VÉRITABLE ESPRIT DE LA PHILOSOPHIE.
«La dernière partie de ces études en sera aussi, on le comprend, la plus importante ; en effet, ce dont il s’agira maintenant, c’est la pratique de la vie : question qui d’elle-même s’offre à chacun de nous, devant laquelle nul ne demeure étranger ni indifférent ;...»
«Nous ne pouvons faire autrement que de concentrer notre attention sur ce point, le reste nous laissât-il froid.» Il fallait le dire dès le début :-)
«...cette partie-ci de nos études sera notre philosophie pratique, par opposition à celle qui précède, et qui est théorique.»
«Mais à mon sens, jamais la philosophie ne sort de la théorie : son essence, c’est de garder, en face de tout objet qui s’offre à elle, le rôle du simple spectateur, du chercheur ; donner des préceptes n’est pas son fait.» Donc ce qui suit n'est pas de la philosophie puisque c'est pratique. Il se contredirait ?
«Dès qu’il s’agit de dignité ou d’indignité, de salut ou de damnation, ce qui emporte la balance ce ne sont plus des concepts sans vie, c’est la partie intime, l’essence même de l’homme, le démon, comme dit Platon, le démon qui le conduit, et non pas malgré lui : le démon de son choix ; c’est, pour parler avec Kant, son caractère intelligible. La vertu ne s’apprend pas, non plus que le génie ; pour elle, comme pour l’art, le savoir est par lui-même sans valeur ; c’est un pur instrument, il reste à savoir le manier.» Moraliste donc !
«...bien fous serions-nous si nous comptions sur nos systèmes de morale pour faire des hommes vertueux et nobles, des saints..
«...ce que peut la philosophie, c’est d’éclairer, d’expliquer son objet : cette essence commune des choses, qui se révèle avec précision à chacun de nous, mais in concreto, par le sentiment, il s’agit de l’éclairer dans tous ses rapports, sous toutes ses faces.»
«C’est ce que nous avons tâché de faire déjà, dans les trois livres précédents, en nous plaçant à divers points de vue, et en restant dans la généralité, comme il convient à la philosophie.»
«Maintenant, c’est la conduite des hommes qu’il nous faut considérer, d’après le même procédé.»
«il ne faut pas s’attendre, la chose est claire, à trouver dans ce livre d’éthique des préceptes, une théorie des devoirs» Donc ce 4ème livre
«Non ; du devoir,... nous n’en lèverons pas la langue ; quand on parle aux enfants, aux peuples enfants, cela est bon ; mais avec des gens qui vivent dans un âge de civilisation, de raison, de maturité, et qui sont de leur temps...»
«...nous trouvons que la volonté n’est pas seulement libre : elle est toute-puissante ; ce qui sort d’elle, ce n’est pas seulement ses actes, c’est son monde ; telle elle est, tel est l’aspect que revêtent et ses actes et son monde ; actes et monde ne sont autre chose que le procédé dont elle use pour arriver à se connaître ; elle se détermine, et elle les détermine tous deux du même coup ; car hors d’elle, il n’y a rien, et ils ne sont rien de différent d’elle.» Note 4 p1048 En résumé deux modalités d'autoconnaissance de la volonté : le livre 3 par les arts et le livre 4 par la signification éthique de nos actes.
«...elle peut être autonome, au sens plein du mot ; dans toute autre hypothèse, elle n’est qu’hétéronome.» Hétéronomie est l'inverse de l'autonomie, donc c'est contradictoire avec le monisme comme c'est expliqué dans la note 5 p1049
«Notre philosophie demeurera ... dans l’immanent.»
«Pour elle, ce monde des réalités accessibles à la connaissance donne à la fois leur matière et leurs limites à nos spéculations ; n’est-il pas d’ailleurs assez riche, ce monde, que ne sauraient épuiser les investigations les plus profondes dont soit capable l’esprit humain !»
«...c’est être à l’antipode de la philosophie, d’aller se figurer qu’on peut expliquer l’essence du monde à l’aide de procédés d’histoire,...»
«Cette façon, de philosopher en historien, donne pour produit le plus souvent quelque cosmogonie ; il y en a tout un assortiment ; ou bien c’est le système de l’émanation, ou la doctrine de la chute ; enfin, quand la pensée, revenue de toutes ces tentatives, sans en rien rapporter, de désespoir, se lance dans la seule direction qui lui reste, c’est au contraire une doctrine de devenir sans arrêt, de naissance, de croissance, d’apparition, l’être arrivant à la lumière du sein des ténèbres, du sein de l’obscur principe fondamental, du fond dernier, du fond sans fond...» Note 9 p1049 critique des concepts de Schelling.
«...toutes ces philosophies en forme d’histoire, toutes, si majestueuses qu’elles puissent être, font comme si Kant n’avait jamais existé : elles prennent le temps pour un caractère inhérent aux choses en soi ; aussi restent-elles dans la région de ce que Kant nomme le phénomène, par opposition à la chose en soi ; Platon, le devenir, le non-être, par opposition à l’être, à ce qui ne devient pas ; enfin les Indiens : le tissu de Maya
«Il n’y a qu’une saine méthode de philosopher sur l’univers ; il n’y en a qu’une qui soit capable de nous faire connaître l’être intime des choses, de nous faire dépasser le phénomène : c’est celle qui laisse de côté l’origine, le but, le pourquoi, et qui ne cherche partout que le quid [ce qu'est], dont est fait l’univers ...»
«De cette forme de connaissance naît, avec l’art, la philosophie, et même, nous l’allons voir dans ce livre, cette disposition du caractère qui seule fait de nous de vrais saints et des sauveurs de l’univers.»
Tome 2 Chapitre XL pour le chapitre 53 du tome 1
AVANT-PROPOS
1873 «Les compléments à ce quatrième livre devraient être très considérables ; mais sur deux questions importantes qui ont surtout besoin d’éclaircissements, celles de la liberté de la volonté et du fondement de la morale, les sujets de concours proposés par deux académies scandinaves m’ont déjà fourni l’occasion de m’expliquer dans deux monographies détaillées, publiées en 1841 sous ce titre : Les deux problèmes fondamentaux de l’éthique.»
Chap. 54
DE LA VOLONTÉ DE VIVRE. LA VIE EST INHÉRENTE À LA VOLONTÉ ; LA MORT NI LE TEMPS NE LA LUI PEUVENT RAVIR. L’HORREUR DE LA MORT N’EST QUE L’ATTACHEMENT À LA FORME INDIVIDUELLE DE LA VIE. ELLE DISPARAÎT CHEZ LE SAGE QUI SE SAIT IDENTIQUE À L’ÉTERNELLE VOLONTÉ. NÉGATION DE LA VOLONTÉ DE VIVRE : DÉFINITION PRÉLIMINAIRE.
«Après les trois livres qui précèdent, ..., une vérité ... : c’est que le monde, en tant qu’objet représenté, offre à la volonté le miroir où elle prend connaissance d’elle-même, où elle se voit dans une clarté et avec une perfection qui va décroissant par degrés, le degré supérieur étant occupé par l’homme ; c’est aussi que l’essence de l’homme trouve à se manifester pleinement d’abord par l’unité de sa conduite où tous les actes se tiennent, et qu’enfin cette unité, c’est la raison qui lui permet d’en prendre conscience, en lui permettant d’en embrasser l’ensemble, d’un coup d’œil et in abstracto.» L'homme encore au-dessus ! Zut au dessus de la nature il peut donc s'assoir dessus. Et note 10 p1048 : «Schopenhauer lie la raison au procès d'autoconnaissance de la volonté. La raison permet à l'homme de prendre conscience de son caractère, par retour réflexif sur ses propres actions.» Encore moraliste.
«La volonté... grâce au monde représenté, qui vient s’offrir à elle et qui se développe pour la servir, arrive à savoir qu’elle veut, à savoir ce qu’est ce qu’elle veut : c’est ce monde même, c’est la vie, telle justement qu’elle se réalise là.»
«... nous avons appelé ce monde visible le miroir de la volonté, le produit objectif de la volonté.» Traduit dans Folio «... le monde phénoménal son miroir, son objectité»
«... c’est faire un pléonasme que de dire : « la volonté de vivre », et non pas simplement « la volonté », car c’est tout un.» Note 11 p1051 La volonté de vivre possède trois sens : égoïste par la pulsion d'autoconservation, d'élan universel vers la vie et conscience de soi de la volonté éclairée par la raison ...
«...le phénomène, n’est que le miroir de la volonté, la vie doit être comme la compagne inséparable de la volonté : l’ombre ne suit pas plus nécessairement le corps...» «...vouloir vivre, c’est aussi être sûr de vivre, et tant que la volonté de vivre nous anime, nous n’avons pas à nous inquiéter pour notre existence, même à l’heure de la mort.»
«...la forme propre de la manifestation du vouloir, la forme par conséquent de la vie et de la réalité, c’est le présent, le présent seul, non l’avenir, ni le passé ; ceux-ci n’ont d’existence que comme notions, relativement à la connaissance, et parce qu’elle obéit au principe de raison suffisante. Jamais homme n’a vécu dans son passé, ni ne vivra dans son avenir ; c’est le présent seul qui est la forme de toute vie...»
«Le présent est la seule chose qui toujours existe, toujours stable, inébranlable. Aux yeux de l’empiriste, rien de plus fugitif ; pour le regard du métaphysicien, qui voit par delà les formes de l’intuition empirique, il est la seule réalité fixe, le nunc stans des scolastiques.»
«Car la propriété de la volonté, c’est la vie ; et celle de la vie, le présent.»
«Le temps ressemble encore à un courant irrésistible, et le présent à un écueil, contre lequel le flot se brise, mais sans l’emporter.»
«Le présent ouvrage n’étant, ..., que l’épanouissement d’une seule pensée, toutes ses parties ont entre elles la plus intime liaison ; ce n’est pas seulement un rapport nécessaire de chacune avec celle qui la précède immédiatement, et le lecteur n’est pas supposé ici avoir cette dernière seulement présente à la mémoire, comme il arrive dans les autres philosophies, composées qu’elles sont d’une série de conséquences. Ici, chaque partie, dans l’œuvre totale, tient à chaque autre et la suppose ; ... avoir devant l’esprit non plus ce qui précède immédiatement, sans plus, mais tout passage antérieur, quelle que soit la distance intermédiaire, et cela de façon à le rattacher à l’idée du moment. Platon imposait la même exigence à qui voulait le suivre à travers les tours et retours de ses dialogues, à travers ces longs épisodes dont il faut attendre la fin pour voir revenir l’idée maîtresse, plus lumineuse, il est vrai, par l’effet même de cette éclipse. Ici, la même condition est indispensable ; car si la pensée s’y divise en études diverses, ... toutefois ce n’est pas là pour elle un état naturel, mais bien un état tout artificiel. – Pour rendre plus aisée la tâche et de l’auteur et du lecteur, il était bon de diviser la pensée, de déterminer quatre points de vue, quatre livres, et de réunir avec le dernier soin les idées voisines et homogènes entre elles ; mais quant à un développement rectiligne, tel que serait une exposition historique, le sujet ne le permettait point ; il y fallait un procédé d’exposition plus compliqué ; d’où la nécessité de revenir sur le même livre à plusieurs-fois ; c’est le seul moyen de saisir la dépendance de chaque partie à l’égard des autres, d’éclairer celles-ci par celles-là, si bien que toutes deviennent lumineuses.»
Tome 2 pour le chapitre 54 du tome 1
Chapitre XLI
DE LA MORT ET DE SES RAPPORTS AVEC L’INDESTRUCTIBILITÉ DE NOTRE ÊTRE EN SOI
«La mort est proprement le génie inspirateur ou le « musagète » de la philosophie, et Socrate a pu définir aussi la philosophie « θανατου μελετη » [préparation à la mort]. Sans la mort, il serait même difficile de philosopher.»
«Mais, comme toujours dans la nature, à côté du mal a été placé le remède, ou du moins une compensation ; ainsi cette même réflexion, source de l’idée de la mort, nous élève à des opinions métaphysiques, à des vues consolantes, dont le besoin comme la possibilité sont également inconnus à l’animal. C’est vers ce but surtout que sont dirigés tous les systèmes religieux et philosophiques. Ils sont ainsi d’abord comme le contrepoison que la raison, par la force de ses seules méditations, fournit contre la certitude de la mort.»
«...conclure de la cessation présente de la vie organique à l’anéantissement de cette force qui en était jusque-là le ressort m’est aussi peu permis que conclure de l’arrêt du rouet à la mort de la fileuse. Qu’un pendule, en retrouvant son centre de gravité, finisse par revenir au repos et perde ainsi l’apparence de vie individuelle qui l’animait, personne n’ira penser que la pesanteur soit réduite à rien ; mais chacun concevra qu’après comme avant elle s’exprime dans d’innombrables phénomènes.»
«Les gouttes d’eau de la cataracte mugissante se dissipent en poussière et se succèdent avec la rapidité de l’éclair ; mais l’arc-en-ciel, dont elles sont comme les supports, demeure dans une inébranlable tranquillité, intact au milieu de ce changement ininterrompu ; de même chaque idée, c’est-à-dire chaque espèce d’êtres vivants, persiste, garantie contre la succession continuelle des individus qu’elle renferme. Or l’idée ou l’espèce, c’est la racine propre, le lieu d’apparition de la volonté de vivre ; c’est aussi le seul élément dont la durée importe vraiment à la volonté. Les lions, par exemple, naissent et meurent ; ils sont comme les gouttes de la cascade ; mais la léonité (leonitas), l’idée ou la forme du lion, est l’équivalent de l’arc-en-ciel immuable qui couronne la chute d’eau.»
«Au début de ce chapitre j’ai expliqué l’origine de notre grand attachement à la vie ou bien plutôt de notre crainte de la mort ; cette crainte ne dérive nullement de la connaissance, car elle proviendrait alors de la valeur bien reconnue de la vie ; mais elle prend directement sa source dans la volonté, elle procède de la nature primitive de la volonté, de l’état où, dépourvue de toute connaissance, cette volonté n’est qu’un aveugle désir de vivre. C’est le penchant tout illusoire vers la volupté qui nous attire dans la vie ; c’est de même la crainte à coup sûr tout aussi illusoire de la mort qui nous y retient. Les deux tendances naissent directement de la volonté, en soi dénuée de toute connaissance. L’homme ne serait-il, au contraire, qu’un être connaissant, la mort devrait alors ne pas lui être seulement indifférente, mais être encore pour lui la bienvenue. Or maintenant (les considérations auxquelles nous sommes parvenus nous l’apprennent) l’élément atteint par la mort est seulement la conscience connaissante ; la volonté au contraire, en tant que chose en soi, en tant que fondement de tout phénomène individuel, est indépendante de tout ce qui repose sur des déterminations temporelles, et par suite est impérissable.»
«Les affres de la mort reposent en grande partie sur cette apparence illusoire que c’est le moi qui va disparaître, tandis que le monde demeure. C’est bien plutôt le contraire qui est vrai : le monde s’évanouit ; mais elle persiste, la substance intime du moi, le support et le créateur de ce sujet dont la représentation constituait toute l’existence du monde. Avec le cerveau disparaît l’intellect, et avec l’intellect le monde objectif qui n’en est que la simple représentation. Que dans d’autres cerveaux continue, après comme avant, à vivre et à flotter un monde semblable, c’est chose indifférente par rapport à l’intellect qui s’en va. – Si donc la véritable réalité n’était pas dans la volonté, si l’existence morale n’était pas celle qui s’étendait jusqu’au-delà de la mort, alors, puisque l’intellect s’éteint emportant avec lui le monde qu’il avait créé, l’existence des choses ne serait jamais rien de plus qu’une suite infinie de rêves sombres et courts, sans lien l’un avec l’autre : car la persistance de la nature privée de connaissance consiste uniquement dans la représentation temporelle de la nature connaissante. Quelle serait donc alors la seule réalité dans tout cet univers ? Un esprit du monde qui, sans dessein et sans but, ne rêverait guère que des rêves sombres et accablants.
L’individu en proie aux angoisses de la mort»
Chapitre XLII
VIE DE L’ESPÈCE
«...l’individu se rattache à l’espèce, où il puise sa racine. Physiquement, il est en effet un produit de l’espèce ; métaphysiquement, une image plus ou moins parfaite de l’idée qui, dans la forme du temps, se manifeste comme espèce.»
Chapitre XLIII
HÉRÉDITÉ DES QUALITÉS
Chapitre XLIV
MÉTAPHYSIQUE DE L’AMOUR
«La liberté absolue consiste justement en ce qu’il y a quelque chose qui échappe au principe de raison, envisagé comme principe de toute nécessité : une telle liberté ne convient ainsi qu’à la chose en soi, et la chose en soi c’est précisément la volonté. En conséquence, la volonté, dans sa manifestation, c’est-à-dire dans son operari, est soumise à la nécessité ; mais dans son esse [être], où elle s’est déterminée comme chose en soi, elle est libre. Ainsi arrivons-nous, comme c’est ici le cas, à cette chose en soi, aussitôt toute explication au moyen de principes et de conséquences cesse d’être possible, et il ne nous reste plus qu’à dire : ici apparaît la vraie liberté de la volonté, celle qui lui convient en tant qu’elle est la chose en soi ; mais justement, comme chose en soi, elle est sans raison, c’est-à-dire qu’elle ne connaît aucun « pourquoi ». C’est là ce qui fait cesser ici pour nous toute compréhension, car toute notre intelligence des choses repose sur le principe de raison et ne consiste que dans la pure et simple application de ce principe.»
Chap. 55
DU CARACTÈRE. COMMENT IL SERT À CONCILIER LA LIBERTÉ DU VOULOIR AVEC LE DÉTERMINISME DUPHÉNOMÈNE. LE CARACTÈRE INTELLIGIBLE : IL EST ANTÉRIEUR À L’INTELLIGENCE ; IL EST LIBRE. LE CARACTÈRE EMPIRIQUE : COMMENT L’INTELLIGENCE, PAR LES MOTIFS, AGIT SUR LUI. DE LA DÉLIBÉRATION. LE CARACTÈRE EMPIRIQUE EST INVARIABLE. CETTE MAXIME NE JUSTIFIE PAS LE FATALISME PARESSEUX. LE CARACTÈRE ACQUIS : COMMENT L’HOMME PEUT PRENDRE CONNAISSANCE PEU À PEU DE SON CARACTÈRE EMPIRIQUE. SAGESSE ET AVANTAGES QUI RÉSULTENT DE CETTE CONNAISSANCE.
Gros chapitre sur la liberté. Un peu coincé comme dans son essais sur le libre arbitre. Pour lui il n'y a pas de liberté ne connaissant pas les buts de cette Volonté autonome, (et nome ? on ne connait pas ses règles). Alors où s'arrête notre responsabilité dans nos actes, de celui qui vous atteint dans votre personne et vos biens ? Gêné et ceci vaut un discourt emberlificoté. Comme les traducteurs du Folio-essais l'indiquent note 47 page 1060 : «... la difficulté à parler chez Schopenhauer d'une liberté individuelle : il semble que cette liberté ce manifeste en nous, que nous soyons les témoins, sans jamais pouvoir prétendre en être les auteurs. Le lien entre liberté et responsabilité individuelle est donc fragilisé.»
«Le phénomène est, au contraire, nous le savons, entièrement soumis au principe de raison suffisante, aux quatre formes de ce principe...»
«...est nécessaire tout ce qui découle d’un principe donné, ces deux notions se convertissant l’une dans l’autre, dès lors tout ce qui tient au phénomène, tout ce qui est objet de connaissance pour l’individu, est, d’une part, principe, et, de l’autre, conséquence, et, en cette dernière qualité, étant déterminé nécessairement, ne peut être à aucun égard autre qu’il n’est.»
«Tout ce qui compose la nature, tous les phénomènes qui en font partie, sont par suite soumis à une nécessité absolue,...»
«ce ... monde, à notre sens, considéré dans tous ses phénomènes, est une manifestation de la volonté ; or celle-ci n’est elle-même ni phénomène, ni représentation, ni objet, elle est la chose en soi, et par suite elle échappe au principe de raison suffisante, cette loi formelle de tout ce qui est objet ; pour elle il n’est pas de principe d’où elle puisse se déduire et qui la détermine ; pour elle pas de nécessité ; elle est libre. Telle est la notion de liberté, notion essentiellement négative,...»
«Le phénomène, l’objet est déterminé, fixé immuablement à sa place dans la chaîne des causes et des effets, et cette chaîne n’est pas de celles qui se brisent. Mais l’existence même de cet objet, prise d’ensemble, et sa façon d’être, autrement dit l’Idée qui se révèle en lui, son caractère enfin, est la manifestation directe de la volonté.»
«Or l’homme est, de toutes les formes visibles prises par la volonté, la plus parfaite ; pour subsister, il lui fallait, je l’ai fait voir dans mon second livre, une intelligence si supérieure, si éclairée, qu’elle fût digne de créer une véritable reproduction de l’essence même de l’univers, sous forme de représentation ; tel est en effet l’acte par lequel elle saisit les Idées ; alors elle est le pur miroir du monde, comme on l’a appris dans le livre III.» Dommage encore un être au dessus de la nature. Donc l'homme est là pour ... je ne sais pas ... pour montrer à la Volonté sa perfection ?
«...elle supprime l’être qui sert de base au phénomène ; et comme celui-ci persiste alors même à travers le temps, il en résulte une contradiction du phénomène avec lui-même, et ainsi la liberté fait naître au jour ces phénomènes, la sainteté et l’abnégation. Mais ce sont toutes choses qui ne seront pas entièrement claires avant la fin de ce livre. – ... l’homme ... en lui seul en effet la liberté, l’indépendance à l’égard du principe de raison suffisante, cet attribut réservé à la chose en soi et qui répugne au phénomène, a cependant chance d’intervenirjusque dans le phénomène ; d’une seule manière, il est vrai : en produisant au jour une contradiction du phénomène avec lui-même.» Va-t-il nous l'indiquer comment intervenir ? Et c'est là que nait sa liberté, si vous arrivez à le trouver dans son texte.
Note 37 p1054 «... la motivation est l'une des quatre figures du principe de raison. La loi de causalité et celle de l'enchaînement logique sont deux autres figures.» qu'elle est la 4ème ?
«... voilà bien pourquoi, plus un esprit est grossier, assujetti aux inspirations de l’instinct, plus il met de chaleur à plaider la thèse de la liberté présente jusque dans les actions particulières, tandis que les plus puissants esprits de tous les temps l’ont niée ; autant en firent, au reste, les religions dont le sens est le plus profond.» Je doute que les religions aient nié la liberté. Saint Augustin a créé le libre arbitre pour nous rejeter entier dans nos responsabilités.
«...la coexistence de ce déterminisme avec la liberté dont jouit la volonté prise en soi et hors du monde des apparences, c’est Kant le premier, et le mérite n’en est pas petit, qui en a fait la preuve ; c’est lui qui a établi la distinction entre les deux caractères, l’intelligible et l’empirique, distinction qui est à conserver, selon moi ; le premier n’est autre que la volonté, comme chose en soi, se manifestant en un individu déterminé, et jusqu’à un certain degré ; le second, c’est cette manifestation même, qui se déploie dans la conduite de l’individu, selon la loi du temps, et puisqu’elle se matérialise en lui, selon la loi de l’espace.»
«L’entendement en effet ne connaît les décisions de la volonté que par expérience, a posteriori.»
«Le caractère intelligible, qui fait qu’étant donnés les motifs, une seule détermination est possible, bref ce qui rend cette détermination nécessaire, ne tombe pas sous le regard de l’intellect ; c’est le caractère empirique seul qui lui est connu, et d’une façon successive, acte par acte. Aussi la conscience dans son rôle de faculté de connaître, l’intellect en un mot, se figure, dans chaque cas proposé, que deux partis contraires s’offrent à la volonté,...»
«les deux décisions doivent paraître également possibles ; et voilà justement l’illusion de la liberté empirique du vouloir.»
Le repentir par la religion n'a pas conséquence sur le mal agir. Tout a fait d'accord.
Pour certains nous naissons méchants mais c'est le temps qui le révèle ?! Fatalisme donc.
«L’origine du regret n’est jamais dans un changement de la volonté, il n’en est point de tels, mais dans un changement de la pensée. Ce que j’ai une fois voulu, tout au moins l’essentiel, le fond de ce que j’ai voulu, je dois le vouloir encore ; car je suis ce même vouloir, supérieur au temps et au changement. Ce que je peux regretter, ce n’est donc pas ce que j’ai voulu, mais bien ce que j’ai fait...» Regret de la conséquence par la connaissance donc, mais pas dans le désir ? Et pourquoi pas ?
Ensuite l'homme par la connaissance dépasse-t-il dans sa liberté l'animal ?
Caractères intelligible, empirique ou acquis nous rendent-ils de fait libre dans nos choix ?
Note 75 p1066 «Tout ce passage est imprégné de morale stoïcienne. ...relire chap 16...»
«...parler du caractère acquis ; il n’a pas, à vrai dire, autant d’importance aux yeux du moraliste proprement dit, que pour la conduite de la vie ; mais enfin il fallait en parler, puisqu’il se range à côté du caractère intelligible et de l’empirique, et forme une troisième espèce dans un genre, dont les deux premières méritaient d’assez amples explications ; il fallait arriver à comprendre comment la volonté, dans tous ses phénomènes, est soumise à la nécessité, tout en demeurant elle-même digne du nom de libre, ou plutôt de toute-puissante.» Sommes nous libres ou pas ?
Tome 2 Chapitre XLVII pour les chapitres 55, 62 et 67 du tome 1
Voir au chapitre 67
Chap. 56
DESSEIN DE LA SUITE DE CE LIVRE. LA SOUFFRANCE EST LE FOND DE TOUTE VIE.
«...où nous avons clos le second livre, ... le but de la volonté ; en réponse à cette question, nous avions vu apparaître une théorie ; comment la volonté, à tous les degrés de sa manifestation, du bas jusqu’en haut, manque totalement d’une fin dernière, désire toujours, le désir étant tout son être ; désir que ne termine aucun objet atteint, incapable d’une satisfaction dernière, et qui pour s’arrêter a besoin d’un obstacle, lancé qu’il est par lui-même dans l’infini.» Un obstacle pour arrêter le but de la Volonté ?
Déjà une idée du trou noir «...la pesanteur, effort interminable, et qui tend vers un point central, sans étendue, qu’il ne pourrait atteindre sans s’anéantir et la matière avec ; et toutefois il y tend et y tendrait encore, quand l’univers serait tout entier concentré en une masse unique.»
Progression non scientifique. Ainsi pendant très longtemps les bébés ne souffraient pas ! «Dans les plantes, pas de sensibilité encore ; pas de douleur par suite ; chez les animaux les plus infimes, les infusoires et les radiés, à peine un faible commencement de souffrance ; même chez les insectes, la faculté de recevoir des impressions et d’en souffrir est fort limitée encore ; il faut arriver aux vertébrés, avec leur système nerveux complet, pour la voir grandir, et du même pas que l’intelligence. Ainsi, selon que la connaissance s’éclaire, que la conscience s’élève, la misère aussi va croissant ; c’est dans l’homme qu’elle atteint son plus haut degré, et là encore elle s’élève d’autant plus que l’individu a la vue plus claire, qu’il est plus intelligent...» Contredit à la fin de ce chapitre.
Le pauvre chou. «...c’est celui en qui réside le génie, qui souffre le plus.»
Tome 2 Chapitre XLVI pour les chapitres 56 et 59 du tome 1
Voir au chapitre 59
Chap. 57
LA VIE HUMAINE EST LA PLUS DOULOUREUSE FORME DE LA VIE. ELLE VA DE LA SOUFFRANCE À L’ENNUI. UNE SEULE CONSOLATION : LA DOULEUR N’EST PAS ACCIDENTELLE, MAIS INÉVITABLE. DE CETTE PENSÉE PEUT NAÎTRE LA SÉRÉNITÉ STOÏQUE.
«Or cet effort incessant, qui constitue le fond même de toutes les formes visibles revêtues par la volonté, arrive enfin, dans les sommets de l’échelle de ses manifestations objectives, à trouver son principe vrai et le plus général ; là, en effet, la volonté se révèle à elle-même en un corps vivant, qui lui impose une loi de fer, celle de le nourrir ; et ce qui donne vigueur à cette loi, c’est que ce corps c’est tout simplement la volonté même de vivre, mais incarnée. Voilà bien pourquoi l’homme, la plus parfaite des formes objectives de cette volonté, est aussi et en conséquence, de tous les êtres le plus assiégé de besoins ; de fond en comble, il n’est que volonté, qu’effort ; des besoins par milliers, voilà la substance même dont il est constitué.»
«Ce qui fait l’occupation de tout être vivant, ce qui le tient en mouvement, c’est le désir de vivre. Eh bien, cette existence, une fois assurée, nous ne savons qu’en faire, ni à quoi l’employer ! Alors intervient le second ressort qui nous met en mouvement, le désir de nous délivrer du fardeau de l’existence, de le rendre insensible, « de tuer le temps, » ce qui veut dire de fuir l’ennui. Aussi voyons-nous la plupart des gens à l’abri du besoin et des soucis, une fois débarrassés de tous les autres fardeaux, finir par être à charge à eux-mêmes, se dire, à chaque heure qui passe : autant de gagné !»
Quel pisse-froid, pour ne pas dire pisse-vinaigre. «rien ne révèle mieux ce besoin d’excitation de la volonté que l’invention et le succès du jeu de cartes ; rien ne met plus à nu le côté misérable de l’humanité.» On peut jouer aux cartes sans s'exciter.
Chap. 58
LA SOUFFRANCE EST POSITIVE ; LE BONHEUR N’EN EST QUE LA NÉGATION. LES CONSOLATIONS DE L’ART ; CELLES DE LA SUPERSTITION.
Comme dans la chapitre précédent : douleurs, souffrances, frustrations sinon ennuis avec comme consolations les religions et superstitions.
Chap. 59
PREUVE EXPÉRIMENTALE DE L’IDENTITÉ DE LA VIE AVEC LA SOUFFRANCE. NULLE PUISSANCE EXTÉRIEURE NE PEUT DONC NOUS EN DÉLIVRER. IMPIÉTÉ DE L’OPTIMISME.
Que de souffrance vu par Hamlet (page 612), Dante et le nouveau testament où le monde et le mal sont synonymes (614).
Tome 2 Chapitre XLVI pour les chapitres 56 et 59 du tome 1
DE LA VANITÉ ET DES SOUFFRANCES DE LA VIE
«Sortie des ténèbres de l’inconscience pour s’éveiller à la vie, la volonté se trouve, comme individu, dans un monde sans fin et sans bornes, au milieu d’une foule innombrable d’individus, tous occupés à faire effort, à souffrir, à errer ; et comme emportée au travers d’un rêve effroyable, elle se hâte de rentrer dans son inconscience primitive. – Jusque-là cependant ses désirs sont infinis, ses prétentions inépuisables, et l’assouvissement de tout appétit engendre un appétit nouveau. Aucune satisfaction terrestre ne pourrait suffire à apaiser ses convoitises, à mettre un terme définitif à ses exigences, à combler l’abîme sans fond de son cœur.»
Chap. 60
L’AFFIRMATION DE LA VOLONTÉ. CONSERVATION DE LA VIE, OU AFFIRMATION DE LA VOLONTÉ DANS L’INDIVIDU : BONHEUR QUE LE VULGAIRE Y TROUVE. PROPAGATION DE LA VIE, OU AFFIRMATION DE LA VOLONTÉ AU-DELÀ DE L’INDIVIDU : DU PÉCHÉ ORIGINEL. PREMIÈRE VUE SUR LA JUSTICE QUI PRÉSIDE À L’UNIVERS.
«L’affirmation de la volonté, c’est la volonté elle-même, subsistant avec l’intelligence et n’en étant point affaiblie, telle enfin qu’elle s’offre en général, emplissant la vie de l’homme. Or le corps est une première manifestation de la volonté, ...Nous pouvons par conséquent dire, au lieu d’affirmation de la volonté, affirmation du corps.»
«Le thème sur lequel la volonté, par ses actes divers, exécute des variations, c’est la pure satisfaction des besoins qui, en l’état de santé, résultent nécessairement de l’existence même du corps ; ce corps déjà les exprime ; et ils se ramènent à deux points : conservation de l’individu, propagation de l’espèce. C’est par rapport à eux seulement que les motifs les plus variés ont prise sur la volonté et engendrent les actes les plus multiples. Chacun de ces actes n’est qu’une preuve, un exemple de la volonté qui se manifeste dans son ensemble par ces besoins ; quant à la forme de cette preuve, quant à l’aspect du motif, c’est chose secondaire ici ; .... C’est seulement par les motifs que la volonté devient visible, ... Le motif, en général, est devant la volonté comme un Protée [pouvoir de se métamorphoser] aux mille figures ; il est la promesse d’une satisfaction pleine et continue, d’un apaisement de la soif de vouloir ; mais ce but est-il atteint, le voilà qui change d’aspect, revient et de nouveau met la volonté en branle...»
«...l’espoir des biens qu’ils espèrent comme prix de leurs peines. Ils travaillent donc, vont de l’avant, sérieux, l’air important même ; tels les enfants appliqués à leur jeu. »
« C’est par exception seulement qu’une telle vie voit son cours troublé, l’intelligence s’étant affranchie du service de la volonté, et s’étant mise à considérer l’essence même de l’univers, d’une façon générale ; elle aboutit alors, soit, pour satisfaire le besoin esthétique, à un état contemplatif, soit, pour satisfaire le besoin moral, à un état d’abnégation. »
«Mais la plupart des hommes fuient, leur vie durant, .... souvent la volonté en eux s’exalte jusqu’à une affirmation extraordinairement énergique du corps, d’où sortent des appétits violents, de puissantes passions ; alors l’individu ne s’en tient pas à affirmer sa propre existence, il nie celle de tous les autres, et tâche de les supprimer dès qu’il les trouve sur son passage.» Violences, guerres ...
Et encore du sexe :-) et suivant p618 note 108 p1072 développement du chapitre 26
Point de vue sur le péché originel d'Adam (note 109 repris au chapitre XLVIII du tome 2)
Puis mythe grec de Proserpine mangeant la grenade ne peut sortir de l'enfer. Pomme et grenade se rejoignent.
«Ce qui nous révèle encore dans le penchant des sexes l’affirmation décidée, la plus énergique, de la vie, c’est que pour l’homme de la nature, comme pour la bête, il est le terme dernier, la fin suprême de l’existence. Son premier objet, à cet homme, c’est sa propre conservation ; quand il y a pourvu, il ne songe plus qu’à la propagation de l’espèce ; en tant qu’il obéit à la pure nature, il ne peut viser à rien de plus.» Quand s'arrête l'homme de la nature (naturel dans Folio-essais) et soit l'humain qui prend se plaisir pour le donner et pour le partager ?
Tome 2 Chapitre XLV pour le chapitre 60 du tome 1
DE L’AFFIRMATION DE LA VOLONTÉ DE VIVRE
«Nous savons cependant (et c’est le moment d’y renvoyer) que la diversité de l’homogène tient à l’espace et au temps, que j’ai nommés en ce sens le principe d’individuation.» Suivant note 229 page 2277 voir chapitre 23 du tome 1
«Le monde en effet est étendu dans l’espace, vieux dans le temps, et présente une inépuisable diversité de figures. Tout cela pourtant n’est que le phénomène de la volonté de vivre ...»
Chap. 61
DE L’ÉGOÏSME. L’INDIVIDU SE PARAÎT À LUI-MÊME L’UNIVERS TOUT ENTIER ; LES AUTRES INDIVIDUS COMPTENT À SES YEUX POUR ZÉRO.
«Nous l’avons vu au second livre, dans la nature entière, à tous les degrés de cette manifestation de la volonté, nécessairement il y a guerre éternelle entre les individus de toutes les espèces ; cette guerre rend visible la contradiction intérieure de la volonté de vivre.»
«...nous allons considérer l’Égoïsme, principe de toute cette guerre, dans sa source même.»
«Le temps et l’espace étant la condition même sous laquelle peut se réaliser la multiplicité des semblables, nous les avons nommés le principe d’individuation.»
«la volonté doit se manifester par une pluralité d’individus. Cette pluralité d’ailleurs ne l’atteint pas, elle volonté, elle chose en soi ; il ne s’agit que des phénomènes ; pour elle, elle est en chaque phénomène tout entière et indivisible, et voit tout autour d’elle l’image répétée à l’infini de sa propre essence.» Anthropomorphisme, non ?
«Quant à cette essence en soi, à la réalité par excellence, c’est au dedans d’elle-même, là seulement, qu’elle la trouve. Voilà pourquoi chacun veut tout pour soi, chacun veut tout posséder, tout gouverner au moins ; et tout ce qui s’oppose à lui, il voudrait pouvoir l’anéantir. Ajoutez, pour ce qui est des êtres intelligents, que l’individu est comme la base du sujet de la connaissance...» Donc par la Volonté en soi chacun peut être la source de la connaissance de celle-ci.
«Tout individu, en tant qu’intelligence, est donc réellement et se paraît à lui-même la volonté de vivre tout entière ; il voit en lui la réalité solide du monde, la condition dernière qui achève de rendre possible le monde en tant qu’objet de représentation, bref un microcosme parfaitement équivalent au macrocosme.» Moi je suis le monde. En mon centre il y a tout.
«... chaque individu, en dépit de sa petitesse, bien que perdu, anéanti au milieu d’un monde sans bornes, ne se prend pas moins pour centre du tout, faisant plus de cas de son existence et de son bien-être que de ceux de tout le reste, ... prêt à y sacrifier tout ce qui n’est pas lui, à anéantir le monde au profit de ce moi, de cette goutte d’eau dans un océan, et pour prolonger d’un moment son existence à lui. Cet état d’âme, c’est l’égoïsme, et il est essentiel à tous les êtres dans la nature ...»
«L’égoïsme, en effet, a pour base, pour point d’appui, cette opposition même du microcosme et du macrocosme...»
«...on voit chacun non seulement arracher au premier venu ce dont il a envie, mais, pour accroître même imperceptiblement son bien-être, ruiner à fond le bonheur, la vie entière d’autrui.» Gauchiste va !
Chap. 62
DE L’INJUSTICE. ELLE CONSISTE À NIER LA VOLONTÉ CHEZ AUTRUI. INJUSTICE CONTRE LES PERSONNES ; ELLE COMPREND LES ATTENTATS CONTRE LES PROPRIÉTÉS : FONDEMENT DE LA PROPRIÉTÉ. FORMES DE L’INJUSTICE : VIOLENCE ET RUSE. DU DROIT, OU DE LA LÉGITIME DÉFENSE CONTRE L’INJUSTICE. D’UN DROIT DE MENTIR : EXEMPLES. LE DROIT EST NATUREL, ET NON CONVENTIONNEL. CE QU’Y AJOUTE LA CONVENTION OU CONTRAT SOCIAL. NAISSANCE ET DESTINATION DE L’ÉTAT. LA DOCTRINE MORALE DU DROIT EST LA BASE DE LA POLITIQUE : CELLE-CI N’A POUR OBJET QUE DE PRÉVENIR PAR LA TERREUR LES VIOLATIONSDU DROIT. DÉDUCTION DU DROIT DE PUNIR : LE CHÂTIMENT A POUR BUT UNIQUE LA SÉCURITÉ SOCIALE. IDÉAL DE L’ÉTAT : IL NE PEUT DONNER À L’HOMME LE BONHEUR.
Chapitre copieux sur la justice où l'on y trouve les mots : remords, conscience, propriété, droit, possession, appropriation, acquisition,perpétration, violence, mentir, mensonge, injustice, rupture de contrat, blâmable, morale, contrainte, pâtir, contrat social, juridique, châtiment, loi, vengeance,
«...sa forme première et simple l’affirmation de la volonté de vivre ; à savoir la pure affirmation de notre propre corps, ou la manifestation de la volonté, par des actes, dans le temps, manifestation parallèle, sans plus, à celle que donne déjà, dans l’espace, le corps avec sa forme et son adaptation à certaines fins. Cette affirmation a pour signe la conservation du corps, et l’application à cet objet de toutes les forces de l’individu.»
«...pour qu’il y ait propriété, pour qu’il y ait injustice à prendre à un homme un certain bien, il faut, d’après notre théorie de l’injustice, que ce bien soit le travail produit par les forces de cet homme ...» Ce qui n'est pas son cas ayant hérité.
L'état n'est pas moral «...la doctrine du droit selon Kant, où la construction de l’État se déduit de l’impératif catégorique, et devient un devoir de moralité, ce qui est une grave erreur, – voilà la raison qui jusqu’à ces derniers temps a donné naissance à d’étranges doctrines, comme celle-ci que l’État est un moyen de nous élever à la moralité, qu’il naît d’une aspiration à la vertu, que par suite il est tout dirigé, contre l’égoïsme. Comme si l’intention intime, en qui seule réside la moralité ou l’immoralité, comme si la volonté, la liberté éternelle, se laissait modifier par une action extérieure, altérer par une intervention ! Une théorie non moins fausse, c’est encore celle qui fait de l’État la condition de la liberté au sens moral du mot, et, par là même, de la moralité ; tandis qu’en réalité la liberté est au-delà du monde des phénomènes, et à plus forte raison au-delà du domaine des institutions humaines.»
«...c’est justement de l’égoïsme que naît l’État, mais d’un égoïsme bien entendu, d’un égoïsme qui s’élève au-dessus du point de vue individuel jusqu’à embrasser l’ensemble des individus, et qui en un mot tire la résultante de l’égoïsme commun à nous tous ; servir cet égoïsme-là, c’est la seule raison d’être de l’État,...» Pas très optimiste. Donc le moins centralisé possible.
Les points les plus importants de sa doctrine, par la philosophie pour l’usage de la politique, dont le droit de propriété. Pas trop anar le gars.
«Kant a déclaré qu’en dehors de l’État il n’y a pas de droit parfait de propriété ; c’est une erreur profonde. De toutes nos déductions précédentes il résulte que, même dans l’état de nature, la propriété existe, accompagnée d’un droit parfait, droit naturel, c’est-à-dire moral, qui ne peut être violé sans injustice, et qui peut au contraire être défendu sans injustice jusqu’à la dernière extrémité.» Quel est ce droit naturel ? Le territoire marqué par son urine ?
«...nul homme n’a qualité pour s’ériger en juge et en punisseur, au sens moral pur des mots, non plus que pour châtier, par des douleurs qu’il infligerait, les méfaits d’autrui, pour leur imposer en somme une pénitence.» Alors qui ?
«Sénèque formule en deux mots la pensée de Platon et la théorie de tous les châtiments, en disant : ...Quand on est sage, on ne punit pas parce qu’une faute a été commise, mais pour qu’il n’en soit plus commis.» C'est inutile avec du partage, de l'exemplarité et de l'éducation.
Eris mentionnée ensuite est la déesse de la discorde.
Il avait déjà pensé à la surpopulation «...un excès de population encombrant toute la planète, et les maux effroyables qui naîtraient de là, c’est à peine si une imagination audacieuse arriverait à les concevoir»
Tome 2 Chapitre XLVII pour les chapitres 55, 62 et 67 du tome 1
Voir au chapitre 67
Chap. 63
DE LA JUSTICE UNIVERSELLE. ELLE RÉSULTE DE L’UNITÉ DE LA VOLONTÉ QUI SE MANIFESTE EN TOUS LES INDIVIDUS, EN LUTTE CONTRE ELLE-MÊME, À LA FOIS BOURREAU CHEZ L’UN ET VICTIME CHEZ L’AUTRE. POUR L’APERCEVOIR, IL FAUT DÉPASSER LE POINT DE VUE DU PRINCIPE DE RAISON ET D’INDIVIDUATION. LA FORMULE VÉDIQUE ET LE MYTHE DE LA TRANSMIGRATION DES ÂMES.
Attention à la justice éternelle ! Mais je ne vois pas les conséquences sur l'individu fautif.
Il ne reste que l'âme qui peut être pesée et réincarnée suivant la religion indouiste suivant vos fautes en sous-castes, pire en femme ou en animal. S'en réjouit-il ? Pas clair.
Ses pronostiques sur l'évolution des influences de nos religions sur l'Asie ou des sagesses indiennes sur l'Europe 160 ans plus tard n'est pas confirmée. Malgré les répressions les unes se sont installées en Asie et les autres gardent une influence limitée.
Cité sur la même page Hasard et destin, deux termes opposés il me semble.
«...au milieu du monde tel qu’il est, gouverné par le hasard et par l’erreur, soumis à la loi du temps, périssable, souffrant sans trêve.»
«Considérez leur destinée, d’ensemble et en général. Cette destinée, la voici : besoin, misère, plaintes, douleur, mort.»
«S’il était possible de mettre dans une balance, sur l’un des plateaux toutes les souffrances du monde, et sur l’autre toutes les fautes du monde, l’aiguille de la balance resterait perpendiculaire, fixement.» Dans le Folio-essais c'est «péché» à la place de «faute». Dans les deux cas je ne vois pas cette implication dans la chose en soi ?
Le principium individuationis cité 8 fois sur 3 pages.
Chap. 64
L’ESPRIT DU VULGAIRE MÊME COMPORTE UNE NOTION DE LA JUSTICE UNIVERSELLE : DE L’IDÉE DU CHÂTIMENT ; DE LA VENGEANCE JUSTE ET POUR LAQUELLE ON SACRIFIE SA VIE.
Abordé dans ce chapitre le sacrifice individuel contre l'injustice pour la justice universelle et comment cette dernière se révèle-t-elle à nous.
«...je veux encore mettre ici en évidence deux propriétés de notre nature, qui sont propres à jeter de la lumière sur cette notion, ce sens obscur, qui avertit chacun de l’existence d’une justice éternelle, et aussi de ce qui en fait la base, à savoir l’unité, l’identité profonde de la volonté à travers tous ses phénomènes.»
Cité "amphibolie des concepts" : confusion par deux idées opposées. Auguste Burdeau traduit "Prend le change entre deux concepts".
«...là l’individu se sacrifie ; en effet, il s’efforce de devenir le bras de la justice éternelle, dont il méconnaît encore l’essence propre.»
Chap. 65
P536 65 - BONTÉ ET MÉCHANCETÉ. ABSURDITÉ DE L’EXPRESSION : BIEN ABSOLU. LA MÉCHANCETÉ : ELLE IMPLIQUE UN DÉVELOPPEMENT EXCESSIF DE LA VOLONTÉ, ET PAR SUITE DES SOUFFRANCES EXCESSIVES. L’UNE DE CES SOUFFRANCES EST LE REMORDS, OU SENTIMENT DE L’IDENTITÉ ENTRE LE BOURREAU ET LA VICTIME, ET DE LA LIAISON FATALE ENTRE LA VOLONTÉ ET LA DOULEUR.
«Toutes les considérations qui précèdent touchant l’action humaine préparent la voie à celles qui seront les dernières. Notre tâche se trouve ainsi fort allégée, et nous pouvons, abordant la signification morale des actions, cette qualité que le vulgaire exprime par les mots bon et méchant, mots d’une clarté suffisante à ses yeux, nous pouvons introduire dans ce sujet une précision abstraite et philosophique...»
«Cette analyse gagnerait encore en clarté et serait plus complète, si nous étudiions de la même façon la bonté, comme qualité de la volonté humaine, puis la résignation entière et la sainteté, qui découlent de la bonté à son degré suprême. Car les contraires s’éclairent toujours mutuellement, et le jour se révèle en même temps que la nuit, comme l’a dit excellemment Spinoza.»
Chap. 66
TOUTE MORALE ABSTRAITE EST STÉRILE. LA VERTU NAÎT DE L’INTUITION DE L’IDENTITÉ DE LA VOLONTÉ EN MOI ET EN AUTRUI. À MESURE QUE CETTE INTUITION DEVIENT PLUS CLAIRE, ELLE PRODUIT LA JUSTICE, L’ESPRIT DE SACRIFICE, QU’ACCOMPAGNE LA BONNE CONSCIENCE.
«Une morale non fondée en raison, celle qui consiste à « faire la morale aux gens », ne peut avoir d’action, parce qu’elle ne donne pas de motifs. D’autre part, une morale qui en donne ne peut agir, qu’en se servant de l’égoïsme ; or, ce qui sort d’une pareille source n’a aucune valeur morale. D’où il suit qu’on ne peut attendre de la morale, ni en général de la connaissance abstraite, la formation d’aucune vertu authentique ; elle ne peut naître que de l’intuition, qui reconnaît en un étranger le même être qui réside en nous.» On approche de l'altruisme.
«Il me reste, pour terminer cet exposé, à montrer comment la douceur d’âme, cet amour qui a pour origine et pour substance une intuition capable d’aller au-delà du principe d’individuation, nous conduit à la délivrance, c’est-à-dire à l’abdication de toute volonté de vivre ; il me reste aussi à faire voir comment il y a une autre route, moins douce, plus fréquentée pourtant, qui conduit l’homme au même résultat. Mais auparavant, je dois exposer et expliquer ici une proposition paradoxale, non par goût du paradoxe, mais parce qu’elle est vraie, et que sans elle on ne connaîtrait pas toute ma pensée. La voici : « Toute douceur est pitié. »» Traduit pour Folio-essais «Tout amour est compassion». Mais la compassion n'est pas l'amour. Note 181 p1079 parle de l'agapè en grec (traduit par charité), dans le nouveau testament Amour chrétien (1ère épître de St Paul au Corinthiens (XIII) et la 1ère dite de Jean. A partir d'ici Schopenhauer se situe dans un contexte chrétien.
Chap. 67
TOUTE BONTÉ EST, AU FOND, PITIÉ. LES LARMES, MÊME CELLES QUE NOUS VERSONS SUR NOUS-MÊMES, VIENNENT DE LA PITIÉ.
Bonté et connaissance de la souffrance de l'autre.
«ce qui excite principalement notre pitié, c’est le sort de l’humanité entière, de l’humanité vouée d’avance à une fin qui effacera toute une vie ...»
Tome 2 Chapitre XLVII pour les chapitres 55, 62 et 67 du tome 1
DE LA MORALE
Chapitre justifiant une moralité favorable à des pouvoirs philosophiquement discutables. L’appropriation des terres de chasseurs cueilleurs se justifie-t-elle simplement par des travaux de culture ?
Sinon «Les recherches de morale présentent une importance incomparablement supérieure à celle des recherches de physique ou de toute autre recherche en général : c’est qu’elles concernent presque directement la chose en soi, c’est-à-dire ce phénomène où, à la lumière immédiate de la connaissance, la chose en soi révèle son essence comme volonté. Les vérités physiques au contraire restent entièrement dans le domaine de la représentation, c’est-à-dire du phénomène, et ne servent qu’à montrer les lois suivant lesquelles les phénomènes les plus inférieurs du vouloir se manifestent dans la représentation.»
Quand, comment ? Je n'ai pas encore trouvé cette essence de l'homme en sa propre volonté. «Mais ma philosophie est la seule qui concède à la morale ses droits pleins et entiers : car c’est dans le seul cas où l’essence de l’homme est sa propre volonté, où, par suite, dans le sens le plus rigoureux, il est son œuvre propre, que ses actions sont bien réellement siennes et lui sont imputables.»
Ce lien entre la force qui produit le monde et la moralité des sentiments me parait illusoire. «Examiner la force qui produit le monde et en détermine ainsi la nature, la relier avec la moralité des sentiments, et par là prouver l’existence d’un ordre moral du monde qui serait la base de l’ordre physique, – tel a été depuis Socrate le problème de la philosophie.»
«D’une façon générale, après avoir été frappé, durant plus de cent ans, d’un mépris immérité, Spinoza, par une réaction du mouvement de l’opinion, a été porté en ce siècle au-dessus de sa valeur. – Tout panthéisme, en effet, doit finir par se briser contre les prétentions inévitables de la morale, et aussi contre les maux et les souffrances du monde. Si le monde est une théophanie, toutes les actions de l’homme et de l’animal même sont également divines et excellentes : il n’y a plus de blâme, plus de préférence possible ; il n’y a plus de morale. De là provient, à la suite du renouvellement du spinozisme et à la fois du panthéisme en nos jours, ce profond abaissement de la morale...» Une conduite dite morale peut se trouver ailleurs.
«Car dans tout individu paraît le vouloir-vivre tout entier et sans partage, l’essence intime, et le microcosme est égal au macrocosme. Les masses ne contiennent rien de plus que chaque individu. Dans la morale il s’agit non des actes et des résultats, mais du vouloir, et le vouloir même ne cesse jamais de se présenter dans l’individu seul.» A-t-on du pouvoir sur ce vouloir ?
«Pour moi j’ai montré et j’ai prouvé, surtout dans mon écrit De la volonté dans la nature, que la force d’impulsion et d’action présente dans la nature est identique à la volonté existant en nous. Par là l’ordre moral du monde entre dans un rapport réel et immédiat avec la force qui produit le phénomène du monde. Car à la nature de la volonté doit répondre exactement sa manifestation phénoménale : c’est le fondement de l’exposé de la justice éternelle, présenté par moi aux §§ 63, 64 du premier volume, et le monde, tout en subsistant par sa propre énergie, acquiert toujours une tendance morale.»
«...il est une limite, jusqu’où la réflexion peut pénétrer, en portant jusque-là la lumière dans la nuit de notre existence, quand même l’horizon doit toujours rester sombre. Cette borne, ma théorie l’atteint dans le vouloir-vivre qui, sur son propre phénomène, s’affirme ou se nie.
...rappelons-nous en outre que la validité du principe de raison est restreinte au phénomène...»
Chap. 68
DE LA NÉGATION DU VOULOIR-VIVRE. PREMIÈRE MANIÈRE D’Y ARRIVER : L’INTUITION DE LA VÉRITÉ EXPOSÉE DANS CE LIVRE. CELUI QUI EN EST PÉNÉTRÉ SOUFFRE TOUTES LES SOUFFRANCES ÉPARSES DANS LE MONDE, ET SE DÉTACHE DE LA VIE. LA CHASTETÉ : COMMENT ELLE POURRAIT PROCURER LA DÉLIVRANCE DU MONDE. L’ASCÉTISME, OU ANÉANTISSEMENT VOLONTAIRE DE LA VOLONTÉ. EXEMPLES EMPRUNTÉS À DIVERSES RELIGIONS ; LA SAINTETÉ EST LA MÊME PARTOUT, EN DÉPIT DE LA DIVERSITÉ DES DOGMES PAR LESQUELS ON L’EXPLIQUE. SÉRÉNITÉ DU SAINT, COMPARÉE AU PLAISIR ESTHÉTIQUE. DANGERS DE RECHUTE DANS LE VOULOIR-VIVRE : NÉCESSITÉ DE LA PÉNITENCE. SECONDE MANIÈRE D’ARRIVER À LA NÉGATION DU VOULOIR-VIVRE : LE DÉSESPOIR AMENÉ PAR UNE SUITE DE MALHEURS AFFREUX ; UNE SEULE DÉCEPTION, MAISIMMENSE. PUISSANCE SANCTIFIANTE DE LA DOULEUR. LA BÉATITUDE DANS LA MORT.
«Quand le voile de Maya, le principe d’individuation se soulève, devant les yeux d’un homme, au point que cet homme ne fait plus de distinction égoïste entre sa personne et celle d’autrui, quand il prend aux douleurs d’autrui autant de part que si elles étaient les siennes, et qu’ainsi il parvient à être non seulement, très secourable, mais tout prêt à sacrifier sa personne s’il peut par là en sauver plusieurs autres ; alors, bien évidemment cet homme, qui dans chaque être se reconnaît lui-même, ce qui fait le plus intime et le plus vrai de lui-même, considère aussi les infinies douleurs de tout ce qui vit comme étant ses propres douleurs, et ainsi fait sienne la misère du monde entier. Désormais nulle souffrance ne lui est étrangère. Toutes les douleurs des autres, ces souffrances qu’il voit et qu’il peut si rarement adoucir, celles dont il a connaissance indirectement, et celles même enfin qu’il sait possibles, pèsent sur son cœur, comme si elles étaient les siennes.» L'empathie.
«On se rappelle que, dans le troisième livre, nous avons fait consister, en grande partie, le plaisir esthétique, en ce que, – dans la contemplation pure, – nous nous dérobons pour un instant au vouloir, c’est-à-dire à tout désir, à tout souci ; nous nous dépouillons de nous-mêmes, nous ne sommes plus cet individu ... mais le sujet sans volonté et éternel de la connaissance pure, le corrélatif de l’Idée ; nous savons aussi que les instants où, délivrés de la tyrannie douloureuse du désir, nous nous élevons en quelque sorte au-dessus de la lourde atmosphère terrestre,...»
Changement ... catholique d'après la note 226 p1087 voudrait dire transformation totale.
Tome 2 Chapitre XLVIII pour le chapitre 68 du tome 1
THÉORIE DE LA NÉGATION DU VOULOIR-VIVRE
Très gros chapitre qui pourrait faire à lui seul un livre à part. Un tour d'horizon de nombreuses religions et variantes en passant par le soufisme et les shakers issus des quakers, citant Rabelais et Maître Eckhart.
«Si nous considérons maintenant le vouloir-vivre objectivement et dans son ensemble, nous devons alors, d’après ce qui précède, le concevoir comme engagé dans une illusion : revenir de cette erreur, et nier ainsi toutes ses aspirations antérieures, c’est ce que les religions désignent par le renoncement à soi-même, abnegatio sui ipsius ; car le moi véritable est le vouloir-vivre. Je l’ai montré, les vertus morales, la justice et la charité, proviennent, lorsqu’elles sont sincères, de ce que le vouloir-vivre, lisant au travers du principe d’individuation, se reconnaît lui-même dans tous ses phénomènes ; elles sont donc avant tout une marque, un symptôme, que la volonté qui se manifeste ici n’est plus aussi profondément enfoncée dans l’erreur, mais que la désillusion s’annonce : on pourrait dire par métaphore qu’elle commence à battre des ailes, pour s’envoler loin de là. Inversement, l’injustice, la méchanceté, la cruauté, sont signes du contraire, c’est-à-dire qu’elle est possédée tout entière par cette illusion.»
«...l’attachement à la vie et à ses jouissances ne peut tarder à céder et à faire place, à un renoncement général : c’est le moment de la négation du vouloir-vivre.»
«...l’homme qui dans la mort craindra le moins d’être anéanti est celui qui a reconnu que dès maintenant il n’est rien et qui ne prend plus par suite aucun intérêt à son phénomène individuel : la connaissance a comme consumé et dévoré chez lui la volonté, si bien qu’il ne reste plus en lui le moindre vouloir, la moindre soif d’existence individuelle.»
«Un corollaire des propositions précédentes, c’est que nous n’avons aucune raison d’admettre qu’il y ait des intelligences encore plus parfaites que la nôtre. Nous le voyons, celle-là suffit déjà à procurer à la volonté cette connaissance qui la conduit à se nier et à se supprimer elle-même, ce qui détruit du même coup l’individualité et par suite l’intelligence, simple instrument de nature individuelle, c’est-à-dire animale.»
«De ce côté encore nous rencontrons ainsi le témoignage que l’objet de toute intelligence ne peut être qu’une simple réaction sur une volonté ; et puisque tout vouloir est erreur, l’œuvre dernière de l’intelligence reste donc la suppression de la volonté ; dont elle avait jusque-là servi les vues. En conséquence, l’intelligence même la plus parfaite possible ne saurait être qu’un échelon vers un but où il n’est donné à aucune connaissance d’atteindre ; et même une telle connaissance ne peut prendre place dans la nature des choses qu’au moment où un jugement entièrement formé a été acquis
«D’accord avec toutes ces considérations et celles du second livre, où j’ai démontré que la connaissance dérive de la volonté, dont elle reflète l’affirmation en en servant les vues, tandis que le vrai salut est dans la négation du vouloir, nous voyons toutes les religions, à leur sommet, aboutir au mysticisme et aux mystères, c’est-à-dire se voiler d’ombres qui n’indiquent rien d’autre qu’un espace vide de connaissance, ou plutôt le point où toute connaissance doit cesser...»
«Le mysticisme, au sens le plus large, est toute doctrine qui tend à donner le sentiment direct de ce que l’intuition et le concept, et toute connaissance en général, sont impuissants à atteindre. Le mystique est en opposition avec le philosophe, parce qu’il procède du dedans et non du dehors. Il prend en effet pour point de départ son expérience intérieure, positive, individuelle, dans laquelle il se trouve l’être éternel, unique, etc. Mais il n’y a rien là dont il puisse faire part qu’au moyen d’affirmations, et il faut ensuite le croire sur parole : il ne peut donc pas convaincre. Le philosophe au contraire part de ce qui est commun à tous, du phénomène objectif, présent à tous les yeux, et des faits de la conscience intime, tels qu’ils se trouvent dans chacun. Sa méthode est donc la réflexion sur tous ces faits et la combinaison des données qu’ils lui fournissent : aussi peut-il persuader. Il doit par suite se garder de tomber dans la manière des mystiques, et, en affirmant des intuitions intellectuelles ou de prétendues perceptions immédiates de la raison, de vouloir faire miroiter aux regards une façon de connaissance positive de ce qui doit rester éternellement inaccessible à toute connaissance, et peut être indiqué tout au plus par de pures négations. La valeur et la dignité de la philosophie consistent donc à mépriser toutes les suppositions sans fondement possible, et à n’admettre au nombre de ses données que celles dont la preuve se trouve dans l’intuition du monde extérieur et dans les formes constitutives de notre intellect destinées à en faciliter la conception. Voilà pourquoi la philosophie doit rester cosmologie et ne pas devenir théologie. Son thème doit se borner au monde ; la nature, l’essence intime de ce monde, exprimée sous tous les rapports, voilà le seul résultat qu’elle puisse sincèrement nous donner.» ... l'essence intime du monde ... et c'est là que tout déraper, prendre des reflets pour des anges.
Chap. 69
DU SUICIDE. BIEN LOIN D’ÊTRE LA NÉGATION DU VOULOIR-VIVRE, IL EN EST UNE AFFIRMATION PASSIONNÉE. MAIS IL MET EN LUMIÈRE LA CONTRADICTION DE LA VOLONTÉ AVEC ELLE-MÊME. CAS DU PÈRE QUI TUE SES ENFANTS. DE LA MORT PAR INANITION VOLONTAIRE.
Suicide et mortification.
«Nous avons jusqu’ici, dans les limites de notre sujet, suffisamment exposé la négation du vouloir-vivre, le seul acte de notre liberté qui se manifeste dans le phénomène ... rien n’est plus différent de cette négation que la suppression effective de notre phénomène individuel, je veux dire le suicide. Bien loin d’être une négation de la Volonté, le suicide est une marque d’affirmation intense de la Volonté.» Note 235 p1087 ... responsabilité totale par la liberté vue par Kant ... concept de grâce (chrétienne) par Schopenhauer ...racines ontiques (de l'être) de l'individualité ...
Chap. 70
COMMENT LA VOLONTÉ PEUT, À L’INSTANT OÙ ELLE SE NIE, AGIR SUR LE PHÉNOMÈNE, ET PRODUIRE L’ASCÉTISME. QU’EN CELA LE PRINCIPE DU DÉTERMINISME N’EST PAS VIOLÉ : LE CARACTÈRE N’EST PAS MODIFIÉ, MAIS SUPPRIMÉ. COMPARAISON DE CETTE DOCTRINE AVEC LE CHRISTIANISME : PÉCHÉ ORIGINEL ET RÉDEMPTION ; MÉCHANCETÉ NATURELLE DE L’HOMME ; LE SALUT POSSIBLE, NON PAR LES OEUVRES, MAIS PARLA FOI.
État de grâce ?
«Ces dogmes de la religion chrétienne ne se rattachent point directement à la philosophie ; néanmoins, je les ai appelés ici en témoignage ; je n’ai eu en cela qu’une seule intention : j’ai voulu montrer que la morale issue de l’ensemble de nos études, morale d’ailleurs parfaitement conséquente et cohérente dans toutes ses parties, a beau être neuve et surprenante dans son expression, qu’elle ne l’est point dans le fond ; loin d’être une nouveauté, elle s’accorde pleinement avec les véritables dogmes chrétiens qui la contiennent en substance et la résument ; d’ailleurs, les dogmes chrétiens eux-mêmes s’accordent non moins parfaitement, malgré la radicale diversité des formes, avec les doctrines et les préceptes moraux, bien plus anciens, qui sont contenus dans les livres sacrés de l’Inde.»
«Ces dogmes de l’Église chrétienne nous ont encore servi à expliquer et à élucider la contradiction apparente qui sépare, d’une part, la nécessité qui régit tous les phénomènes du caractère, étant donnés les motifs (c’est le règne de la nature), et, d’autre part, la liberté qu’a la volonté en soi de se nier elle-même et de supprimer le caractère en même temps que la nécessité des motifs, fondée sur le caractère lui-même (c’est le règne de la grâce).»
Chap. 71
LE TERME OÙ ABOUTIT LA NÉGATION DU VOULOIR-VIVRE EST LE NÉANT. MAIS CE MOT N’A QU’UN SENS RELATIF. AUX YEUX DU SAINT, PARVENU À LA SÉRÉNITÉ SUPRÊME, CE NÉANT EST LA SEULE RÉALITÉ VRAIE ; ET C’EST NOTRE MONDE ACTUEL QUI EST LE NÉANT VÉRITABLE.
Le néant ... relatif
«Ce qui est généralement admis comme positif, ce que l’on appelle l’être [l'étant dans Folio-essais], ce dont la négation est exprimée par le concept du néant dans son acception la plus générale, c’est justement le monde de la représentation, celui que j’ai démontré être l’objectité et le miroir de la Volonté. Cette Volonté, ce monde, c’est nous-mêmes ; la représentation fait partie du monde, dont elle est une des faces ; quant à la forme de cette représentation, c’est l’espace et le temps, c’est par suite tout ce qui existe au point de vue de l’espace et du temps, en quelque lieu et en quelque instant que ce soit. Qui dit négation, suppression, conversion de la volonté, dit donc en même temps suppression et anéantissement du monde, qui est le miroir de la Volonté. Dès que nous ne la voyons plus dans ce miroir, nous nous demandons en vain ce qu’elle peut être devenue ; du moment qu’elle est soustraite aux relations d’espace et de temps, nous portons son deuil et nous la croyons abîmée dans le néant.» Disparition de la Volonté dans le miroir qu'est ce monde ou disparition du monde dans le miroir de la volonté ? Pas évidant dans les 2 traductions. Et quel cet état, comment l'a-t-il obtenu par la contemplation ? Par l'expérience esthétique ?
«Il suffirait, si cela nous était possible, de changer le point de vue pour renverser les signes ; et alors ce qui était tout à l’heure l’être nous ferait l’effet du néant, et réciproquement.»
Tome 2 Chapitre XLIX pour les chapitres 69 à 71 du tome 1
L’ORDRE DE LA GRÂCE
«Il n’y a qu’une erreur innée : c’est celle qui consiste à croire que nous existons pour être heureux. Elle est innée en nous, parce qu’elle coïncide avec notre existence même, que tout notre être n’en est que la paraphrase et notre corps le monogramme : nous ne sommes en effet que vouloir-vivre ; et la satisfaction successive de tout notre vouloir est ce qu’on entend par la notion de bonheur.» Ni être heureux, ni malheureux mais le bonheur immédiat et l'espoir d'un avenir heureux mènent l'espèce, sinon elle disparaît.
Tome 2 Chapitre L
L EPIPHILOSOPHIE
Épiphilosophie [le sommet de la philosophie, de son Monde, une conclusion donc]
«En terminant mon exposition, je dois donner encore place à quelques considérations sur ma philosophie. – Elle ne se fait pas fort, je l’ai déjà dit, d’expliquer jusque dans ses derniers fondements l’existence du monde : elle s’arrête au contraire aux faits de l’expérience externe et interne, tels qu’ils sont accessibles à chacun, et en montre l’enchaînement profond et véritable, sans jamais les dépasser, sans jamais étudier les choses extérieures au monde et les rapports qu’elles peuvent avoir avec lui. Elle ne tire par suite aucune conclusion sur ce qui existe au delà de toute expérience possible ; elle n’explique que ce qui est donné dans le monde extérieur et dans la conscience propre, et se contente ainsi de saisir l’essence du monde, dans sa connexion intime avec lui-même. C’est donc une philosophie immanente, au sens kantien du mot. Mais par là même elle laisse encore bien des questions sans réponse, par exemple celle de savoir pourquoi les faits qu’elle signale sont tels et non autres, etc. De semblables questions, ou plutôt les réponses qu’elles demandent, sont, à vrai dire, transcendantes, c’est-à-dire qu’elles ne se peuvent concevoir au moyen des formes et des fonctions de notre intellect et n’y rentrent pas ;»
«Une volonté individuelle, est-on tenté d’ajouter, peut se laisser entraîner à sa perte par un simple choix erroné, c’est-à-dire par une faute de la connaissance ; mais la volonté en soi, antérieure à tout phénomène, et par suite encore dénuée de connaissance, comment a-t-elle pu s’égarer et tomber dans cette condition si misérable qui est aujourd’hui la sienne ? ... Jusqu’à quelle profondeur, dans l’essence intime du monde, peut-on demander encore, descendent les racines de l’individualité ? ... « Que serais-je si je n’étais pas vouloir-vivre ? » et d’autres du même genre. – À toutes ces questions il y aurait d’abord à répondre que l’expression de la forme la plus générale et la plus commune de notre intellect est le principe de raison ; mais que ce principe par là même ne s’applique qu’au phénomène, non à l’essence intime des choses, et que sur lui seul reposent tout « Comment » et tout « Pourquoi ».»
«...la perceptibilité [la cognoscibilité - pour Folio-essai]en général, avec sa forme essentielle et par là toujours nécessaire du sujet et de l’objet, n’appartient qu’au phénomène, non à l’essence des choses. Là où il y a connaissance, c’est-à-dire représentation, il n’y a aussi que phénomène, et nous nous trouvons dès lors sur le terrain du phénomène ; bien plus, la connaissance même en général ne nous est connue que comme un phénomène cérébral, et nous sommes privés non seulement du droit, mais encore de la possibilité de la concevoir autrement.»
«La doctrine de l’εν και παν [dans et de tous], c’est-à-dire de l’unité et de l’identité absolue de l’essence intime de toutes choses, après avoir été enseignée en détail par les Éléates, Scot Érigène, Jordano Bruno et Spinoza, et renouvelée par Schelling, était déjà comprise et reconnue de mon temps. Mais la nature de cette unité et la manière dont elle parvient à se manifester en tant que multiplicité, voilà un problème dont la solution se trouve chez moi pour la première fois.»
«Si j’ai de commun avec les panthéistes cet εν και παν, je ne partage pas leur παν θεος [tout est Dieu] ; car je ne dépasse pas l’expérience prise au sens le plus large, et je veux encore moins me mettre en contradiction avec les données existantes. Très conséquent avec l’esprit du panthéisme, Scot Érigène déclare tout phénomène une théophanie ; mais alors il faut transporter cette notion jusqu’aux phénomènes les plus terribles et les plus hideux : singulières théophanies ! Ce qui de plus me distingue des panthéistes, ce sont surtout les différences suivantes : 1° Leur Dieu est un x, une grandeur inconnue ; la volonté est au contraire de toutes les choses possibles la mieux connue de nous... 2° Leur Dieu se manifeste animi causa [par fantaisie], pour déployer sa magnificence ou pour se faire admirer. Abstraction faite de la vanité qu’ils lui attribuent par là, ils se mettent ainsi dans le cas de devoir nier, par des sophismes, les maux énormes de ce monde ; mais le monde n’en demeure pas moins dans une contradiction vivante et effroyable avec cette excellence rêvée par eux. Chez moi au contraire la volonté parvient toujours par son objectivation, quelle qu’en soit la nature, à la connaissance de soi-même, ce qui rend possibles sa suppression, sa conversion et son salut. Aussi chez moi seul la morale trouve-t-elle un fondement solide et un développement complet en harmonie avec les religions les plus élevées... 3° Je pars de l’expérience et de la conscience de soi naturelle, donnée à chacun, pour arriver à la volonté, non seul élément métaphysique : je suis ainsi une marche montante et analytique. Les panthéistes au contraire prennent, à l’inverse de moi, la voie descendante et synthétique ; ils partent de leur Dieu, que, deux fois sous le nom de substantia ou d’absolu,... 4° Chez moi le monde ne comble pas l’entière possibilité de toute existence ; mais il y reste encore une large place pour ce que nous ne désignons que négativement par la négation du vouloir-vivre. Le panthéisme au contraire est optimiste par essence... 5° L’idée des panthéistes que le monde visible, c’est-à-dire le monde comme représentation, est une manifestation intentionnelle du désir qui y réside, loin de contenir en soi une explication véritable de l’apparition du monde, a bien plutôt besoin elle-même d’éclaircissement. Chez moi au contraire le monde comme représentation ne trouve place que par accident...»
«À la suite de la critique kantienne de toute théologie spéculative, presque tous les gens qui philosophaient en Allemagne se sont rejetés sur Spinoza : toute la série d’essais manqués connue sous le nom de philosophie postkantienne n’est que du spinozisme ajusté sans goût, enveloppé de mille discours incompréhensibles et défiguré de bien des manières encore. Aussi, après avoir montré le rapport de ma doctrine avec le panthéisme en général, ai-je l’intention d’en indiquer la relation avec le spinozisme en particulier. Elle est au spinozisme ce que le Nouveau Testament est à l’Ancien. Ce que l’Ancien Testament a de commun avec le Nouveau, c’est le même Dieu créateur. D’une façon analogue, chez moi comme chez Spinoza le monde existe par lui-même, et grâce à son énergie intrinsèque. Mais chez Spinoza, sa substantia oeterna, l’essence intime du monde, qu’il intitule lui-même Dieu, n’est encore, par le caractère moral et par la valeur qu’il lui attribue, que Jéhovah, le Dieu créateur, qui s’applaudit de sa création et trouve que tout a tourné pour le mieux,...»
«Chez moi au contraire, la volonté ou l’essence intime du monde n’est nullement Jéhovah, mais bien plutôt en quelque sorte le Sauveur crucifié, ou encore le larron crucifié, selon le parti pour lequel elle se détermine : aussi ma morale s’accorde-t-elle toujours avec la morale chrétienne, et cela jusque dans les tendances les plus hautes de celle-ci, aussi bien qu’avec celle du brahmanisme et du bouddhisme.»
«Spinoza demeure un très grand homme. Mais, pour le bien apprécier à sa valeur, il ne faut pas perdre de vue le rapport qui l’unit à Descartes. Descartes avait nettement séparé la nature en esprit et en matière, c’est-à-dire en substance pensante et en substance étendue, et mis de même Dieu et le monde en opposition absolue l’un avec l’autre : Spinoza, tant qu’il fut cartésien, enseigna tous ces principes dans ses Cogitata metaphysica, c. XII, en 1665. C’est seulement dans ses dernières années qu’il reconnut l’erreur fondamentale de ce double dualisme, ...
... appeler le monde Dieu, ce n’est pas l’expliquer ; sous ce second nom comme sous le premier, le monde demeure une énigme.»
«...l’acte de volonté, d’où naît le monde, est l’acte de notre volonté propre. Il est libre ; car le principe de raison, qui donne seul un sens à une nécessité quelconque, n’est que la forme de son phénomène. C’est pourquoi ce phénomène, dès le premier moment et dans tout son cours, est toujours nécessaire : et c’est à la suite de ce seul fait que par le phénomène nous pouvons connaître la nature de cet acte de la volonté et qu’eventualiter nous pouvons ainsi vouloir autrement.»

Lecture été 2019 dernière correction mai 2021

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