Sortir de l'histoire officielle

     


Deleuze - Spinoza

Voir aussi Lectures croisées - colloque 2011

Spinoza et le problème de l'expression - et Descartes, et Leibniz
http://leseditionsdeminuit.fr/

Quatrième de couverture : «Les définitions courantes de la philosophie ne s’appliquent pas à Spinoza : penseur solitaire, scandaleux et haï, qui conçoit la philosophie comme une entreprise de libération et de démystification radicales, n’ayant d’équivalent que chez Lucrèce ou, plus tard, chez Nietzsche. Le spinozisme pose aujourd’hui les problèmes les plus actuels, concernant le rôle comparé de l’ontologie (théorie de la substance), de l’épistémologie (théorie de l’idée), de l’anthropologie politique (théorie des modes, des passions et des actions). L’objet de ce livre est de déterminer le rapport de ces trois dimensions : l’affirmation spéculative ou l’univocité de l’Être dans la théorie de la substance ; la production du vrai ou la genèse du sens dans la théorie de l’idée ; la joie pratique ou l’élimination des passions tristes, l’organisation sélective des passions dans la théorie des modes.
Ces trois dimensions s’ordonnent suivant un concept systématique, celui d’expression (la substance s’exprime dans les attributs, les attributs s’expriment dans les modes, les idées sont expressives). Et sans doute le concept d’expression a une longue histoire avant Spinoza, pendant tout le Moyen Âge et la Renaissance. Il a aussi avec Leibniz un développement très différent de celui que lui donne Spinoza. La seule chose commune entre Leibniz et Spinoza, c’est pourtant qu’ils fondent la première grande réaction anti-cartésienne sur cette notion théorique et pratique. Mais la manière dont Spinoza la comprend, lui donnant une structure nouvelle, est peut-être au cœur de sa pensée et de son style, et forme un des secrets de l’Éthique : livre double, composé d’une part par l’enchaînement continu des propositions, démonstrations et corollaires, d’autre part par la chaîne violente et discontinue des scolies – livre deux fois expressif.»

https://www.persee.fr/doc/phlou_..._0396_0000_2
En pdf sur unprolospecule Jacques Étienne

https://journals.openedition.org/philosophique/953
En pdf sur unprolospecule Morgana Farinetti

Table des matières :

Introduction : Rôle et importance de l’expression
Première partie : Les triades de la substance
Chapitre I : Distinction numérique et distinction réelle
Chapitre II : L’attribut comme expression
Chapitre III : Attributs et noms divins
Chapitre IV : L’absolu
Chapitre V : La puissance
Deuxième partie : Le parallélisme et l’immanence
Chapitre VI : L’expression dans le parallélisme
Chapitre VII : Les deux puissances et l’idée de Dieu
Chapitre VIII : Expression et idée
Chapitre IX : L’inadéquat
Chapitre X : Spinoza contre Descartes
Chapitre XI : L’immanence et les éléments historiques de l’expression
Troisième partie : Théorie du mode fini
Chapitre XII : L’essence de mode : passage de l’infini au fini
Chapitre XIII : L’existence du mode
Chapitre XIV : Qu’est-ce que peut un corps ?
Chapitre XV : Les trois ordres et le problème du mal
Chapitre XVI : Vision éthique du monde
Chapitre XVII : Les notions communes
Chapitre XVIII : Vers le troisième genre
Chapitre XIX : Béatitude
Conclusion : Théorie de l’expression chez leibniz et chez spinoza (l’expressionnisme en philosophie)
Appendice : Étude formelle du plan de l’Éthique et du rôle des scolies dans la réalisation de ce plan

Thèmes choisis :
Attributs, Propres, L'expression, le logo et le verbe
Bien et mal - Bon et mauvais
Dieu
Immanence
Leibniz
Mode et corps
Notion commune
Parallélisme
Platon-Plotin ainsi que don et donnateur
La religion et les trois genres de connaissance
Triades

Triades ChapI : page 22 : Premières lignes «L’expression se présente comme une triade. Nous devons distinguer la substance, les attributs, l’essence. La substance s’exprime, les attributs sont des expressions, l’essence est exprimée. L’idée d’expression reste inintelligible tant qu’on voit seulement deux termes dans le rapport qu’elle présente. Nous confondons substance et attribut, attribut et essence, essence et substance, tant que nous ne tenons pas compte de la présence et de l’intermédiaire du troisième. La substance et les attributs se distinguent, mais en tant que chaque attribut exprime une certaine essence. L’attribut et l’essence se distinguent, mais en tant que chaque essence est exprimée comme essence de la substance et non de l’attribut. L’originalité du concept d’expression se manifeste ici : l’essence, en tant qu’elle existe, n’existe pas hors de l’attribut qui l’exprime ; mais, en tant qu’elle est essence, elle ne se rapporte qu’à la substance. Une essence est exprimée par chaque attribut mais comme essence de la substance elle-même. Les essences infinies se distinguent dans les attributs où elles existent, mais s’identifient dans la substance à laquelle elles se rapportent. Nous retrouverons toujours la nécessité de distinguer trois termes : la substance qui s’exprime, l’attribut qui l’exprime, l’essence qui est exprimée. C’est par les attributs que l’essence est distinguée de la substance, mais c’est par l’essence que la substance elle-même est distinguée des attributs. La triade est telle que chacun de ses termes, en trois syllogismes, est apte à servir de moyen par rapport aux deux autres.»
Chapitre 4 : 70 «Cette démarche aboutit à une seconde triade de la substance.
1e) toutes les formes d’être sont égales et également parfaites, il n’y a pas d’inégalité de perfection entre les attributs ;
2e) chaque forme est donc illimitée, chaque attribut exprime une essence infinie ;
3e) toutes les formes appartiennent donc à une seule et même substance, tous les attributs s’affirment également sans limitation d’une substance absolument infinie.
La première triade était : attribut-essence-substance. La seconde : parfait-infini-absolu. La première se fondait sur un argument polémique : la distinction réelle ne peut pas être numérique. Et sur un argument positif : la distinction réelle est une distinction formelle entre attributs qui s’affirment d’une seule et même substance. La seconde triade a pour argument polémique : les propres ne constituent pas une nature. Et pour argument positif : tout est perfection dans la nature.»
ChapV : 84 «C’est en ce sens que Spinoza nous conduit à une dernière triade de la substance. Partant des preuves de la puissance, la découverte de cette triade occupe toute la fin du premier livre de l’Éthique. Elle se présente ainsi :
- l’essence de la substance comme puissance absolument infinie d’exister ;
- la substance comme ens realissimum existant par soi ;
- un pouvoir d’être affecté d’une infinité de façons, correspondant à cette puissance, nécessairement rempli par des affections dont la substance même est la cause active.
Cette troisième triade vient prendre place à côté des deux précédentes. Elle ne signifie pas, comme la première, la nécessité d’une substance ayant tous les attributs ; ni, comme la seconde, la nécessité pour cette substance d’exister absolument. Elle signifie la nécessité, pour cette substance existante, de produire une infinité de choses. Et elle ne se contente pas de nous faire passer aux modes, elle s’applique ou se communique à eux. Si bien que le mode lui-même présentera la triade suivante : essence de mode comme puissance ; mode existant défini par sa quantité de réalité ou de perfection ; pouvoir d’être affecté d’un grand nombre de façons. Ainsi le premier livre de l’Éthique est comme le développement de trois triades, qui trouvent leur principe dans l’expression : la substance, l’absolu, la puissance.»
98 Par le parallélisme «Nous voyons donc la triade de la substance se prolonger dans une triade du mode (attribut-mode-modification). Et c’est bien ainsi que, dans la scolie de II 7, Spinoza démontre le parallélisme : De même qu’une seule et même substance est « comprise » sous les divers attributs, une seule et même chose (modification) est « exprimée » dans tous les attributs ; comme cette chose n’existe pas hors du mode qui l’exprime dans chaque attribut, les modes qui diffèrent par l’attribut ont un même ordre, une même connexion, un même être en soi.»
ChapXI 153 «L’émanation en général se présentera sous forme d’une triade : le donateur, ce qui est donné, ce qui reçoit.»
Chap XIV 197-198 «La triade expressive du mode fini se présente ainsi : l’essence comme degré de puissance ; le rapport caractéristique dans lequel elle s’exprime ; les parties extensives  subsumées sous ce rapport, et qui composent l’existence du mode. Mais nous voyons que, dans l’Éthique, un strict système d’équivalences nous conduit à une seconde triade du mode fini : l’essence comme degré de puissance ; un certain pouvoir d’être affecté dans lequel elle s’exprime ; des affections qui remplissent à chaque instant ce pouvoir. ... Cette seconde triade du mode fini montre bien comment le mode exprime la substance, participe de la substance et, même, la reproduit à sa manière.»
Triades dans le "Temps de la Bible" de Stépane Mosès
L'expression rappel le logo et le verbe créateur dans la Bible.
ChapII : 36 «La Parole divine, le Verbe divin, scelle l’alliance des attributs et des noms. Les noms sont des attributs, pour autant que les attributs sont des expressions.»
Importance de la chronologie d'écriture des textes par Spinoza pour leur compréhension.
Attributs et Propres : Chapitre III : 48«L’expression concerne toujours un attribut ; elle exprime une essence, c’est-à-dire une nature à l’infinitif ; elle nous la fait connaître.» ... «On se fait alors une conception mystique de l’expression : celle-ci ne nous paraît pas moins cacher que révéler ce qu’elle exprime. Les énigmes, les paraboles, les symboles, les analogies, les métonymies viennent ainsi troubler l’ordre rationnel et positif de l’expression pure. En vérité l’Écriture est bien Parole de Dieu, mais parole de commandement : impérative, elle n’exprime rien, parce qu’elle ne fait connaître aucun attribut divin.»
49 «Les seuls noms expressifs de Dieu, les seules expressions divines sont donc les attributs : formes communes qui se disent de la substance et des modes. Si nous n’en connaissons que deux, c’est précisément parce que nous sommes constitués par un mode de l’étendue et un mode de la pensée. Du moins ces attributs ne supposent-ils aucune révélation..
41-42 «Spinoza, dès lors, est en mesure de distinguer les attributs et les propres. Le point de départ est aristotélicien : le propre est ce qui appartient à une chose, mais n’explique jamais ce qu’elle est. Les propres de Dieu sont donc seulement des « adjectifs » qui ne nous font rien connaître substantiellement ; Dieu ne serait pas Dieu sans eux, mais n’est pas Dieu par eux. Spinoza peut, conformément à une longue tradition, donner aux propres le nom d’attributs ; il n’y en aura pas moins, selon lui, différence de nature entre deux sortes d’attributs. Mais que veut dire Spinoza, quand il ajoute que les propres de Dieu ne sont que « des modes qui peuvent lui être imputés. ... Omniscient, omniprésent, des propres qui se disent d’un attribut déterminé (la pensée, l’étendue). En effet, tous les attributs expriment l’essence de la substance, chaque attribut exprime une essence de substance. Mais les propres n’expriment rien : « Nous ne pouvons pas savoir par ces propres quelle est l’essence et quels sont les attributs de l’être auxquels appartiennent ces propres. » Ils ne constituent pas la nature de la substance, mais se disent de ce qui constitue cette nature. Ils ne forment donc pas l’essence d’un Être, mais seulement la modalité de cette essence telle qu’elle est formée. Infini est le propre de la substance, c’est-à-dire la modalité de chaque attribut qui en constitue l’essence. Omniscient est le propre de la substance pensante, c’est-à-dire la modalité infinie de cet attribut pensée qui exprime une essence de substance. Les propres ne sont pas des attributs, à proprement parler, précisément parce qu’ils ne sont pas expressifs. Ils seraient plutôt comme des « notions impresses », comme des caractères imprimés, soit dans tous les attributs, soit dans tel ou tel d’entre eux. L’opposition des attributs et des propres porte donc sur deux points. Les attributs sont des verbes exprimant des essences ou des qualités substantielles ; mais les propres sont seulement des adjectifs indiquant la modalité de ces essences ou de ces qualités. Les attributs de Dieu sont des formes communes, communes à la substance qui se réciproque avec elles, et aux modes qui les impliquent sans réciprocité ; mais les propres de Dieu sont vraiment propres à Dieu, ils ne se disent pas des modes mais seulement des attributs.
Une seconde catégorie de propres concerne Dieu comme cause, en tant qu’il agit ou produit : non plus infini, parfait, éternel, immuable, mais cause de toutes choses, prédestination, providence. Or, puisque Dieu produit dans ses attributs, ces propres sont soumis au même principe que les précédents. Certains se disent de tous les attributs ; d’autres, de tel ou tel. Ces seconds propres sont encore des adjectifs ; mais au lieu d’indiquer des modalités, ils indiquent des relations, relations de Dieu à ses créatures ou à ses produits. Enfin, une troisième catégorie désigne des propres qui n’appartiennent même pas à Dieu : Dieu comme souverain bien, comme miséricordieux, comme juste et charitable. À cet égard, c’est surtout le Traité théologico-politique qui peut nous éclairer. Ce Traité parle de la justice et de la charité divines comme d’« attributs qui peuvent servir de modèle à une certaine manière de vivre ». Ces propres n’appartiennent pas à Dieu comme cause ; il ne s’agit plus d’un rapport de Dieu avec ses créatures, mais de déterminations extrinsèques qui indiquent seulement la façon dont les créatures imaginent Dieu. Il est vrai que ces dénominations ont des sens et des valeurs extrêmement variables : on va jusqu’à prêter à Dieu des éminences en tous genres, une bouche et des yeux divins, des qualités morales et des passions sublimes, des montagnes et des cieux. Mais, même à s’en tenir à la justice et à la charité, on n’atteint rien de la nature de Dieu, ni de ses opérations comme Cause. Adam, Abraham, Moïse ignorent non seulement les vrais attributs divins, mais aussi la plupart des propres de la première et de la seconde espèce. Dieu se révèle à eux sous des dénominations extrinsèques qui leur servent d’avertissements, de commandements, de règles ou de modèle de vie. Plus que jamais, il faut dire que ces troisièmes propres n’ont rien d’expressif. Ce ne sont pas des expressions divines, mais des notions imprimées dans l’imagination pour nous faire obéir, nous faire servir un Dieu dont nous ignorons la nature » ?
ChapIII : 46 «Que la nature de Dieu n’a jamais été définie, parce qu’elle fut toujours confondue avec les « propres », c’est une des thèses principales de Spinoza. Elle explique son attitude à l’égard des théologiens. Mais les philosophes ont suivi la théologie : Descartes lui-même croit que la nature de Dieu consiste dans l’infiniment parfait. L’infiniment parfait, pourtant, n’est qu’une modalité de ce qui constitue la nature divine. Seuls les attributs au vrai sens du mot, la pensée, l’étendue, sont les éléments constitutifs de Dieu, ses expressions constituantes, ses affirmations, ses raisons positives et formelles, en un mot sa nature. Mais précisément, n’étant pas cachés par vocation, on se demandera pourquoi ces attributs furent ignorés, pourquoi Dieu fut dénaturé, confondu avec ses propres qui en donnaient une image indéfinie. Il faut trouver une raison capable d’expliquer pourquoi, malgré tout leur génie, les prédécesseurs de Spinoza s’en tinrent aux propriétés et ne surent pas découvrir la nature de Dieu.
La réponse de Spinoza est simple : on manquait d’une méthode historique, critique et interne, capable d’interpréter l’Écriture. ...»
53 «Que la nature de Dieu n’a jamais été définie, parce qu’elle fut toujours confondue avec les « propres », c’est une des thèses principales de Spinoza. Elle explique son attitude à l’égard des théologiens. Mais les philosophes ont suivi la théologie : Descartes lui-même croit que la nature de Dieu consiste dans l’infiniment parfait. L’infiniment parfait, pourtant, n’est qu’une modalité de ce qui constitue la nature divine. Seuls les attributs au vrai sens du mot, la pensée, l’étendue, sont les éléments constitutifs de Dieu, ses expressions constituantes, ses affirmations, ses raisons positives et formelles, en un mot sa nature. Mais précisément, n’étant pas cachés par vocation, on se demandera pourquoi ces attributs furent ignorés, pourquoi Dieu fut dénaturé, confondu avec ses propres qui en donnaient une image indéfinie. Il faut trouver une raison capable d’expliquer pourquoi, malgré tout leur génie, les prédécesseurs de Spinoza s’en tinrent aux propriétés et ne surent pas découvrir la nature de Dieu.La réponse de Spinoza est simple : on manquait d’une méthode historique, critique et interne, capable d’interpréter l’Écriture»
57 «Qu’est-ce que Duns Scot, en effet, appelait « attribut » ? Justice, bonté, sagesse, etc., bref des propres. Sans doute reconnaissait-il que l’essence divine peut être conçue sans ces attributs ; mais il définissait l’essence de Dieu par des perfections intrinsèques, entendement et volonté. Scot était « théologien » et, à ce titre, restait aux prises avec des propres et des êtres de raison. C’est pourquoi, chez lui, la distinction formelle n’avait pas toute sa portée, s’exerçant toujours sur des êtres de raison, comme les genres et les espèces, comme les facultés de l’âme, ou bien sur des propres, comme ces prétendus attributs de Dieu. Plus encore, l’univocité chez Scot semblait compromise par le souci d’éviter le panthéisme.»
Chapitre VII : 104 «On demandera : À quelles conditions affirme-t-on de Dieu une puissance absolument infinie d’exister et d’agir qui correspond à sa nature ? À condition qu’il ait une infinité d’attributs formellement distincts qui, tous ensemble, constituent cette nature elle-même. Il est vrai que nous ne connaissons que deux attributs. Mais nous savons que la puissance d’exister ne se confond pas avec l’attribut étendue : une idée n’existe pas moins qu’un corps, la pensée n’est pas moins que l’étendue forme d’existence ou « genre ». Et la pensée et l’étendue prises ensemble ne suffisent pas davantage à épuiser ni à remplir une puissance absolue d’exister. Nous atteignons ici la raison positive pour laquelle Dieu a une infinité d’attributs. Dans un texte important du Court Traité, Spinoza affirme que « nous trouvons en nous quelque chose qui nous révèle clairement l’existence non seulement d’un plus grand nombre, mais encore d’une infinité d’attributs parfaits » ; les attributs inconnus « nous disent qu’ils sont sans nous dire ce qu’ils sont ». En d’autres termes : le fait même de notre existence nous révèle que l’existence ne se laisse pas épuiser par les attributs que nous connaissons.»
105 «L’absolument infini consiste d’abord en une infinité d’attributs formellement ou réellement distincts. Tous les attributs sont égaux, aucun n’est supérieur ou inférieur à l’autre, chacun exprime une essence infiniment parfaite. ... c’est ainsi qu’il faut comprendre le principe d’égalité des attributs : tous les attributs sont égaux par rapport à cette puissance d’exister et d’agir qu’ils conditionnent.»
ChapXII 173-174 «On retrouve chez Spinoza l’identité classique de l’attribut et de la qualité. Les attributs sont des qualités éternelles et infinies : c’est en ce sens qu’ils sont indivisibles. L’étendue est indivisible, en tant que qualité substantielle ou attribut. Chaque attribut est indivisible en tant que qualité. Mais aussi chaque attribut-qualité a une quantité infinie, qui, elle, est divisible sous certaines conditions. Cette quantité infinie d’un attribut forme une matière, mais une matière seulement modale. Un attribut se divise donc modalement, non pas réellement. Il a des parties qui se distinguent modalement : des parties modales, non pas réelles ou substantielles. Ceci est valable pour l’étendue comme pour les autres attributs : « N’y a-t-il pas des parties dans l’étendue avant qu’il y ait des modes ? En aucune façon, dis-je.» ... Tout se passe donc comme si chaque attribut était affecté de deux quantités elles-mêmes infinies, mais divisibles sous certaines conditions, chacune à sa manière : une quantité intensive, qui se divise en parties intensives ou en degrés ; une quantité extensive, qui se divise en parties extensives. On ne s’étonnera donc pas que, outre l’infini qualitatif des attributs qui se rapportent à la substance, Spinoza fasse allusion à deux infinis quantitatifs proprement modaux. Il écrit, dans la lettre à Meyer : « Certaines choses sont (infinies) par la vertu de la cause dont elles dépendent, et toutefois, quand on les conçoit abstraitement, elles peuvent être divisées en parties et être considérées comme finies ; certaines autres enfin peuvent être dites infinies ou, si vous préférez, indéfinies, parce qu’elles ne peuvent être égalées par aucun nombre, bien qu’on puisse les concevoir comme plus grandes ou plus petites. » Mais alors beaucoup de problèmes se posent : En quoi consistent ces deux infinis ?Comment et sous quelles conditions se laissent-ils diviser en parties ? Quels sont leurs rapports, et quels sont les rapports de leurs parties respectives ?»
Parallélisme et encore : attribut et expression
ChapVI : 94-95 «Les principes précédents mènent à un résultat dans lequel on reconnaîtra la première formule du parallélisme de Spinoza : il y a une identité d’ordre ou correspondance entre modes d’attributs différents. On peut appeler « parallèles », en effet, deux choses ou deux séries de choses qui sont dans un rapport constant, tel qu’il n’y ait rien dans l’une qui n’ait dans l’autre un correspondant, toute causalité réelle entre les deux se trouvant exclue. Mais on se  méfiera du mot « parallélisme », qui n’est pas de Spinoza. C’est, Leibniz qui le crée, semble-t-il, et qui l’emploie pour son propre compte, afin de désigner cette correspondance entre séries autonomes ou indépendantes. ... Si le mot parallélisme désigne adéquatement la philosophie de Spinoza, c’est parce qu’il implique lui-même autre chose qu’une simple identité d’ordre, autre chose qu’une correspondance. Et, en même temps, parce que Spinoza ne se contente pas de cette correspondance ou de cette identité pour définir le lien qui unit les modes d’attributs différents.»
96 «Ainsi Leibniz crée le mot « parallélisme », mais, pour son compte, il l’invoque de manière très générale et peu adéquate : le système de Leibniz implique bien une correspondance entre séries autonomes, substances et phénomènes, solides et projections, mais les principes de ces séries sont singulièrement inégaux. (Aussi bien Leibniz, quand il parle plus précisément, invoque-t-il l’image de la projection plutôt que celle des parallèles.) Inversement, Spinoza n’emploie pas le mot « parallélisme » ; mais ce mot convient à son système, parce qu’il pose l’égalité des principes dont découlent les séries indépendantes et correspondantes. On voit bien, là encore, quelles sont les intentions polémiques de Spinoza. Par son strict parallélisme, Spinoza refuse toute analogie, toute éminence, toute forme de supériorité d’une série sur l’autre, toute action idéale qui supposerait une prééminence : il n’y a pas plus de supériorité de l’âme sur le corps que de l’attribut pensée sur l’attribut étendue.»
97«... nous verrons que le modèle « expressif » de Leibniz est toujours celui de l’asymptote ou de la projection. Tout autre est le modèle expressif qui se dégage de la théorie de Spinoza : modèle « paralléliste », il implique l’égalité de deux choses qui en expriment une même troisième, et l’identité de cette troisième telle qu’elle est exprimée dans les deux autres. L’idée d’ chez Spinoza recueille et fonde à la fois les trois aspects du expressionparallélisme.
Le parallélisme doit se dire des modes, et seulement des modes. Mais il se fonde sur la substance et les attributs de la substance. Dieu produit en même temps dans tous les attributs : il produit dans le même ordre, il y a donc correspondance entre modes d’attributs différents. Mais, parce que ces attributs sont réellement distincts, cette correspondance ou identité d’ordre exclut toute action causale des uns sur les autres. Parce que ces attributs sont tous égaux, il y a identité de connexion entre ces modes qui différent par l’attribut. Parce que ces attributs constituent une seule et même substance, ces modes qui diffèrent par l’attribut forment une seule et même modification.»
98 «Nous voyons donc la triade de la substance se prolonger dans une triade du mode (attribut-mode-modification). Et c’est bien ainsi que, dans la scolie de II 7, Spinoza démontre le parallélisme : De même qu’une seule et même substance est « comprise » sous les divers attributs, une seule et même chose (modification) est « exprimée » dans tous les attributs ; comme cette chose n’existe pas hors du mode qui l’exprime dans chaque attribut, les modes qui diffèrent par l’attribut ont un même ordre, une même connexion, un même être en soi.»
Chapitre VII 99 Deux parallélismes conciliables ?
ChapXVI 235 «le parallélisme est une doctrine originale, ce n’est pas parce qu’il nie l’action réelle de l’âme et du corps. C’est parce qu’il renverse le principe moral d’après lequel les actions de l’un sont les passions de l’autre. « L’ordre des actions et des passions de notre corps va, par nature, de pair avec l’ordre des actions et des passions de l’esprit. » Ce qui est passion dans l’âme est aussi passion dans le corps, ce qui est action dans l’âme est aussi action dans le corps. C’est en ce sens que le parallélisme exclut toute éminence de l’âme, toute finalité spirituelle et morale, toute transcendance d’un Dieu qui réglerait une série sur l’autre. C’est en ce sens que le parallélisme s’oppose pratiquement, non seulement à la doctrine de l’action réelle, mais aux théories de l’harmonie préétablie et de l’occasionnalisme.»
Dieu 103 «Le Dieu de Spinoza est un Dieu qui est et qui produit tout, comme l’Un-Tout des Platoniciens ; mais aussi un Dieu qui se pense et qui pense tout, comme le Premier moteur d’Aristote. D’une part nous devons attribuer à Dieu une puissance d’exister et d’agir identique à son essence formelle ou correspondant à sa nature.»
Leibniz ChapIX 138-139 «Spinoza et Leibniz mènent un combat commun, la continuation de celui qui les opposait déjà à la preuve ontologique cartésienne, la recherche d’une raison suffisante qui manque singulièrement dans tout le cartésianisme. L’un et l’autre, par des processus différents, découvrent le contenu expressif de l’idée, la forme explicative de l’idée.»
Platon-Plotin ainsi que don et donnateur ChapXI 153-154 «Quels sont les liens logiques de l’immanence et de l’expression ? Et : Comment l’idée d’une immanence expressive s’est-elle formée historiquement dans certaines traditions philosophiques ? ... Tout commence, semble-t-il, le problème platonicien de la participation. Platon présentait, à titre d’hypothèses, plusieurs schémas de participation : participer, c’est prendre part ; mais aussi, c’est imiter ; et encore, c’est recevoir d’un démon... Suivant ces schémas, la participation se trouve interprétée tantôt de façon matérielle, tantôt de manière imitative, tantôt de manière « démonique ». Mais, dans tous les cas, les difficultés semblent avoir une même raison : chez Platon, le principe de participation est avant tout cherché du côté du participant. La participation apparaît le plus souvent comme une aventure qui survient du dehors au participé, comme une violence subie par le participé. Si la participation consiste à prendre part, on voit mal comment le participé ne souffrirait pas d’une division ou d’une séparation. Si participer, c’est imiter, il faut un artiste extérieur qui prend l’Idée pour modèle. Et l’on voit mal enfin quel est le rôle d’un intermédiaire en général, artiste ou démon, sinon forcer le sensible à reproduire l’intelligible, mais aussi forcer l’Idée à se laisser participer par quelque chose qui répugne à sa nature. Même lorsque Platon traite de la participation des Idées entre elles, la puissance correspondante est saisie comme puissance de participer, plutôt que d’être participée. La tâche post-platonicienne par excellence exige un renversement du problème. On cherche un principe qui rende possible la participation, mais qui la rende possible du point de vue du participé lui-même. Les Néo-platoniciens ne partent plus des caractères du participant (multiple, sensible, etc.) pour se demander sous quelle violence la participation devient possible. Ils tentent de découvrir, au contraire, le principe et le mouvement interne qui fondent la participation dans le participé comme tel, du côté du participé comme tel. Plotin reproche à Platon d’avoir vu la participation du petit côté. En vérité, ce n’est pas le participé qui passe dans le participant. Le participé reste en soi ; il est participé pour autant qu’il produit, il produit pour autant qu’il donne. Mais il n’a pas à sortir de soi pour donner ni produire. Tel est le programme formulé par Plotin : partir du plus haut, subordonner l’imitation à une genèse ou production, substituer l’idée d’un don à celle d’une violence. Le participé ne se divise pas, n’est pas imité du dehors, ni contraint par des intermédiaires qui feraient violence à sa nature. La participation n’est ni matérielle, ni imitative, ni démonique : elle est émanative. Émanation signifie à la fois cause et don : causalité par donation, mais aussi donation productrice. La véritable activité est celle du participé ; le participant n’est qu’un effet, et reçoit ce que la cause lui donne. La cause émanative est la Cause qui donne, le Bien qui donne, la Vertu qui donne. Quand nous cherchons le principe interne de participation du côté du participé, nous devons nécessairement le trouver « au-delà » ou « au-dessus ». Il n’est pas question que le principe qui rend la participation possible soit lui-même participé ou participable. De ce principe, tout émane ; il donne tout. Mais il n’est pas lui-même participé, car la participation se fait seulement suivant ce qu’il donne, et à ce qu’il donne. C’est en ce sens que Proclus élaborait sa profonde théorie de l’Imparticipable ; il n’y a de participation que par un principe lui-même imparticipable, mais qui donne à participer. Et déjà Plotin montrait que l’Un est nécessairement supérieur à ses dons, qu’il donne ce qu’il n’a pas, ou qu’il n’est pas ce qu’il donne2. L’émanation en général se présentera sous forme d’une triade : le donateur, ce qui est donné, ce qui reçoit. Participer, c’est toujours participer suivant ce qui est donné. Donc nous ne devons pas seulement parler d’une genèse du participant, mais d’une genèse du participé lui-même, qui rend compte de ce fait qu’il est participé. Double genèse, du donné et de ce qui reçoit : l’effet qui reçoit détermine son existence quand il possède pleinement ce qui lui est donné ; mais il ne le possède pleinement qu’en se retournant vers le donateur. Le donateur est supérieur à ses dons comme à ses produits, participable d’après ce qu’il donne, imparticipable en lui-même ou selon lui-même ; et, par là, fondant la participation.»
Immanence ChapXI 155 «Nous pouvons déjà déterminer des caractères d’après lesquels la cause émanative et la cause immanente ont logiquement quelque chose de commun, mais aussi des différences profondes. Leur caractère commun, c’est qu’elles ne sortent pas de soi : elles restent en soi pour produire. Quand Spinoza définit la cause immanente, il insiste sur cette définition qui fonde une certaine assimilation de l’immanence et de l’émanation. Mais la différence porte sur la manière dont les deux causes produisent. Si la cause émanative reste en soi, l’effet produit n’est pas en elle et ne reste pas en elle. De l’Un comme premier principe ou comme cause des causes,...»
ChapXI 158 «S’il y a tant de différence entre l’émanation et l’immanence, comment peut-on les assimiler historiquement, ne serait-ce que de façon partielle ? C’est que, dans le néo-platonisme lui-même, et sous des influences stoïciennes, une cause véritablement immanente se joint en fait à la cause émanative.»
Mode et corps ChapXIII 181 «...l’existence d’une essence de mode n’est pas l’existence du mode correspondant. Une essence de mode existe, sans que le mode lui-même existe : l’essence n’est pas cause de l’existence du mode. L’existence du mode a donc pour cause un autre mode, lui-même existant1. Mais cette régression à l’infini ne nous dit nullement en quoi consiste l’existence. Toutefois, s’il est vrai qu’un mode existant « a besoin » d’un grand nombre d’autres modes existants, nous pouvons déjà pressentir qu’il est lui-même composé d’un grand nombre de parties, parties qui lui viennent d’ailleurs, qui commencent à lui appartenir dès qu’il existe en vertu d’une cause extérieure, qui se renouvellent sous le jeu des causes, tant qu’il existe, et qui cessent de lui appartenir dès qu’il meurt2. Alors, nous pouvons dire en quoi consiste l’existence du mode : exister, c’est avoir actuellement un très grand nombre de parties (plurimae). Ces parties composantes sont extérieures à l’essence du mode, extérieures les unes aux autres : ce sont des parties extensives.»
Chap XIV 197-198 «Un mode existant possède actuellement un très grand nombre de parties. Or, la nature des parties extensives est telle qu’elles « s’affectent » les unes les autres à l’infini. On en conclut que le mode existant est affecté d’un très grand nombre de façons. Spinoza va des parties à leurs affections, de leurs affections aux affections du mode existant tout entier1. Les parties extensives n’appartiennent à tel mode que sous un certain rapport. De même, les affections d’un mode se disent en fonction d’un certain pouvoir d’être affecté. Un cheval, un poisson, un homme, ou même deux hommes comparés l’un avec l’autre, n’ont pas le même pouvoir d’être affecté : ils ne sont pas affectés par les mêmes choses, ou ne sont pas affectés par la même chose de la même façon2. Un mode cesse d’exister quand il ne peut plus maintenir entre ses parties le rapport qui le caractérise ; de même, il cesse d’exister quand « il n’est plus apte à pouvoir être affecté d’un grand nombre de façons3 ». Bref, un rapport n’est pas séparable d’un pouvoir d’être affecté. Si bien que Spinoza peut considérer comme équivalentes deux questions fondamentales : Quelle est la structure (fabrica) d’un corps ? Qu’est-ce que peut un corps ? La structure d’un corps, c’est la composition de son rapport. Ce que peut un corps, c’est la nature et les limites de son pouvoir d’être affecté.»
Bien et mal - Bon et mauvais ChapXV 232-233 «...qu’il n’y ait ni Bien ni Mal ne signifie pas que toute différence disparaisse. Il n’y a pas de Bien ni de Mal dans la Nature, mais il y a du bon et du mauvais pour chaque mode existant. L’opposition morale du Bien et du Mal disparaît, mais cette disparition ne rend pas toutes les choses égales, ni tous les êtres. Comme Nietzsche le dira, « Par-delà le Bien et le Mal, cela du moins ne veut pas dire par-delà le bon et le mauvais ». Il y a des augmentations de la puissance d’agir, des diminutions de la puissance d’agir. La distinction du bon et du mauvais servira de principe pour une véritable différence éthique, qui doit se substituer à la fausse opposition morale.»
ChapXVI 241 «Il n’y a pas de Bien ni de Mal dans la Nature, il n’y a pas d’opposition morale, mais il y a une différence éthique. Cette différence éthique se présente sous plusieurs formes équivalentes : entre le raisonnable et l’insensé, entre le sage et l’ignorant, entre l’homme libre et l’esclave, entre le fort et le faible. Et en vérité, la sagesse ou la raison n’ont pas d’autre contenu que la force, la liberté. Cette différence éthique ne porte pas sur le conatus, puisque l’insensé non moins que le raisonnable, le faible non moins que le fort s’efforce de persévérer dans son être. Elle porte sur le genre d’affections qui déterminent le conatus. À la limite, l’homme libre, fort et raisonnable se définira pleinement par la possession de sa puissance d’agir, par la présence en lui d’idées adéquates et d’affections actives ; au contraire, l’esclave, le faible n’ont que des passions qui dérivent de leurs idées inadéquates, et qui les séparent de leur puissance d’agir.»
La religion et les trois genres de connaissance ChapXVIII 269-270 «Ce qui forme l’unité du premier genre de connaissance, ce sont les signes. Ils définissent l’état d’une pensée qui reste inadéquate, enveloppée, non expliquée. À ce premier genre, il faudrait même joindre l’état de religion, c’est-à-dire l’état de l’homme par rapport à un Dieu qui lui donne une révélation. Cet état ne diffère pas moins de l’état de nature que l’état civil lui-même : « La nature n’a jamais enseigné à personne que l’homme est obligé d’obéir à Dieu ; aucun raisonnement même ne saurait le lui apprendre. Seule la révélation, confirmée par des signes, le fait connaître à chacun4 ». Cet état de religion n’en est pas moins dans le premier genre : précisément parce qu’il fait partie de la connaissance inadéquate, parce qu’il est fondé sur des signes et se manifeste sous forme de lois qui commandent et ordonnent. La Révélation s’explique elle-même par le caractère inadéquat de notre connaissance, et porte uniquement sur certains propres de Dieu. Les signes de la révélation constituent une troisième sorte de signes et définissent la religion des prophètes, religion du premier genre ou de l’imagination.»
Le second genre de connaissance dans l’Éthique correspond à l’état de raison : c’est une connaissance des notions communes, et par notions communes. C’est là, dans l’Éthique, qu’apparaît la véritable rupture entre les genres de connaissance : « La connaissance du second et du troisième genre, et non celle du premier, nous enseigne à distinguer le vrai du faux. » Avec les notions communes, nous entrons dans le domaine de l’expression : ces notions sont nos premières idées adéquates, elles nous arrachent au monde des signes inadéquats. Et parce que toute notion commune nous conduit à l’idée de Dieu dont elle exprime l’essence, le second genre de connaissance implique lui aussi une religion. Cette religion n’est plus de l’imagination, mais de l’entendement ; l’expression de la Nature remplace les signes, l’amour remplace l’obéissance ; ce n’est plus la religion des prophètes, mais, à des degrés divers, la religion de Salomon, la religion des Apôtres, la véritable religion du Christ, fondée sur les notions communes.»
ChapXIII 278 «l’idée de Dieu, dans l’Éthique, va jouer le rôle d’un pivot. Tout tourne autour d’elle, tout change avec elle. Spinoza annonce que, « outre » le second genre de connaissance, un troisième est donné. Bien plus, il présente le second genre comme étant la cause motrice du troisième : c’est le second qui nous détermine à entrer dans le troisième, à « former » le troisième. La question est : Comment le second genre nous détermine-t-il ainsi ? Seule l’idée de Dieu peut expliquer ce passage, qui apparaît dans l’Éthique en V 20-21.
1o) Chaque notion commune nous conduit à l’idée de Dieu. Rapportée aux notions communes qui l’expriment, l’idée de Dieu fait elle-même partie du second genre de connaissance. Dans cette mesure, elle représente un Dieu impassible, mais cette idée accompagne toutes les joies qui découlent de notre puissance de comprendre (en tant que cette puissance procède par notions communes). L’idée de Dieu, en ce sens, est la pointe extrême du second genre.
2o) Mais, bien qu’elle se rapporte nécessairement aux notions communes, l’idée de Dieu n’est pas elle-même une notion commune. C’est pourquoi elle nous précipite dans un nouvel élément. Nous ne pouvons atteindre à l’idée de Dieu que par le second genre ; mais nous ne pouvons pas y atteindre sans être déterminés à sortir de ce second genre pour entrer dans un nouvel état. Dans le second genre, c’est l’idée de Dieu qui sert de fondement au troisième ; par « fondement », il faut entendre la vraie cause motrice, la causa fiendi. Cette idée de Dieu elle-même changera donc de contenu, prendra un autre contenu, dans le troisième genre auquel elle nous détermine.»
ChapXIX 282 «Le premier genre de connaissance a seulement pour objet les rencontres entre parties, d’après leurs déterminations extrinsèques. Le second genre s’élève jusqu’à la composition des rapports caractéristiques. Mais seul le troisième genre concerne les essences éternelles : connaissance de l’essence de Dieu, et des essences particulières telles qu’elles sont en Dieu et sont conçues par Dieu. (Ainsi, dans les trois genres de connaissance, nous retrouvons les trois aspects de l’ordre de la Nature : ordre des passions, ordre de composition des rapports, ordre des essences elles-mêmes.)»
Notion commune ChapXVIII 271 «Les notions communes sont une des découvertes fondamentales de l’Éthique. Nous devons, à cet égard, attacher la plus grande importance à la chronologie. Ferdinand Alquié insista récemment sur ce point : l’introduction des notions communes dans l’Éthique marque un moment décisif du spinozisme.»
ChapXVIII 279 «Une notion commune a deux caractères : elle s’applique à plusieurs modes existants ; elle nous fait connaître les rapports sous lesquels les modes existants conviennent ou s’opposent. À la limite, on comprend qu’une idée d’attribut nous apparaisse d’abord comme une notion commune...»

Début 2021

Haut de page   Page en amont

Des visites régulières de ces pages mais peu de commentaires.
Y avez-vous trouvé ou proposez-vous de l'information, des idées de lectures, de recherches ... ?
Y avez-vous trouvé des erreurs historiques, des fautes d'orthographes, d'accords ... ?
Ce site n'est pas un blog, vous ne pouvez pas laisser de commentaires alors envoyez un mail par cette adresse robertsamuli@orange.fr
Au plaisir de vous lire.