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Signes et sémiologies

Gilles Deleuze Cours de Vincennes sur Spinoza

Ce qui est à l'origine de l'histoire, c'est le signe - Demian de Hermann Hesse

L'homme sans qualités de Robert Musil


Gilles Deleuze Cours de Vincennes sur Spinoza
La sémiologie est en gros la théorie des signes. Spinoza a quelque chose à nous dire quant au projet d'une sémiologie générale.

Ce qui est à l'origine de l'histoire, c'est le signe - Demian de Hermann Hesse
« … Ce qui est à l'origine de l'histoire, c'est le signe. Il était un homme dont le visage reflétait quelque chose qui inspirait la terreur aux autres. Ils n'osaient le toucher. Lui et ses enfants leur en imposaient. Sans doute, ou plutôt sûrement, ce n'était pas un signe réel sur le front, comme un sceau, par exemple. Dans la vie, les choses se présentent rarement de façon aussi grossière. C'était un je ne sais quoi d'inquiétant, une nuance en plus d'intelligence et de hardiesse dans le regard, à laquelle les autres hommes n'étaient pas habitués. Cet homme possédait la puissance. Devant lui, l'on tremblait. Il avait un « signe ». On pouvait l'expliquer comme on voulait, et l'on veut toujours ce qui tranquillise et ce qui vous convient. On avait peur des enfants de Caïn ; ils avaient un « signe ». Aussi, l'on interpréta ce signe, non pour ce qu'il était en réalité, c'est-à-dire une distinction, mais pour le contraire. On déclara que les individus, qui possédaient ce signe étaient inquiétants, et ils l'étaient, en vérité. Les gens courageux, les gens qui ont une forte personnalité, sont toujours peu rassurants. Qu'il existât une race d'hommes hardis, à la mine inquiétante, était fort gênant. Aussi, leur donna-t-on un surnom et l'on inventa ce mythe pour se venger d'eux et pour se garantir de la frayeur qu'ils inspiraient. ...
… De si vieilles histoires sont toujours vraies, mais elles ne sont pas toujours aussi frappantes et ne sont pas toujours expliquées dans leur véritable sens. Bref, je considère Caïn comme un fameux type, et j'estime que c'est uniquement à cause de la crainte qu'inspirait qu'on a inventé toute cette histoire. A l'origine, l'histoire n'était qu'un bruit qui courait parmi les gens, mais il est certain que Caïn et ses enfants portaient une sorte de « signe » et qu'ils étaient autres que la plupart des hommes.
...
… Le fort avait tué un faible. Que ce fût vraiment son frère, on peut en douter ; en somme, cela n'a aucune importance : tous les hommes sont frères. Donc un fort avait tué un faible. Peut-être était-ce un acte héroïque, peut-être non. Mais les autres, les faibles, étaient à présent pleins de frayeur. Ils se plaignirent, et, quand on leur demandait : « Pourquoi ne le tuez-vous pas? » ils ne répondaient pas: « Parce que nous sommes des lâches », mais : « On ne peut pas. Il a un « signe ) » Dieu l'a marqué. » C'est ainsi qu'est née la légende. »
« … confusément, cette pensée me vint à l'esprit : ce Demian n'est-il pas aussi une sorte de Caïn ? Pourquoi le défend-il, sinon parce qu'il a des affinités avec lui ? D'où lui vient cette force dans le regard ? Pourquoi parle-t-il de ce ton railleur des « autres », des peureux qui sont pourtant pieux et agréables à Dieu ?
Ces pensées me hantaient. Une pierre était tombée dans un puits, ce puits était mon âme d'enfant, et durant une très longue période de ma vie, cette histoire du meurtre de Caïn et du « signe » demeura le point où prirent naissance chez moi le doute, l'esprit critique, les tentatives de connaissance. »
« Qu'entends-tu donc par volonté ? Demandai-je. Tu dis que nous n'avons pas de volonté libre, et ensuite, tu déclares qu'il suffit de diriger fermement sa volonté sur un but quelconque afin de l'atteindre. Tu te contredis. Si je ne suis pas maître de ma volonté, comment puis-jela diriger à mon gré ici ou là ?
...
... c'est très simple. Si, par exemple, un papillon de nuit voulait atteindre une étoile ou quelque chose de semblable, il ne le pourrait pas. Aussi n'essaie-t-il pas. Il cherche seulement ce qui présente un sens et une valeur pour lui, ce dont il a besoin, ce qu'il lui faut absolument. Et il réussit l’incroyable : il crée un sixième sens magique que ne possède aucun autre animal. Nous avons plus de latitude et plus d'intérêts qu'un animal ; mais, nous aussi, nous nous mouvons dans un cercle relativement étroit que nous sommes incapables de franchir. Je puis bien m'imaginer que par exemple, je veuille me rendre sur le-champ au pôle Nord ; mais je ne puis vouloir assez fortement, et par là être capable de réaliser mon désir, que lorsqu'il me possède entièrement. Quand ce cas se présente, quand tu essaies d'accomplir ce qui t'est dicté intérieurement, alors, cela réussit, alors tu peux atteler ta volonté comme un bon coursier. »

L'homme sans qualités de Robert Musil
Signes réservés aux hommes de sang germain « Ulrich se demandait comment on pourrait leur donner un contenu réel; mais il se contenta de demander froidement à Hans comment il pensait mettre en pratique « l'ouverture de soi-même» et les autres points de son programme. Pour lui répondre, Hans disposait de mots démesurés : le Moi transcendant remplaçant le Moi sensuel, le Moi gothique évinçant le Moi naturaliste, le Royaume de l'Essence succédant à celui des Phénomènes, l'Expérience absolue et autres substantifs puissants dont il étayait son résumé d'expériences indescriptibles, ainsi que cela ne se produit que trop souvent dans l'idée d'accroître la dignité de la Cause, et, en fait, à son plus grand dam. Et parce que l'état qu'il entrevoyait parfois (et peut-être même souvent) ne se laissait jamais prolonger au-delà de quelques instants d'anéantissement, il lui fallut encore affirmer que l'Au-delà ne se révélait plus aujourd'hui que par éclairs, dans une contemplation supra-corporelle évidemment difficile à prolonger, et dont les œuvres d'art n'étaient au mieux que le précipité. Pour exprimer ces signes de vie surnaturels, il recourut une fois de plus à son idée favorite de « symbole », et rappela finalement que le droit de créer et de contempler ces signes était réservé aux hommes de sang germain. »

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