Sortir de l'histoire officielle

     


Au commencement était ... Une nouvelle histoire de l'humanité
De David Graeber & David Wengrow

Mots, idées, concepts, personnalités repérés : Âme-rêve, Anthropocène, Canetti, Napoléon Chagnon, communisme,idéaux (démocratie, liberté, égalité,...), antiquités grecques, L'État, Yuval Noah Harari, L'Histoire, Hobbes, Kandiaronck, Lahontan, libertés, matriarcat, Petit âge glaciaire, Mircea Eliade, libre arbitre, Schismogénétique, James Scott, téléologie, Turgot, l'université

Éditions Les liens qui libèrent

4e de couverture et site : «Depuis des siècles, nous nous racontons sur les origines des sociétés humaines et des inégalités sociales une histoire très simple. Pendant l’essentiel de leur existence sur terre, les êtres humains auraient vécu au sein de petits clans de chasseurs-cueilleurs. Puis l’agriculture aurait fait son entrée, et avec elle la propriété privée. Enfin seraient nées les villes, marquant l’apparition non seulement de la civilisation, mais aussi des guerres, de la bureaucratie, du patriarcat et de l’esclavage.
Ce récit pose un gros problème : il est faux.
David Graeber et David Wengrow se sont donné pour objectif de « jeter les bases d’une nouvelle histoire du monde ». Le temps d’un voyage fascinant, ils nous invitent à nous débarrasser de notre carcan conceptuel et à tenter de comprendre quelles sociétés nos ancêtres cherchaient à créer.
Foisonnant d’érudition, s’appuyant sur des recherches novatrices, leur ouvrage dévoile un passé humain infiniment plus intéressant que ne le suggèrent les lectures conventionnelles. Il élargit surtout nos horizons dans le présent, en montrant qu’il est toujours possible de réinventer nos libertés et nos modes d’organisation sociale.
Un livre monumental d’une extraordinaire portée intellectuelle dont vous ne sortirez pas indemne et qui bouleversera à jamais votre perception de l’histoire humaine.»

Lu quelque part que la colonisation avec une vue raciale et étroite des colons fige les mœurs locales donc l'évolution culturelle et sociale des peuples asservis. Comme si qu'elles étaient immémoriales et éternelles. Turgot a participé à cette vision restrictive.

Un interview de David Wengrow dans un HS du Monde "L'histoire des mythes fondateurs
La théorie sur l'évolution des sociétés relève du mythe - Suite

Des échanges https://www.facebook.com/ernest.london

Un article des deux auteurs
Cachées. Les origines autochtones de la démocratie dans les Amériques
​Recensions :
Philomag Sapiens, un animal politique depuis la nuit des temps
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2022/05/20/graeber-wengrow-pessimisme-civilisationnel/
https://www.partage-le.com/2022/10/15/sur-lidealisme-de-david-graeber-et-david-wengrow-par-walter-scheidel/
https://www.partage-le.com/2022/01/06/legalite-des-sexes-nous-a-rendus-humains-une-reponse-au-texte-par-camilla-power/
https://www.nytimes.com/2021/11/04/opinion/graeber-wengrow-dawn-of-everything-history.html
Une autre et ses points de vue https://laviedesidees.fr/L-archeologue-et-l-anthropologue...
«...les découvertes ne sont pas toutes aussi radicales que l’annonce la promesse d’un « tableau totalement neuf de l’évolution des sociétés humaines au cours des trente mille ans écoulés » (p. 16). Que les sociétés autochtones connaissent et expérimentent toutes sortes de modèles de formations politiques possibles, que la démocratie ne soit pas une invention grecque, que les Iroquois l’aient développée en réaction historique au pouvoir autoritaire de Cahokia, tout cela est déjà argumenté par Alain Testart (2004). Le fait que les sociétés de chasseurs-cueilleurs de l’hémisphère nord sont en grande partie sédentaires et hiérarchisées depuis la fin de l’âge glaciaire est au cœur de sa monumentale synthèse de 1982, Les chasseurs-cueilleurs ou L’origine des inégalités. Que la sédentarité précède l’agriculture au Proche-Orient est un argument décisif de Jacques Cauvin contre le déterminisme écologique des théories anglo-saxonnes dans Naissance des divinités, naissance de l’agriculture paru en 1994. Ce que la presse anglo-saxonne présente comme une découverte bouleversante est pour le lectorat français un savoir établi depuis trente ou quarante ans dans ces ouvrages classiques, malheureusement non cités par Graeber et Wengrow. Cette longueur d’avance de notre anthropologie pourrait être un motif de satisfaction si elle ne démontrait surtout son manque cuisant d’audience à l’étranger.
...
Malgré ce genre d’erreurs, les apports de l’ouvrage sont majeurs et incontestables : il démontre de façon définitive que les inégalités et la domination ne sont pas un phénomène homogène dont on pourrait mesurer les progrès sur une échelle unique.

...
L’apport théorique le plus neuf de l’ouvrage est certainement de mettre en lumière le caractère intermittent et saisonnier des organisations sociales de nombreuses sociétés anciennes et récentes. Alternant chaque année entre organisation clanique et système étatique, des sociétés comme celles des Indiens des Plaines rendent futiles les tentatives de classifications évolutionnistes en stades. Ces oscillations impliquent que les membres de ces sociétés avaient conscience de la possibilité de choisir entre différents systèmes politiques sans s’enfermer dans aucun. Graeber et Wengrow en déduisent de façon convaincante que la question fondamentale n’est pas tant celle de l’émergence de la domination, dont l’existence par intermittence est probablement très ancienne, que celle de l’interruption des oscillations et de la rigidification des hiérarchies.
...
Si Graeber et Wengrow ne parviennent pas à élaborer une véritable proposition, c’est probablement du fait du cadre théorique, trop politique et pas assez écologique, dans lequel ils ont d’emblée enfermé leur investigation. Pour résumer leur message, on peut dire qu’il existe des chasseurs-cueilleurs égalitaires et d’autres esclavagistes, de même qu’il existe des villes démocratiques et d’autres monarchiques. Nos propres sociétés urbanisées pourraient s’organiser sous toutes sortes de formes inconnues qui restent à inventer...»

Une présentation de leurs travaux par les auteurs Comment changer le cours de l'histoire (ou au moins du passé)

Titres et sous-titres en gras
Remerciements se terminant par «Rain riding suddenly out of the air - Battering the bare walls of the sun ... Rain, rain on dry ground !» - Essai de traduction «Pluie chevauchant soudainement hors de l'air - Battant les murs nus du soleil... Pluie, pluie sur sol sec !» Texte complet http://www.randomjottings.net/archives/000073.html
«« Bullshit jobs » a fait l’effet d’une bombe en 2013.»
Chapitre 1  L'adieu à l'enfance de l'humanité (ou pourquoi ceci n'est pas un livre sur les origines de l'inégalité)
- Hobbes, Rousseau : deux visions de l'histoire aux conséquences politiques désastreuses
Page 14 Hobbes avec son sauvage guerrier et Rousseau avec son bon sauvage sont deux visions de l'histoire qui ont limité notre imagination.
L'humain était-il naturellement bon ou mauvais ? La question n'a pas de sens. Bien et mal sont des concepts forgés de toute pièce. S'inquiète-on si un arbre fait le bien ou le mal ? Hobbes suite
17 Des découvertes récentes ouvrant d'autres possibilités restent limitées aux revues scientifiques et ne sont même pas débattues entre spécialistes.
20 La réduction de l'histoire du monde à des coefficients de Gini produit des "âneries".
- De quelques exemples démontrant que les versions conventionnelles de l'histoire profonde de l'humanité sont fausses (ou l'éternel retour de Jean-Jacques Rousseau)
- Sur la poursuite du bonheur
28 L'homme d'Ötzi bien qu'isolé et avec une flèche dans l'épaule, ne justifie pas particulièrement d'en faire un emblème des conditions de vie originelles de l'humanité.
29-30 Romito 2 affligé de nanisme, sa communauté s'est donné du mal pour lui venir en aide.
30 Margaret Mead suggère que le premier signes de civilisation n'est pas l'utilisation d'outils mais celui qu'un individu est pu être guéri d'une fracture du fémur, il y a environ quinze mille ans.
31 à 33 Napoleon Chagnon un anthropologue controversé imaginant un peuple où les hommes passent leur temps à s'éliminer. Et nous aurions échappé à ce funeste destin pour Steven Pinker par les états-nations, les tribunaux et la police.
33 Les idéaux modernes de liberté, d'égalité et de démocratie ne sont pas les produits de la tradition occidentale. Voltaire et ses contemporains en auraient été surpris. idéaux modernes suite
34 Rien ne justifie de penser que les violences occidentales n'auraient peut-être pas été une généralité des autres peuples. Elles ne sont pas une fatalité attachée à l'espèce humaine.
Refus de voir la démocratie dans les autres peuples, car ce sont des sauvages et ça ébranle notre égocentrisme culturel remettant en cause aussi notre fonctionnement.
35-36 Helena Valero une blanche élevée par les Yanomanis qui après un retour dans le Brésil européanisé préfère retourner dans le peuple des forêts.
- Un récit des origines qui n'est pas seulement Faux, mais inutilement ennuyeux
39 «Les Yanomanis n'étaient ni des anges ni des démons, juste des humains comme nous tous.»
En science sociale simplifier pour comprendre le monde est justifié mais quand cette simplification se prolonge ce n'est pas acceptable.
40 ... Idées fausses simples transferts de nos travers ou cécité : échanges sur de grandes distances pas spécialement commerciales, addiction féminine au jeu ...
- Sur ce que l'on s'apprête à lire
Chapitre 2  « Blâmable liberté » - La critique indigène et le mythe du progrès
Version préliminaire La sagesse de Kandiaronk
- Où l'on montre comment les critiques de l'eurocentrisme peuvent faire long feu et transformer les penseurs aborigènes en « pantins »
 45 Les historiens des idées restent attachés aux "grands" hommes pourtant ils ont écrit ces idées qui étaient déjà partagées dans les cafés, réunions familiales, conférences ...
46 En 1754 ils se posent la question pourquoi les inégalités, donc ils les avaient remarquées.
et les participants du concours sur ce sujet étaient des gens entourés de domestiques.
48 Les nouvelles idées d'organisation sociales comme celle d'un état central ont l'air d'arrivé du ciel, pourtant Leibniz incitait à imiter le modèle chinois.
Si certains soulignaient les avantages de modèle d'horizon non chrétien ils étaient accusés d'athéisme.
49 Les débats comme ceux sur égalités, la liberté ou encore la religion révélée renvoyaient à des échanges entre européens et Amérindiens. Sujets qui deviendront centraux au moment des Lumières.
50 Les échanges, conversations simples entre adultes, entre les Européens et les Amérindiens ont souligné les dysfonctionnements du vieux Continent.
La Confédération iroquoise aurait eu une influence sur la Constitution américaine.
52 Les dits anthropophages avaient des gouvernements, des règles et savaient bâtir une argumentation pour justifier leurs arrangements sociaux. idéaux modernes suite
Ainsi cette brèche théorique a permis à Hobbes, Locke ... de sauter l'étape du récit biblique, jusqu'alors passage obligé.
53 A la renaissance l'histoire de l'Europe n'est pas une aventure de progrès mais une suite de catastrophes. L'introduction de l'état de nature n'eut pas immédiatement d'effet mais «elle permit aux philosophes politiques d'envisager les individus dépourvus des attributs de la civilisation non plus comme des sauvages dégénérés, mais comme une sorte d'humanité « à l'état brut ». Elle ouvrit aussi une nouvelle série de questions sur le sens du qualificatif « humain ». Quels modes d'organisation sociale pouvaient avoir cours chez des peuples qui ne disposaient même pas de lois ni de gouvernement reconnaissables ? ... L'homme à l'état de nature avait-il plutôt tendance à rechercher la compagnie ou, au contraire, à l'éviter ? Y avait-il jamais eu de « religion naturelle » ?»
56 Les auteurs d'idées subversives nourris par les récits sur les sauvages utilisaient ces derniers comme alibis pour se protéger de la répression. L'un d'eux Lahontan, cité dans ce site et quatorze fois dans ce livre, était la source de ces idées nouvelles en Europe. Lahontan suite
57 Les récits des missionnaires et des voyageurs exposés aux lecteurs ouvraient des nouveaux horizons de transformations sociales. Les grands penseurs des lumières avouaient s'être inspirés d'histoires vraies celles des Amérindiens pour élaborer leurs idéaux de liberté individuelle et d'égalité politique.
- Où l'on écoute ce que les habitants de la Nouvelle-France avaient à dire sur l'envahisseur européen -- notamment sur le plan de la générosité, de la sociabilité, de la richesse matérielle, des crimes, des châtiments et de la liberté
58-59 Les premiers observateurs français prêtaient peu d'attention à l'agriculture pratiquée par les Wendats car c'étaient surtout des tâches féminines. Ils considéraient les hommes comme des aristocrates de fait car ils pratiquaient la chasse comme les nobles chez-nous.
59 Les Micmacs agaçaient certains, car même si leurs possessions matérielles étaient faibles ils se considéraient plus riches par leur quiétude, le confort et le temps qu'ils se donnaient.
 60 Ces Micmacs par leur pratique quotidienne du débat public pour gérer les affaires courantes avaient une grande maîtrise de l'argumentation rationnelle.
62 «...les auteurs de ces témoignages étaient à mille lieues de ce que nous sommes. On peut même dire que, sur des questions comme la liberté individuelle, l'égalité hommes-femmes, les mœurs sexuelles, la souveraineté populaire ou même la psychologie des profondeurs', les positions amérindiennes étaient probablement plus proches de celles d'un lecteur de ce livre que des Européens de l'époque.»
«À nos yeux, la liberté est bonne par essence (même si certains estiment qu'une société où régnerait une liberté individuelle totale, allant jusqu'à l'abolition de la police, des prisons et de tout appareil de coercition, sombrerait instantanément dans la violence et le chaos). Les jésuites du XVIIe siècle n'étaient pas du tout, mais alors pas du tout de cet avis. Pour beaucoup d'entre eux, la liberté individuelle avait quelque chose de bestial.»
63 «Chez les Wendats, même les chefs politiques ne pouvaient forcer quiconque à faire quelque chose contre sa volonté.»
Un jésuite, le père Lallemant, témoignant des mœurs des "sauvages" et trouvant scandaleux que des meurtriers Amérindiens puissent s'en tirer à si bon compte en échappant à toute punition reconnaissait que ce système judiciaire n'était pas un instrument de paix si inefficace que cela. Autre remarque p65 sur les jésuites qui s'opposaient par principe à la liberté.
- Où l'on voit comment les Américains (indigènes) ont appris aux Européens la relation entre débat rationnel, liberté individuelle et refus du pouvoir arbitraire
66 Le sens européen  des termes de "seigneur", "commandement" et "obéissance" était difficile à expliquer aux amérindiens.
 68 Des missionnaires étaient agacés en constatant que les sauvages du Nouveau Monde paraissaient dans l'ensemble plus intelligents que les bourgeois et marchands de France.
Les jésuites reconnaissaient le lien entre leur refus du pouvoir arbitraire, le débat politique ouvert et le goût pour l'argumentation rationnelle.
69 «L'usage des mots «égalité» et « inégalité» commençait juste à se répandre dans les cercles intellectuels - au moment même, d'ailleurs, où les premiers missionnaires français entreprenaient d'évangéliser les habitants de ce qui deviendrait la Nouvelle-Écosse et le Québec. ... rien ne les prédisposait à les imaginer peuplées d'hommes et de femmes représentatifs du « bon sauvage », et encore moins d'adeptes du scepticisme rationnel ou de champions des libertés individuelles. Ce sont les rencontres et les échanges avec les peuples indigènes qui firent naître cette idée.»
70 «... une autre acception du terme «communisme», celle qui, au lieu d'insister sur le régime de propriété, met l'accent sur la maxime fondatrice : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins». Et puis il y a aussi cette sorte de communisme minimal, « de base», qui concerne l'ensemble de l'humanité : l'idée selon laquelle tout individu respectable aidera son prochain s'il lui paraît être dans un très grand besoin (par exemple, en train de se noyer) et si le coût du service requis est modeste (par exemple, lui lancer une corde). Cette forme de communisme pourrait même être vue comme le terreau de la sociabilité entre les hommes, dans la mesure où vous accorderez ce traitement à n'importe qui, à l'exception de vos ennemis jurés. C'est par la plus ou moins grande étendue de ce communisme de base que les communautés humaines se distinguent les unes des autres
«Tandis que les Européens ne cessaient de se chamailler pour prendre l'avantage, les sociétés des forêts du Nord-Est garantissaient à tous les moyens d'une existence indépendante, ou s'assuraient au moins qu'aucun individu ne fût subordonné à un autre. Si c'était une forme de communisme, elle n'allait pas à l'encontre de la liberté individuelle, mais venait au contraire en soutien.» commmuniste suite
- Où l'on fait la connaissance de Kandiaronk, philosophe et chef politique wendat dont les vues sur la nature de l'homme et des sociétés humaines connurent une seconde vie dans les salons européens des Lumières (avec un aparté sur le concept de « schismogenèse »)
71 L'égalité devenu sujet de conversation en Europe.
71-72 Encore Lahontan qui se lia d'amitié avec Leibniz.
72 Dialogue inventé avec kandiaronk mais que l'on peut considérer authentique.
81 Par leur fréquentation, influences réciproques entre les Européens et les Amérindiens : les premiers ont commencé à assouplir la discipline imposée aux enfants et utilisation de techniques pour les autres.
82 Les textes de Lahontan traduits en plusieurs langues et la pièce "l'Arlequin sauvage" joué pendant 20 ans donnent des idées aux esprits des Lumières comme par exemple Montesquieu et ses Lettres persanes. Kandiaronck suite
- Où Turgot se fait démiurge et renverse la critique indigène pour poser les jalons des principales théories modernes de l'évolution sociale (ou comment un débat sur la « liberté » se mue en débat sur l'« égalité »)
85 Des théories évolutionnistes en réponse aux critiques indigènes, il fallait justifier l'organisation en classes sociales.
86 Entre 1703 et 1751 la pensée européenne fut profondément influencée par la critique indigène.
Ce qui n'empêcha pas le massacre des populations indigènes.Turgot suite
- Comment Rousseau, lauréat d'un prestigieux concours de dissertation, échoua à l'édition suivante (pour avoir dépassé la longueur autorisée), mais finit par imprimer définitivement sa marque sur l'histoire de l'humanité
87 Il fallut beaucoup d'efforts pour tenter de sauver le sentiment de la supériorité européenne.
88 Les Essais de Montaigne, semblent le premier intérêt sur le point de vue des "cannibales".
91 Le second "Discours" de Rousseau qui rejoint le constat de Kandiaronk, «...les Européens civilisés étaient  ... d'abjects créatures ...».
Note 53 Montesquieu «C'est le partage des terres qui grossit principalement le code-civile ...»
92 «...la liberté de l'individu supposait un certain niveau de communisme de base.»
« ... la conception européenne de la liberté individuelle était indissolublement liée à la notion de propriété privée.»
- Où l'on examine le lien entre la critique indigène, le mythe du progrès et la naissance de la gauche
94-95 Rousseau le traite vire à gauche ! Gauche et droite - des fondements.
95 Les intellectuels se sont montrés incapables d'envisager d'autres mondes.
Le dénigrement raciste et la naïveté supposée du sauvage est de droite comme de gauche.
96 La Société d'ethnologie britannique fondamentalement raciste.
- Au-delà du mythe du « stupide sauvage » (ou pourquoi toutes ces questions sont si cruciales pour notre projet)
Chapitre 3 Dégeler l'âge de glace - Enchainés, Libérés : Les possibilités protéiformes de la politique humaine
- Le leurre du « paradoxe de la connaissance », ou pourquoi nous nous sommes comportés en humains dès l'instant où nous le sommes devenus
- Pourquoi des chercheurs bien sous tous rapports se cramponnent encore à l'idée d'une « origine » des inégalités sociales
- Où l'on voit comment les monuments et les sépultures princières du Pléistocène renversent toutes nos anciennes certitudes sur les chasseurs-cueilleurs (ou, à quoi pouvait ressembler la « stratification sociale » il y a trente mille ans ?)
119 les enclos de Göbekli https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%B6bekli_Tepe

Cette construction monumentale «véritable énigme évolutionniste», des sépultures et autres constructions avec des défenses de mammouth nous obligent à concevoir à l'époque des chasseurs-cueilleurs des rassemblements de plusieurs milliers de personnes saisonniers avec une hiérarchie sociale.
122 Les "maisons de mammouth", des monuments Une immense structure fabriquée à partir d'os de mammouths découverte en Russie
Yudinovo, Mezhirich ou Kostenki souvent lieux d'échanges d'ambre, peaux ou autres objets venus de très loin.

- l'on écarte une bonne fois pour toutes l'idée que les populations « primitives » étaient incapables de réflexion consciente, en soulignant également le rôle majeur qu'a joué l'excentricité au fil de l'histoire
123-124 Il y a encore les "bandes" de chasseurs cueilleurs comparés à des chimpanzés. Pour Yuval Noah Harari les humains étaient guères peu différenciés des grands singes. Pourtant nos ancêtres n'avaient rien à envier aux bandes de motards hargneux ou de lascifs hippies. «Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, ce n’est pas tant en introduisant la notion du bon sauvage que Rousseau nous a induits en erreur qu’en développant la figure du stupide sauvage. Le racisme décomplexé si répandu dans l’Europe du XIXe siècle appartient peut-être au passé – du moins le pensons-nous –, mais il se trouve encore des auteurs, et même de fort distingués, qui jugent plus approprié de comparer les « bandes » de chasseurs-cueilleurs à des chimpanzés ou à des babouins plutôt qu’aux êtres humains qu’eux-mêmes côtoient tous les jours.
La citation qui suit est tirée de Sapiens, de Yuval Noah Harari, paru en anglais en 2014. Les remarques liminaires de l’historien sont tout ce qu’il y a de plus sensé : nous n’avons qu’une connaissance très limitée du mode de vie des premiers hommes, et il est probable que leurs configurations sociales aient beaucoup varié selon les régions. Certes, Harari exagère un peu lorsqu’il affirme que même le Pléistocène nous est totalement insaisissable, mais dans l’idée générale, rien à redire. Puis il écrit ceci :
«L’univers sociopolitique des fourrageurs est encore un domaine dont nous ne savons quasiment rien. […] les spécialistes ne parviennent même pas à s’entendre sur la base : existence de la propriété privée, familles nucléaires et relations monogames. Probablement les bandes avaient-elles des structures différentes. Certaines étaient sans doute aussi hiérarchiques et violentes que le groupe de chimpanzés le plus hargneux, et d’autres aussi décontractées, paisibles et lascives qu’une bande de bonobos.» Harari,  Yuval N., Sapiens.  Une brève histoire  de l’humanité, Paris,  Albin Michel,  2015.
Non seulement, donc, tous les humains auraient vécu en petits clans éparpillés jusqu’à l’invention de l’agriculture, mais ils ne se seraient guère différenciés des grands singes dans leurs comportements. Si notre ton de reproche vous paraît injuste, songez que Harari aurait fort bien pu écrire « aussi hiérarchiques et violentes que le gang de motards le plus hargneux » et « aussi décontractées, paisibles et lascives qu’une communauté hippie ». De fait, quoi de plus évident que de comparer un groupe d’êtres humains à un autre groupe d’êtres humains ? Pourquoi Harari préfère-t-il évoquer les chimpanzés plutôt que les motards ? Il n’aura échappé à personne que les seconds ont sciemment décidé de leur mode de vie, ce qui implique une certaine forme de conscience politique, une capacité à argumenter, à peser le pour et le contre de chaque option – toutes choses que les grands singes ne savent pas faire, comme nous l’a rappelé Christopher Boehm. Et pourtant, Harari, comme beaucoup d’autres, choisit d’illustrer sa démonstration par ce parallèle.
En un sens, c’est le retour du paradoxe de la connaissance, non pas comme une réalité, mais comme une conséquence de la curieuse manière dont nous interprétons les données disponibles. Il y a paradoxe lorsqu’on soutient que les humains, en dépit de leur cerveau moderne, ont préféré pour d’obscurs motifs continuer à vivre comme des singes pendant des millénaires. Et il y a paradoxe lorsqu’on prétend que, pour des raisons tout aussi inexplicables, ils ont opté pour une seule et unique forme de société, alors même qu’ils pouvaient dépasser leurs instincts simiesques et s’organiser de mille et une autres façons.
Tout se résume peut-être à ce que l’on entend par « acteur politique conscient ». »
125 Acteur politique, conscience humaine, échanges de concepts à quel moment cela a-t-il commencé ?
- l'on découvre ce que Claude Lévi-Strauss a appris auprès des Nambikwaras sur le rôle des chefs et les variations saisonnières de la vie sociale
- Où l'on replonge dans la préhistoire à la recherche d'« individus extrêmes et de variations saisonnières de la vie sociale
135 «La conscience politique de chefs nambikwaras ... et les ... capacités d'improvisation des prophètes nuers ne rentraient pas dans le cadre [des années 60] de l'évolution des sociétés humaines.»
Refus de voir, consciemment ou pas que dans la majorité des tombes du Paléolithique supérieur renferment des squelettes portant des anomalies physiques qui devaient les distinguer de leur entourage.
136 Au Paléolithique supérieur la plus part des personnes n'étaient pas du tout enterrées et même leur corps étaient transformés en bijoux ou en autres objets. Elles étaient inhumées qu'exceptionnellement et encore plus rarement vêtues et ou avec des parures.
137 Les êtres anormaux paraissent glorifiés ou craints de leur vivant, et ou après leur mort.
140 Des peuples de Grande-Bretagne semblent avoir abandonnés la culture des céréales pour la cueuillette de noisettes à partir de 3300 avant J.C et être passés à un régime végétarien mais sans abandonner cochons et bovins.
Les hommes préhistoriques qui ont construit Stonehenge étaient des cueilleurs à la fois et des gardiens de troupeaux.
141 S'il y avait des rois et des reines, leurs cours et leurs royaumes n'étaient que saisonniers. Doute sur leurs pouvoirs car des monarques qui abandonnent nuées de domestiques, de travailleurs, de stocks de vivre ça n'existe pas.
- À propos de la « police des bisons » (où l'on redécouvre le rôle de la saisonnalité dans la vie sociale et politique des hommes)
141-142 Claude Lévi-Strauss comme ses prédécesseurs avait mis en évidence le lien entre variations saisonnières sociales et la liberté politique. Note 44 Les primates non humains connaissent aussi ses variations saisonnières mais il n'y a que chez les humains que c'est accompagné de réorganisation sociale et rituellique.
145 Cette alternance d'organisation mettaient mal à l'aise les néo-évolutionnistes des années 50-60. Il ne pouvait y avoir qu'une succession de développements politiques : clans, tribus, chefferies, États correspondant à des stades de développement économique.
- Pourquoi la vraie question n'est pas : « Quelles sont les origines de l'inégalité ? », mais : « Comment se fait-il que nous nous soyons retrouvés bloqués ? »
149-150 Pierre Clastres défendit l'idée que la position de chef devant la maturité politique des autres membres du groupe n'était de ce fait pas enviable. Mais il ne mettait pas en avant la saisonnalité des groupes. Alors que son prédécesseur Marcel Mauss insistait sur la souplesse des sociétés primitives.
150 Robert Lowie quatorze ans plutôt avait expliqué que la plupart des sociétés amérindiennes étaient en fait anarchistes.
151 Des aristocrates à la tête d'immenses richesses étaient impuissants à donner des ordres. Il y aurait saisonnalité entre la domination des hommes ou des femmes sur l'autre sexe.
152-153 En un mot, comme pour la saisonnalité il n'existe pas de schéma unique pour les rituels débridés ou pas.
- Ce que c'est vraiment qu'être sapiens
157 Admettons comme le faisait Lévi-strauss que nos ancêtres étaient nos pairs sur le plan cognitif et intellectuel.
« .. il est clair désormais que les plus anciennes traces de vie sociale ressemblent bien plus à un défilé de carnaval où paraderaient toutes les configurations politiques imaginables qu'aux mornes abstractions de la théorie évolutionniste. S'il est une énigme à percer, c'est celle-ci : pourquoi Homo sapiens, qui passe pour le plus sage des grands singes, a-t-il laissé s'installer des systèmes inégalitaires rigides et permanents après avoir monté et démonté des structures hiérarchiques pendant des millénaires ? Était-ce vraiment une conséquence de sa nouvelle condition d'agriculteur ou de sa sédentarisation dans des villages, puis dans des villes ? Devrions-nous explorer le passé à la recherche du moment où, comme l'envisageait Rousseau, un homme a pour la première fois enclos un bout de terrain et déclaré : « Ceci est à moi pour toujours », ou est-ce un autre combat perdu d'avance ? Voilà les questions que nous allons aborder maintenant.»
Chapitre 4  Liberté individuelle, origine des cultures et naissance de la propriété privée (pas forcément dans cet ordre)
- Comment, sur le temps long, le cadre de vie humain a eu tendance à se rétrécir à mesure que les populations s'étendaient
- Où l'on se demande : égaux, peut-être, mais en quoi ?
165 L'idée d'égalité par défaut. La société égalitaire serait sans hiérarchie.
168 6000 ans séparent l'apparition des premiers cultivateurs de l'émergence des premiers États.
L'humain est le seul animal capable d'excédents. Les classes dirigeantes sont les groupes qui ont réussi à ce servir largements de ceux-ci, de taxer et de spéculer.
Opposés à Marx, qui pensait qu'il fallait administrer ses excédents, pour des penseurs contemporains il y avait un seul moyen pour l'égalité celui d'éliminer toute possibilté d'accumuler.
Aujourd'hui c'est aussi le stockage par l'immobilier.
169 James Woodburn établit des parallèles d'égalitarisme entre les chasseurs-cueilleurs et diverses ethnies, entre sexe, pour le savoir et le prestige, pour les biens matériels et le refus de dépendance de l'un vers les autres.
169-170 Question mais alors comment gérer des stocks saisonniers nécessaires à la vie, à la survie et se prémunir des abuts de pouvoir.
170 Nous sommes bloqués avec une barre placée beaucoup plus haut pour atteindre le Jardin d'Éden.
171 Les Wendats pour le père Lallemant par l'égalité avaient des libertés, qui n'étaient que pure forme pour l'Européen. Ils avaient de faux chefs, mais des vraies libertés.
173 Les écarts de richesse, calculés en têtes de bétail, n'octroyaient jamais le droit de commander les autres.
Chez les Nuers le mariage non généralisé, de femmes avec entre autre des "fantômes" ou même avec d'autres femmes déclarées en tant qu'hommes, n'était justifié que pour des raisons de généalogie. La façon d'être en enceinte ne regardait quelles. La liberté sexuelle allait de soi.
174 Le moment crutial à identifier, où nous nous sommes laissés dicter notre conduite, est celui où nous avons été sommés de prendre au sérieux les leaders.
Ce fut la conjonction quand les populations s'agrandissent et se sédentarisent, les forces de production montent en puissance, les excédents s'accumulent, les individus passent du temps à se plier aux ordres d'autrui.
Notre semblant de liberté s'appuie sur l'efficacité" économique.
175 Turgot, Smith ... rôle principal du travail ... société commerciale ... théories des années 1750.
Révolution industrielle ... progrès technique ... nouveaux moteurs de la destiné humaine ?!
176 La parution de l'article de Marshall Sahlins "The Original Affluent Society" en 1968 a contredit l'idée que le productivisme n'était pas un progrès humain et que nos encètres vivaient bien plus paisiblement.
- Sur « La première société d'abondance » de Marshall Sahlins, ou comment le fait d'écrire sur la préhistoire sans véritables preuves peut avoir des conséquences fâcheuses, même quand on est un auteur brillant
178-179 Nos ancètres se tournaient les pouces et même quand il fallait déplacer les pierres pour Stonehenge.
La majorité des anthropolgues et des archéologues d'après guerre admettainet que les premiers hommes étaient en perpétuelle lutte pour leur survie.
179 L'agriculture, bien que connue, pouvaient être rejetée si la nourriture était abondante.
182 L'attitude était variée.
- Comment de nouvelles révélations sur nos ancêtres chasseurs-cueilleurs en Amérique du Nord et au Japon renversent notre conception de l'évolution des sociétés
184 Structure Poverty Point de 200 hectares en Louisiane évaluée à 1600 avant notre ère.


186 Utilisation de triangles équilatéraux.
189 Il s'est donc passé toutes sortes de choses importantes pendant sept mille ans.
D'énigmatiques structures de coquillages accumulés sur le pourtour du golf du Mexique et en Floride.
190 et note 33 D'immenses entrepôts à Sanna Maruyama au Japon, environ 3000 ans avant notre ère.
Structures qui posent des questions sur l'organisation pour leur réalisation et bien avant l'agriculture.
191 «L'Europe aussi témoigne du complexe et vibrionnant passé des peuples non agricoles après le Pléistocène.» - 12 000 ans
Monuments finnois Jätinkirkko (églises de géant)
L'«idole de Shigir» totem de 5 mètres découvert dans une tourbière de l'Oural.
Sépultures remplies d'ambre en Carélie et sud Scandinavie.
Stonehenge d'une époque où ne pratiquait plus la céréaliculture au profit de récolte de noisettes et de l'élevage.
191 Des chercheurs, gênés aux entournures, «commencent à évoquer une «nouvelle période archaïque», ère jusqu'alors insoupçonnée de «monuments sans rois». Nous ne savons presque rien du cadre politique dans lequel vivaient les peuples cueilleurs à l'origine de ces constructions monumentales ... sur la majeur partie de la planète
- Comment le mythe de la simplicité enfantine des cueilleurs est maintenu en vie (ou les raisonnements fallacieux)
193 à 195 Les autochtones ne cultivant pas les terres à la façon des européens et n'ayant pas de titre de propriété en étaient dépossédé. John Locke (1690) dans "Second traité du gouvernement civil" lie indissolublement droit de propriété et travail.Le philosophe James Tully dénonce l'idée que les terres servant à la chasse et aux rassemblements sont considérées comme vacantes.
194-195 Alors que des terres aparaments vierges ont été façonnées pour en augmenter le rendement et où prélevé des droits d'accès
196 Vision réduite des explorateurs ne voulant pas qualifier "roi" le dirigeant des environ 50 000 Calusas, société de pécheurs ayant capital Calos.
197 Signes de leur organisation qui va à l'encontre des schémas établis sur les organisations possibles.
On commence à parler d'une forme d'agriculture à part.
- Où l'on balaie l'argument particulièrement stupide selon lequel les cueilleurs avaient tendance à fuir les territoires propices à la cueillette
- Où l'on en revient finalement à la question de la propriété, en s'interrogeant sur sa relation au sacré
206 Durkheim et le sacré.
Chapitre 5 «  Il y a de cela bien des saisons. . . » - Pourquoi Les cueilleurs du Canada avaient des esclaves, et pas leurs voisins de Californie ( ou le problème avec les « modes de production »)
- Où l'on se penche sur la question de la différenciation culturelle
- Où l'on examine la façon dont les « aires culturelles » ont longtemps été envisagées : souvent inappropriée, parfois insultante, à l'occasion stimulante
- Où l'on transpose l'analyse de Mauss à la côte pacifique pour se rendre compte que la notion de « cueilleurs protestants » avancée par Welter Goldschmidt, absurde à bien des égards, peut tout de même nous apprendre quelque chose
- Où l'on défend la thèse d'une schismogenèse entre les « cueilleurs protestants » et les « rois pêcheurs »
Sur la nature de l'esclavage et les « modes de production » en général
- Où l'on découvre l'histoire des « Wogies », un conte moral indigène qui alerte sur le danger de chercher la fortune en asservissant les autres (plus un petit aparté sur les fusils, les germes et l'acier)
- Et vous, vous êtes plutôt glands ou poisson ?
- A propos de la culture de la différence dans la « mosaïque » du Pacifique
- Quelques éléments de conclusion
265 Agentivité humaine que l'on appellait autre fois Libre arbitre. Agentivité : adaptation de l'anglais « agency » et utilisé notamment au Canada, est la faculté d'action d'un être, sa capacité à agir sur le monde, les choses, les êtres, à les transformer ou les influencer.
267 «Il semblerait finalement que hiérarchie et égalité aient tendance à apparaître simultanément, comme si elles se complémentaient l’une l’autre.»
Chapitre 6 Les jardins d'Adonis - La révolution qui n'a jamais eu lieu : comment les peuples du Néolithique ont esquivé l'agriculture
- Sur les préjugés platoniciens et la façon dont ils obscurcissent notre compréhension de l'invention de l'agriculture
269-270 Les jardins d'Adonis « Entre les majestueuses Thesmophories si terre à terre et les jardins d’Adonis qui se voulaient juste un plaisant divertissement, quelle philosophie correspond le mieux à l’état d’esprit des premiers agriculteurs ?
Il ne fait aucun doute que ces questions ont dû trotter pas mal de temps dans la tête des premiers agriculteurs eux-mêmes, à savoir les peuples du Néolithique. On le comprendra en allant faire un tour à Çatal Höyük, probablement le site néolithique le plus célèbre au monde
 »

- Comment Çatal Höyük, la plus ancienne ville du monde, a vu réécrire son histoire
Çatal Höyük 13 hectares 5000 habitants en -7400 et pendant environ 2500 ans - population estimée à plusieurs milliers de personnes

272 « Mais c’était enterrer Adonis un peu trop vite. Dans les années 1990, de nouvelles fouilles mobilisant des techniques plus sophistiquées ont permis une avalanche de découvertes surprenantes qui nous obligent à réviser l’histoire de Çatal Höyük et, plus largement, celle des origines de l’agriculture. » https://www.catalhoyuk.com/
Note p 284 « Çatal Höyük se compose de deux grandes collines archéologiques, ou tells. Tout ce dont il a été question jusqu’à présent concerne le tell Est, le plus ancien, tandis que le tell Ouest se rapporte essentiellement à des périodes plus tardives de la préhistoire qui dépassent le cadre de cet ouvrage. »
- Où l'on pénètre dans une zone de recherche interdite : les matriarcats néolithiques
Marija Gimbutas
278 « Ces dernières années en effet, une technologie qui n’était pas disponible de son vivant, l’analyse d’ADN ancien, a conduit plusieurs archéologues réputés à valider une bonne part de son récit avec un degré raisonnable de certitude. S’ils se révélaient exacts ne serait-ce que dans leurs grandes lignes, ces nouveaux arguments fondés sur la génétique des populations confirmeraient le scénario d’une expansion de peuples de pasteurs depuis les prairies du nord de la mer Noire à l’époque où Gimbutas l’envisageait, à savoir le IIIe millénaire. Certains chercheurs vont jusqu’à reprendre son hypothèse selon laquelle des migrations massives parties de la steppe eurasiatique auraient entraîné des remplacements de population, voire peut-être la diffusion des langues indo-européennes à travers une vaste portion de l’Europe centrale. D’autres se montrent plus prudents. En tout cas, après des décennies sous le boisseau, le sujet est de nouveau sur la table – et, avec lui, les travaux de Gimbutas. »
279-280 « Un système où le pouvoir politique est aux mains des femmes serait mieux nommé « gynarchie » ou « gynocratie ». « Matriarcat » renvoie à autre chose. C’est assez logique : son pendant masculin, « patriarcat », désigne moins le monopole des hommes sur les fonctions publiques que l’autorité des patriarches (ou chefs de famille), faisant office à la fois de modèle symbolique et de base économique du pouvoir masculin dans d’autres sphères de la vie sociale. De la même façon, « matriarcat » pourrait décrire une situation où le rôle joué par les mères au sein du foyer forme le socle de l’autorité féminine dans d’autres domaines (sans que cela implique nécessairement une domination de type violent ou ostracisant) et où les femmes, en dernière analyse, exercent l’essentiel du pouvoir au quotidien.Ainsi définis, les matriarcats sont une réalité. D’ailleurs, le régime dans lequel vivait Kandiaronk en était un. À son époque, les villages des Wendats et d’autres peuples de langues iroquoiennes étaient composés de « maisons longues » abritant cinq ou six familles. Chacun de ces foyers était régi par un comité de femmes (il n’en existait aucun équivalent masculin) qui contrôlait l’ensemble des réserves essentielles (vêtements, outils, nourriture). La sphère politique où évoluait Kandiaronk était peut-être la seule qui ne fût pas dominée par des femmes – encore que l’on y trouvât des comités féminins qui disposaient d’un droit de veto sur toutes les décisions prises par leurs homologues masculins. En ce sens, des nations pueblos comme les Hopis et les Zuñis pourraient aussi être vues comme des matriarcats, de même que les Minangkabaus, un peuple musulman de Sumatra qui se définit comme matriarcal pour des raisons similaires »
- Où l'on essaie de se représenter le quotidien dans la plus célèbre ville du Néolithique
- Quelques hypothèses sur la saisonnalité de la vie sociale au sein des premières communautés agricoles
- Où l'on dissèque le Croissant fertile
287 « On sait désormais que les bovins (et les sangliers) avaient commencé à être domestiqués quelque mille ans auparavant dans une région située plus à l’est, aux portes de l’Asie, le long des vallées supérieures du Tigre et de l’Euphrate : le « Croissant fertile ». C’est de là que les fondateurs de Çatal Höyük tiraient la base de leur économie agricole – céréales, légumineuses, moutons et chèvres, tous domestiqués. En revanche, ils n’adoptèrent pas les bovins ni les cochons. Pour quelle raison ? »
- Le « blé lent » et autres théories populaires sur nos premiers pas d'agriculteurs
296 Peut-être d’abord la paille ? « De nos jours, celle-ci est regardée comme un simple sous-produit de la céréaliculture, dont l’objectif premier est de nourrir. À en croire les données archéologiques, c’était tout l’inverse à l’origine. »
Schismogénétique et plus loin
Modification des céréales longtemps après les débuts de l’agriculture.
Observation et amélioration des cultures par les femmes.
- Pourquoi l'agriculture néolithique a été si lente à se développer et n'a pas donné lieu à la clôture de champs fixes - n'en déplaise à Rousseau
- La femme, cette scientifique
Agriculture et domestication ? Plutôt jardinage
- Cultiver ou ne pas cultiver : c'est uniquement dans la tête (ou retour à Göbekli Tepe)
- Sur les pièges sémantiques et les mirages métaphysiques
Chapitre 7 L'écologie de la liberté - Bond en avant, faux départs et coups d'esbroufe : comment
l’agriculture a tracé sa route à travers le monde
- De quelques problèmes de terminologie lorsqu'on évoque les mouvements de la flore et de la faune domestiquées autour du globe
- Pourquoi l'agriculture ne s'est pas développée plus tôt
327 « De nombreux spécialistes des sciences de la Terre estiment que l'Holocène est terminé. Il y a deux cents ans au moins, il a fait place à une nouvelle ère géologique, l'Anthropocène, dans laquelle le changement climatique mondial est pour la première fois causé majoritairement par les activités humaines. La date précise du début de l'Anthropocène est controversée. La plupart des scientifiques le font coïncider avec le déclenchement de la révolution industrielle, mais certains le situent plus tôt, à la fin du XVe siècle et au début du XVIe À cette époque s'est produite une baisse mondiale des températures de surface, inaugurant ce que l'on a nommé le « Petit Age glaciaire », un phénomène qu'il est impossible d'expliquer par l'action des forces naturelles et qui est plus probablement lié à l'expansion européenne en Amérique. Avec peut-être 90 % des populations indigènes du continent décimées par les conquêtes et les maladies infectieuses, les forêts ont repris possession de régions la culture en terrasses et l'irrigation étaient pratiquées depuis des siècles. Entre la Mésoamérique, l'Amazonie et les Andes, on estime à quelque 50 millions d'hectares les surfaces de terres cultivées qui sont retournées à l'état sauvage. La hausse consécutive du taux d'absorption de carbone par la végétation a suffisamment modifié le système terrestre pour que s'ouvre une phase de refroidissement global provoquée par l'homme. »
Un immense réseau de cités perdues découvert en Amazonie
En pleine forêt amazonienne, des scientifiques ont découvert un vaste réseau de cités densément peuplées vieilles de 2500 ans, où vivait une civilisation agraire jusqu’ici inconnue, selon une étude.


- Un conte moral néolithique : l'incroyable et épouvantable sort des premiers agriculteurs d'Europe centrale
- De quelques lieux où l'agriculture néolithique a trouvé ses marques : la métamorphose de la vallée du Nil et la colonisation des îles d’océanie
- Sur le cas amazonien et les possibilités de l'agriculture en dilettante
343-344 «...l’agriculture en  forêt  humide repose sur la technique très astreignante  de la culture sur  brûlis,  qui permet  de  cultiver à grande échelle un  petit nombre de variétés.  Avec  les anciennes  méthodes  que  nous avons  décrites, on pouvait  faire pousser une gamme  de cultivars beaucoup  plus étendue dans des jardins aménagés  au pas  de la  porte ou  des clairières  proches du village. Ces  pépinières  antiques reposaient  sur la présence  de sols spécifiques appelés « anthrosols »  – des terres  de  couleur  sombre et d’une capacité porteuse*2  largement supérieure à celle des sols tropicaux ordinaires.  En  Amazonie,  on les désigne sous  les noms de terras pretas de índio  (« terres noires des  Indiens ») et terras  mulatas (« terres mulâtres »). Les terras pretas  doivent leur  fertilité à leur forte concentration  en  sous-produits organiques (résidus alimentaires, excréments, charbon de bois) issus des activités quotidiennes du village ; les  terras  mulatas, elles, correspondent  à des  zones  précédemment défrichées et cultivées  au moyen du brûlis contrôlé. L’enrichissement  des sols dans  l’Amazonie antique  ne résultait  donc  pas d’une seule opération effectuée à un rythme annuel, mais d’un lent processus continu. À  des périodes  plus récentes, ce modèle  d’agriculture  en  dilettante  s’est révélé particulièrement avantageux pour  tous les peuples indigènes en butte à des États coloniaux.»
- Mais au fait, pourquoi tout cela est-il si important? - Bref rappel sur les dangers des raisonnements téléologiques
Chapitre 8 Cités imaginaires - Comment les premiers citadins d'Eurasie (Mésopotamie, Indus, Ukraine, Chine) ont bâti des villes sans rois Téléologie suite
 Elias Canetti Les villes sont d'abord des représentations mentales
- Où l'on s'attaque au Fameux « problème de l'échelle »
- Où l'on plante le décor d'un monde de villes tout en réfléchissant aux raisons de leur émergence
365 « ... découvertes récentes soulignent l’antériorité de certaines des premières villes du monde par rapport aux systèmes de gouvernement autoritaire et de bureaucratie écrite qu’on a longtemps considérés comme des conditions de leur apparition. De même, les plaines mayas abritent des centres rituels réellement gigantesques datés de mille ans avant notre ère (soit plus d’un millénaire avant l’ascension des souverains de la période classique, dont les cités royales étaient notablement plus petites) et qui n’ont livré à ce jour aucun indice de monarchie ni de stratification sociale. Note : Le meilleur exemple est sans doute le site connu sous le nom d’Aguada Fénix, dans l’État de Tabasco. Daté entre mille et huit cents ans avant notre ère, il est désormais considéré comme la plus ancienne construction monumentale jamais découverte en terre maya, et la plus vaste de toute l’histoire préhispanique de la région. Mais Aguada Fénix est loin d’être un cas isolé. Des traits d’architecture massive dénotant un effort collectif comparable à celui requis par les pyramides d’Égypte ont été identifiés sur de nombreux sites disséminés dans les plaines mayas et datés de plusieurs siècles avant le début de l’époque classique. Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas de pyramides, mais de plateformes horizontales en terre de proportions sidérantes, arrangées de façon à former approximativement des « E ». La majorité de ces sites ont été repérés grâce à la technologie de télédétection laser LIDAR (Light Detection and Ranging), mais n’ont pas encore fait l’objet de fouilles archéologiques, si bien que leurs fonctions demeurent obscures. »

- À propos des « mégasites » d'Ukraine et de Moldavie, et comment ils bousculent nos idées reçues sur l'origine des villes
368 « Notre tendance naturelle, souligne Le Guin, serait de qualifier ses habitants de « simples ». En réalité, les citoyens d’Omelas « n’étaient pas des gens simples, des bergers tranquilles, de nobles sauvages, des utopiens débonnaires. Ils n’étaient pas moins compliqués que nous ». C’est juste que « nous avons la mauvaise habitude, encouragée par les pédants et les sophistes, de considérer le bonheur comme quelque chose de plutôt stupide. »
370 « Le plan archéologique classique d’un mégasite ukrainien est ... tout de chair, sans noyau. »

Nebelivka : un mégasite préhistoriquedans la steppe boisée ukrainienne dans la Culture de Cucuteni-Trypillia

- Sur la démocratie mésopotamienne, pas si « primitive » que cela
- Grands conseils urbains et petits royaumes perchés sur les collines, ou comment l'histoire écrite a commencé (ainsi probablement que les épopées orales)
- À la découverte de la civilisation de l'Indus : un exemple de société de castes avant la royauté ?
- À propos d'un cas probable de « révolution urbaine » dans la Chine préhistorique
Chapitre 9 Cachées à la vue de tous - Les origines indigènes du logement social et de la démocratie en Amérique
- Où l'on découvre des « rois-étrangers », dans les plaines mayas, en se demandant quel était leur lien avec Teotihuacan
- Comment le peuple de Teotihuacan a tourné le dos aux monuments et aux sacrifices humains pour se lancer dans un incroyable programme de logement social
- Sur la république indigène de Tlaxcala, dont la décision fatidique de s'allier aux envahisseurs espagnols fût le fruit de délibérations démocratiques (et non d' »esprits indiens » éblouis par la technologie européenne) 
Chapitre 10 Pourquoi l’État n'a pas d'origines - L es premiers pas modestes de la souveraineté, de la bureaucratie
et de la politique
- Où l'on développe la théorie des trois formes élémentaires de domination, en commençant à explorer ses conséquences pour l'histoire de l'humanité
- Sur les Aztèques, les Incas et les Mayas (et donc sur les Espagnols)
- Petite digression sur les « formes du temps »», ou comment les métaphores de l'essor et du déclin introduisent des biais politiques invisibles dans notre conception de l'histoire
485 «... nous essayons au moins de voir ce  qui  se produit  quand  on abandonne  le réflexe téléologique  qui nous conduit si  souvent à  écumer le  passé en  quête de versions embryonnaires de nos États-nations modernes. Nous voulons montrer que les lieux et  les  époques  que  l’on identifie généralement comme  des marqueurs  de la « naissance de l’État » ont vu se cristalliser des  types de pouvoir très différents,  chacun constitué  d’un dosage particulier  de violence, de savoir et de charisme – nos trois formes élémentaires de  domination.
       L’une des méthodes  pour tester la validité d’une  nouvelle  approche  est de vérifier si elle  permet d’expliquer des cas qui passaient jusqu’alors pour  des  anomalies – en l’occurrence, ceux des régimes politiques  antiques  qui,  tout en  mobilisant et organisant  de  gigantesques  populations,  ne paraissaient  correspondre à aucune  des définitions traditionnelles de l’État. Les cas  de ce genre sont  légion. » téléologie suite
- Sur la politique comme sport : le cas des Olmèques
- Chavin de Huantar : un « empire » bâti sur des images ?
- Sur la souveraineté sans État
- Soins, meurtres rituels et mini-bulles de souveraineté : aux origines
de l’Égypte antique
- Où l'on se demande ce qui distingue les uns des autres les « premiers États » de la planète, de la Chine à la Mésoamérique
524 «De toute évidence, aucun des cas que  nous  venons d’évoquer  n’illustre la « naissance de l’État »,  c’est-à-dire l’apparition à un stade embryonnaire d’une institution neuve  et inédite qui  se serait  ensuite développée, puis progressivement incarnée dans  des formes modernes de gouvernement. Nous sommes plutôt en présence  d’immenses systèmes  régionaux. La configuration  propre à l’Égypte et aux Andes péruviennes, dans laquelle  un système régional  se retrouvait unifié au moins une partie du temps sous l’autorité d’un  gouvernement  unique, était  relativement  inhabituelle. Beaucoup plus communs étaient  les  arrangements tels  que  ceux observés dans la Chine des Shang, où l’unification était largement  théorique,  en Mésopotamie, où les phases  d’hégémonie régionale duraient rarement  plus d’une  ou deux générations, ou encore chez les Mayas, où  deux  grandes puissances (Tikal et Calakmul) étaient  engagées dans d’interminables  luttes qu’aucune n’avait vraiment la capacité de remporter»
- Où l'on réexamine le cas égyptien à la lumière de nos trois principes élémentaires de domination, tout en revisitant la question des «  âges sombres »
- Où l'on part à la recherche des véritables origines de la bureaucratie, nichées dans de tout petits villages
- Où l'on revisite certaines des prémisses de l'évolution sociale armés d'un savoir nouveau
544 «On pourrait aller plus loin et suggérer que  beaucoup de ces  « premiers États »  étaient  peut-être eux-mêmes  des phénomènes essentiellement saisonniers»
- Coda : sur la civilisation, les murs nus et les histoires qui restent a écrire
Chapitre 11 Boucler la boucle - L es fondements historiques de la critique indigène
- Où l'on accompagne James C. Scott dans sa lecture des cinq mille dernières années, en se demandant si notre situation actuelle était vraiment inéluctable
563 «... Quand bien même l’histoire de l’humanité aurait été infiniment plus compliquée qu’on ne l’affirme généralement, dira-t-il, ce qui compte, c’est la façon dont les choses se sont terminées, non ? Cela fait deux mille ans au bas mot que la majorité de la population mondiale vit sous l’autorité de rois ou d’empereurs quelconques. Dans les régions qui n’ont jamais connu la monarchie – comme une grande partie de l’Afrique et de l’Océanie –, les systèmes patriarcaux sont largement répandus, souvent accompagnés d’autres formes d’oppression violente. Une fois installées, de telles institutions sont extrêmement difficiles à déloger. En fait, résumera notre contradicteur, vous dites simplement que l’inévitable a légèrement tardé à se produire, ce qui ne le rend pas moins inévitable.
Idem pour l’agriculture, poursuivra-t-il sans doute. Certes, elle n’a pas tout bouleversé en un jour, mais on ne peut nier qu’elle a ouvert la voie aux systèmes oppresseurs apparus par la suite. N’était-ce pas, là aussi, une simple question de temps ? La possibilité de produire du grain en excédent n’était-elle pas un piège en soi ? Des princes guerriers de la trempe du roi égyptien Narmer ne devaient-ils pas fatalement finir par amasser des réserves pour en faire profiter leurs fidèles ? Dès lors, les jeux étaient faits. Royaumes et empires rivaux n’allaient pas tarder à éclore. Certains d’entre eux parviendraient à s’étendre et exigeraient de leur population qu’elle intensifie sa production céréalière. Le nombre de leurs sujets enflerait inexorablement, tandis que stagnerait celui des peuples échappant à leur sphère d’influence. Et ne serait-ce pas, là encore, une simple question de temps avant que l’un ou l’autre de ces royaumes ne découvre la recette gagnante – le parfait dosage de fusils, de germes et d’acier – pour conquérir la planète et imposer à tous son propre système ?
Politologue renommé, James C. Scott a consacré l’essentiel de sa carrière à tenter de comprendre le rôle historique des États (et de ceux qui se soustraient à leur emprise). Dans Homo domesticus, il décrypte avec brio le fonctionnement du piège de l’agriculture.
Le Néolithique, explique-t-il, a commencé avec l’agriculture de décrue, une pratique propice à la redistribution et qui ne demandait pas trop d’efforts. Les populations les plus nombreuses se sont donc concentrées dans les deltas.
Au Moyen-Orient cependant (Scott traite essentiellement de cette région et de la Chine), les premiers États se sont développés en amont des fleuves, dans des zones largement tournées vers la céréaliculture (blé, orge, millet) et offrant un accès relativement limité à d’autres ressources de base. Selon Scott, si les céréales ont acquis une telle suprématie, c’est parce qu’elles sont à la fois durables, transportables, divisibles et faciles à quantifier en volume, ce qui en fait une base d’imposition idéale. Contrairement à certaines tubercules ou légumineuses, elles ont aussi l’avantage de pousser au-dessus du sol, et cette visibilité les rend aisément appropriables.
La céréaliculture n’est donc pas responsable à proprement parler de l’émergence des États confiscateurs, mais il se trouve qu’elle se prêtait fort bien à leurs exigences fiscales. Tout comme l’argent, les céréales autorisent une certaine forme d’équivalence terrifiante. Une fois adoptées comme culture dominante dans une région donnée, ..., la voie est libre pour l’établissement de royaumes permanents. Scott souligne toutefois que le processus s’est longtemps révélé piégeux pour beaucoup de jeunes « États céréaliers » : en les confinant dans les zones propices à cette agriculture intensive, il mettait hors de leur portée les montagnes, marais et marécages environnants. Même à l’intérieur de cette niche, ces royaumes restaient fragiles, toujours guettés par l’effondrement à cause du surpeuplement, d’une catastrophe écologique ou des maladies endémiques qui ne manquaient pas d’apparaître dès qu’humains, animaux domestiques et parasites partageaient un lieu de vie.
Mais Scott s’intéresse finalement moins aux États qu’aux « barbares ». C’est ainsi qu’il désigne les groupes qui s’agglutinaient peu à peu autour des petits îlots de gouvernement autocratique et bureaucratique, entretenant avec eux des relations essentiellement symbiotiques faites de razzias, d’échanges commerciaux et d’évitement réciproque (en une combinaison perpétuellement changeante). Certains de ces « barbares » sont devenus anarchistes pour de bon – à l’image des habitants de la Zomia, une vaste région montagneuse d’Asie du Sud-Est que Scott a étudiée dans un autre ouvrage. Ils se sont mis à définir leur existence en opposition à celle des sociétés des vallées en contrebas – un nouvel exemple de schismogenèse culturelle – ou à l’organiser de manière à empêcher le développement d’une quelconque stratification sociale. Comme nous l’avons vu, ce rejet explicite des valeurs bureaucratiques pouvait aussi donner naissance à tout un fatras de sociétés héroïques, avec à leur tête des souverains de second rang qui fondaient leur domination sur des compétitions à grand spectacle faisant intervenir la guerre, la forfanterie, les banquets, les duels, les jeux, les dons ou les sacrifices. C’est sans doute là, aux marges des systèmes bureaucratiques urbains, que la monarchie elle-même a vu le jour.
Mais revenons à la démonstration de James Scott. Les monarchies barbares restaient souvent de taille modeste, ou en tout cas connaissaient des phases d’expansion aussi impressionnantes que brèves – comme sous le règne d’Alaric, d’Attila, de Gengis Khan ou encore de Tamerlan. Pendant une bonne partie de l’histoire, États céréaliers et barbares sont restés des « jumeaux de l’ombre », indissolublement liés par une relation conflictuelle qui ne pouvait pas trouver d’issue, puisque chacun était prisonnier de sa propre niche écologique. Quand les États l’emportaient, ils capturaient des armées d’esclaves et de mercenaires ; quand c’étaient les barbares qui prenaient le dessus, les États tentaient d’amadouer les chefs de guerre les plus redoutables en payant un tribut. Il arrivait aussi qu’un seigneur réussisse à monter une coalition qui pénétrait victorieusement dans les villes pour les dévaster ou, plus souvent, pour tenter de s’emparer du pouvoir. Lui et sa suite finissaient alors systématiquement par être assimilés et par former une nouvelle classe gouvernante. Comme le dit un proverbe mongol : « On peut conquérir un royaume à cheval, mais il faut en descendre pour le gouverner. »
De ce récit, Scott ne tire aucune conclusion particulière. Il se contente de noter que la période qui s’étend approximativement de –3000 à 1600 après J.-C., assez épouvantable pour la majorité des paysans du monde, fut un véritable âge d’or pour les barbares. Ils profitaient à plein de leur proximité avec les États et les empires dynastiques – réserve inépuisable de biens précieux à piller –, tout en vivant pour leur part des existences relativement aisées. En règle générale, quelques-uns au moins de ceux qu’ils soumettaient pouvaient rejoindre leurs rangs. D’ailleurs, Scott estime que ces ralliements ont constitué la principale forme de rébellion à de nombreuses époques.
Pour utiliser notre terminologie, les royaumes agrariens avaient presque aboli la liberté de désobéir, mais ils ont eu beaucoup plus de mal à éliminer la liberté de fuir. Manifestations exceptionnelles et éphémères, les empires, y compris les plus puissants (comme les Romains, les Hans, les Mings ou les Incas), n’avaient pas une totale maîtrise de leur sphère de contrôle et ne parvenaient pas toujours à empêcher des défections en masse. Jusqu’au XVIe siècle encore, une part considérable des habitants de la planète ne croisaient jamais la route d’un collecteur d’impôts, soit parce qu’ils vivaient en dehors de son rayon d’action, soit parce qu’ils disposaient de moyens relativement simples pour lui échapper.
Ce n’est évidemment plus vrai au XXIe siècle. Du point de vue des barbares en tout cas, les choses ont mal tourné.
Mais même si ce monde n’est plus le nôtre, reconnaître qu’il a existé, et pendant si longtemps, nous permet d’aborder une autre question fondamentale : nos gouvernements actuels, avec leur combinaison particulière de souveraineté territoriale, d’administration tentaculaire et de concurrence politique, avaient-ils quoi que ce soit d’inéluctable ? Étaient-ils l’aboutissement nécessaire de l’histoire ?
L’un des défauts du modèle évolutionniste est qu’il réorganise en stades historiques distincts des modes de vie qui se sont développés en symbiose. Dès la fin du XIXe siècle, il apparut avec évidence que la séquence originelle développée par Turgot et consorts – chasse, élevage, agriculture, civilisation industrielle – n’était pas vraiment opérante. Dans le même temps, avec la publication des théories de Darwin, l’évolutionnisme s’enracina comme la seule approche scientifique possible de l’histoire, en tout cas la seule à pouvoir être admise au sein de l’université.
On se mit donc en quête de catégories plus faciles à manier. Dans son ouvrage Ancient Society, publié en 1877, Lewis Henry Morgan proposait une succession d’étapes allant de la « sauvagerie » à la « civilisation », en passant par la « barbarie » – un découpage qu’une bonne partie de la discipline anthropologique émergente fit sien.
Les marxistes, eux, se focalisaient sur les formes de domination, posant que la sortie du communisme primitif avait débouché sur l’esclavage, la féodalité et le capitalisme, auxquels succéderait bientôt le socialisme (suivi du communisme).
Toutes ces conceptions durent à leur tour être écartées pour cause d’inapplicabilité totale. Depuis les années 1950, un corpus théorique baptisé « néo-évolutionnisme » cherche à redéfinir la séquence en se concentrant sur l’efficacité des divers groupes à exploiter l’énergie tirée de leur environnement.
Comme nous l’avons vu, presque plus personne aujourd’hui ne souscrit à l’intégralité de ce cadre interprétatif. Des volumes entiers ont été écrits pour dénoncer ses fondements ou mettre en avant ses innombrables failles logiques. Si vous demandez leur avis à des anthropologues ou archéologues, la plupart vous diront sans doute que nos disciplines n’en sont « plus là », qu’on est « passé à autre chose ». On est peut-être « passé à autre chose », mais, semble-t-il, sans parvenir à proposer une vision alternative, si bien que tous ceux qui tentent d’embrasser l’histoire mondiale sur le temps long, en dehors des représentants de ces disciplines, ont tendance à retomber dans ces vieilles ornières.
Il n’est pas inutile de rappeler la séquence qui sous-tend le modèle néo-évolutionniste.
1.Les sociétés claniques ... considérées comme le stade élémentaire. Les chasseurs-cueilleurs ... vivent en petits groupes mobiles de 20 à 40 individus. Dépourvus de fonctions politiques formalisées, ils mettent en œuvre une division des tâches rudimentaire. On décrit ces sociétés comme égalitaires – essentiellement par défaut.
2.Les tribus ... les sociétés tribales pratiquent l’« horticulture » – en d’autres termes, elles cultivent la terre, mais sans recourir à des ouvrages d’irrigation ni à des équipements lourds type charrues. L’égalitarisme règne, au moins entre les représentants d’une même classe d’âge ou d’un même sexe. Les leaders n’exercent qu’un pouvoir informel, en tout cas pas coercitif. Le plus souvent, les tribus s’organisent selon des structures complexes chères au cœur des anthropologues, fondées sur les lignées ou les clans totémiques. Dans le domaine économique, les figures centrales sont des big men sur le modèle mélanésien, chargés notamment de mettre sur pied des coalitions de contributeurs volontaires pour organiser les rituels et les banquets. La spécialisation rituelle ou artisanale est peu développée et rarement exercée à plein temps. Bien que les sociétés tribales soient plus peuplées que les sociétés claniques, leurs implantations ont souvent approximativement la même taille et la même importance.
3.Les chefferies ... Au lieu de l’équivalence fondamentale qui règne entre tous les clans dans les sociétés tribales, les chefferies instaurent un système de stratification sociale reposant sur la parenté et distinguant aristocrates et roturiers, voire esclaves.
Avec l’intensification de la production, qui génère d’importants excédents, de véritables classes de spécialistes se forment dans les sphères rituelle et artisanale, en plus des familles régnantes. Les implantations présentent au moins un niveau hiérarchique (il y a la résidence du chef, et les autres). Le chef remplit une fonction essentiellement redistributive : après avoir mis en commun les ressources, au besoin par la force, il les répartit entre les membres de la société, le plus souvent lors de fabuleux banquets.
4.Les États Ils se caractérisent la plupart du temps par une céréaliculture intensive, un monopole juridique de l’usage de la force, une administration professionnelle et une division du travail complexe.
Comme l’ont relevé de nombreux anthropologues du siècle passé, ce modèle n’est guère plus opérant que le précédent. ...
Au sein du monde académique, une étrange déconnexion s’est développée dans les attitudes face à ces lectures évolutionnistes. La plupart des spécialistes d’anthropologie culturelle y voient une sorte de survivance de l’enfance de leur discipline, une relique surannée que plus personne ne peut prendre au sérieux. Les archéologues ne parlent encore de « tribus », de « chefferies » et d’« États » que faute d’une meilleure terminologie.
[Les anthropologues et historiens comme tout un chacun se limitent à un schéma confortable qui n’apporte rien à la compréhension du passé.] Mais pour presque tous les autres, il va de soi que ces catégories sont le point de départ obligé des discussions. Nous n’avons cessé ici de démontrer le caractère fallacieux de ces raisonnements, et quantité d’autres auteurs ont pointé leurs incohérences. La raison pour laquelle ils résistent envers et contre tout est que concevoir une histoire qui ne soit pas téléologique – c’est-à-dire organiser les événements du passé sans postuler l’inéluctabilité de la situation présente – semble être hors de notre portée.
«Nous avons déjà souligné cette propriété déroutante de l’histoire : il est pratiquement impossible de prévoir le cours des événements futurs, mais une fois que ces événements sont derrière nous, on ne voit pas très bien ce qu’apporte le fait de dire qu’ils auraient pu se dérouler autrement.
Peut-être finalement qu’un événement historique proprement dit doit répondre à ces deux critères : 1) il ne pouvait pas être anticipé ; 2) il ne se produit qu’une seule fois.
On ne peut pas rejouer la bataille de Gaugamèles pour voir comment les choses se seraient passées si Darius l’avait remportée. Quelle aurait été la face du monde si, par exemple, Alexandre le Grand avait reçu une flèche perdue et qu’il n’y eût jamais eu de royaume ptolémaïque en Égypte ni de dynastie séleucide en Syrie ? Assurément, ce genre de spéculations soulève des questions intéressantes quant à l’impact que peut avoir un homme particulier sur le cours de l’histoire, mais comme il ne sera jamais possible de leur apporter une réponse définitive, l’exercice est vain.
Face à des événements ou configurations uniques, comme les empires perse ou hellénistique, notre meilleure arme est la comparaison. Elle permet d’avoir au moins une idée de ce qui peut se passer et, dans le meilleur des cas, de l’enchaînement plausible des faits. Le problème est que l’invasion ibérique des Amériques, suivie par la constitution des empires coloniaux européens, a éliminé cette option. Depuis cette date, la planète n’a connu pour ainsi dire qu’un seul système politico-économique. Imaginons par exemple que nous voulions déterminer s’il existe une corrélation entre l’État-nation moderne, le capitalisme industriel et la multiplication des asiles de fous, ou si ce sont juste des phénomènes distincts qui, par le plus grand des hasards, se seraient développés de façon concomitante dans une certaine partie du monde. Nous n’aurions aucune base pour en juger : ces trois manifestations se sont produites à une époque où la Terre était déjà effectivement un système unique, et nous n’avons pas d’autres planètes auxquelles nous comparer. On pourrait rétorquer – et beaucoup le font – qu’il en a été ainsi pendant la majeure partie de l’histoire humaine. Il est vrai que l’Eurasie et l’Afrique formaient déjà un système unique interconnecté à l’âge du bronze et du fer. Personnes, objets et idées franchissaient l’océan Indien et sillonnaient les routes de la soie (ou leurs équivalents d’alors), et certains changements politiques et économiques majeurs semblaient survenir de façon plus ou moins coordonnée à travers toute la masse continentale eurasiatique.
Il y a près d’un siècle, le philosophe allemand Karl Jaspers a formulé une thèse célèbre à ce sujet. Jaspers avait constaté que toutes les grandes écoles de philosophie spéculative avaient vu le jour en Grèce, en Inde et en Chine autour de la même époque (entre le VIIIe et le IIIe siècle avant notre ère), sans doute de manière indépendante. Il se trouve de surcroît que toutes étaient nées dans des cités où la monnaie venait d’être inventée et gagnait du terrain. Jaspers a baptisé « âge axial » cette tranche de l’histoire, que d’autres ont étendue depuis pour embrasser toute la période qui a vu se former les religions actuelles, du prophète perse Zoroastre (vers 800 avant J.-C.) à l’avènement de l’islam (vers 600 après J.-C.). Le cœur de l’âge axial de Jaspers – qui correspond au vivant de Pythagore, de Bouddha et de Confucius – ne coïncide pas seulement avec l’invention de la monnaie et de nouvelles formes de raisonnement spéculatif, mais aussi avec la diffusion de l’esclavage-marchandise dans toute l’Eurasie, y compris là où l’esclavage n’avait pour ainsi dire jamais existé. Il fallut d’ailleurs attendre la dissolution de plusieurs empires de l’âge axial (les empires maurya, han, parthe et romain) et la désagrégation de leurs principaux systèmes monétaires pour commencer à le voir reculer.
...
La culture des céréales est-elle réellement un piège, et est-il juste de dire que, une fois suffisamment répandue, ce n’est qu’une question de temps avant qu’un seigneur ambitieux prenne le contrôle des greniers à grains et instaure un régime d’oppression appuyé sur un système bureaucratique ? Est-ce une fatalité que d’autres suivent son exemple ? L’histoire de l’Amérique précolombienne oppose à toutes ces questions un retentissant : « Non ! » Même si les archéologues qui étudient l’Amérique du Nord parlent eux aussi de « clans », de « tribus », de « chefferies » et d’« États », la région semble avoir connu des développements qui contredisent totalement ces hypothèses. Rappelons que, pendant des siècles avant l’invasion européenne, la moitié ouest du continent n’a pas marché vers l’agriculture, mais s’est détournée d’elle.
Les Indiens des Plaines, eux, effectuaient chaque année des mouvements pendulaires entre une organisation de type clanique et des structures présentant au moins quelques-unes des caractéristiques que nous associons aux États – autrement dit, ils oscillaient constamment entre ce que nous regardons comme les deux extrémités opposées du spectre de l’évolution sociale. Quant à la partie est du continent, elle offre un tableau encore plus surprenant, à sa manière. Entre 1050 et 1350 après J.-C. environ, à l’emplacement de l’actuelle agglomération d’East Saint Louis, se trouvait une ville dont on ignore le nom originel, mais qui est restée dans les mémoires sous celui de Cahokia. Elle était la capitale de ce que James Scott appellerait sans doute un « État céréalier » bourgeonnant, apparemment surgi de nulle part dans toute sa magnificence au moment où, à l’autre bout du monde, la Chine vivait sous le règne de la dynastie Song et l’Irak sous le califat abbasside. À son point culminant, la population de Cahokia flirtait avec les 15 000 habitants. Et puis elle a brusquement fondu. Quoi que la ville ait pu incarner pour ceux qui vivaient dans son orbite, l’immense majorité d’entre eux semblent avoir décidé un jour de le rejeter avec fracas.
Pendant des siècles après sa disparition, le site qu’elle occupait et les centaines de kilomètres de vallées alentour sont restés vides de tout peuplement humain. Pour qualifier ce no man’s land qui n’abritait plus que des ruines et d’amers souvenirs, les chercheurs ont forgé l’expression de « secteur inhabité » – à l’image de la Zone interdite dans La Planète des singes, le roman de Pierre Boulle.
Dans le sillage de Cahokia, d’autres royaumes ont vu le jour plus au sud, avant de se désagréger à leur tour. Lorsque les Européens ont débarqué sur les côtes orientales de l’Amérique du Nord, la civilisation mississippienne, comme on l’appelle désormais, n’était plus qu’une lointaine réminiscence. Les descendants des sujets et des voisins de Cahokia semblaient s’être réorganisés sous la forme de républiques tribales de la taille des polis grecques, harmonieusement insérées dans leur environnement naturel. Par quoi la chute de Cahokia et des autres villes mississippiennes a-t-elle été provoquée ? Des soulèvements populaires ? Des défections en masse ? Une catastrophe écologique ? Une combinaison de tous ces facteurs ? (C’est l’hypothèse la plus probable.)
L’archéologie nous apportera peut-être un jour des réponses plus définitives. En attendant, une chose paraît bien établie : les sociétés que les envahisseurs européens ont trouvées là à partir du XVIe siècle avaient été produites par des siècles et des siècles de conflits politiques et d’affrontements d’idées. Beaucoup d’entre elles plaçaient même l’aptitude au débat raisonné au sommet de leur échelle de valeurs. On ne peut comprendre la dévotion à la liberté individuelle de figures comme Kandiaronk, ni même son scepticisme rationnel, en dehors de ce contexte historique plus vaste.
C’est en tout cas ce que nous nous proposons de montrer dans ce chapitre. Toutes ces populations indigènes d’Amérique du Nord que les auteurs européens dépeindraient plus tard comme d’innocents enfants de la nature étaient en réalité les héritières d’une longue tradition intellectuelle et politique : la leur. Cette trajectoire, très différente de celle empruntée par les philosophes eurasiatiques, eut une influence profonde sur les idéaux de liberté et d’égalité, non seulement en Europe, mais partout dans le monde. Bien entendu, on nous apprend à considérer comme invraisemblables par essence, voire légèrement grotesques, les affirmations de ce genre.
Le cas de Turgot nous l’a rappelé : c’est en grande partie pour enraciner ces attitudes méprisantes – pour les faire paraître naturelles ou évidentes – qu’a été inventée la théorie évolutionniste telle que nous la connaissons. Quand on ne dit pas qu’ils vivent dans un autre temps ou qu’ils sont les vestiges d’un stade antérieur du développement humain, on suppose que les peuples indigènes d’Amérique du Nord évoluent dans une réalité à part, une conscience mythique fondamentalement distincte de la nôtre – une autre « ontologie », pour utiliser le terme en vogue actuellement. Au minimum, on soutient que seule une tradition littéraire caractérisée par la cumulativité du savoir peut engendrer des penseurs comme Plotin, Adi Shankara ou Tchouang-tseu. Puisque l’Amérique du Nord n’a pas laissé d’écrits – en tout cas, pas au sens où on l’entend habituellement –, les connaissances qu’elle a pu produire, politiques ou autres, étaient forcément différentes. Si certains raisonnements amérindiens nous paraissent faire écho à notre propre tradition intellectuelle, cela ne peut être que parce que, naïvement, nous plaquons sur eux nos catégories occidentales. En somme, tout dialogue authentique est impossible. La meilleure riposte à ce type d’argument est sans doute d’évoquer le concept wendat d’ondinnonk. Il désigne un rituel théâtral de guérison qui dévoile le désir secret de l’âme, manifesté par le rêve : […] les Hurons [Wendats] croient que nos âmes ont d’autres désirs, comme naturels et cachés. […] ils croient que notre âme donne à connaître ces désirs naturels, par les songes, comme par la parole : en sorte que ces désirs étant effectués, elle est contente ; mais si au contraire on ne lui accorde ce qu’elle désire, elle s’indigne ; non seulement ne procurant pas à son corps le bien et le bonheur qu’elle voulait lui procurer, mais souvent même se révoltant contre lui, lui causant diverses maladies, et la mort même. Pendant les songes, poursuit l’auteur de ces lignes, les désirs secrets sont communiqués dans un langage indirect et symbolique difficilement intelligible. C’est pourquoi les Wendats passent beaucoup de temps à essayer de déchiffrer le sens des rêves – les leurs et ceux des autres – et à consulter des spécialistes. On pourrait croire à une projection particulièrement maladroite de la théorie freudienne sur la société wendate, à un petit détail près : cette citation date de 1649. On la doit à un certain père Ragueneau, et elle a paru dans un volume des Relations des jésuites très précisément deux cent cinquante ans avant la publication de L’Interprétation des rêves de Sigmund Freud (1899), qui constitue pour beaucoup un jalon dans la construction de la pensée du XXe siècle, au même titre que la mise au point de la théorie de la relativité par Albert Einstein. Et Ragueneau n’est pas notre seule source sur la question. De nombreux missionnaires qui œuvraient à cette époque à la conversion d’autres peuples iroquois font état de philosophies similaires. Naturellement, elles leur paraissaient absurdes et manifestement fausses (mais sans doute pas démoniaques, avaient-ils décidé), et ils s’efforçaient d’en détourner leurs interlocuteurs en les persuadant que la vérité se trouvait dans les Saintes Écritures. Est-ce à dire que Kandiaronk avait grandi entouré de freudiens ? Pas tout à fait. La pratique iroquoise présentait des différences importantes avec la psychanalyse freudienne, à commencer par la dimension collective de la thérapie. La « divination des rêves » s’effectuait souvent en groupe, et la concrétisation des désirs du rêveur, qu’elle fût littérale ou symbolique, mobilisait parfois toute la communauté. Dans les villages wendats, selon Ragueneau, l’essentiel des mois d’hiver se passait à organiser des banquets et des représentations théâtrales qui devaient donner réalité – au sens propre du terme – aux rêves de quelque personnage important, homme ou femme. En résumé, ne pas prendre au sérieux ces traditions intellectuelles au motif qu’elles seraient inférieures ou totalement étrangères aux nôtres nous paraîtrait fort imprudent. Le fait que nous connaissions si bien leurs coutumes place les Wendats et les Haudenosaunees un peu à part.
Combien de traditions se sont-elles perdues à jamais parce que des sociétés ont été anéanties ou réduites à une poignée de survivants traumatisés avant que des traces écrites de leurs pratiques aient pu être conservées ? C’est dans ce contexte que nous souhaitons maintenant examiner l’histoire des forêts de l’est de l’Amérique du Nord pendant la période comprise entre 200 et 1600 après J.-C. Notre objectif sera d’identifier les racines locales de la critique indigène afin de comprendre en quoi elles sont mêlées à une histoire amorcée à Cahokia, voire beaucoup plus tôt.»
- Où l'on découvre la sphère d'interaction hopewellienne et son rôle éventuel dans l'unification de l'Amérique du Nord en un système clanique unique
- Où l'on narre le destin de Cahokia, qui a tout pour être le premier « État » américain
- Sur l'effondrement du monde mississippien et le rejet de son héritage, et comment ils ouvrirent la voie à de nouvelles formes de politique indigène
- Sur le peuple des Osages, incarnation avant l'heure du principe d'autogouvernement célébré par Montesquieu dans De l'esprit des lois
- Où l'on repart chez les Iroquois, à la recherche des philosophies politiques qui avaient probablement bercé la jeunesse de Kandiaronk
Chapitre 12 Conclusion
629 à 631 Mircea Eliade décrit un monde mythique figé, notion réactionnaire adaptée au colonialisme.
636 «Tout au long de cet ouvrage, nous avons évoqué des formes élémentaires de liberté sociale qui peuvent être concrètement mises en pratique : 1) la liberté de partir s’installer ailleurs ; 2) la liberté d’ignorer les ordres donnés par d’autres ou d’y désobéir ; 3) la liberté de façonner des réalités sociales nouvelles et radicalement différentes, ou d’alterner entre les unes et les autres.
Il apparaît clairement désormais que les deux premières libertés ont souvent constitué un sorte d’étai pour la troisième, plus créative. En pratique, une fois acquises la liberté de partir et la liberté de désobéir – et elles l’étaient dans la majorité des sociétés amérindiennes où les Européens les découvrirent –, il ne pouvait exister que des rois de façade, puisqu’il suffisait à leurs sujets de les ignorer ou de déménager s’ils dépassaient les bornes. Et il en allait de même pour toutes les fonctions hiérarchiques, tous les systèmes d’autorité. Ces polices qui n’étaient actives que trois mois par an et dont les effectifs tournaient d’année en année étaient aussi, en un sens, des polices dilettantes – ce qui fait d’emblée paraître un peu moins incongrue la présence de clowns rituels en leur sein.
À l’évidence, les sociétés humaines ont bien changé sur ce plan. Nos trois libertés élémentaires n’ont cessé de reculer, et peu de gens aujourd’hui sont capables de se représenter à quoi ressemblerait une société s’articulant autour d’elles.
Comment avons-nous pu nous retrouver ainsi bloqués ? Et d’ailleurs, bloqués jusqu’à quel point ?»
654 Franz Steiner anthropologue et poète. Traduction par Google translat de https://en.wikipedia.org/wiki/Franz_Baermann_Steiner
656 Robert Lowie «(1883 – 1957) né en Autriche, est un ethnologue américain. Expert des populations indiennes d'Amérique du Nord, il a fortement participé au développement des théories d'anthropologie moderne.»

Notes autour de James C. Scott : et un chapitre autour des théories de Scott
Note7 page 168 «On peut certainement rejoindre  James C. Scott (2019) quand  il souligne que  les céréales –  ressource éminemment visible,  quantifiable,  facile  à  accaparer et  à  stocker –  s’alignaient parfaitement avec les  intérêts des élites prédatrices qui  exerçaient leur autorité en levant des  impôts,  en  lançant des razzias et en faisant payer tribut. Cependant, jamais Scott  n’a  la naïveté  de prétendre  que l’adoption de  la céréaliculture engendre nécessairement  l’État. Il  fait simplement valoir que, par pragmatisme, la plupart  des États et  des empires  qui ont réussi à asseoir  leur domination ont  choisi d’encourager –  et  souvent d’obliger  – les populations  placées  sous leur joug  à produire un petit nombre de semences céréalières, tout  en  les dissuadant de se  livrer à des  modes de subsistance plus  chaotiques,  plus fluides, et donc  ingérables,  comme le pastoralisme nomade, la culture de parcelles  de  jardin  ou la chasse et la cueillette saisonnières. »
Note 109 page 524 «La  Chine des  Shang pourrait être vue comme le paradigme des régimes « galactiques », un concept que  l’on doit  à  l’anthropologue  Stanley Tambiah  (1973). Dans ce modèle, qui a dominé l’histoire plus récente  de l’Asie du Sud-Est, la souveraineté était  concentrée au cœur du royaume et  s’atténuait  à mesure qu’on  s’en éloignait, s’intensifiant à  certains  endroits et s’estompant à  d’autres. Aux franges  des empires, il arrivait que des seigneurs  ou des nobles dont le souverain suprême ignorait totalement  l’existence proclament leur  allégeance, voire se prétendent de lointains descendants des  fondateurs. Ce schéma de propagation de la souveraineté vers l’extérieur peut être opposé à  un autre modèle macro-politique, probablement né  au Moyen-Orient et qui se serait  ensuite  diffusé  à la majeure partie  du continent eurasiatique. Dans ce modèle,  des tensions dynamiques entre des conceptions radicalement opposées de ce qui « fait  gouvernement »  aboutissaient  à la création  de grandes zones frontalières entre des régimes bureaucratiques  (Chine,  Inde, Rome…) et des sociétés héroïques de  peuples  nomades qui  faisaient  peser sur les premiers une menace permanente d’invasion. Voir  à ce sujet  Lattimore,  1962 ; Scott,  2019»
Note 135 page 544 «C’est ce que  souligne  également James Scott  au début de son  ouvrage  Homo domesticus :  « Dans une grande partie  du monde, l’État, même lorsqu’il était robuste, n’était  qu’une  institution saisonnière. Récemment encore, en  Asie du  Sud-Est, pendant les  averses annuelles  de  la mousson,  il n’était guère capable de projeter  sa  puissance  au-delà des murs  du palais  royal. Malgré la puissance et  la centralité dont l’affublent  la plupart des récits  traditionnels, il  faut bien reconnaître que pendant les milliers d’années qui ont  suivi son apparition initiale,  l’État n’a pas été une constante  mais  une variable – et une variable assez mineure dans  l’existence d’une  bonne  partie de  l’humanité »»

Lecture 2021-2022

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