Sortir de l'histoire officielle

     


Orwell - Ses engagements politiques

John Newsinger : La politique selon Orwell

Simon Leys : Orwell ou l'horreur de la politique

Jean-Claude Michéa : Orwell éducateur

Jean-Claude Michéa : Orwell, anarchiste Tory

Orwell ou la décence ordinaire
​ ​​ ​
Common decency : décence ordinaire ou commune ?

L'État dans Alberto Giovanni Biuso - Anarchisme et anthropologie

John Newsinger : La politique selon Orwell
https://agone.org/bancdessais/lapolitiqueselonorwell
présentation de Jean-Jacques Rosat
En pdf sur uprolospecule présentation de Jean-Jacques Rosat

En connaissant les aspirations sociales d'Eric Blair acquises sur le terrain, je trouve étonnant ses prises de positions favorables au réformisme frileux ou intéressé des élus travaillistes au pouvoir en 1945, ainsi que son anticommunismes acharné. Ceci s'explique par la peur de revoir au pouvoir les conservateurs écraseurs de la "populace" et par son expérience du stalinisme en Espagne. Cette expérience accentue son rejet du régime dit soviétique, de ses purges et ses revirements stratégiques, rejet aussi des communistes et affilés britanniques alignés sur Moscou. Eric Blair a failli laisser sa peau dans la chasse aux militants et combattants du POUM organisée par le parti communiste espagnol et par les commissaires politiques russes présents sur le sol espagnol. Il en est devenu le témoin des mensonges et faux procès staliniens sur le sol même britannique.

D'abord cet extrait d'un article, tiré du Magazine Littéraire 492 décembre 2009, de Jean-Jacques Rosat l'auteur de la préface : «[pour Orwell] Si le socialisme a échoué [c'est] par la domination des intellectuels de pouvoir sur l'homme ordinaire : la victoire des diverses variantes du socialisme d'en haut (réformiste fabien ou parti d'avant-garde léniniste) contre le socialisme d'en bas, le socialisme démocratique... Si l'intelligentsia de gauche britannique s'est prise d'admiration pour le régime stalinien à partir de 1935, c'est à dire à sa pire période, c'est qu'elle y a vu la réalisation de son vœu secret, «la destruction de la vielle version égalitaire du socialisme et l’avènement d'une société hiérarchisée où l'intellectuel puisse enfin s'emparer du fouet»»

Préface page I «C'est dans ses expériences politiques qu'Orwell a trouvé le véritable matériau de son métier d'écrivain ..
IX-X : «Orwell ... un socialiste d'un genre inédit : trop égalitariste et révolutionnaire pour être social-démocrate ou travailliste, mais trop démocrate et antitotalitaire pour être communiste ; trop lucide sur la réalité des rapports de force entre les hommes et les États pour être anarchiste, mais trop confiant dans la droiture et dans le refus de l'injustice parmi les gens ordinaires pour basculer comme tant d'autres dans le pessimisme conservateur ; trop patriote pour ne pas chercher une voie spécifiquement anglaise de passage au socialisme mais trop internationaliste pour n'être pas farouchement anticolonialiste et partisan d'États-Unis socialistes d'Europe.»
XXIII «L'abandon de la morale commune au profit d'un réalisme «machiavélien» et la domination sur les gens ordinaires sont étroitement liés. Les intellectuels n'ont pas seulement été dupes d'idéologies totalitaires comme le fascisme ou le communisme. Ils y ont trouvé leur compte, c'est à dire la légitimation de nouvelles formes de pouvoir.»
XXIV «Orwell explique qu'il «est devenu manifeste depuis quelques années que la propriété collective des moyens de production ne suffit plus a définir le socialisme. Il faut y ajouter aussi une égalité approximative des revenus ...., la démocratie politique et l'abolition de tout privilège héréditaire, en particulier dans le domaine de l'éducation.»

Page 2 «Il soutenait le gouvernement travailliste qui dirigea la Grande-Bretagne dans les années d'après-guerre tout en lui reprochant, en privé, de ne pas avoir réussi à abolir le système de classes et le capitalisme » Ce gouvernement en avait-il la volonté. C'est là que l'on perçoit la naïveté d'Eric Blair. « Il est permis d'imaginer que, s'il avait été confronté au phénomène du New Labour, il aurait pensé qu'avoir changé son nom de Blair pour celui d'Orwell relevait d'une étonnante prescience
3 «... en 1927, il revient de Birmanie farouchement anti-impérialiste et décidé à s'identifier dans la mesure du possible aux opprimés.»
11 «... en Birmanie, Eric Blair s'éveilla à la politique : le policier colonial se métamorphosa en adversaire déterminé de l'autorité et en défenseur des opprimés.»
27 «Pourquoi, demande-t-il, n'y a-t-il pas eu de soulèvement indigène contre les fascistes au Maroc ? Franco était en train d'y établir une dictature militaire brutale, et pourtant les Maures l'ont apparemment préféré au gouvernement de Front populaire de Madrid. La vérité est que rien ne fut entrepris pour encourager un soulèvement au Maroc ...» Aurait compromis l'alliance entre la Russie et les gouvernements anglais et français.
36 «Le 15 novembre 1945 ... [dans sa réponse négative à une réunion il précise] «Je ne peux m'associer à une organisation ... conservatrice qui ... ne trouve rien à dire sur l'impérialisme britannique ... J'appartiens à la gauche et c'est en son sein que je dois travailler, quelle que soit ma haine du totalitarisme russe ...»»
51-52 ««cette peur d'une populace prétendument dangereuse qui pousse pratiquement tous les gens intelligents à épouser des opinions conservatrices» ... Les gens intelligents considèrent les pauvres comme «des animaux tellement vils qu'ils seraient dangereux s'ils en avaient le loisir ; il est plus prudent de les accabler de travail pour les empêcher de penser»»
53 «... décrire à un lectorat bourgeois, à l'aide de techniques littéraires, l'expérience de la pauvreté et du travail manuel avilissant, et de lui montrer l'humanité des pauvres.»
76 «Il met en garde contre le danger qu'il y a à identifier le socialisme à l'industrialisme ou à l'hédonisme.»
83-84 «Cette idée d'égalité, qui devait toujours être au cœur du socialisme d'Orwell, avait véritablement triomphé à Barcelone, et il put enfin rencontrer des ouvriers en étant leur égal.»
87-88 Son machisme largement répandu dans les années 30.
93 En Espagne la naïveté des anarchistes appelant au cessez-le-feu et au démantèlement des barricades. Le POUM isolé s'estime trop faible pour assurer la tête du soulèvement contre les communistes.
99 Les pieds dans le plat espagnol dans le recueil Dans le ventre de la baleine.
101 ««Tout ce que j'ai écrit de sérieux depuis 1936 a été écrit, directement ou indirectement, et jusque dans la moindre ligne, contre le totalitarisme et pour le socialisme démocratique.»»
102-103 Note de bas de page. L'éditeur Frederic Warburg, qui édita Hommage à la Catalogne, fut sauvé économiquement par le pacte germano-soviétique car il refusa d'entrer dans le jeu des communistes très influents. Ceux-ci l'exclurent du jeu comme «reptile trotskiste» et «cryptofasciste».
111 Installation d'un régime autoritaire dans la république espagnole bien avant la victoire de Franco.
123-124 «un livre pour ... transformer pour de bon la Home Guard en une armée populaire ... deviendra-t-elle ou non une force révolutionnaire ?»
128 Influences de Tosco Fyvel et de son ouvrage The malady and the vision dont des thèmes repris dans Le lion et la Licorne.
139 et suivantes Visions en 1941 d'un allemand Haffner sur l'Allemagne nazi et invalidées page 141.
142-143 Traitement des réfugiés suite aux bombardements allemands suivant que l'on soit riche ou pauvre.
146-147 Incompétence des officiers due à leur rang social.
152 «... Orwell discute l'idée que la démocratie est une imposture, qu'elle n'est «que le masque sous lesquels gouverne une poignée de riche.»»
153 «... la Grande Bretagne est une ploutocratie. Si un gouvernement travailliste entreprend un jour d'«instaurer le socialisme par la voie parlementaire», nul doute que «les classes possédantes se rebelleront», et qu'elles auront à leurs côtés l'armée et la fonction publique.»
158-159 Débat sur la gauche révolutionnaire et sur le trotskisme.
168 «...au printemps 1944 : depuis 1940, écrit-il «nous avons subi une longue série de Thermidors.»» (renversement des robespierristes.
181 «Mais l’issue de la guerre d’Espagne n'a pas été déterminée, comme il l'a cru sur le moment, par l'incapacité à achever la révolution à l'arrière des lignes républicaines. Elle l'a été par les décisions des grandes puissances : la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Allemagne et l'Union soviétique. Ce jugement est l'expression de ce dont il a progressivement pris conscience : ce qui est déterminant pour l'issue de la Seconde Guerre mondiale n'est pas de savoir si une révolution socialiste éclatera en Grande-Bretagne mais ce qui sera décidé à Washington et à Moscou.»
183 «Crick est tombé dans le piège où nous tombons tous d'une certaine manière : s'inventer son propre Orwell, décréter qu'Orwell dont on se sent le plus proche est le véritable Orwell.»
191 «...il demeura sceptique sur les capacités du parti travailliste à promouvoir le socialisme, et il regrette ... que durant les dernières années, le labour et les conservateurs aient fini par se ressembler chaque jour d'avantage.»
194 ««J'ai depuis 10 ans la conviction que la destruction du mythe soviétique est indispensable si nous voulons faire renaître le mouvement socialiste.» Ce sera le but de son activité de journaliste et d'essayiste, et de ses dernières œuvres de fiction. »
196 Comme Camus qui l'a subi : «...il déplore que «toute critique hostile au régime russe actuel risque de passer pour de la propagande contre le socialisme». Il va se heurter à ce problème tout au long de sa vie.
197 «Orwell endosse l’idée que les excès du régime stalinien ne résultent pas de la méchanceté personnelle du dictateur mais qu'ils sont probablement « inhérents aux objectifs et à la nature du parti bolchevique dès son origine ». Il estime qu'il a été probablement heureux pour sa réputation que Lénine soit mort dès 1924 : sinon il aurait été personnellement impliqué dans les crimes de la dictature russe. Il en va de même pour Trotski : il a beau dénoncer le régime, sa responsabilité est aussi lourde que celle des autres dirigeants ; s'il remplaçait Staline, ce ne serait qu'un changement de dictateur, même si Orwell en espère une certaine amélioration. Du jour où les bolcheviques ont banni la démocratie, un régime comme celui de Staline est probablement devenu inévitable. Cette analyse commence à gagner du terrain, écrit Orwell avec espoir.»
199 Le parti communiste ses fluctuations tactiques et ses rôles sur les organisations ouvrières. «Ce qu'Orwell pointe ici est indubitablement vrai, mais ce n’est qu'une part de la vérité. La décennie en question a vu le parti communiste passer de la ligne « classe contre classe » à la politique de Front populaire, puis, sur la fin, à une position pacifiste. Dans la décennie suivante, il a d'abord soutenu avec enthousiasme l'effort de guerre et la grande alliance regroupant la Grande-Bretagne, les États-Unis et l'Union soviétique, puis il fut durant la guerre froide un adversaire résolu de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Chaque changement de ligne du parti communiste a reflété un changement dans la politique étrangère de l'Union soviétique. Cela dit, le parti communiste de Grande-Bretagne ne fut pas uniquement une créature de l'Union soviétique, ni une secte d'adorateurs de la Russie. Ce fut aussi la plus importante organisation d'extrême gauche au sein du mouvement ouvrier britannique. Il joua un rôle important dans les syndicats, parmi les chômeurs, dans la lutte contre le fascisme et l'impérialisme britanniques. Orwell néglige trop souvent cet aspect du communisme britannique ; mais son objectif n'était pas, il faut s'en souvenir, d'élaborer une analyse équilibrée de style universitaire : il voulait détruire le mythe soviétique en tant que force au sein du socialisme britannique.»
200 Staline offrant un sauveur et autres aux intellectuels, pour le «patriotisme des déracinés»
202 La ligne du parti avait changée entre le moment d'aller aux toilettes et d'y revenir.
206 «Vous ne pouvez pas avoir une révolution si vous ne la faite pas pour votre propre compte ; une dictature bienveillante ça n'existe pas.»
207 Voir l'article, sur Koesler et son livre Le zéro et l'infini, qui est le meilleur exposé de son attitude envers la révolution.
241 Les USA politiquement arriérés.
255-256 « Si l'on s'en tient à l'Angleterre, l'attitude politique d'Orwell après guerre se caractérise par un soutien critique au gouvernement travailliste - le « socialisme de Tribune » - comme l'appelle Crick et un farouche anti-stalinisme. Mais l'image se modifie si l'on prend en compte la dimension américaine. On découvre qu'Orwell continue d'être lié à Partisan Review et qu'il entreprend de collaborer avec Politics, l'excellente revue de Dwight Macdonald. Nous avions déjà relevé l'influence considérable de Macdonald dans la genèse de 1984 ; il nous faut maintenant souligner l'importance de Politics pour la compréhension des idées politiques d'Orwell.
Lorsqu'il lance Politics en février 1944, Macdonald annonce que, si la revue ne suit aucune « ligne de parti », elle n'est a pas moins une politique éditoriale : « L'orientation politique de la revue sera le socialisme démocratique. Son approche intellectuelle dominante sera le marxisme, pris comme méthode d'analyse, non comme un corps de dogmes.[...] Elle défendra la cause de ceux qui sont en bas de la société ... »
259 Comme Albert Camus « Des événements horribles ont certes pu se produire en Russie mais, nous dit-on, tout cela est nécessaire parce qu'on ne fait pas d'omelette sans casser d’œufs. Où est l'omelette, demande-il ? « Au nom du socialisme, le régime russe a commis à peu près tous les crimes possibles et imaginables mais, dans le même temps, son évolution l’éloigne du socialisme, sauf donner à ce terme une nouvelle définition qu'aucun socialiste de 1917 n'aurait acceptée. … dans toute l'histoire jusqu'à aujourd'hui, les révolutions n'ont conduit à rien d'autre qu'à « un changement de maîtres ». Pourquoi ? Parce qu'on n'a fait aucun effort sérieux pour éliminer l'« instinct de puissance ». Orwell semble faire ici son possible pour se mettre en harmonie avec l'évolution de la pensée de Macdonald ...»
260 «Victor Serge, qui resta toute sa vie un socialiste révolutionnaire et libertaire, compta également parmi les collaborateurs les plus en vue de Politics. Son évasion de la France pendant la guerre pour échapper aux nazis n'avait été rendue possible que grâce à l'aide de Macdonald et de sa femme Nancy. ... Orwell tentera, sans succès, de publier [en Grande-Bretagne] [les] Mémoires d'un Révolutionnaire.»
261 «Le comité éditorial [de Partisan Review] présente cette série [d'articles] en expliquant que les évènements survenus depuis 1917 «ont remis en question toute la perspective socialiste». Non seulement la Révolution russe a échoué à instaurer le socialisme, mais elle a «engendré un système totalitaire, avec sa dynamique propre, qui étrangle tout développement d'une pensée socialiste et de mouvements socialistes démocratiques.»...»
265 «Les États Unis d'Amérique seront ...hostiles [à une Europe fédérale socialiste] et, même s'ils risquent moins d'intervenir militairement, ils tenteront sans aucun doute de recourir à la contrainte économique et financière pour empêcher l'instauration d'une telle fédération.» ... ««Les nations européennes doivent cesser d'être exploiteuses au-dehors si elles veulent bâtir chez elles un véritable socialisme.»»
267 «Orwell est resté engagé en faveur d'une société socialiste ...»
272 «Orwell explique que la démocratie est une «escroquerie ... un camouflage du pouvoir exercé par une petite poignée de riches»
273 «... presque toute la vie culturelle et intellectuelle de la communauté - Journaux, livres, éducation, films, radio – est contrôlée par des nantis qui ont toutes les raisons d'empêcher la diffusion de certaines idées. Le citoyen d'un pays démocratique est "conditionné" dès sa naissance, de manière moins rigoureuse certes, mais non moins efficace, qu'il le serait dans un État totalitaire. »

Simon Leys : Orwell ou l'horreur de la politique
Édition Flammarion collection Champs essais

Page 11 ««...comme ces députés travaillistes qui sont perdus à tout jamais pour la cause du parti une fois qu'ils se sont fait taper sur l'épaule par un duc»»
12-13 «...«M. George Orwell possède plusieurs des traits propres aux meilleurs pamphlétaires anglais : du courage, un esprit indépendant, des opinions vigoureuses, un instinct bagarreur, l'art de faire appel à cette créature imaginaire qu'on appelle "l'homme raisonnable", et l'art de combiner des observations originales avec des généralisations cavalières, de voir des ennemis partout et de les mépriser tous. ... M. Orwell n'est pas plus tendre pour ses amis que pour ses ennemis, et, au nom du bon sens, il est capable d'exagérer avec la simplicité et l'innocence d'un sauvage...»
14 «...chez lui, l'écrivain et l'homme ne faisaient qu'un - et dans ce sens, il était l'exact opposé d'un «homme de lettres» »
15 Pour Crick «un homme presque génial»
«cet homme qui protégeait si jalousement sa vie privée n'avait au fond rien à cacher.»
«Orwell avait lui-même une salubre méfiance à l'endroit des saints, comme il l'a bien exprimé dans son mémorable essai sur Gandhi : « Être humain signifie essentiellement que l'on ne recherche pas la perfection ; que, par fidélité même, on est quelquefois prêt à commettre des péchés; que l'on refuse de pousser l'ascétisme jusqu'au point où il rend l'amitié impossible, et que l'on est disposé au bout du compte à se laisser vaincre et briser par la vie - inévitable prix à payer pour quiconque prend le risque d'aimer d'autres individus» »
19 «« Très tôt, peut-être dès l'âge de cinq ou six ans, j'ai su que, quand je grandirais, je serais un écrivain. Entre dix-sept et vingt-quatre ans, je m'efforçai d'abandonner cette idée, mais ce faisant, j'étais conscient de faire violence à ma vraie nature, et je sentais bien que tôt ou tard il me faudrait me mettre à ma table et m'atteler à écrire des livres» »
20 «...Truman Capote et Norman Mailer ont gaspillé beaucoup de temps à se chamailler pour savoir lequel des deux avait créé le roman-sans-fiction : ils oublient qu'Orwell avait inventé ce genre bien avant eux!).»
21 «...je me demande si on les rééditerait encore aujourd'hui*. *Aujourd'hui, je suis revenu sur ce jugement, au moins en ce qui concerne Coming up for Air. Même si le roman est maladroit, il se lit comme un superbe essai développant quelques grands thèmes orwelliens. Écrit en 1939, le livre qui décrit un monde empoisonné par le fast-food et saccagé par les promoteurs immobiliers présente des accents prophétiques pour un XXIe siècle hanté par le double cauchemar de la surpopulation et du désastre écologique.»
«...on s'étonne en fait du caractère singulièrement apolitique de Down and Out. La même observation peut s'appliquer également à ses premiers romans : Burmese Days se situe dans le monde colonial, mais n'est pas plus un roman politique que ne l'était, par exemple, A Passage to India...» Je n'ai pas ressenti une charge politique en lisant Une affaire Birmane mais un mal-être provoqué par le déracinement, bien décrit par Simone Weil, avec ces anglais alcooliques méprisant et exploitant les richesses et les populations locales.
22 «Presque par accident, en 1936, un éditeur de gauche eut l'idée de lui commander au pied levé une sorte d'enquête sur la condition ouvrière dans le nord industriel de l'Angleterre au moment de la Dépression. Sa visite ne dura que quelques semaines, mais cette rencontre avec l'injustice sociale et la misère fut pour lui une révélation bouleversante et définitive.»
23 Dommage qu'Orwell soit entré dans le jeux des étiquettes, des aprioris rangeant dans des cases : «...il n'épargna jamais ses sarcasmes à une certaine mystique socialiste qui, disait-il, avait le don d'« attirer par une attraction magnétique tous les buveurs-de-jus-de-fruits, les nudistes, les illuminés en sandales, les pervers sexuels, les Quakers, les charlatans homéopathes, les pacifistes et les féministes d'Angleterre»).»
«Son pouvoir d'empathie lui permit de vivre de l'intérieur ce que Simone Weil appelait de façon sobre et terrible « le malheur » quand elle voulut décrire l'espèce de dévastation radicale, l'écrasement de l'âme qu'elle avait connus en devenant ouvrière d'usine.»
25 «Il conserva toute sa vie un vague attachement sentimental et folklorique pour l'Église anglicane : il tenait à ses formes et cérémonies un peu comme il tenait à la bière tiède, au thé fort, aux pubs de village, et à toutes les charmantes vieilles choses d'Angleterre.»
28 La création littéraire pour décrire la vérité : «qu'Orwell, loin de livrer des sensations brutes ou une vision directe, a en fait subtilement remis en scène, reconstruit, réorganisé et modifié la matière première de ses expériences; autrement dit, « le style dépouillé du documentaire est en réalité une création artistique parfaitement délibérée ». Cette notion est absolument essentielle, et ses implications vont loin. Ce que l'art invisible et si efficace d'Orwell illustre, c'est que la « vérité des faits » ne saurait exister à l'état pur. Les faits par eux-mêmes ne forment jamais qu'un chaos dénué de sens: seule la création artistique peut les investir de signification, en leur conférant forme et rythme. L'imagination n'a pas seulement une fonction esthétique, mais aussi éthique. Littéralement, il faut inventer la vérité.»
29 Je ne sais pas qui sont ces honnêtes gens qui acceptent le totalitarisme par manque d'imagination ? N'y a-t-il pas aussi de la peur et de la compromission ?
30 «Il me semble parfaitement vain et inutile de vouloir déterminer l'exact degré de véracité de ce récit autobiographique, et la part de transposition littéraire qui pourrait y être intervenue. À la seule exception de Homage to Catalonia où, pour des raisons politiques évidentes (il s'agissait de ne pas prêter le flanc aux critiques staliniens à l'affût d'une occasion de discréditer son témoignage), il s'en est rigoureusement tenu à la lettre des événements et des situations, tout l’œuvre « journalistique » d'Orwell est une réinterprétation imaginative de la réalité. Nous venons de le voir, et Crick l'a lui-même souligné, Orwell réarrange toujours les faits : il les modifie subrepticement pour leur permettre de mieux révéler leur vérité.»
34 «Les stratifications de classes, avec leurs barrières invisibles, mais omniprésentes et infranchissables ...» «Orwell se disait appartenir à «la couche inférieure de la strate supérieure de la classe moyenne, c'est-à-dire dans la strate supérieure de la classe moyenne, cette couche qui n'a pas d'argent »
38 «...l'idée d'un George Orwell s'engageant volontairement comme officier dans les rangs d'une force spécifiquement chargée de la répression et de l'oppression dans les colonies paraîtrait pour le moins biscornue. Par contre, dans le cas d'un jeune garçon de dix-neuf ans comme Eric Blair, cette initiative était en fait fort naturelle : juste diplômé d'une école où se recrutaient traditionnellement les piliers politiques et militaires de l'Empire, il ne pouvait songer à poursuivre des études à Oxford ou Cambridge : sa famille n'en avait pas les moyens, et ses derniers résultats avaient été trop médiocres pour justifier l'octroi d'une nouvelle bourse.»
38-39 «comme pour tous les jeunes gens dont l'adolescence s'était déroulée durant la Première Guerre mondiale, et qui avaient été rassasiés sur les bancs de l'école de tous les récits des prouesses héroïques de leurs aînés au front, il y avait chez lui un désir longtemps frustré d'aventure et d'action, une fascination juvénile pour les uniformes, les fusils et les horizons exotiques. Alors, pourquoi pas la police impériale de Birmanie?» mais «Finalement, quand il décida d'abandonner son métier de policier colonial, il résuma lucidement son état d'esprit: «J'étais conscient d'une écrasante culpabilité qu'il m'allait falloir expier ( ... ). ... Je voulais m'immerger, m'enfoncer profondément dans la foule des opprimés, n'être plus que l'un d'eux, être avec eux contre leurs tyrans. A cette époque, l'échec me semblait être l'unique vertu. Chaque soupçon d' autopromotion, le moindre succès dans la vie, fût-ce simplement la capacité de gagner quelques centaines de livres par an, me paraissaient des laideurs spirituelles, positivement une forme de brimade à l'égard d'autrui»»
41-42 «...il ne fut pas tendre pour une certaine forme d'anticolonialisme facile, ... «Tous les partis de gauche dans les pays industrialisés reposent fondamentalement sur une hypocrisie, car ils affichent de combattre quelque chose dont, en profondeur, ils ne souhaitent pas la destruction. Ils ont des objectifs internationalistes, et en même temps ils sont bien décidés à maintenir un niveau de vie qui est incompatible avec ces objectifs. Nous vivons tous de l'exploitation des coolies asiatiques, et ceux d'entre nous qui sont "éclairés" soutiennent que ces coolies devraient être libérés; mais notre niveau de vie et donc aussi notre capacité de développer des opinions "éclairées" exigent que le pillage continue.»»
43 «Orwell a lui-même résumé son itinéraire après la Birmanie : « Je fis l'expérience de la pauvreté et de l'échec. Ceci augmenta ma haine naturelle de toute autorité, et me rendit pleinement conscient, pour la première fois, de l'existence des classes travailleuses. Mon travail en Birmanie m'avait déjà permis d'acquérir une certaine compréhension de la nature de l'impérialisme. Mais ces diverses expériences n'étaient pas suffisantes pour me donner une orientation politique correcte... La guerre d'Espagne et d'autres événements en 1936-1937 eurent un effet décisif: après cela, je trouvai ma voie. Depuis 1936, chaque ligne de mes travaux sérieux n'a plus eu qu'un objet : lutter directement ou indirectement contre le totalitarisme pour le socialisme démocratique tel que je le comprends»»
44 ««Je pars pour l'Espagne », annonça-t-il au pied levé à l'un de ses éditeurs. « Pourquoi donc ?» demanda celui-ci. « Ce fascisme, il faut bien qu'on l'arrête. »»
44-45 «Parlant de la Première Guerre mondiale, il dit que les gens de sa génération avaient été marqués pour toujours par l'humiliation de n'y avoir pris aucune part. ... il faut aussi observer qu'Orwell était effectivement fasciné par le courage physique, la camaraderie virile, la dangereuse beauté des armes»
46 «ce qui conférait aux croisades d'Orwell leur singulière force de persuasion, c'est ce sentiment qu'il avait lui-même connu, vécu et compris de l'intérieur ce qu'il attaquait: très littéralement, et à la différence de la plupart des gauchistes orthodoxes, il savait de quoi il parlait.»
47 Perversion du socialisme ? «il avait clairement perçu au contraire que le fascisme était en fait une perversion du socialisme, et que, malgré  l'élitisme de son idéologie, c'était un authentique mouvement de masse, disposant d'une vaste audience populaire.» ««Il n'y a que deux sortes de gens qui comprennent vraiment le fascisme, ceux qui en ont souffert et ceux qui possèdent en eux-mêmes une fibre fasciste»»
48-49 «...si le cauchemar de 1984 réussit à évoquer une telle terreur, écrasante et sans issue, c'est que, fondamentalement, nous sentons bien que cette horreur ne nous est pas extérieure : elle habite en nous, car elle fait écho à celle que l'auteur avait d'abord identifiée en lui-même.
(Crick, p. 364). En fait, ce qui dominait globalement chez l'homme Orwell, c'était sa simplicité et sa générosité, la clarté de son intelligence et l'innocence de son rire, sa modestie, son sens de l'amitié, l'amour des vieilles choses et de la vie campagnarde, et une curiosité d'écolier pour « mille bricoles inutiles ».
C'est cette dimension humaine qui donne à l’œuvre d'Orwell une place à part dans la littérature politique de notre temps. Plus spécifiquement, ce qui fonde son originalité supérieure en tant qu'écrivain politique, c'est qu'il haïssait la politique. Ce paradoxe semble avoir échappé à des témoins pourtant proches ; ainsi son collègue en journalisme (et ancien condisciple) Cyril Connolly observait: « Orwell était un animal politique. Il ramenait tout à la politique ...» sa seconde femme, Sonia Orwell, dont on ne saurait douter qu'elle le connaissait et comprenait bien plus intimement encore, nous assure, tout aussi catégorique, qu'il avait été poussé à l'engagement politique par un accident de l'histoire, alors que sa vraie nature était de vivre à la campagne, en paisible ermite, ne fréquentant que quelques vieux amis ; s'il avait pu suivre sa pente, il aurait seulement écrit des romans et cultivé son potager»

50 «...collaborant à un périodique de la gauche bien-pensante, il gaspillait de façon provocante un précieux espace qui aurait dû être tout entier consacré aux graves problèmes de la lutte des classes, en dissertant de pêche à la ligne ou des mœurs du crapaud ordinaire, ... il voulait délibérément choquer ses lecteurs et leur rappeler que, dans l'ordre normal des priorités, il faudrait quand même que le frivole et l'éternel passent avant le politique.»
51 Silence et refus de publier le témoignage d'Orwell pour pouvoir tranquillement réécrire l'histoire.
Simon Leys n’apprécie pas Claude Simon, un des tardifs calomniateurs, et le trouve illisible.
53 à 55 et Orwell pour Sartre ! ««...Pour une bonne part, ce qui cloche dans l'approche de M. Sartre est indiqué dans le titre même de son livre*. "L'Antisémite" ... Une chose est certaine, le plus clair effet qu'ont les livres de cette sorte (dans la mesure où ils ont un quelconque effet) est probablement de rendre l'antisémitisme un peu plus répandu qu'avant. Si l'on voulait étudier sérieusement l'antisémitisme, le premier pas serait de cesser de le considérer comme un crime. Et en attendant, le moins on parlera "du" Juif ou de "l'Antisémite, comme s'il s'agissait de créatures étrangères à notre espèce, le mieux ça vaudra »»
55-56 Description d'un SS qui venait d'être arrêté dont l'aspect lamentable méritait plus une psychothérapie !
65 «Cette annexion d'Orwell par la nouvelle droite reflète moins le potentiel conservateur de sa pensée que la persistante stupidité d'une gauche qui, au lieu de commencer enfin à le lire et le comprendre, s'est laissé scandaleusement confisquer le plus puissant de ses écrivains.»
66-67 «En fait, il voulait redécouvrir ce qu'il considérait comme les valeurs essentielles du socialisme, cet idéal de «justice et liberté» qui se trouvait maintenant « entièrement enseveli sous des couches superposées de prétentions doctrinaires et de progressisme-à-la-dernière-mode, ... La tâche d'un vrai socialiste est de le ramener au jour» «« Le collectivisme mène aux camps de concentration, au culte du chef et à la guerre. Il n'y a pas moyen d'échapper à ce processus, à moins qu'une économie planifiée puisse être combinée avec une liberté intellectuelle, ce qui ne deviendra possible que si l'on réussit à rétablir le concept du bien et du mal en politique» Il percevait clairement qu'une économie centralisée pouvait constituer une grave menace pour la liberté individuelle et que, dans cette situation, « l'État en arrive à se confondre avec le monopole d'un parti dont l'autorité ne se fonde plus sur aucune élection, en sorte que l'oligarchie et les privilèges se trouvent restaurés, étant maintenant basés sur le pouvoir et non plus sur l' argent».
69-70 Par «Le lion et la licorne» Description d'un état totalitaire pour imposer le socialisme !
70  Mais se rattrapant «...«la tâche des gens intelligents est non de rejeter le socialisme mais de s'employer à l'humaniser... Notre devoir est de combattre pour la justice et la liberté; socialisme signifie précisément justice et liberté,...»
74 Doute littéraire : «effectivement, s'il n'avait dû compter que sur ses seules ressources littéraires pour affronter la postérité, on peut se demander si son œuvre n'aurait pas fini sur le même rayon poussiéreux où nous oublions aujourd'hui les volumes de Maugham» ce dernier ne serait pas si mal avec «Cakes and Ale est assurément un chef-d' œuvre, et l'on relit A Writers Notebook et The Summing Up avec un intérêt toujours vif.»
76 «Vivre en régime totalitaire est une expérience orwellienne; vivre tout court est une expérience kafkaïenne. Aussi, la condition humaine étant ce qu'elle est, on peut prédire qu'au vingt et unième siècle et dans les siècles qui suivront (s'il y en a), on continuera à lire Kafka, mais il faut souhaiter que l'évolution politique et la marche des événements auront finalement réussi à faire d'Orwell un écrivain définitivement dépassé, qu'on ne relira plus guère que pour satisfaire une curiosité historique.»
Tiré des annexes :
79 ««Depuis la guerre d'Espagne, je ne puis pas dire honnêtement que j'aie fait grand-chose, sauf écrire des livres, élever des poules et cultiver des légumes. Ce que j'ai vu en Espagne, et ce que j'ai vu depuis du fonctionnement intérieur des partis de gauche, m'a donné horreur de la politique ( ... ). Sentimentalement je suis définitivement « à gauche», mais je suis convaincu qu'un écrivain ne peut demeurer honnête que s'il se garde de toute étiquette de parti ( ... ).»
«Droite et gauche : «La vraie distinction n'est pas entre conservateurs et révolutionnaires mais entre les partisans de l'autorité et les partisans de la liberté» (Lettre à Malcolm Muggeridge, 4 décembre 1948) Claude Roy faisait une réponse semblable à une enquête de Harris et Sédouy, Qui n'est pas de droite ? (1978) : « Le vrai clivage entre "droite" et "gauche" réside dans le privilège que s'accordent ou se refusent des hommes d'être les chefs. »»
Après quelques lectures chacun se fait un portrait d'un illustre disparu. Par le choix de propos de George Orwell Simon Leys a décrit son Orwell. Après lecture d'hommage à la Catalogne et de ses descentes au près des laissés pour comptes et autres travailleurs je n'en ai pas le même. Il me reste une empathie, une sympathie vers l'autre en général. Dans le choix de textes de Leys je vois juste un règlement de compte à l'emporte pièce vers les "politiques".

Jean-Claude Michéa : Orwell éducateur
Édition CLIMATS-Flammarion

D'abord voici un échange avec Jean-claude Michéa
Un «ni gauche ni droite» d'en haut ou d'en bas avec toujours en fond comment situer la dépendance entre les libéralismes économique et philosophique.
Ne pas confondre l'idée «on arrête pas le progrès» et celle «on n'arrête pas le capitalisme».
à 54' L'ambigüité de la pensée des 8% (4000€) qui rejoint Orwell avec ces travaillistes qui en face veulent bien lutter contre le colonialisme mais refuse de changer leur mode de vie dépendant des coolies indiens.
1h05 Si sur les plateaux télé les nantis avaient une perruque poudrée la populace, par son absence, ne s'y reconnaitrait pas.

Ensuite cet article de février 2021 “Orwell, un antidote à tous les délires idéologiques” 
Philosophie magazine Orwell, un antidote à tous les délires idéologiques
En pdf sur unprolospecule Orwell, un antidote à tous les délires idéologiques

Étonnant de commencer l'ouvrage par une citation de Nietzsche citant Schopenhauer ce misanthrope pour parler d'Orwell cet altruiste !

C'est l'occasion par ses scolies et autres digressions de préciser son point de vue.
J'en ai découvert quelques concepts  et en ai déduit ces idées.
- Le capitalisme d’État attribué à l’ancienne URSS ou à la Chine actuelle n’est tout compte faite qu’une imitation de l’état capitaliste. Après une révolution une oligarchie prend le pouvoir et s’organise pour son profit.
- Le marxisme a une responsabilité dans l’absence de combativité en soutenant l'idée que le capitalisme serait son propre fossoyeur et que chaque étape, au nom du progrès et de l’efficacité écrasant les structures en place (artisanat, village proche de l’humain) devrait nous sortir de ce capitalisme. Qu’il fallait donc accepter bétonnage des champs pour un aéroport, robotisation, métropole bouffant le reste de démocratie dans les communes.
- On court toujours derrière le capitalisme : Recollant les morceaux d’une collectivité des luttes dissoute dans la dernière industrialisation ; par les ludds luttant contre les fabriques qui détruisent artisanat et collectivité villageoise ; suivent des luttes pour défendre le pouvoir d’achat par exemple avec les canuts, pour les 35 heures. Tout ça avec de bonnes justifications mais qui n’est qu’un suivisme des ravages du capitalisme.
Au fond nous n'avons plus qu'à revoir notre vision du monde.
Le capitalisme n’est qu’un comportement mafieux qui n’est que l’instinct de dominant de groupe d’animaux sociaux.
La lutte est dans l’entreprise mais aussi dans son quartier, dans son village.

Je propose ces titres pour les 5 chapitres :
I L'horreur de la politique
II George Orwell méconnu
III Anarchiste conservateur
IV «Le bon sens populaire»
V George Orwell pour aujourd'hui ?

Avant-propos
Page 9 ««... l'alcool, le tabac et le reste sont-ils des choses dont un saint doit se garder, mais la sainteté est elle-même quelque choses dont les êtres humains doivent se garder.» Orwell, 1949»
Par son opposition à Netchaïev, et son catéchisme révolutionnaire, Orwell n'est-il pas proche d'Albert Camus ?
11 «...une spirale ...pour déconstruire» «...boîte à outils philosophique ... pour un démontage élémentaire de l'Imaginaire capitaliste ...»
13 Bilan du "politique" par Orwell toujours d'actualité, la prise de distance avec les partis politiques, les étiquettes et craintes des préjugés.
I L'horreur de la politique
17 Orwell un esprit libre qui «ne songe pas d'abord si [une idée] est politiquement correcte ou conforme à la ligne ... Il se soucie seulement de déterminer dans quelle mesure elle rend le monde où nous vivons un peu plus intelligible ... même si le prix à payer ... implique une mise en question de son confort intellectuel ou le renoncement à ses privilèges.»
18 «...un socialisme ... au plus loin ... [des] théologies majeures, à la fois rivales et complémentaires, de l'État et du Marché.»
20 l'amour du pouvoir lié à l'immaturité
21 Une démocratie (directe intégrale) avec ses nombreuses réunions est assez peu attirante et cache peut-être «une démarche essentiellement sacrificielle»
22 Pour «Simon Leys «... le frivole et l'éternel [devrait passer] avant le politique.»»
23 Sur l'immaturité et «l'âge terrible de trente» nous devrions lire La mort de Pygmalion de Claude Azon et Sa majesté des mouches de William Golding.
II George Orwell méconnu
27«C'est celui ... dont la pensée ne cadre pas avec les systèmes de classification dominants.»
28 Par la philosophie des Lumières (!?) «...la soumission progressive ... aux seules exigences du calcul économique ... était non seulement conforme au mouvement inéluctable de l'Histoire, mais annonçait simultanément l'apparition imminente d'un Nouveau Monde merveilleux, où régneraient pour toujours, la Paix, la Prospérité et le «plus grand bonheur possible du plus grand nombre possible».»
«Une fois les nouveaux clivages politiques installés, les intellectuels modernes ont donc fini, dans leur masse, par intérioriser tranquillement cette logique simplifiée et binaire ...»
29«Dans un dispositif idéologique aussi faible, il est clair qu'aucun esprit véritablement libre n'a de place assignable, à moins d'un malentendu historique profond sur le sens de son œuvre.»
«... instrumentaliser ces deux récits [1984 et la Ferme des animaux], en les réduisant à leur seule dimension antisoviétique ...»
30 Orwell si peu lu ou si mal«... les lecteurs de droite n'avaient pas suffisamment d'imagination Philosophique pour concevoir que l'aventure totalitaire ait pu trouver une partie de ses conditions dans leur magnifique Modernité elle-même (et, en premier lieu, dans son culte constitutif de la Technique, de l'ordre industriel et de l’homme nouveau) ; et, d'autre part, parce que les lecteurs de gauche n'ont jamais eu, par définition, l'indépendance d'esprit nécessaire pour oser s’intéresser d'eux mêmes à un auteur aussi contraire à leurs Saintes Écritures et aux dogmes Indispensables à leur petit équilibre personnel. Et franchement, je n'ai pas le sentiment que les choses, de nos jours, aient beaucoup changé sur ce point.»
38 Voir du côté de Pierre Ledoux et Philippe Buchez contre «l'économie politique anglaise» (où les hommes sont non seulement étrangers entre eux, mais nécessairement rivaux et ennemis), le «Socialisme absolu» pour un état despotique (où l'individu devient fonctionnaire), contre l’égoïsme de l'économie libérale et le communisme d'état. Et de Marcel Mauss et la lutte sur deux fronts par l'économie du don contre l'économie de marché.
III Anarchiste conservateur
53 «Quelles sont ... les deux implications métaphysiques majeures de cette curieuse idée de «progrès» dont Marx lui-même ... reconnaissait qu'elle était «semblable à ces idoles païennes, qui ne peuvent boire le nectar que dans le crane de leurs victimes»...»
54 «...un mystérieux programme transcendant dont nul ne possède la liberté de modifier les paramètres fondamentaux...» Le déterministe sens de l'histoire marxiste.
«...pour un progressiste, il ne peut y avoir aucun sens, sinon tactique ou rhétorique, à condamner le capitalisme ... une telle démarche, qui était au centre des premières révoltes ouvrières socialistes et anarchistes , sera rapidement dénoncée par Marx, dès 1846, comme «utopique , sentimentale et petite-bourgeoise».»
56 La concentration comme innovation «ne constitue jamais une raison suffisante de les accepter, du moins pour un esprit normal. ... seul un crétin d'État (en novlangue, un «expert») peut en déduire ... que cette structure ingérable représente un progrès humain ... inéluctable ... et que la société devrait financer sans débat.» L'exemple pris par Michéa est un lycée de 5000 élèves mais cette réflexion colle parfaitement avec les métropoles.
59 et 61 Un autre provocateur Paul Goodman La critique sociale
62 «...le mouvement ouvrier et populaire ne se verra pas seulement assigner partout la « tâche historique » de soutenir dans un premier temps le développement supposé « progressiste dans sa phase ascendante » des rapports capitalistes ; voire de contribuer à leur implantation là où ils n'existaient pas « encore ». Il sera peu à peu dressé, contre sa propre culture initiale, à tenir pour un acquis définitif et irréversible du genre humain, les choix technologiques toujours plus interdépendants et les formes d'urbanisation toujours plus délirantes, que les sociétés modernes ne cessent de développer ; y compris, comme c'est le plus souvent le cas, lorsque ces choix et ces formes n'ont aucune raison d’être que les contraintes purement économiques de la mise en valeur du capital ou celles de la sécurisation politique de cette mise en valeur. Et tout ceci, bien sûr, au nom de la croyance imposée par la théologie du Progrès et sa « théorie des stades », selon laquelle chaque pas en avant du Capitalisme crée mécaniquement Les conditions matérielles et techniques d'une société plus juste. Quand on sait que, pendant plus d'un siècle, staliniens et sociaux-démocrates ont contribué, chacun à leur manière, à dresser militants et électeurs à ne percevoir le Capitalisme que sous cet angle-là (c'est-à-dire comme un système qui, en se développant selon ses propres lois, ne ferait que créer « ses propres fossoyeurs » et les conditions de son propre dépassement dialectique), on mesure mieux, à la fois le retard historique démentiel que le Marxisme (certes simplifié) a fait prendre aux classes populaires ...»
64 Doute sur le capitalisme d'état.
64-65 Voir autre chose dans un objet technique qu'un simple ensemble de rouages et composants neutres. Bernard Charbonneau et Jacques Ellul. Ainsi que Jean-Louis Porquet qui a écrit une «synthèse pédagogiquement remarquable» sur ce dernier.
68 Rapporté dans Échec au libéralisme les jacobins et l'État de Lucien Jaume «idée très raffarinienne, défendue par Roeder ... «dans les gouvernés, il ne faut pas d'autres qualités que celle qui conviennent aux associés d'une affaire de commerce»»
70 «...ce sont bien l'astucieux Guy Sorman et l'obstiné Jean-François Revel qui ... ont raison : les modernisateurs du MEDEF sont des héritiers culturels de l'Encyclopédie, tout aussi légitimes, d'un point de vue philosophique, que leurs actuels «opposants» de gauche ...»
71-72 Pour une «opposition efficace ...cela suppose ... la capacité politique et intellectuelle d'inventer un nouveau langage commun, destiné à surmonter les contradictions au sein du Peuple ... de désigner ensemble ... la nature des nuisances universelles de l'Économie devenue indépendante ... mettre en place les conditions et politiques d'un authentique front populaire, capable d'organiser la lutte des classe ... contre toutes ces élites humainement mutilées qui voudraient nous moderniser vivants ...»
73 Du côté de la Ramade 1993-2002 sur «la lutte modeste ... pour soustraire une petite vallée de Haute-Loire [des] effets désastreux de la rapacité libérale et de ses appuis étatiques locaux ... particulièrement exemplaire de ces révolutions culturelles, et du travail de langage qu'elles impliquent ...»
74-75 De curieux théorèmes mathématiques pour rationaliser l'exploitation de l'autre : le théorème Fillon indexant le temps libre du citoyen sur la richesse d'une société et Charpin pour ratiboiser les retraites établies à la Libération. D'après d'autres fameuses formules en 36 le Comité des Forges établissaient que nous survivrions pas avec 2 semaines de congé. Avec cette rigueur mathématique ils établissaient déjà que l'esclavage ne pouvait être aboli pour des raisons strictement économiques.
87 Une autre Amérique «farouchement attachée à leur liberté nouvelle ... ne songeait guère à s'enrichir d'une manière indécente ... à sacrifier des manières indépendantes de vivre qu'ils avaient si durement acquises, pour se soumettre au cycle de fer de l'accumulation capitaliste et de son urbanisation absurde.»
IV «Le bon sens populaire»
107 «...on peut dire que Marcel Mauss se tenait assez près de la tradition anarcho-syndicaliste, dans ce qu' elle avait alors de plus généreux ; telle, par exemple, que Malatesta l'expose en 1907 … : « Les ouvriers qui se cantonnent dans la défense de leurs intérêts corporatifs ... ne connaîtront jamais la solidarité morale ; celle ci ne naîtra que du jour où une volonté commune de transformation sociale aura fait d'eux des hommes nouveaux. La solidarité, dans la société actuelle, ne peut être que le résultat de la communion au sein du même idéal. Or c'est le rôle des anarchistes d'éveiller les syndicats à l'idéal, en les orientant peu à peu vers la révolution sociale, au risque de nuire à ses "avantages immédiats" ...»
108 «...à redécouvrir l'importance philosophique absolue des travaux anthropologiques de Marcel Mauss et ... de son Essai sur le don (texte en ligne)»
123 «...sur ce point c'est Orwell qui a raison contre toutes les traditions positivistes de la Gauche : Le Socialisme sera décent ou ne sera pas, ce qui signifie tout simplement que, pour qu'une société qui signifie tout simplement que, pour qu'une société libre et égalitaire puisse réellement voir le jour et fonctionner humainement, il faudra que chacun y mette quotidiennement du sien, et autrement que par des mots (ou des chansons).»
130 «La mobilité perpétuelle des individus atomisés, est l'aboutissement logique du mode de vie capitaliste, la condition anthropologique ultime sous laquelle sont censés pouvoir se réaliser l'adaptation parfaite de l'offre et de la demande et l'équilibre général du Marché.»
131 «Sénèque avait, ... répondu par avance à tous ces agités du Marché : «C'est n'être nulle part que d'être partout. Ceux dont la vie se passe à voyager finissent par avoir des milliers d'hôtes et pas un seul ami (Lettres à Lucilius).»»
132-133 «On aurait tort de sous-estimer, sous prétexte que ses écrits sont particulièrement indigents, l'importance de Milton Friedman (prix Nobel d'économie 1976) dans la mise en place des politiques libérales contemporaines : inspirateur reconnu de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan (après avoir été le conseiller économique du coup d’état libérale d'Auguste Pinochet en 1973), il est surtout l'immortel inventeur, en 1968, du NAIRU (Non accelerating inflation rate of unemployement), autrement dit de ce prétendu «taux naturel de chômage » (fixé à l'origine à 9%), en dessous duquel l'économie libérale est supposée ne jamais devoir descendre si elle veut éviter la reprise de l'inflation. ...»
134 Sortir de la vision d'un individu égoïste «prêt à tout pour cumuler du pouvoir, de la richesse, ou pour passer à la télévision» en dehors des images que transmettre le capitalisme «générosité, attitudes qui placent dans un autre modèle, celui du don.»
V George Orwell pour aujourd'hui ?
139 «Il n'est pas vrai, comme le croyaient Marx et Lénine, que la modernisation capitaliste du monde soit condamnée à créer, sous l'aiguillon du progrès technique, les « bases matérielles du Socialisme », c'est-à-dire d'un monde décent et habitable, où les richesses, le pouvoir et l'information ne seraient plus sous le contrôle de quelques minorités privilégiées. Dans l'ensemble, on doit constater que cette modernisation tend, au contraire, à saper quotidiennement la plupart des conditions écologiques, culturelles, psychologiques et, bien sûr, morales, qui sont indispensables à l'institution et au maintien d'une telle société. … il devrait donc être clair pour chacun que le temps capitaliste travaille désormais essentiellement contre la survie de la planète et contre le bonheur réel de l'immense majorité des hommes.»
141-142 «un privilège [suivant la terminologie kantienne] ... ne peut être universalisé sans contradiction» notre niveau de vie privilégié ne peut être généralisé ce qui nous maintient dans le système de domination.
Classes dominantes objectivement intéressées, même si affectées d'ignorer les privilèges dont elles disposent, et classes dirigeantes aux privilèges accumulés, entre autre par les héritages, dont les décisions pèsent de manière déterminantes sur la vie collective.
143 «...il devient urgent de réfléchir aux moyens démocratiques qu'une société devraient collectivement se donner pour mettre hors d'état de nuire ... la volonté de puissance et le désir d'accumuler des richesses ... deux pathologies de ces minorités...»
143-144 Le capitalisme basé sur une utopie : la croissance infinie. Jacques Attali le rigolo qui croit en celle-ci.
144-145 L'avantage de l'idée de classes sociales, idée construite bien avant Marx, vis à vis d'un ordre est d'être juridiquement invisible.
145-146 Mieux avant ? Baisse indiscutable du bonheur réel de la majorité des américains (USA) par la «dégradation effective des rapports humains fondamentaux.»
146-147 «Guy Debord définissait le spectacle comme «la capital à un tel degré d'accumulation qu'il devient image» ... la logique marchande est invitée à s'emparer de toutes les sphères de l'activité humaine ... Ce processus atteint son apogée ...»
149-152 Le mythe de la disparition de l'ouvrier. «Il suffit de remarquer la petite inscription Fabriqué en ... Chine, Indonésie ...»

Jean-Claude Michéa : Orwell, anarchiste Tory
suivi de À propos de 1984 Nouvelle édition
Texte en ligne (pagination entre parenthèses)

Pages 83 à 87 (59 à 63) Libertés jusqu'où et sur quels appuis ? Refuser l'arrachement que nous soumettent Luc Ferry ou Jacques Attali pour être «libre» de tout attachement pour le marché libre, comme pour Marx refus de l'enracinement.

«Animal Farm et 1984 (les deux romans qui ont valu à Orwell sa célébrité  internationale) doivent naturellement être lus comme une défense intransigeante de la liberté individuelle et une exhortation à refuser toutes les formes  de l’oppression totalitaire.
C’est là leur sens premier et le plus évident. Il y a  cependant, dans ce constat indiscutable, l’origine d’une partie des malentendus dont l’œuvre d’Orwell continue à être l’objet. Nous avons tendance, en  effet, probablement sous l’influence plus ou moins consciente de Sartre, à  nous représenter la liberté comme ce pouvoir métaphysique qu’aurait l’homme  de « nier » toute situation constituée, de « transcender » le donné, en un  mot, de « s’arracher » à tout ce qui est. Ce pouvoir est généralement présenté  comme le fondement de la dignité de l’homme (en le séparant par exemple du  monde animal) et comme la source de ses droits politiques. Dans cette optique, qui remonte en fait à Rousseau et à Kant, le combat pour la liberté a  donc pour socle, plus ou moins bien explicité, l’aptitude de l’homme à se déraciner perpétuellement.
Chez Orwell, l’intuition originaire qui supporte son concept de liberté est  d’un ordre passablement différent. Avec lui, nous n’avons plus affaire à un  imaginaire de l’« arrachement », à une figure quelconque du combat héroïque  du sujet contre lui-même et contre les pesanteurs du donné ; ce qui est en jeu  tout au contraire, c’est une problématique du « lien » et de l’« attachement ». Ainsi, dans The Lion and the Unicorn, après avoir pris soin de distinguer la  liberté qu’il faut défendre, de cette « liberté économique qui est le droit d’exploiter les autres à son profit », il en décrit quelques formes typiquement  anglaises de la manière suivante : « C’est la liberté d’avoir un intérieur à soi  (a home of your own), de faire ce que vous voulez de votre temps libre, de choisir vos distractions au lieu qu’elles soient choisies pour vous d’en haut. » Et  les horizons concrets de cette liberté incarnée ce sont, par exemple, « le pub,  le match de football, le jardinet derrière la maison, le coin de la cheminée et  the nice cup of tea ». Ainsi définie, la liberté n’est nullement le fait de « l’esprit qui toujours nie » (selon la formule de Goethe reprise par Hegel). Elle  est d’abord, pour chaque individu comme pour chaque communauté, une  somme de fidélités et d’habitudes composant un univers personnel qu’il s’agit  à la fois de protéger et de partager. Son principe n’a donc rien à voir avec la révolte orgueilleuse de celui qui s’insurge contre la totalité de l’existant. Le désir  d’être libre ne procède pas de l’insatisfaction ni du ressentiment mais d’abord  de la capacité d’affirmer et d’aimer, c’est-à-dire de s’attacher à des êtres, à des  lieux, à des objets, à des manières de vivre.
Tout cela explique pourquoi, chez Orwell, l’expérience de la liberté n’est  pas séparable de la common decency, c’est-à-dire de ce jeu d’échanges subtil et compliqué qui fonde à la fois nos relations bienveillantes à autrui, notre respect de la nature et, d’une manière générale, notre sens intuitif de ce qui est dû à chacun. C’est en somme la même réalité substantielle mais exprimée sous  deux attributs différents en une infinité de modes. Et le creuset où toutes ces  intuitions de base viennent se fondre, c’est la « socialité primaire », cette  instance de la civilité quotidienne dont l’univers des travailleurs et des  humbles est apparu à Orwell comme le support privilégié au sein du monde moderne.
On a donc raison de dire que c’est l’enquête sur la condition ouvrière à  Wigan Pier qui a précipité la conversion d’Orwell au socialisme.
Mais cette conversion ne doit pas être décrite comme celle d’un « intellectuel petit bourgeois » s’arrachant, au terme d’un impitoyable combat  contre lui-même, aux tentations maléfiques de son milieu d’origine. Il s’est agi  plus simplement d’une tranquille et immédiate sympathie pour des hommes  réels et des manières de vivre très concrètes dont il découvrait, sans trop  d’étonnement, à quel point ils lui étaient proches...

Rien n’interdit, bien sûr, d’appeler « liberté » le pouvoir qu’[a] l’homme  d’agir sans être, pour l’essentiel, programmé par les conditions existantes. On  prend alors position dans la querelle du déterminisme ; et sur ce point précis  on a vu qu’Orwell était clairement opposé à toutes les formes du déterminisme  historique. En revanche, l’imaginaire de l’arrachement qui soutient les descriptions sartriennes de la liberté (et qu’on retrouve, entre autres, dans les travaux  de Luc Ferry et d’Alain Renaut) nous conduit infiniment plus loin. Il permet en  effet, une fois la définition métaphysique traduite en termes politiques, de ne  considérer comme véritablement humaines que les seules expériences extrêmes du déracinement. Tout se passe dès lors comme si l’individu ne pouvait devenir lui-même et accéder à l’humanité authentique que par une rupture  nécessairement douloureuse avec un milieu familial, social ou géographique  supposé par définition hostile et aliénant. Cela revient à dire que l’individu  que les origines glacées du Capital ont arraché à ses proches ou à sa région  d’origine, pour le vouer aux différentes formes de l’Exode ou de l’Exil, devient  par là même l’emblème de la condition humaine, voire de sa Rédemption. Dans cette manière de voir, la constitution d’un marché mondial unifié, où les  individus s’épuiseraient à circuler sans repos sur le modèle des marchandises  et des capitaux, finit par être interprétée comme l’énigme résolue de la liberté humaine et la fin réalisée de l’Histoire. Autrement dit, ce qui n’était au départ  qu’une position philosophique parfaitement légitime (l’homme peut se soustraire au déterminisme) risque, lorsqu’on la traduit dans les catégories de  l’« arrachement », de s’accomplir en éloge naïf du capitalisme généralisé  (façon United Colors of Benetton), tel qu’on en trouve, par exemple, toute une  série de descriptions fascinées dans les nombreux ouvrages de Jacques Attali.
Il est difficile, enfin, de ne pas remarquer à quel point ce choix du vocabulaire de l’« arrachement », avec tout ce qu’il implique d’ascèse nécessaire et  de souffrance rédemptrice, en dit long sur l’inconscient puritain qui gouverne à  leur insu les apologies de la surmodernité. Au fond, la philosophie cachée du  modernisme, c’est qu’il faut souffrir pour être moderne.»

Page 107 (78) «... il est non moins clair qu’il percevait parfaitement tout ce que la modernisation forcenée de la vie pouvait avoir  de destructeur, et à quel point la précieuse liberté des individus risquait d’être  menacée, à terme, par le développement déréglé de cette modernité qui l’avait  rendu possible. En ce sens, Orwell est l’un des rares intellectuels de son  temps à avoir compris que désormais notre merveilleuse modernité n’aurait jamais de pire ennemi qu’elle-même.  Naturellement cette appréciation nuancée du présent n’aurait eu aucun  sens sans la réappréciation correspondante du passé. Celui-ci ne pouvait plus  seulement être ce qu’il fallait détruire de fond en comble pour libérer les forces  du futur. Et la haine du passé qui est le trait fondamental de toute la psychologie progressiste, devait cesser d’être un postulat nécessaire de la transformation socialiste du monde»

Page 114 (82) La nostalgie n'est pas une vision rétrograde : «Toute évocation favorable du passé est systématiquement accueillie, aujourd’hui, par un ricanement de rigueur qui fait appel  aux préjugés d’une société d’autant plus pseudo-progressiste qu’elle veut justifier le statu quo. Grâce aux travaux d’historiens tels que Christopher Hill et  E. P. Thompson, nous savons pourtant, maintenant, qu’autrefois, de nombreux mouvements radicaux ont tiré force et inspiration du mythe et de la mémoire d’un âge d’or encore plus lointain. Ceci confirme la justesse de la conception psychanalytique qui affirme que les souvenirs heureux constituent  un soutien psychologique indispensable aux individus atteignant la maturité ;  ceux qui ne peuvent se rattacher au temps écoulé par l’amour et la tendresse  en souffrent terriblement.»


Haut de page   Page en amont

Des visites régulières de ces pages mais peu de commentaires.
Y avez-vous trouvé ou proposez-vous de l'information, des idées de lectures, de recherches ... ?
Y avez-vous trouvé des erreurs historiques, des fautes d'orthographes, d'accords ... ?
Ce site n'est pas un blog, vous ne pouvez pas laisser de commentaires alors envoyez un mail par cette adresse robertsamuli@orange.fr
Au plaisir de vous lire.