Sortir de l'histoire officielle

    


Shoah


27 janvier – Journée commémorative de l'Holocauste. «Czeslawa Kwoka. Polonaise de 14 ans - prisonnière n° 26947 exécutée à Auschwitz le 18 février 1943. Czeslalawa, terrifié et meurtri, ne parlait pas la langue du bourreau et avait perdu sa mère quelques jours seulement avant sa propre exécution. Quelques instants avant sa propre mort, elle fut photographiée par Wilhelm Brasse ; un codétenu qui a survécu à Auschwitz et a ensuite contribué à condamner plusieurs bourreaux du camp.»

Mots, idées, concepts, personnalités repérés : collaboration, nazisme

Vocabulaire et étapes du génocide
Holocoste Quelques livres conseillés

Deux livres sur l'organisation
Leon Poliakof - Bréviaire de la haine
Raul Hilberg - La destruction des juifs d'Europe

Les camps de la mort

"Les origines du totalitarisme" et "Eichmann à Jérusalem"
H.Arendt/L.Adler

Pogrom de Iasi en Roumanie

Shoah dans l'État indépendant de Croatie

Oskar Schindler

Films "Shoah" "La Zone d'intérêt"


Témoignages :

Et tu n'es pas revenu - Marceline Loridan-Ivens
L'aube à Birkenau - Entretien avec Simone Veil

Exceptionnel Discours de Marceline Loridan-Ivens à l’enterrement de Simone Veil.
« Toutes les femmes ont un lien avec toi, Simone. Toi et moi, nous sommes rencontrées pour mourir ensemble. Nous étions du même transport, toi le numéro 78651, moi le 78750. Si j’ajoute les chiffres de ton numéro les uns aux autres, j’arrive au chiffre 9. Et si je fais la même chose pour le mien, j’arrive également au chiffre 9. 99 femmes nous séparent, dont peu sont revenues. Mais je t’ai vue très vite.
D’abord à la douche où des nazis nous hurlèrent de nous déshabiller après nous avoir numérotées. Je t’y ai vue parce que tu étais belle, la mieux roulée de nous toutes avec Sonia. Je ne devrais pas dire ça ici, mais c’est vrai. Et ça montre que nous nous regardions encore comme des jeunes filles entre elles, que nous n’avions pas compris…
Et puis au bloc. Je te revois serrée avec ta mère et ta sœur sur la coya, juste en face de la mienne, de l’autre côté de la travée. J’étais seule moi, collée à des inconnues, mais si j’ouvrais les yeux, c’est toi que je voyais. Je l’ai compris le jour où je n’ai pas voulu me laisser prendre par les corvées d’humiliation. Je t’ai proposé qu’on se cache sous les couvertures où l’on empilait les paillasses chaque matin. Tu n’as pas hésité, tu m’as suivie. Tu t’es allongée entre deux paillasses, j’ai mis la couverture sur toi, puis j’ai fait de même, arrangeant tant bien que mal une autre couverture sur moi. Quand il n’y a plus eu de bruit, nous sommes sorties de notre cachette, et sans nous faire prendre, nous avons marché dans nos habits de mortes pour découvrir où nous étions. Nous ne savions pas vraiment. Nous sommes passées devant une baraque en bois verte qui semblait meilleure que les nôtres et où des femmes parlaient français. Et nous avons eu envie de leur parler afin de comprendre un peu mieux. Et là, elles nous ont chassées en nous insultant et en nous traitant de sales juives. C’était la baraque des communistes françaises. Nous n’avions pas encore vu nos os sur le point de trouer notre peau. C’était le début, nous pensions comme avant, au temps des désobéissances écolières. Et puis on a fini par comprendre.
Quand l’une de nous mourait, on l’oubliait, on ne pleurait pas. Le deuil n’existait plus, on était dure. Nous étions les miroirs les unes des autres. Je m’accrochais aux regards les plus déterminés d’entre nous. Le tien en faisait partie. Je te regardais aller avec ta mère et ta sœur, vous symbolisiez la France cultivée et intelligente.J’ai vu mourir ta mère sur le sol gelé de Bergen-Belsen.
Simone, nous en sommes sorties vivantes ! Et nous n’avions plus peur de rien. Nous savions toi et moi que le reste de notre vie n’était que du rabe. Qu’il fallait en faire quelque chose, quelque chose de grandiose. Tu l’as fait, tu l’as fait pour toutes les femmes qui n’oublieront jamais ton nom. Et pour toutes les mortes que nous avons laissées derrière nous et que nous représentons.
La vie nous a éloignées après la guerre. Nous ne nous sommes pas cherchées, c’était inutile, nous allions nous retrouver. C’est arrivé dans la rue par hasard une première fois. Tu m’as invité chez toi, mais je ne suis pas venue. Puis une deuxième, rue Dante. Tu as insisté : viens chez moi. Et je suis montée. Et dès lors, nous n’avons plus cessé de nous voir. Nous parlions du camp, des filles laissées là-bas que nous n’avions pas pu pleurer, mais que nous n’avions pas oubliées. Nous riions parfois, et râlions encore contre celles qui récitaient des recettes de cuisine pour conjurer leur sort et nous donnaient atrocement faim.
Il y a longtemps que tu me manques Simone. Et il y a longtemps que tu manques à la France Simone. La courbe de nos vies a connu le pire et le meilleur de l’humanité. Les usines de la mort. Comme les élans du progrès. Mais le temps passant, nous avons eu le même pressentiment toi et moi : l’horizon s’obscurcit à nouveau. Tu étais inquiète. L’antisémitisme est de retour. Il connut des rémissions mais ne disparaîtra jamais. Nous le combattrons. Je le ferai jusqu’à mon dernier souffle. Et tu le feras encore. Tu laisses au monde une trace belle et profonde Simone, qui rend fières et inoubliables toutes les filles de Birkenau ».


L’extermination des Juifs d’Europe : les étapes du génocide
En pdf sur ce site
L’extermination des Juifs d’Europe : les étapes du génocide

Les camps de la mort / Témoignages picturaux de David Olère
http://www.sonderkommando.info/index.php/sonderkommandos/les-temoignages/lart/david-olere

Les expérimentations médicales dans les camps nazis
En pdf sur unprolospecule Les expérimentations médicales dans les camps nazis

Holocoste Quelques livres conseillés
Interview de Iannis Roder dans le magazine littéraire de mars 2020
autour de son livre "Sortir de l'air victimaire. Pour une nouvelle approche de la Shoah et des crimes de masse" Éd. Odile Jacob
«L'enseignement de la Shoah a progressé mais est encore souvent brandi comme un antidote, un rempart contre le retour de la bête immonde. On a pensé, notamment au moment de la percée du FN dans les années 1980, que la bonne connaissance du crime commis contre les Juifs serait un médicament miracle contre la haine. Ce n'est pas le cas. Dans les cours, la Shoah a été et est encore souvent présentée comme l 'exemple archétypal de ce à quoi peuvent mener le racisme et les discriminations quelles qu'elles soient. Cette approche morale loue beaucoup sur l'émotion, le compassionnel, mais n'explique pas et ne permet pas de comprendre les phénomènes et processus.»
«Il n'y a pas de hiérarchie dans les soufrances, mais des crimes qui ne sont pas de même nature. Derrière ces crimes se trouvent les idéologies, et c'est à mon sens là-dessus qu' il faut travailler. Il faux réintroduire de la politique dans cette histoire.»
«[Les] raccourcis et analogies brouillent l'intelligence et la compréhension de chacun des phénomènes, qui meritent qu'on s'y intéresse pour ce qu'ils sont.»
«On parle de la souffrance, des victimes de la barbarie, du << plus jamais ça >>, sans expliquer du tout ce qu'est le « ça » dont on parle.»
«Évidemment il faut se souvenir, mais se souvenir de quoi ? Quand on ne connaît pas l'histoire, la rupture anthropologique qu'a représentée la Shoah est impossible à comprendre
«... la question de la Shoah est universelle. Ce n'est pas une question juive, c'est la question de l 'universel au même titre que le génocide contre les Tutsis ou en ce moment contre les Rohingyas ou les Yézidis...
Comment faire ?
Il faut changer le prisme et ne plus entrer dans cette histoire par les victimes, car la victime exclut. Â partir du moment où moi, élève, je ne me sens pas appartenir à ce groupe de victimes, je me sens exclu, et pourtant je me vis moi-même parfois comme une victime. Il faut entrer par l'histoire des bourreaux, c'est-à-dire expliquer quelles étaient leurs motivations, comment s'est construite leur vision du monde

«...ces gens qui agissent selon ces idéologies sont convaincus d'agir pour le bien, d'être dans le juste et dans le vrai. Nazis, islamistes, Hutus ou Turcs sont convaincus d'être en situation de légitime défense, d 'être les agressés et de devoir se défendre. Des analogies très claires existent dans les ressorts psychologiques et intellectuels  de ces crimes, ...»

Toujours de ce magazine littéraire quelques livres en 2020 sur ce sujet choisis par Victoire Boutron
«Ultimes paroles :
- Personne ne me croira, s'insurge Félix Spitz dans le titre de son récit. Prisonnier du ghetto de Cracovie à l'âge de 14 ans, il se décide à parler soixante-dix-sept ans plus tard. Ce livre, publié en janvier 2020, s'est déjà vendu à 5 000 exemplaires (source ; Fayard).
- Prix du livre étranger 2020, Mauhausen, du dramaturge grec Iakovos Kambanellis, décrit avec un réalisme aiguisé et une narration précise les deux années passées dans le camp de Mauthausen, situé en Haute-Autriche. Sorti en janvier de cette année, il s'est vendu à 13 000 exemplaires (source : Albin Michel).
- Ginette Kolinka, survivante du camp de Birkenau, témoigne après des années de silence dans Refour à Birkenau, sorti en mai 2019, qui s'est vendu à 70000 exemplaires (source : Grasset). Cette «passeuse de mémoire», comme elle aime à le dire, devient elle-même le symbole du devoir de mémoire, «une référence», affirme Jean-Marc Levent, directeur commercial des éditions Grasset.
- David Teboul raconte Simone Veil dans L'aube à Birkenau, sortie en novembre 2019. Après une quarantaine d'heures d'enregistrement, le cinéaste et ami tente de reconstruire le récit des années d'enfance, de guerre et les mois passés au cœur de l'enfer concentrationnaire. En résulte un livre dans lequel s'entrelacent dialogues et témoignages, un véritable succès, avec 116 000 exemplaires vendus (source : Les arèrènes).
- Ses mots comme sa personnalité ont touché le public : Marceline Loridan-Ivens s'adressait en 2015 à son père disparu dans Et tu n'es pas revenu. Avec l'aide de la journaliste et écrivaine Judith Perrignon, la cinéaste s'est livrée sur sa captivité et sa reconstruction dans cet ouvrage qui a bouleversé 64000 lecteurs (source : Grasset).
- Il y a cent ans naissait Primo Levi (1919-1987). Le survivant a ouvert la voie aux nombreux témoignages qui, aujourd'hui, rencontrent un véritable succès.»

Et tu n'es pas revenu - Marceline Loridan-Ivens
Édition Grasset

Une recension avec un interview de Marcelin Loridan-Ivens «"Et tu n'es pas revenu" est une bouleversante lettre que l'auteur a écrit avec l'aide de la romancière Judith Perrignon, à son père disparu tant aimé,  soixante et dix ans après les faits, parce qu'elle n'arrivait tout simplement pas à vivre sans lui.»
Une autre recension https://journals.openedition.org/temoigner/4769 «En 1962, dans Chronique d’un été de Jean Rouch, Marceline Loridan montrait sur son bras la marque du camp de concentration. Joris Ivens a voulu la rencontrer après avoir vu le film, et ils ne se sont plus quittés, jusqu’à la mort d’Ivens en 1989. Ce n’est pourtant pas à son compagnon de vie qu’elle s’adresse, mais à son père...»

La Shoah, guerre terminée, aspire les vivants en détruisant le reste de la famille.
Amertume envers un pays qui les a, quoique bien accueillis, mal protégés pour ne pas dire détruits. Amertume envers un pays qui a choisi à la libération le déni.
Page 67-68 « ll y a ton nom sur le monument aux morts de Bollène. ll y a été inscrit bien longtemps après. C'est le maire qui l'a propose, mais il voulait ne faire aucune distinction, que tu sois parmi les morts pour la France. Je lui ai dit que je tenais à ce qu'il soit écrit que tu avais été déporté à Auschwitz. Il m'a répondu que ce n'était pas nécessaire. Dans ce cas, je lui ai dit que je préférais que tu n'y sois pas. Il a cédé finalement. C'était il y a moins de vingt ans, juste avant de basculer vers le vingt et unième siècle, il ne voulait toujours pas de trace d'Auschwitz sur le monument du village.Tu n'es pourtant pas mort pour la France. La France t'a envoyé vers la mort. Tu t'étais trompé sur elle. »
70 « Puis j'ai eu la tuberculose,on m'a placée dans un sanatorium chic en Suisse, a Montana. Maman venait me voir parfois. Je ne supportais pas son impatience, cette façon qu'elle avait de me réclamer d'alter bien et d'oublier. J'étais si lourde. J'ai tenté de mourir une deuxième lois.
Au camp pourtant, j'ai tout fait pour être des vivantes.Ne jamais me laissez aller à l'idée que la mort c'était la paix. Ne jamais devenir celle que j'ai vue se jeter dans les fils électriques. »
72 « … quand les portes se sont ouvertes, j'ai écouté le murmure des déportés dans leurs habits rayés qui me disaient - Donnez les infants aux vieillards, dites que vous avez dix-huit ans. Je venais d'en avoir seize a Drancy et j'étais plus petite que la normale. Un SS m'a fait ouvrir la douche trois fois de suite pour voir ma dentition, et j'ai menti sur mon age. »

Lecture mars 2023

L'aube à Birkenau - Entretien avec Simone Veil

Éditions https://arenes.fr/
4e de couverture du site de l'éditeur «Simone Veil raconte son enfance, sa déportation, et l’impact de cette épreuve dans sa vie. Une édition collector avec un CD audio. Des textes lus par Léa Drucker et Mathieu Amalric.
«La guerre avait fauché une génération. Nous étions effondrés. Mon oncle et ma tante avaient beau être médecins, ils ne possédaient plus rien. Leur clientèle avait disparu. Leur maison avait été pillée. Leurs économies avaient fondu. Le lendemain de mon arrivée à Paris, comme ils n’avaient ni argent ni vêtements à m’offrir, c’est une voisine qui m’a secourue avec une robe et des sous-vêtements.
Il régnait dans la maison une atmosphère de désolation. Il n’y avait plus le moindre meuble. Les miroirs avaient été volés, à part ceux qui étaient scellés aux murs et que les pillards n’avaient pas pu emporter. Je faisais ma toilette matinale devant un miroir brisé par une balle. Mon image y apparaissait fissurée, fragmentée. J’y voyais un symbole. Nous n’avions rien à quoi nous raccrocher. Ma soeur Milou était gravement malade, mon oncle et ma tante avaient perdu le goût de vivre. Nous faisions semblant de vouloir continuer. »
Récit recueilli par David Teboul.»

Page 110-111 « Plus tard, en entrant au Parlement européen, j'ai rencontré des Allemands déjà adultes sous le llle Reich et je me suis posée cette question, lancinante à l'époque : « Que faisaient-ils, où étaient-ils dans ces années-là ? »
Je me demande toujours comment une telle monstruosité a pu jaillir, avant la guerre, d'un pays aussi développé, aussi cultivé que l'Allemagne. Un jour, j 'ai posé la question à Yehudi Menuhin, rencontré à Strasbourg le temps d'un concert. C'était non seulement
un grand musicien mais un homme d'une culture très étendue. Selon lui, rien ne permettait d'expliquer l'horreur nazie. La culture allemande, si raffinée, n'avait pas fait barrage. La musique, si jouée, si aimée dans ce pays, n'avait servi à rien.
L’histoire de l'Allemagne et des Juifs est vraiment particulière. Elle défie toute compréhension. Au début du XIXe siècle,les discriminations contre les Juifs ont diminué un peu partout en Europe. En France, les Juifs sont devenus citoyens en 1805. Ailleurs, ce fût la fin des ghettos, même si les pogroms ont persisté, surtout en Europe de l'Est, et même s'il subsistait des discriminations professionnelles.Telle ait la tendance générale jusqu'au début des années l930.
L’Allemagne, elle, avait une culture particulière, ancienne, plus favorable aux Juifs que dans bien des pays d'Europe. Les grandes villes de Rhénanie, en particulier, comptaient depuis toujours d'importantes communautés juives, protégées depuis des temps reculés par un statut particulier. Les anciennes villes franches rhénanes offraient aux Juifs une condition privilégiée, si on la compare au reste de la chrétienté. Or, c'est là, en Rhénanie, qu'ont eu lieu les premières grandes rafles allemandes. Les Juifs de cette région ont été parmi les premiers à fuir en France. Certains ont d'ailleurs été internés au camp de Guru avant de partir en déportation.
Le nazisme a donc balayé la tradition allemande et il a effacé le courant moderniste, la tolérance issue des Lumières. Il a bâti une idéologie de destruction raciale tout à fait étrangère à la tradition nationale. L’antisémitisme de Hitler était vraiment d'une nature particulière. Sa haine obsessionnelle s'est accompagnée d'une méthode d'extermination systématique. À partir de la conférence de Wannsee, en 1942, on peut se demander si la volonté d'extermination de tous les Juif d'Europe n'a pas été plus forte que le désir de victoire. Par son caractère méthodique et systématique, le plan nazi d'extermination
n'a pas d'équivalent dans l'histoire. Et cependant, les Juifs allemands n'ont pas cessé,pour autant, de se sentir allemands. À Birkenau, j'avais rencontré une déportée juive allemande qui gardait une haute idée de son pays. Elle était encore fière d'être allemande. »
126 « Sur ma liste des élections européennes de 1984, j'ai dû accepter la présence de Robert Hersant, alors patron du Figaro et d'autres titres de presse proches du gouvernement. Son engagement du côté de Vichy, ses articles antisémites sous l'Occupation étaient notoires. Cette candidature m'a mise très mal à l'aise. Il était difficile, m'avait-on expliqué, de refuser cette place au patron d'un groupe de presse aussi puissant.
Au sujet de cette liste, je me suis dit : « Ou je l'accepte telle qu'elle est, ou je ne la conduis pas » Mais si je la refaisais, j'acceptais, en tant qu’ancienne déportée, d'être exclue du combat et cela me mettait en colère.Au nom de mon propre passé, j'aurais été privée d'une responsabilité politique.
De fait,pour ce qui est de la complaisance ou de l'amnésie volontaire vis-à-vis d'anciens collaborateurs du régime de Vichy, l'après-guerre m'a enlevé mes illusions. J'ai appris à regarder avec méfiance le parcours de certains, mais je sais à quel point les généralités sont dangereuses. Dans l'après-guerre, on a voulu créer des catégories politiques, parfois sociologiques. On a dit que les riches avaient fait tel choix, les milieux défavorisés tel autre choix. Or, tous les milieux ont produit des collaborateurs, des attentistes et des résistants.
Dès 1945, je suis devenue - et d'une certaine façon, je le suis restée -, je ne dirais pas cynique, mais absolument sans illusions. Aujourd’hui encore, on parle de la Shoah avec beaucoup de phrases, on exprime une grande tristesse. On sacrifie aux usages. Mais pour bien des gens, cela ne représente rien. Ils n'imaginent pas.
Ne serait-ce que par les comparaisons historiques qui sont faites, on voit bien que les gens n'ont pas compris. »
127-128 « En 1971, j'ai été invitée à la projection privée d'un film dont le sujet m'intéressait beaucoup et sur lequel mon opinion était a priori favorable.C'était « Le Chagrin et Pitié », tourné par Marcel Ophuls sur un scénario d'André Harris et Alain de Sédouy, avec, pour sous-titre, Chronique d'une ville française sous L'Occupation.
Ce film est une succession d'interviews de témoins de la période de l'Occupation, dans la ville de Clermont-Ferrand et en Auvergne. Cela se présente comme un tableau de la France et de l'attitude des Français entre 1940 et 1945. Une partie particulièrement intéressante est consacrée au témoignage de Pierre Mendès France sur son procès en 1941 par un tribunal militaire à Clermont-Ferrand. Ce procès ab hominem, extrêmement dur, traduisait la volonté du régime de Vichy de détruire toute velléité de résistance. Mendès France a été Jugé pour désertion alors précisément qu' il avait cherché à continuer le combat !
L’essentiel du « Le Chagrin et Pitié » est consacré aux attitudes des Français. On y présente Clermont-Ferrand comme une ville très largement favorable à la Collaboration, avec des résistants quasi inexistants.
Cela m'a beaucoup étonnée.
Dès 1939, dès le début de la guerre, l'université de Strasbourg a été hébergée à Clermont-Ferrand. La ville a connu une manifestation d'étudiants dès le n novembre 1940. Lorsque j 'étais parlementaire à Strasbourg, j'ai pu voir, dans le hall de l'université, un immense panneau montrant combien de gens ont été fusillés, déportés - non pas seulement des Juif mais des résistants -, et précisément à Clermont-Ferrand. Alors très vite, j'ai trouvé le film biaisé, tendancieux. Les Français sont pratiquement tous présentés comme des salauds et des lâches. Les gestes de solidarité sont rares vis-à-vis des persécutés. A part chez quelques socialistes et communistes, on ne trouve pas trace de résistance. Même pour les communistes, la façon donneur résistance est présentée m'a beaucoup choquée.
En revanche, un ancien officier ancien-SS qui sévissait dans la région est montré sous un jour presque sympathique. Il affiche ses convictions. Il parle avec bonne conscience.On voit un homme qui est allé jusqu'au bout, qui s'est engagé, qui a fait la guerre en Union soviétique et qui semble ne rien regretter. Il apparaît comme un personnage sincère et cohérent, loin de la médiocrité française. Je suis sortie très affectée de la projection. Comme souvent, pour les documentaires construits sur une masse de témoignages, tout se joue au moment du montage. On prend ce qu'on veut, on ne garde que ce qu'on décide de montrer.
Très vite, j'ai su que des amis qui avaient résisté dans cette région avaient été scandalisés par le film. Ils avaient été sollicités et interviewés, mais leur témoignage n'avait pas été retenu. Un grand débat s'est alors ouvert en France.
J'étais au conseil d'administration de l'ORTF. Je le dis franchement : quand on a débattu de l'opportunité d'acheter ce film, qui coûtait cher et pour lequel il n'y avait aucun engagement a priori, je m'y suis fermement opposée, compte tenu de l'image qu' il donnait des Français. On a alors parlé de censure.
Et puis le film est sorti en salles et a connu le succès que l'on sait. A part quelques réactions indignées, on a surtout entendu un concert de louanges. Les gens semblaient absolument euphoriques à l'idée que leurs parents aient tous été d'ignobles individus.
Sans doute, jusqu'à ce début des années 1970, le cinéma avait-il exagéré le courage des Français sous l'Occupation. Je pense à des films comme « la bataille du rail ». On s'était d'ailleurs contenté de magnifier le rôle de quelques résistants sans parler de ceux, nombreux, qui avaient sauvé des Juifs Mais dans les années l970, on est passé à l'extrême inverse. C'était même devenu un dogme, une vérité intouchable : les Français avaient été pires que leurs voisins, ils s'étaient vautrés dans la collaboration, dans la lâcheté et la trahison. »

Lecture avril 2023

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